AccueilSciences sociales : sortir du paradigme de l’action ?

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Sciences sociales : sortir du paradigme de l’action ?

Social Sciences: beyond the paradigm of action?

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Publié le mardi 20 avril 2010

Résumé

L’objet du colloque est d’interroger la cohérence des orientations ayant contribué à affermir le paradigme de l’action à partir des années quatre-vingt, afin d’engager un débat sur la possibilité d’un éventuel dépassement. Pour réfléchir à une « sortie du paradigme de l’action », on envisagera la manière dont une meilleure prise en compte de l’action s’est historiquement articulée, à partir des années quatre-vingts, à de nouvelles orientations, dont on questionnera la cohérence et la pertinence pour l’analyse contemporaine du monde social.

Annonce

Sciences sociales : sortir du paradigme de l’action ?

10, 11, 12 mai 2010

Sciences-Po - Centre de sociologie des organisations

Lieu du colloque : 56 rue des Saints-Pères – 75007 Paris
(métro Sèvres-Babylone)
Salle Goguel

Responsable : Daniel Benamouzig (CNRS, Sciences Po, CSO)

Contact : daniel.benamouzig@sciences-po.fr


Comité d’organisation :

Philippe Bezès (CNRS, Université Paris II, CERSA)

Vincent Foucher (CNRS, CEAN)

Pierre François (CNRS, Sciences Po, CSO)

Pierre-Benoît Joly (INRA, IFRIS)

Claire Lemercier (CNRS, ENS, IHMC)

Principes d’organisation du colloque

(voir aussi l'argumentaire in fine)

Les sciences sociales sont elles actuellement l’objet d’un renouvellement théorique discret, susceptible de modifier les savoirs qu’elles produisent ? Si tel est le cas, quelles orientations sont privilégiées et dans quelle mesure ces options diffèrent-elles d’options antérieures ? Pour poser ces questions, en se situant du côté des inflexions théoriques plutôt que des conditions institutionnelles de leur production – par ailleurs notoirement en cours de redéfinition – deux types de problèmes, de nature diagnostique et pronostique, doivent être posés : l’hypothèse d’un changement d’orientation théorique suppose que soit caractérisé, dans un premier temps, un état stabilisé des savoirs, à partir duquel d’éventuels déplacements puissent être, dans un second temps, identifiés ou envisagés.



L’objet du colloque est d’interroger la cohérence des orientations ayant contribué à affermir le paradigme de l’action à partir des années quatre-vingts, afin d’engager un débat sur son éventuel dépassement. Pour réfléchir à une « sortie du paradigme de l’action », on envisagera la manière dont une meilleure prise en compte de l’action s’est historiquement articulée, à partir des années quatre-vingts, à de nouvelles orientations, dont on questionnera la cohérence et la pertinence pour l’analyse contemporaine du monde social.


Bien entendu, un éventuel dépassement peut prendre le parti d’une simple « critique » du paradigme de l’action, dont on peut souligner certaines apories. Mais la critique peut elle-même être plurielle et nuancée. Plutôt que récuser la notion d’action, la critique du paradigme de l’action peut interroger la pertinence des orientations théoriques auxquelles elle s’est agencée à un moment donné : dans quelle mesure un intérêt pour l’action implique-t-il la valorisation prédominante des niveaux « micro », de temporalités pensées au présent ou d’un ancrage dans les thématiques politiques de la démocratie ou de la démocratisation, plutôt que d’autres orientations ? Sans préjuger des possibles agencements, dont on pressent qu’ils peuvent être pluriels et présenter entre eux des degrés variables de cohérence, il s’agira surtout d’en questionner la possibilité et d’en interroger les formes au regard du paysage actuel des sciences sociales en France.


En ce sens, l’objet du colloque est de mettre en débat l’héritage du paradigme de l’action. Il s’agira moins de récuser l’action comme telle, que les formes de son déploiement théorique dans un contexte et à moment donnés. Pour envisager ces questionnements, le colloque sera organisé autour de deux entrées, dont on espère qu’elles se feront écho.


Une première entrée renvoie aux transformations de trois disciplines : la sociologie, l’histoire et l’anthropologie Pour chacune d’elles, il s’agira de questionner la relative cohérence d’une démarche intellectuelle partagée, au-delà des courants, entre les années quatre-vingts et les années 2000, afin de s’interroger sur de possibles orientations émergentes. À défaut de couvrir l’ensemble des champs disciplinaires susceptibles d’être interrogés, l’enjeu sera d’apprécier, à travers la mise en regard de trajectoires croisées, les transformations de trois disciplines ayant entretenu entre elles des rapports étroits, tant dans leur histoire en général que depuis les années quatre-vingts.


