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Normes et hagiographie au Moyen Âge

Norms and Hagiography in the Middle Ages

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Publié le lundi 18 janvier 2010

Résumé

Le Centre d’histoire médiévale de l’université Jean Moulin (ArteHis – UMR 5994) organise les 4, 5 et 6 octobre 2010 une rencontre internationale consacrée à « Normes et hagiographie au Moyen Âge ». Le but de ce colloque est d’identifier et de décrire les transformations de l’hagiographie quand elle change de genre (insertion dans des sermons, des chartes, des collections canoniques, etc.) pour répondre à quelques questions essentielles : qu’appelle-t-on l’efficacité pastorale de l’hagiographie ? Peut-on croire que l’hagiographie serve à énoncer, transmettre, enseigner une norme chrétienne et sociale ? Au prix de quelles adaptations langagières cette efficacité est-elle visée ou atteinte ?

Annonce


Le détail de l’argumentaire, la composition du comité scientifique et d’autres informations utiles sont disponibles sur http://lyon2010.perso.sfr.fr/

L’hagiographie occidentale et sa fonction classique : histoire, modèle, récit normalisé

Dès sa naissance en Occident, l'hagiographie apparaît comme un genre ambivalent: elle propose de suivre la vie d'hommes et de femmes extraordinaires, dont le caractère hors-norme garantit la sainteté. Martin, pour Sulpice Sévère, est l'homme de l'excès et ses miracles des signes anormaux qui contredisent les lois naturelles. Pourtant, l'hagiographie est, dans le même temps, présentée comme une littérature capable d'être exemplaire: elle prétend proposer des comportements imitables[1]. Sa fonction pastorale revendiquée justifie même son allure stylistique normalisée: écrite dans une langue accessible, usant d'un vocabulaire sciemment limité, elle adapte son niveau de discours aux capacités d'un public qu'elle entend christianiser par l'exemple. L'utilisation de topoi reflète moins alors le manque d'inspiration des hagiographes que leur intention de produire un discours répétitif car normatif. Ces trois dimensions de l'hagiographie – histoire de héros anormaux, modèle pour les chrétiens, récit topique – ne sont jamais dissociées mais évoluent selon des rythmes décalés. Sur le plan du style tout d'abord, une rupture nette intervient avec les temps carolingiens qui font succéder à la rusticitas choisie des temps antérieurs, la correction artificielle d'une langue purifiée mais moins accessible. L'élitisme grammatical et langagier impose donc au genre hagiographique la nouvelle norme d'un latin archaïsant, mais au détriment de la fonction pastorale des Vitae[2]. Comme genre biographique ensuite, l'hagiographie se distingue de la littérature historiographique par la mise en scène de types qui laissent peu de place aux détails réels ou les habillent de lieux communs; la pastorale volontariste qui naît après l'an Mil doit en effet concilier les exigences d’un public qui semble attendre des « histoires vraies » et les besoins d'encadrement de l'Église qui détermine les comportements des populations chrétiennes en fonction des états de vie, laïc ou consacré. Les exigences pastorales modifient en conséquence le discours hagiographique; à partir du XIe s. en particulier, l'hagiographie offre un réservoir d'anecdotes plaisantes et édifiantes, les exempla, à insérer dans la trame d'un enseignement oral, voire écrit[3]. C'est au prix d'une réduction de ce qui fait l'originalité de chaque Vie: les noms propres, les circonstances détaillées disparaissent pour créer un récit anonyme donc exemplaire. L'utilisation normative de l'hagiographie passe donc par une normalisation du discours, ici jusque dans les sujets abordés. Elle contribue à la définition d’une norme langagière toujours mouvante. 

