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Vivre et tracer les frontières dans les mondes contemporains

Frontières, limites et confins : espaces partagés, espaces disputés

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Publié le lundi 18 juin 2007

Résumé

Les membres de toute communauté ou société humaine expriment des idées ou des conceptions sur les frontières et les limites de l’ensemble auquel ils appartiennent. Parallèlement, chaque époque et chaque société développent des régimes frontaliers spécifiques au travers desquels s’expriment tant une conception de l’intégrité territoriale des groupes, qu’une projection de leurs rapports aux Autres, voisins, ennemis ou différents. Le but de ce colloque est de rassembler des travaux et recherches en cours sur les frontières territoriales et leurs productions dans les sociétés contemporaines, de décrire la vie sociale et les pratiques (passage et transgression) que ces lieux génèrent et organisent, enfin de s’appuyer sur cette anthropologie des lieux frontaliers pour amorcer une réflexion sur le sens des fronts symboliques dont notre modernité semble porteuse.

Annonce

Centre Jacques Berque Pour la recherche en Sciences Humaines et Sociales

Colloque International

Tanger, 17-19 Décembre 2007

Vivre et tracer les frontières dans les mondes contemporains.

Frontières, limites et confins : espaces partagés, espaces disputés.

  

Argumentaire

Les membres de toute communauté ou société humaine expriment des idées ou des conceptions sur les frontières et les limites de l’ensemble auquel ils appartiennent. Parallèlement, chaque époque et chaque société développent des régimes frontaliers spécifiques au travers desquels s’expriment tant une conception de l’intégrité territoriale des groupes, qu’une projection de leurs rapports aux Autres, voisins, ennemis ou différents.

Marquage

En ce sens, on peut considérer que notre époque se singularise par la production de dispositifs frontaliers dont les plus contemporaines combinent des mécanismes sophistiqués de contrôle et de surveillance et des barrières physiques, murs et enceintes,  visant l’étanchéité absolue de la séparation. A l’exemple des Etats-Unis dont l’administration  envisage aujourd’hui la  construction d’un mur de 1200 kilomètres à la frontière mexicaine, à l’exemple des enclaves espagnoles au Maroc, Ceuta et Melilla qu’une enceinte de barbelés sépare entièrement des  voisins marocains, à l’exemple enfin d’Israël qui matérialise sa frontière avec les territoires palestiniens par l’édification d’un mur et de barrières, les frontières contemporaines prennent forme matérielle d’édifices sans cesse plus performants dans la concrétisation d’un fantasme d’étanchéité. Ces dispositifs frontaliers ne sont d’ailleurs pas le seul apanage des frontières nationales problématiques ou conflictuelles. Les travaux de sociologues américains et sud africains sur les espaces résidentiels métropolitains décrivent des processus de surveillance et de défense assez similaires aux précédents (Mike Davis, City of Quartz, La Découverte, Paris, 2004). Après la chute du Mur de Berlin, certains n’ont pas hésité à pronostiquer la fin des frontières et l’ouverture générale du monde. On peut aujourd’hui avancer que le Mur de Berlin constituait au contraire une préfiguration et une anticipation d’un dispositif frontalier appelé à se banaliser et à se diffuser, tel un modèle détaché du régime politique qui l’a conçu.

La force symbolique du marquage et l’impact imaginaire de la coupure radicale ne tiendrait-elle pas en grande partie au fait que ces dispositifs frontaliers n’ont plus seulement vocation et ambition de séparer des ensembles et des principes nationaux. Ne tendraient-ils pas plus fondamentalement à marquer séparation entre des principes de civilisation disjoints et antagoniques ? Ces frontières étanches n’auraient-elles pas comme vocation à devenir des « fronts », pour reprendre l’opposition proposée en son temps par M. Foucher (Fronts et frontières. Un tour du monde géopolitique, Fayard, Paris, 1988), c’est à dire des points de contact et de tension entre programmes de civilisation concurrents ? Les frontières modernes ne risquent-elles pas de se faire lignes de fronts où se confronteraient par exemple Islam et Chrétienté, société religieuse et société laïque, pauvreté et richesse, nord industriel et sud mercantile ? La modernité semble caractériser ses frontières par leur capacité à signifier, tel en son temps le mur d’Hadrien, les limites et les confins d’ordres civilisationnels et cadres de normativité. On peut avancer que se manifeste ainsi la propension de certains Etats à se penser et se représenter sur un mode impérial, si l’on entend, avec les historiens, que le mur frontalier est bien l’un des traits matériel et symbolique de la forme politique des empires.  Cela dit, il est nécessaire de considérer les spécificités de chaque dispositif avant de les comparer. Par exemple, le cas du mur américain en projet sur la frontière mexicaine, n’est pas du même type que celui érigé par les israéliens. L’un répond à des mesures économiques pour « empêcher les migrants », l’autre résulte d’une volonté politique pour empêcher le passage de « kamikazes ».