Une seconde entrée se rapporte à des objets ou à des thématiques. Quatre objets ont été retenus. Il s’agit de l’État, du marché, des professions et des savoirs. Sans couvrir l’ensemble du sujet, ces objets permettent du moins d’éprouver l’intérêt du questionnement général à partir de domaines précis et particulièrement importants de la vie sociale. Ils présentent en outre l’intérêt d’avoir été investis par des représentants du paradigme de l’action, sous des formes diverses : analyse des politiques publiques plutôt que de l’État ; nouvelle sociologie économique, par opposition à l’ancienne ; analyses interactionnistes des professions, par différenciation vis-à-vis du fonctionnalisme ; science studies par opposition à l’épistémologie et à la sociologie externaliste des sciences... Au total, une lecture à la fois rétrospective et située s’efforce de questionner les orientations privilégiées par les sciences sociales. Les regards portés sur l’État, le marché, les professions ou les savoirs, ainsi que sur leur autonomie et leur relative différenciation, invitent à considérer de nouvelles perspectives sur l’analyse du monde social et ses transformations.

Programme du colloque

NB : chaque temps d'intervention comprend un temps de discussion sur l'intervention

Premier jour : 10 mai 2010, 14h-18h

14 h Accueil et présentation du colloque - Daniel Benamouzig

Disciplines : quels paradigmes pour les sciences sociales ?

14h30-15h15 Une sociologie en quête d’action au tournant des années quatre-vingts

  • D. Benamouzig (sociologue, CNRS, Sciences-Po)
  • P. François (sociologue, CNRS, Sciences-Po)

15h30-16h Après la micro-histoire ?

  • C. Lemercier, (historienne, CNRS, ENS)
  • P-A. Rosental (historien, Sciences-Po, INED)

16h-16h15 Pause

16h15-17h Ethnographie et culture : des paradigmes sur le retour ?

  • L. Bazin (CNRS-CLERSÉ)
  • M. Selim (IRD-UR Travail et mondialisation)

17h Discussion

Discutant : Cyril Lemieux (sociologue, EHESS)

Deuxième jour : 11 mai 2010, 8h30-13h et 14h30-17h

(attention ! changements dans l'ordre et l'horaire des sessions)

Objets 1 : Figures de l’État

8h30-9h Accueil autour d’un café, salle Goguel bis

9h-9h45 Décomposition et recompositions de l’État en sciences sociales : chassés croisés franco-américains

  • Ph. Bezès (politiste, CNRS, Paris II)
  • F. Pierru (politiste, CNRS, Paris IX)

9h45-10h30 L’évidence de l’État : une difficulté chronique pour les historiens politiques français ?

  • A. Chatriot (historien, CNRS, EHESS)
10h30-10h45 Pause
  • 10h45-11h30 Les historiens américains et la main invisible de l'État, Sarah Gensburger (politiste, Sciences-Po)
  • 11h30-12h15 Bringing the (African) state back in (again). L'État en Afrique, vingt ans après, V. Foucher (anthropologue, CNRS, CEAN)
12h15-13h Discussion

Discutant : P. Hassenteufel (politiste, Université Versailles Saint-Quentin)

Objets 2 : Morphologies de l’économie

  • 14h30-15h15 La différenciation des activités économiques. Le marché comme forme sociale, P. François (sociologue, CNRS, Sciences-Po).
  • 15h15-16h Pourquoi l’économie est toujours politique : des théories anthropologiques contemporaines de la valeur, L. Berger (anthropologue, Musée du Quai Branly, LAS)

16h Discussion

Discutant à confirmer


Troisième jour : 12 mai 2010, 8h30-12h30 et 14h-17h30

Objets 3 : Professionnels entre les paradigmes

8h30-9h Accueil autour d’un café, salle Goguel bis.

  • 9h-9h45 Sociologie des groupes professionnels : un interactionnisme trop confortable ? C. Gadea (sociologue, Université Versailles Saint-Quentin)
  • 9h45-10h30 Le holisme compréhensif : application à la sociologie des professions, F. Champy (sociologue, CNRS, EHESS)

10h30-10h45 Pause

  • 10h45-11h30 Quelques grandes lignes de transformations des sciences sociales depuis les années 1950 autour des questions bio-politiques, N. Dodier (sociologue, INSERM, EHESS)

11h30-12h30 Discussion

Discutant : Pierre-Michel Menger (sociologue, CNRS, EHESS)

Objets 4 : Savoirs, régimes, institutions

  • 14h-14h45 Trente ans de science studies : savoirs, sociétés et question du politique, D. Pestre (historien, CNRS, EHESS)
  • 14h45-15h30 Produire l’autonomie des savoirs. L’économiste et ses « motifs », D. Benamouzig (sociologue, CNRS, Sciences-Po). 