L’hagiographie occidentale et sa fonction originale : la définition de normes 

Cette deuxième étape de la réécriture hagiographique – après la correction de la langue, l'exemplarité de comportements devenus anonymes – semble connue depuis les travaux de Jean-Claude Schmitt ou de Nicole Bériou. Menée à terme, elle achève de faire de l'hagiographie le genre édifiant que l'époque moderne connaît. Mais l'évolution décrite est trop linéaire : au IXe et Xe siècles par exemple – avant donc qu’on puisse accuser le relâchement de l'encadrement politique carolingien - l'hagiographie peut être utilisée pour dicter de véritables normes sociales et juridiques. Hincmar archevêque de Reims utilise des Vitae dans son argumentaire contre le divorce du roi Lothaire et, globalement, pour justifier ses innovations politiques; Hervé, son successeur, compile des Vitae à part égale avec des canons tirés des premiers conciles ou des décrétales dans la collection "canonique" qu'il adresse à Guy archevêque de Rouen (entre 914 et 922). Les textes hagiographiques contribuent bientôt à définir des relations institutionnelles, à l'échelle de l'Église – l'écriture de Vitae pour servir d'arguments lors des premières canonisations pontificales manifeste l'autorité du pape exercée, en premier lieu, sur l'épiscopat de Germanie – ou dans le cadre d'une province ecclésiastique[4]. L'hagiographie paraît être alors le moyen privilégié du développement d'une ecclésiologie, autant spirituelle ou théorique que politique[5]. Dans le détail des sources, le glissement du modèle à la norme semble plus fréquent qu’on ne pourrait le croire : l’hagiographie est convoquée, ici pour justifier une innovation juridique, là pour créer un précédent dans un texte réglementaire, souvent dans un contexte parénétique, parfois dans des documents de la pratique, dans des proportions visibles, mais qui restent à mesurer. On assiste en même temps à une redéfinition, plus englobante, des contours de l’hagiographie – elle est ou redevient davantage historiographique avec Flodoard par exemple – et à un accroissement de ses fonctions : elle peut définir une norme autant que donner des exemples. Si le phénomène est ici décrit à partir d’observations menées dans un vaste espace carolingien, il faudrait pouvoir élargir ce point de vue aux régions qui n’ont pas subi ce centralisme impérial normatif (Espagne et royaumes anglo-saxons notamment), ou à des degrés moindres (Italie, Italie du sud) pour vérifier ces hypothèses. 

Hagiographie et normes : pistes pour une enquête

Ce survol bref et partiel montre que faire l’histoire du genre hagiographique à partir de sa seule fonction pastorale n’est pas suffisant : certes, l’hagiographie se prête à la création d’exempla, qui sont autant de passerelles entre le document écrit (Vita) et sa diffusion orale (sermons, etc.)[6]. Mais il y a une autre diffusion, plus souterraine, de l’hagiographie dans la documentation écrite : l’inclusion de passages hagiographiques dans d’autres contextes documentaires permet la formulation de véritables normes, dont l’efficacité et le fonctionnement précis restent à évaluer. On peut par exemple explorer les problèmes suivants :

  • L’insertion de passages hagiographiques dans les sermons. Doit-elle être considérée comme une technique rhétorique destinée à produire un effet de connivence avec le public – elle doit alors être visible – ou comme une technique de composition qui révèle le travail écrit des prédicateurs plus que de leur volonté d’être entendus et compris – elle peut donc rester imperceptible[7] ?
  • les Vies de saints abbés et abbesses. Sont-elles conçues comme des compléments, des justifications, des règles, pour la vie monastique d’un établissement donné ou sont-elles rédigées indépendamment ? Les réformes monastiques peuvent-elles utiliser des textes hagiographiques comme supports idéologiques justifiant un retour à la pureté originelle ou préfèrent-elles toujours utiliser des textes plus directement efficaces (visions[8]) ?
  • les relations entre textes hagiographiques dits exemplaires et norme chrétienne : l'exemplarité des Vitae, revendiquée dans grand nombre de prologues, peut-elle être autre chose qu’une illusion ou une justification rhétorique ? Sur certains points précis – miracles, thaumaturgie, ascèse, sexualité – les textes hagiographiques ne présentent-ils pas plutôt des contre-exemples qu’une norme pastorale dénonce ou nuance ?
  • L’utilisation de sources hagiographiques comme lieux de conservation écrite de testaments, réels, retouchés ou fictifs. Elle relève certes d’un souci pragmatique – le document sera moins facilement perdu ou méconnu – mais aussi d’un brouillage volontaire entre les genres, pour sacraliser les dernières volontés de celui dont on affirmer la sainteté. Quel effet, sur le texte hagiographique voire sur le culte du saint concerné, cette apparition d’un acte juridique provoque-t-elle (réécriture, dialogue entre les sources, modification de sa tradition manuscrite, etc.)  ?
  • Les allusions à des Vitae dans des actes (diplômes, donations et fondations, chartes de fondation, notices). Leur fréquence, leur utilité, leur situation dans l’acte sont à évaluer, ainsi que leur fonctionnement réel : renvoient-elles davantage à des textes connus dans leur détail ou à des saints dont on espère la protection sur les dispositions prises ?
  • La composition ou la diffusion de textes hagiographiques à l’occasion d’une réunion disciplinaire ou doctrinale : peut-on mettre en relation étroite par exemple la réunion d’un synode diocésain, la rédaction d’une Vita épiscopale et la promotion conjointe des canons synodaux et du texte hagiographique ?