Ces frontières à vocation d’étanchéité, ne sont certes pas les seules figures contemporaines de la frontière, et leur évocation n’a pas pour but de clore la discussion et le débat sur ces thèmes. Elle vise au contraire à en ouvrir l’horizon, pour appeler à replacer la réflexion et la description des architectures et dispositifs matériels frontaliers contemporains dans le cadre d’une anthropologie historique comparative.

Passage

    Mais l’établissement de murs est loin de caractériser à lui seul la complexité des formes et espaces frontaliers contemporains. De nombreux travaux[1][1] mettent en évidence des fonctions économiques et sociales de la frontière bien différentes de ses fonctions politiques. Paradoxalement, les frontières modernes rapprochent et combinent dans le même temps qu’elles séparent et divisent politiquement. Le constat a été fait en Afrique, en Amérique centrale ou en Europe que ces mêmes lieux frontaliers impériaux sont aussi des zones intenses d’échange et de passage. De part et d’autre des murs, les espaces frontaliers forment des marches d’empire où se développent des commerces, du trafic et des circulations de haute intensité. Sur la frontière américano-mexicaine  s’est ainsi formé un espace métropolitain continu, (SanDiego-Tijuana) que la frontière traverse plus qu’elle ne  sépare des villes distinctes. Ce principe de continuité urbaine est bien prêt de se produire aux portes des enclaves espagnoles de Ceuta Melilla au Maroc, malgré l’étanchéité des dispositifs frontaliers mis en place. Les différentiels frontaliers, si brutaux soient-ils, font sens économique et social. Des marchés frontaliers sont florissants, parfois entre des Etats eux-mêmes en guerre, des populations entières poussées aux périphéries par la fragilisation de leurs conditions de vie, se livrent à de multiples contrebandes dont l’inventaire est encore loin d’être exhaustif. Enfin, forme sans doute la plus moderne, le différentiel frontalier lui-même devient ressource économique. Ce sont en effet aujourd’hui des secteurs entiers de l’industrie qui se sont transportés vers les frontières. Les délocalisations industrielles d’entreprises américaines vers les zones franches mexicaines, celles plus récentes des entreprises européennes vers les zones franches marocaines ou tunisiennes, puis roumaines  ou polonaises, sont un facteur majeur  de développement de zones frontalières.

Il est avéré que sur cette économie frontalière, s’installent des collaborations et des échanges culturels et sociaux dans leur grande majorité placés sous le signe de l’informalité, de la débrouille voire de la clandestinité.

De leur côté, des travaux d’ethnologues mettent en évidence des échanges culturels et sociaux tout aussi intenses : c’est le cas par exemple dans les Balkans et en Cisjordanie, où les échanges matrimoniaux de part et d’autres des frontières sont courants, le mariage s’avérant être une forme de passage de la frontière parmi d’autres.

Qu’elles soient témoignage et perpétuation de continuités sociales anciennes, qu’elles soient au contraire formation de nouvelles solidarités, le paradoxe des frontières modernes est aussi d’y voir se former, exister ou se perpétuer des sociétés frontalières, fondées non pas seulement  sur l’utilité des échanges économiques mais sur des systèmes de liens et de solidarité. Même si, autre constat, la plupart de ces  sociétés transfrontalières modernes jouissent sans conteste dans les ensembles nationaux dans lesquels elles sont incluses, d’un statut ambigu, entre tolérance dévolue aux marginalités utiles, et violence symbolique stigmatisante.  

Partages et disputes

Les liens ou les échanges qui s’établissent de part et d’autre des frontières ne s’effectuent pas toujours sous le mode de la solidarité. Des stratifications sociales peuvent émerger, comme par exemple entre les bédouins d’Israël et les Palestiniens de Cisjordanie. Que l’on soit d’un côté ou de l’autre de la frontière, on n’occupe souvent pas la même position de pouvoir. Au-delà des liens de solidarité, il peut y avoir des relations de clientèle et des rapports conflictuels entre des groupes de même « culture » séparés par une frontière, initiés par les transformations des rapports politiques locaux qui lui préexistaient. Les modes de marquage de la séparation initiés par  la société civile se différencient bien souvent de ceux que l’Etat tend à mettre en place. Il est ainsi nécessaire de considérer les frontières séparant des groupes de population en dehors de leurs cadres politico-administratifs. 