15h30-15h45 Pause

  • 15h45-16h30 Incertitudes et standards de preuves : quel gouvernement des risques ? Figures comparatives et transnationales, P.-B. Joly (sociologue, INRA, IFRIS)

16h30-17h30  Discussion

Discutant : Olivier Martin (sociologue, Université Paris Descartes).

Argumentaire

par Daniel Benamouzig

L’état des sciences sociales est souvent caractérisé par sa pluralité et son relatif éclatement, par une diversification de ses aspirations théoriques, par son internationalisation et par la moindre prégnance des courants établis dans les années soixante. Cette représentation permet-elle d’envisager l’existence d’un état stabilisé et relativement partagé des savoirs ? Si un tel état stabilisé peut être caractérisé de manière transversale, quelles en sont les ressorts spécifiques par rapport à d’autres états comparables, antérieurs ou possibles dans l’espace français des sciences sociales, voire au-delà ? La diversité et l’hétérogénéité des sciences sociales françaises contemporaines peut-elle se laisser saisir à l’aune de quelques tendances partagées, organisant de manière sous-jacente la pluralité manifeste des productions ?


Anciennes et nouvelles orientations: un paradigme de l’action ?


L’organisation du colloque part de l’hypothèse que le paysage contemporain des sciences sociales peut être caractérisé, du moins en France, comme l’expression d’un paradigme partagé, relativement cohérent, articulé autour de l’action, plutôt que comme un espace peu unifié de débats et de confrontations associant des « paradigmes » rivaux, reconduits d’une période à l’autre. Selon cette hypothèse, il ne s’agit pas de caractériser l’état théorique des sciences sociales à partir du partage ritualisé entre quelques traditions théoriques, habituellement pensées comme peu compatibles entre elles, voire rivales (explication versus compréhension, holisme versus individualisme, tradition wébérienne versus tradition durkheimienne…). Il s’agit d’envisager les relations, parfois tacites, qui les associent dans un espace commun de réflexion et de problématisation. Ainsi appliqué aux sciences sociales, le terme paradigme retrouve ainsi une acception kuhnienne . Il désigne la succession de productions scientifiques relativement cohérentes, partageant à un moment donné des principes communs de production, au-delà de leur pluralité. Il se distingue de l’usage ordinaire, improprement dérivé de Khun, qui assimile les « paradigmes » à des registres théoriques pluriels et contemporains les uns des autres, plutôt que successifs.


Pour étayer l’idée de paradigme transversal, nous formulons l’hypothèse qu’un état stabilisé des savoirs s’est affirmé en sciences sociales à partir des années quatre-vingts autour de la notion d’action. Loin de caractériser les seuls courants se réclamant explicitement des théories de l’action, l’élaboration de savoirs plus généralement construits autour de la notion d’action semble avoir marqué l’essentiel des évolutions intervenues depuis les années quatre vingt dans l’espace français des sciences sociales. A peine formulée, cette hypothèse peut légitimement susciter d’importantes objections, à commencer par celle qui consiste à voir dans le prétendu paradigme transversal de l’action un simple ensemble théorique particulier, le cas échéant minoritaire, opposé à d’autres ensembles théoriques rivaux, plutôt que comme un paradigme partagé par l’ensemble des conceptions théoriques en présence. L’objet du colloque sera de discuter cette hypothèse, qui peut d’emblée être précisée.


Au-delà de la notion d’action, dont les acceptions, les expressions, les vocabulaires et les implications théoriques ont été multiples au cours des dernières décennies, un ensemble partagé d’orientations, de tendances ou de catégories a été mobilisé par de nombreux chercheurs en sciences sociales pour étayer les diverses expressions du paradigme en formation. Ces tendances peuvent rétrospectivement être identifiées, même à gros trait, sous forme de tropismes. Leur spécificité apparaît d’autant mieux qu’on les compare à d’autres tropismes théoriques, antérieurs, au contact desquels ils se sont différenciés et affirmés, et vis-à-vis desquelles ils contrastent a posteriori. Les tropismes associés au paradigme de l’action peuvent être énoncés comme : (1) un intérêt inédit pour l’action, bien entendu, souvent par différenciation avec d’autres notions alternatives, comme celle d’institution par exemple (2) ; un intérêt pour la dimension « micro » et les manifestations locales ou singulières des phénomènes sociaux, plutôt que pour leurs expressions « macro » globales et générales (3) un intérêt pour le caractère présent des phénomènes sociaux, plutôt que pour l’histoire, dans l’esprit du marxisme ou de la nouvelle histoire par exemple, ou pour certaines formes d’anhistoricité, dans une veine structuraliste ou fonctionnaliste par exemple (4) un intérêt pour la démocratie et ses conditions d’inclusion ou de participation, plutôt que pour les dynamiques sociales en termes de classes ou d’inégalités sociales, dans des perspectives marxistes ou anti-marxistes notamment. Progressivement affermies, ces nouvelles orientations ont favorisé la formation d’un paradigme original, dépassant souvent des clivages par ailleurs établis.