Dans tous ces cas, qu’on pourrait multiplier, les effets linguistiques et stylistiques d’une utilisation normative de l’hagiographie sont à décrire et à comprendre. 

Ces pistes ne peuvent pas épuiser le sujet d’une rencontre qui se donne "Normes et hagiographie" pour objet d'étude, et trois objectifs et moyens principaux:

  • faire dialoguer littéraires et historiens. Les observations stylistiques précises des uns pourraient gagner à être replacées dans un cadre contextuel explicatif ; les constats des autres (retouches apportées à un texte hagiographique, son déplacement vers d’autres genres historiques, etc.) pourraient s’enrichir d’une description précise des conséquences stylistiques de telles modifications[9]. En somme, la recherche de la causa scribendi devrait pouvoir s'accompagner d'une réflexion parallèle sur l'élaboration d'une forma scribendi. Des Vitae mérovingiennes aux Vitae carolingiennes par exemple, on assiste à la création d’une norme langagière qui n’est pas imposée de l’extérieur mais l’objet d’un compromis ponctuel entre un auteur, un commanditaire et un public. Au cours de la préparation du colloque, nous chercherons donc à faire dialoguer, sur un même texte ou un même lieu d’écriture, des collègues de disciplines différentes. Si certains désirent travailler d’emblée en duos – concevoir ou exposer leurs idées à deux – ils sont les bienvenus.

 

  • proposer une chronologie fine pour les phénomènes brièvement décrits. L’Antiquité tardive et les temps mérovingiens sont assurément les périodes privilégiées pour observer la mise en place conjointe d’une hagiographie pastorale et d’une langue à la simplicité voulue : mais le remplacement d’une norme langagière médiocre par une norme plus relevée avec la Renaissance carolingienne précède-t-elle ou suit-elle la réforme liturgique de la fin du VIIIe siècle ? Le recours à une langue accessible à des fins pastorales est un point commun à l’hagiographie du VIIe siècle et à celle du Xe siècle : mais cette norme de simplicité est-elle répétée ou subtilement décalée ? L’utilisation de l’hagiographie dans la prédication a un effet sur la composition hagiographique elle-même, plus anecdotique, plus spectaculaire, bientôt cataloguée dans les encyclopédies dominicaines : cette évolution, associée aux débuts de la prédication mendiante, a-t-elle davantage ses racines dans le monachisme cistercien, qui voit naître les premiers recueils d’exempla, ou dans la réforme grégorienne qui façonnerait les outils d’un encadrement social renouvelé ? Des bilans ponctuels selon les espaces – apogée du règne de Louis le Pieux, règne d’Otton II ou d’Otton III, fin du XVe siècle[10] - méritent sans doute une analyse poussée.

 

  • Jouer sur la variété interne du genre hagiographique. Si les différences de fonction et de forme qui distinguent les Vitae des Miracula ou des Translationes sont assez évidentes[11], il sera indispensable de se pencher sur des documents qui sont à la frontière du genre hagiographiques, soit qu'ils s'en rapprochent par leur fonction (Miroirs), soit qu'ils s'en inspirent en poursuivant d'autres buts (inclusion de textes hagiographiques dans les Gesta ou les cartulaires, dans les collections canoniques).  L’étude précise de Miracles en particulier devrait permettre d’éclairer la question de l’apparition tardive des premières Vitae en langues vernaculaires : face à des textes hagiographiques composés dans une langue inaccessible pour beaucoup dès le IXe siècle, le réflexe d’une traduction ne s’est pas imposé. Cela incite à croire qu'il existait d'autres voies par lesquelles le peuple entrait en contact avec l'hagiographie latine.

Au moment où les Vitae sortent de leur fonction liturgique, morale ou récréative pour justifier des canons, légitimer des interdits, créer une unanimité politique, donner une nouvelle ecclésiologie, bref, au moment où elles deviennent des moyens d’encadrement social, elles retiendront de façon privilégiée notre attention. C’est dire combien des collègues qui ne se considèreraient pas comme « spécialistes d’hagiographie » ont leur place dans notre réflexion commune.

Les propositions de communication peuvent être adressées, avant le 1er mars 2010

à marie.isaia@univ-lyon3.fr (titre, résumé d'une page, coordonnées).