Il existe enfin des cas de figure ou le marquage de la séparation ne peut être établi de manière claire, mais semble au contraire être le lieu de toutes les contradictions. Comment comprendre ces sociétés où l’on affirme à la fois son appartenance à un Etat et en même temps une solidarité avec un partenaire extérieur (cas du Liban) ? Ou encore comment une communauté ethnique ou religieuse joue à la fois sur sa spécificité et sur son englobement dans une entité politique plus large ? Se pencher sur ces exemples de « frontières floues » permet de mieux faire ressortir les spécificités de sociétés qui, à l’inverse, semblent établir des séparations pour tenter de les transcender.  D’une manière plus générale, comment penser les modes de socialisation et d’acculturation des régimes frontaliers de segmentation, comment les comparer dans l’espace et dans le temps ?

Perspectives

Ces remarques introductives visent à  fixer l’horizon intellectuel que nous voudrions donner à ce colloque sur le thème de « production frontalières et sociétés de confins ». Il s’agit de rassembler des travaux et recherches en cours sur les frontières territoriales et leurs productions dans les sociétés contemporaines, de décrire la vie sociale et les pratiques (passage et transgression) que ces lieux génèrent et organisent, enfin s’appuyer sur cette anthropologie des lieux frontaliers pour amorcer une réflexion sur le sens des fronts symboliques dont notre modernité semble porteuse. L’analyse et la description des sociétés et mondes transfrontaliers restent à faire, même si elles ont  déjà été initiées, sur les terrains africains et sud-américains notamment. C’est un des buts de ce colloque que de donner un écho et une plus grande visibilité à ces travaux empiriques. Il s’agit aussi de s’y appuyer pour  confronter des approches et des champs de questionnement habituellement séparés. Aux spécialistes des questions frontalières, politologues, géographes et historiens, nous souhaiterions donc joindre les travaux de ceux qui sont arrivés à la frontière poussés empiriquement par leurs objets eux-mêmes. Celui de la sociologie du travail, dont les analyses sur les « maquiladoras » mexicaines puis les délocalisations industrielles sont pionnières, celui de la socio-anthropologie des échanges, commerces et circulations transnationales entre Europe et Maghreb,  celui de la géographie sociale attentive à mettre au jour la complexité de  territoires divisés et partagés à la fois au coeur des régions du monde où la guerre, civile parfois, est chronique. Celui enfin de l’ethnologie des sociétés frontalières et de leurs singularités culturelles et sociales.

Ce colloque international et interdisciplinaire se déroulera à Tanger à la fin de l’année 2007, en collaboration avec l’Université de Tanger Tétouan, la cinémathèque de Tanger et l’Institut Français de la région Nord. Trois ateliers seront mis en place en fonction des thématiques de réflexions qui ressortiront des propositions de communication

Initié par le centre Jacques Berque, le comité scientifique de ce colloque est constitué de :

Karine Bennafla, équipe GREMMO/MOM, Lyon.
Raymond Jamous, LESC CNRS, Nanterre
Michel Peraldi, CJB, Rabat
Gilles de Rapper, IDEMEC, MMSH, Aix en Provence
Cedric Parizot, IREMAM, MMSH, Aix en Provence
D’autres institutions et chercheurs viendront le compléter.

Les chercheurs souhaitant faire une intervention dans le cadre de ce colloque doivent envoyer une proposition de communication  comportant un titre et un résumé, un court curriculum vitae, en une page maximum, en français, anglais ou espagnol qui seront les trois langues du colloque. Ces textes doivent impérativement parvenir au Centre Jacques Berque par courrier électronique à l’adresse suivante : shs@cjb.maavant le 25 juin 2007.

Les chercheurs souhaitant participer à ce colloque sans y faire de communication sont également invités à joindre leur demande à la même adresse.  


[1] Peraldi M,  (dir), (2001) Cabas et containers. Activités marchandes informelles et réseaux migrants transfrontaliers, Maisonneuve et Larose, Paris. Santibanez J, Castillo M A, (2000) Migracion y fronteras, COLEF, Mexico. Bennafla K (2002), Le commerce frontalier en Afrique centrale. Acteurs, espaces, pratiques. Paris, Khartala

Lieux

  • Maroc
    Tanger, Maroc

Dates

  • lundi 25 juin 2007

Mots-clés

  • frontière, territoire, migration

Contacts

  • Claire Cécile Mitatre
    courriel : shs [at] cjb [dot] ma

URLS de référence

Source de l'information

  • Gilles De Rapper
    courriel : gilles [dot] derapper [at] efa [dot] gr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Vivre et tracer les frontières dans les mondes contemporains », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 18 juin 2007, https://doi.org/10.58079/bnd

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