Quatre oppositions épurées n’épuisent cependant pas la complexité des contributions théoriques proposées au cours des plusieurs décennies  dans l’espace français des sciences sociales ! Leur énonciation présente un caractère discutable, voire très contestable. De manière souvent plus subtile, de nombreuses oppositions théoriques entre anciens et nouveaux tropismes ont pu donner lieu, à partir des années quatre-vingts, à des recompositions et à des reformulations internes, plutôt qu’à des oppositions termes à termes. Au passage, ces reformulations n’ont pas toujours favorisé la clarification des enjeux théoriques, laissant parfois accroire à une reconduction amendée, complétée ou renouvelée de l’existant, sans que les déplacements en train de s’opérer – souvent substantiels – aient toujours été revendiqués comme tels ou mis en évidence. Les orientations du paradigme de l’action ont moins souvent entraîné la critique et le rejet radical des tendances antérieures, qu’une série d’aménagements, d’ajustements, de déplacements, souvent tacites, renvoyant non seulement à des théories ou à des concepts, à des méthodes ou des pratiques de recherche, mais aussi à des vocabulaires et à des jeux de langage partagés, signalant de nouvelles orientations ou appartenances communes, et modifiant finalement quelques uns des principaux équilibres et centres de gravités des sciences sociales.


A l’aune de nouveaux principes, des tendances plus anciennement établies ont ainsi plus souvent été requalifiées que disqualifiées. Si des courants ou des écoles de pensée bien identifiés, comme le structuralisme, le fonctionnalisme ou le marxisme, qui incarnaient chacun à sa manière des orientations caractéristique des années soixante, ont été récusés de manière ostentatoire à partir des années quatre-vingts, d’autres orientations, également issues de la pratique des sciences sociales au cours des années soixante ont plutôt été reformulées. Des fresques historiques de grande ampleur, caractéristiques d’une manière de produire des sciences sociales, ont par exemple été réarticulées à partir des « jeux d’échelles » de la micro-histoire, qui ont permis d’attribuer plus de place à l’action et à ses expressions concrètes, présentes et singulières, sans pour autant abandonner, du moins en intention, la perspective d’une certaine ampleur historique. Dans le même ordre d’idées, des notions comme celles d’institution ou de représentation sociale, prégnantes dans les années soixante, ont été repensées au prisme de l’action, des interactions ou de négociations locales et ordinaires, au risque, parfois, de disparaître tout à fait. Sur un autre plan, l’émergence de nouveaux mouvements sociaux a pu être interprétée non seulement comme le prolongement d’un mouvement social entamé au dix-neuvième siècle, mais à l’aune des catégories politiques de la démocratie, et plus singulièrement de la démocratie participative, plutôt qu’à travers le prisme, plus général et plus ancien, des conflits entre classes ou entre segments sociaux, auquel l’analyse du mouvement social avait traditionnellement contribué. Au terme de ces évolutions, dont on pressent la complexité, de nouvelles lectures du monde social se sont révélées possibles.


Apports et apories des nouvelles lectures du monde social


Ces lectures n’ont pas seulement conduit à introduire l’action au cœur des sciences sociales, afin d’éclairer de manière plus précise et réaliste certains phénomènes. Elles ont produit de nouvelles représentations des faits sociaux. Les anciennes orientations, dont on peut retrouver des expressions dans des travaux d’inspiration fonctionnaliste, marxiste ou structuraliste, proposaient des représentations « intégrées » de la vie sociale. Elles articulaient entre eux de grands ensembles différenciés, autonomes les uns par rapport aux autres, à la manière de vastes mécanos. A partir des années quatre-vingts, les travaux relevant du paradigme de l’action ont mis en cause le caractère intégré de ces représentations. Ils ont questionné la prétendue autonomie des sphères sociales. Ils ont souligné que tous les phénomènes sociaux pouvaient être appréhendés à l’échelle de l’action, des intentions, des situations locales et des temporalités présentes, révélant ainsi le caractère fragile, incertain, incohérent, ambigu des activités sociales, y compris et peut-être, ou surtout, dans les institutions. Au-delà de l’apport incontestable de ces perspectives, qui ont profondément modifié le regard porté sur la vie sociale et sur sa complexité, sont apparues quelques apories.