Les organisateurs

  • Alain Dubreucq (Université Lyon 3)
  • Thomas Granier (Université Montpellier 3)
  • Marie-Céline Isaïa (Université Lyon 3)
  • Olivier Szerwiniack (Université d’Amiens)
  • Marieke Van Acker (Université de Gand/Gent)

[1] En dernier lieu, Cécile Lanéry, Ambroise de Milan hagiographe, Paris, Institut d’Etudes augustiniennes, 2008 (Collection des Etudes augustiniennes, Série Antiquité 183)

[2] Une étude complète de ces variations de langue et l’obstacle qu’elles dressent entre rédacteurs et public est proposée par Marieke van Acker, Ut quicque rustici et inlitterati hec audierint intellegant : hagiographie et communication verticale au temps des Mérovingiens (VIIe-VIIIe siècle), Turnhout, 2007 (Corpus christianorum, Lingua Patrum 4)

[3] Sur la mutation des pratiques pastorales au XIe s., voir en dernier lieu l'apport du colloque Prédication et liturgie au Moyen Age. Etudes réunies par Nicole Bériou et Franco Morenzoni (Bibliothèque d'histoire culturelle du Moyen Age 5), Turnhout, Brepols, 2008: la liturgie est désormais moment privilégié d'une prédication dont la fonction pédagogique est accentuée.

[4] Sur les effets disciplinaires des textes hagiographiques à l'échelle d'un diocèse, voir Klaus Krönert, L'exaltation de Trêves, Stuttgart, 2009; Marie-Céline Isaïa, Remi de Reims, Paris, Ed. du Cerf, 2009.

[5] Depuis Dominique Iogna-Prat, Agni immaculati. Recherches sur les sources hagiographiques relatives à saint Maïeul de Cluny (954-994), Paris, 1988, voir Isabelle Rosé, Construire une société seigneuriale : itinéraire et ecclésiologie de l’abbé Odon de Cluny, Turnhout, Brepols, 2008 (Collection du centre d’Etudes médiévales de Nice 9); Eliana Magnagni-Soares, Monastères et aristocratie en Provence (milieu xe -milieu du xiie s.), Münster, Lit-Verlag, 1999 (Vita regularis 10).

[6] En dernier lieu, voir Le pouvoir des mots. Colloque de Lyon des 22, 23 et 24 juin 2009, dir. N. Bériou, J.-P. Boudet, I. Rosier-Catach.

[7] Voir par exemple le travail de composition des sermons, à partir de sources patristiques et hagiographiques dans James McCune, «  Rethinking the Pseudo-Eligius sermon collection », Early Medieval Europe, vol. 16/4, novembre 2008, p. 445-476

[8] Par exemple David C. Van Meter, « Apocalyptic Moments and the Eschatological Rhetoric of Reform in the Early Eleventh Century : the cas of the Visionary of Saint-Vaast », The Apocalyptic Year 1000. Religious expectation and Social change, 950-1050, ed. R. Landes, A. Gow et D. C. Van Meter, Oxford, Oxford University Press, 2003, p. 311-328.

[9] La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval. Transformations formelles et idéologiques, dir. Monique Goullet et Martin Heinzelmann, Ostfildern, J. Thorbecke, 2003 (Beihefte der Francia 58) donne les critères de description des réécritures et des pistes pour qualifier leurs motivations.

[10] Par exemple Véronique Hazebrouck-Souche, Spiritualité, sainteté et patriotisme. Glorification du Brabant dans l'œuvre hagiographique de Jean Gielemans (1427-1487), Hagiologia 6, Turnhout, Brepols, 2007

[11] Leur étude séparée est donc pertinente, en particulier sur le plan formel, sur le modèle de ce qui a été proposé dans Miracles, Vies et réécritures dans l’Occident médiéval, dir. Monique Goullet et Martin Heinzelmann, Ostfildern, J. Thorbecke, 2006 (Beihefte der Francia 65)

Catégories

Lieux

  • Université Lyon 3 Jean Moulin 15 quai Claude Bernard
    Lyon, France

Dates

  • lundi 01 mars 2010

Mots-clés

  • hagiographie, Moyen Âge, normes, société médiévale, Occident latin, pastorale, latin

Contacts

  • Isaia marie-Céline
    courriel : marie [dot] isaia [at] univ-lyon3 [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Marie-Céline Isaïa
    courriel : marie [dot] isaia [at] univ-lyon3 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Normes et hagiographie au Moyen Âge », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 18 janvier 2010, https://doi.org/10.58079/fpu

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