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La justice prise dans la vague managériale

Journée d'étude jeunes chercheurs

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Publié le mardi 18 novembre 2008

Résumé

L'objet de cet appel à communication consiste à réunir et mettre en parallèle divers terrains d'enquête concernés par les réorganisations actuelles de la justice. Depuis la fin des années 90, l'institution judiciaire est affectée par des réformes cherchant à la « moderniser », à la « réaménager » en introduisant progressivement des notions et techniques dites managériales. Comment se traduisent ces changements lorsque l'on observe les lieux judiciaires, tant à un niveau interne que dans les rapports avec les justiciables ? L'objectif sera ici d’évoquer les conséquences de ces bouleversements, en partant d'observations empiriques collectées par des jeunes chercheurs en sciences sociales au détour de leur objet d'étude : comment les rapports entre professionnels de la justice et justiciables ont évolué à l’aulne de cette volonté managériale ? Comment les pratiques de justice ont-elles intégré cette nouvelle donne ?

Annonce

Le RT 13 « Sociologie du droit et de la justice » de l’AFS lance un appel à communications sur "la Justice prise dans la vague managériale" dans le cadre d’une journée d’étude Jeunes Chercheurs s’adressant aux doctorants et post-doctorants.

La journée se tiendra, avec le soutien du  CERAPSE (EA 777) et du CERCRID (CNRS/UMR 5137), à l’Université Jean Monnet de Saint Etienne, vendredi 5 juin 2009.

L'objet de cet appel à communication consiste à réunir et mettre en parallèle divers terrains d'enquête concernés par les réorganisations actuelles de la Justice. Depuis la fin des années 90, l'institution judiciaire est affectée par des réformes cherchant à la « moderniser », à la « réaménager » en introduisant progressivement des notions et techniques dites managériales. Comment se traduisent ces changements lorsque l'on observe les lieux judiciaires, tant à un niveau interne que dans les rapports avec les justiciables ? L'objectif sera ici d’évoquer les conséquences de ces bouleversements, en partant d'observations empiriques collectées par des jeunes chercheurs en sciences sociales au détour de leur objet d'étude : comment les rapports entre professionnels de la justice et justiciables ont évolué à l’aulne de cette volonté managériale ? Comment les pratiques de justice ont-elles intégré cette nouvelle donne ?

La Justice, considérée comme un secteur régalien, a été longtemps épargnée par les logiques managériales alors que ces dernières s’imposaient de manière significative dans la plupart des administrations de l'État (santé, éducation, emploi, etc.)[1]. Rappelons que la mise en oeuvre d'une rationalité de type managérial se caractérise par l'attention portée aux outils de gestion, à la mesure des performances, à l'évaluation de l'activité, à la maîtrise des coûts, à la relation avec l'usager[2]. Contrairement à d’autres domaines, la Justice semblait disposer alors d'une force symbolique suffisante pour repousser l'introduction de ces logiques. Cette « sanctuarisation » ou « spécificité sectorielle » a été justifiée de plusieurs manières[3] : autonomie et indépendance indispensables aux magistrats[4], statut particulier du droit, éloge de la lenteur pour produire un bon jugement[5], refus de réduire la Justice à une organisation.

Pourtant les tribunaux suivent aujourd'hui une évolution vraisemblablement analogue vers une « modernité » que d'aucun qualifie de « nouveau management public »[6]. Plusieurs travaux insistent ainsi sur l'imposition de cette nouvelle thématique dans le domaine judiciaire[7] et sur la conversion du ministère à l'idée d'un « service public de la justice » assimilable à d'autres secteurs comme la santé, les transports[8]. L'introduction de notions dites « managériales » s'est opérée au fur et à mesure que s'enracinait l'idée d'une crise de l'institution, progressivement ramenée à des dysfonctionnements internes que ces nouveaux outils managériaux se proposaient de corriger[9]. Ce sont donc principalement les prises de décision politique propres à la réorganisation de l'institution judiciaire qui ont jusqu'à maintenant fait l'objet d'études : divers travaux mettent en exergue le « cheminement » des mentalités administratives ayant conduit à envisager la Justice comme une organisation pouvant « s’approprier » des notions de rationalité managériale[10]. L'impact de ces décisions sur le service de la justice est par contre méconnu[11].