La première renvoie à une forme d’illisibilité de la vie sociale. Les représentations intégrées des années soixante ont cédé la place à des représentations fragmentaires et contingentes, diluant non seulement la cohérence et les frontières des institutions traditionnelles, mais jusqu’à l’idée même de société. Certes, ces évolutions ne peuvent être imputées aux seules sciences sociales, qui se sont surtout efforcées d’en rendre compte au fur et à mesure que les effets d’importantes transformations se déployaient dans la vie économique et sociale. Mais les sciences sociales n’ont pas non plus été entièrement extérieures à ces transformations, auxquelles elles ont pu être associées, parfois directement, au titre de l’expertise par exemple, ou plus indirectement, au titre d’une réflexivité performative des sociétés sur leurs propres évolutions. Le monde social est au final apparu trouble, complexe, voire illisible. Concret sans doute, mais dépourvu de sens à force d’être chargé de significations.


La seconde aporie renvoie à une incapacité à cerner la spécificité des différentes activités sociales. Le caractère transversal de l’action, y compris dans le discours des sciences sociales, a alimenté une critique radicale, et à certains égards bienvenue, des institutions. Le paradigme de l’action a montré qu’elles ne devaient pas être considérées comme des entités autonomes et surplombantes, tant elles étaient traversées par une multitude de jeux, d’interactions, d’intérêts, de pratiques, d’incertitudes et de négociations locales. Conçues comme ouvertes, poreuses aux actions extérieures ou transversales, les institutions sont apparues comme des espaces d’action peu différenciés, à bien des égards comparables les uns aux autres et au reste de la vie sociale. Les institutions se sont trouvées dès lors dépourvues d’une grande part de leur spécificité, voire de leur légitimité. Au-delà de ses attendus délibérément critiques, cette nouvelle orientation a débouché sur une impossibilité de principe à caractériser ce qui caractérisait en propre certaines activités ou institutions sociales, ce qui les différenciait spécifiquement d’autres activités ou institutions sociales comparables. En récusant les prétentions, certes exorbitantes, qui avaient conduit, dans les années soixante, à mettre en avant des principes de différenciation et d’autonomie, le paradigme de l’action semble à rebours s’être privé de la possibilité théorique d’éclairer la spécificité des différents domaines d’activité sociale, au-delà de leur caractère sans conteste comparable.


Les apports et les apories dont s’accompagnent les nouvelles représentations du monde social ne sont pas seulement liés à de nouvelles orientations théoriques. Dans les années quatre-vingts, le paradigme de l’action est associé à une critique politique d’options théoriques antérieures, souvent associées à des idéologies dont il s’agit de se détacher. Des critiques orientées contre le marxisme, le structuralisme ou le fonctionnalisme dénoncent le totalitarisme et ses racines intellectuelles, au nom de la démocratie et du libéralisme. Une critique sociale plus diffuse, mettant en cause le caractère hiérarchique des institutions héritées des décennies d’après guerre, met parallèlement en cause des formes d’organisation intégrées, toujours au nom de la démocratie et d’une valorisation de l’autonomie individuelle. Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de mise en cause plus général des modèles intégrées de la firme, de l’État, du marché du travail, mais aussi d’institutions telles que l’école, la famille ou la médecine. De sorte qu’une interrogation sur le paradigme de l’action invite à en questionner la pertinence en se situant non seulement du point de vue de ses expressions théoriques dans les disciplines concernées, mais aussi du point des objets sociaux que ces dernières ont contribué à éclairer.

Lieux

  • 56 rue des Saints-Pères - salle Goguel
    Paris, France

Dates

  • lundi 10 mai 2010
  • mardi 11 mai 2010
  • mercredi 12 mai 2010

Fichiers attachés

Contacts

  • Daniel Benamouzig
    courriel : benamouz [at] vjf [dot] cnrs [dot] fr

Source de l'information

  • Daniel Benamouzig
    courriel : benamouz [at] vjf [dot] cnrs [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Sciences sociales : sortir du paradigme de l’action ? », Colloque, Calenda, Publié le mardi 20 avril 2010, https://doi.org/10.58079/g9v

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