C’est dans cette perspective que s'inscrit cet appel à proposition. On connaît les formes variées que ce bouleversement culturel dit « managérial » est censé prendre : recours aux outils informatiques et aux nouvelles technologies en vue de réduire les distances géographiques et d'apporter plus de souplesse organisationnelle[12], élaboration d'indicateurs statistiques pour mesurer les performances des magistrats ou des juridictions, définition d'une démarche qualité en terme d'accueil des justiciables, d'accès à la justice, de conduite du procès, de rapidité de réponse juridique, etc… Mais qu'en est-il de ce discours managérial une fois dans les juridictions, au contact des justiciables ? Le questionnement pourra être décliné dans trois directions.

1. Unité du « modèle » managérial diffusé.

Les travaux déjà entrepris décrivent une conversion des responsables politiques et administratifs à une logique managériale dont les méthodes et les pratiques sont déjà connues et fixées. Peut-on pour autant parler d'un mouvement cohérent et unifié lorsqu'il s'applique aux différents niveaux de l'appareil judiciaire ? Autrement dit, y a-t-il une ou plusieurs voies vers la managérisation dans le domaine judiciaire ? Il est en effet probable que selon les données locales, les techniques importées, selon les publics rencontrés ou les ressources des acteurs (juges, greffiers, policiers), les pratiques évoluent différemment ou résistent. L'introduction de cette rationalité d'un nouveau type impulsée par le ministère n'a probablement pas le même impact suivant l'histoire de chaque institution (système d’acteurs, critères géographiques, économiques, sociaux…), voire même sa position dans le champ judiciaire. De manière plus large, on pourrait se demander dans quelle mesure le phénomène rejoint ce qui se passe depuis plus longtemps dans d'autres services publics. Existe-t-il a contrario des spécificités ?

 2. Imposition d'une nouvelle rhétorique.

Les transformations se retrouvent aussi dans la manière dont les pratiques de justice se retrouvent nommées. On sait que le droit se caractérise déjà par une sémantique très riche instaurant d'emblée une forte distance voire une séparation entre les profanes et les professionnels. Les réformes récentes viennent alors bouleverser cet ordre des choses en introduisant un autre vocable tout aussi difficile à comprendre. La vague managériale se traduit notamment par l'imposition d'une rhétorique spécifique autour de mots-repères : démarche qualité, indicateurs, rendement, usagers, proximité, efficience, responsabilité. Dans quelle mesure ces dénominatifs sortent-ils de la sphère bureaucratique pour devenir des cadres de pensées et d'action des acteurs sur le terrain, aussi bien parmi les personnels des tribunaux que pour ceux avec qui ils sont en interaction ? Quel est alors l'impact de cette nouvelle rhétorique sur les pratiques professionnelles judiciaires ?

3. Redéfinition des rôles.

Les observations sur le terrain auront enfin l'avantage de décrire au mieux les stratégies des acteurs entraînés dans cette « vague managériale ». On peut supposer que selon les lieux, mais aussi selon leur position institutionnelle – ou hors de l'institution -, ils n'adoptent pas la même attitude face aux changements. La managérisation s'est par exemple accompagnée du développement des emplois « parajudiciaires » (assistants de justice, conciliateurs, employés des Maisons de Justice et du Droit, médiateurs, juges de proximité, etc.), induisant de nouvelles relations de travail au sein des juridictions. De même, les greffiers peuvent voir leur rôle s'accroître avec l'établissement des indicateurs statistiques ou l'attention portée à l'accueil des justiciables (par exemple avec l'introduction du Bex[13]). Il serait donc intéressant d'examiner dans quelle mesure il y a acceptation, résistance ou accommodements des différents acteurs avec ces nouvelles normes managériales. Comment s'adaptent-ils et quelles stratégies choisissent-ils face à ce tournant managérial ?


[1]          On pourrait aussi évoquer l'impact de la Loi organique sur les lois de finances (LOLF) sur le financement des politiques publiques avec notamment la généralisation des indicateurs chiffrés.

[2]          Voir entre autre : Julie GERVAIS, « Former des hauts fonctionnaires techniques comme des managers de l’action publique- L’« identité managériale » et le corps des Ponts et Chaussées » et Thomas ALAM, Jérôme GODARD, « Réformes sectorielles et monstration de la modernité – Les usages des savoirs managériaux dans les politiques de l’emploi et de l’alimentation », Politix, n°79, 2007.

[3]          Cécile VIGOUR, « Justice : L'introduction d'une rationalité managériale comme euphémisation des enjeux politiques », Droit et Société, n°63/64, 2006.

[4]          Le principe d’indépendance des magistrats a été encore rappelé dans une décision du Conseil constitutionnel français du 1er mars 2007.

[5]          Jacques COMMAILLE, Territoires de justice – une sociologie politique de la carte judiciaire, Paris, Puf, 2000.

[6]          Philippe BÉZÈS, Gouverner l'administration. Une sociologie des politiques de la réforme administrative en France (1962-1997), thèse de doctorat en science politique, Paris, Institut d'Études Politiques de Paris, 2002.

[7]          Cécile VIGOUR, « Ethos et légitimité professionnelle à l'épreuve d'une rationalité managériale : le cas de la justice belge », Sociologie du travail, 1, 2008, pp. 71-90.

[8]          Antoine VAUCHEZ, Laurent WILLEMEZ, La justice face à ses réformateurs (1980-2006), Paris : PUF, Coll. « Droit et Justice », 2007.

[9]          Thierry DELPEUCH, Laurence DUMOULIN, « La justice : émergence d'une rhétorique de l'usager », in Philippe WARIN (dir.), Quelle modernisation des services publics ? Les usagers au coeur des réformes, Paris : La Découverte, 1997.

[10]        Antoine VAUCHEZ, « Le chiffre dans le « gouvernement » de la Justice », Revue française d'administration publique, n°125, 2008, pp. 111-120.

[11]        On peut cependant renvoyer au travail pionnier de Benoît BASTARD et Christian MOUHANNA, Une justice dans l'urgence – Le traitement en temps réel des affaires pénales, Paris : PUF, Coll. « Droit et Justice », 2007. Analystes attentifs et fidèles des tribunaux dans une perspective de sociologie des organisations (avec Werner Ackermann), ils ont pu observer l'émergence et la diffusion de cette tendance à la rationalisation depuis la fin des années 80.

[12]        Citons l’exemple des visioconférences évitant à des professionnels de justice de se déplacer outre-mer pour tenir des audiences. On renvoie sur ce point au travail de Laurence DUMOULIN et Christian LICOPPE, « L'ouverture des procès à distance par visioconférence – Activité, performativité, technologie », Réseaux, n°144, 2007, pp. 103-140.

[13]        Bureau d'exécution des peines. Auparavant, des mois pouvaient séparer l’audience jugeant un fait répréhensible et l’exécution de la peine prononcée par un tribunal. Cette nouvelle structure permet au greffier de recevoir les condamnés et victimes dès la fin de l’audience pénale pour donner une réponse immédiate et procéder au recouvrement plus rapide du montant des amendes.

Organisation :

  • Six contributions seront retenues pour la journée d’étude.
  • Chaque texte,envoyé au préalable, sera présenté puis discuté par Christian Mouhanna (CSO/CNRS) ou par Cécile Vigour (SPIRIT/CNRS).
  • Une version écrite des interventions devra être envoyée début mai.

Calendrier :

  • Date de remise des propositions (500 mots) : 20 décembre 2008
  • Annonce des contributions retenues : 15 janvier 2009
  • Date de remise des interventions écrites (30 000 signes) : 1er mai 2009

Les propositions doivent être adressées à :

Lieux

  • Université Jean Monnet
    Saint-Étienne, France

Dates

  • samedi 20 décembre 2008

Fichiers attachés

Mots-clés

  • droit, justice, rationalité managériale, politique du chiffre

Contacts

  • Antoine Pelicand
    courriel : Antoine [dot] Pelicand [at] univ-nantes [dot] fr
  • Élodie Pinsard
    courriel : Pinsard [dot] Elodie [at] wanadoo [dot] fr

Source de l'information

  • Antoine Pelicand
    courriel : Antoine [dot] Pelicand [at] univ-nantes [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« La justice prise dans la vague managériale », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 18 novembre 2008, https://doi.org/10.58079/dbc

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