AccueilTerritoires, pouvoirs, identités dans les Balkans contemporains

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Territoires, pouvoirs, identités dans les Balkans contemporains

Places, powers, identities in contemporary Balkans

Séminaire international de formation doctorale du 13 au 20 septembre 2010

International seminar

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Publié le vendredi 23 avril 2010

Résumé

Dans le cadre du contrat quadriennal de l’Ecole française d’Athènes et du programme de recherche « les Balkans par le bas », soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, un séminaire international d’études doctorales se tiendra à Rhodes entre le 13 et le 20 septembre 2010 dans les locaux de la fondation Marc de Montalembert sur le thème « Territoires, pouvoirs, identités dans les Balkans contemporains ». Il sera destiné à réunir pour une semaine des étudiants dont le travail de recherche porte sur les dynamiques sociales dans les pays balkaniques. Il s’agit d’un séjour de formation dans les domaines méthodologiques et thématiques, axé sur des ateliers de travail en groupes, des présentations de travaux et des conférences qui permettront la validation de crédits ECTS dans le cadre des cursus européens. La localisation de cette manifestation sur l’île de Rhodes donnera l’occasion à ses participants d’effectuer des sorties de terrain et d’appliquer des protocoles d’enquête sur des lieux et auprès d’acteurs participant aux processus de la mondialisation, principal sujet de réflexion collective de ce séminaire.

Annonce

1. Présentation générale

Dans le cadre du contrat quadriennal de l’Ecole française d’Athènes et du programme de recherche « les Balkans par le bas », soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, un séminaire international d’études doctorales se tiendra à Rhodes entre le 13 et le 20 septembre 2010 dans les locaux de la fondation Marc de Montalembert sur le thème « Territoires, pouvoirs, identités dans les Balkans contemporains ». Il sera destiné à réunir pour une semaine des étudiants dont le travail de recherche porte sur les dynamiques sociales dans les pays balkaniques. Il s’agit d’un séjour de formation dans les domaines méthodologiques et thématiques, axé sur des ateliers de travail en groupes, des présentations de travaux et des conférences qui permettront la validation de crédits ECTS dans le cadre des cursus européens. La localisation de cette manifestation sur l’île de Rhodes donnera l’occasion à ses participants d’effectuer des sorties de terrain et d’appliquer des protocoles d’enquête sur des lieux et auprès d’acteurs participant aux processus de la mondialisation, principal sujet de réflexion collective de ce séminaire.

D’un point de vue académique, cette manifestation sera organisée en collaboration avec le réseau Border Crossings avec lequel les chercheurs encadrant collaborent occasionnellement. Elle se tiendra avec le soutien de la fondation Marc de Montalembert, de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, de l’Ambassade de France en Grèce, de l’Université de Provence, du programme MIMED (Lieux et territoires de la migration en Méditerranée) et de la Maison méditerranéenne des sciences de l’homme.

2. Indications pratiques

Le groupe de travail sera constitué de 15 étudiants de M2, de doctorat ou de post-doctorat sélectionnés parmi les dossiers reçus en fonction de leur thématique de recherche. Leur travail devra porter sur l’actualité de la péninsule balkanique ou de la Turquie dans les disciplines des sciences sociales et intégrer l’étude des processus de la mondialisation sur ces territoires.

Dépôt de candidature

Les dossiers de candidature (à remettre avant le 7 juin) devront comprendre :

  • Une fiche de candidature à télécharger sur le site internet de l’Ecole française d’Athènes à l’adresse suivante : http://www.efa.gr/seminaires/seminaires2010/seminairesIntro.htm
  • Un curriculum vitae Dans cette lettre le candidat proposera un sujet d’exposé à présenter au séminaire, en relation avec le thème du séminaire et ses propres recherches si celles-ci sont suffisamment avancées. Dans le  cas contraire, il sera chargé, si sa candidature est retenue, de la présentation d’un compte rendu d’ouvrage (voir bibliographie)
  • Une lettre de motivation
  • Une ou des lettres de recommandation

Les dossiers de candidature seront adressés par voie électronique à la Direction des Etudes de l'EfA à l'adresse seminaires@efa.gr. Il n’est pas envoyé d’accusé de réception des dossiers, toutefois, tous les candidats reçoivent une réponse sous quinzaine. Les candidats retenus doivent immédiatement confirmer leur participation par courrier électronique et adresser un chèque de caution de 100 €uros, qui sera encaissé en cas de défection tardive et non motivée.

Modalités pratiques et déroulement du séminaire

Pour les participants, l’organisation de ce séminaire prévoit un hébergement en chambre double dans les locaux de la fondation Marc de Montalembert à Rhodes. Les frais de voyage sont à la charge de l'École doctorale de rattachement ou du participant. Une partie des frais de nourriture restent à la charge des participants (environ 12 €uros par jour). Une subvention pourra être accordée à certains étudiants pour participer à leurs frais de voyage.

Les travaux se tiendront en français et en anglais.

La compréhension passive est au moins requise pour l’une des deux langues.

Le  programme détaillé sera remis aux participants en même temps que la réponse à leur participation.

Le séminaire correspond à un volume théorique de 50 h de formation, comportant des cours associés à des visites thématiques et des travaux dirigés. Pour les étudiants qui souhaitent valider ce séminaire dans le cadre de leur parcours universitaire, les exercices pratiques proposés peuvent  faire l’objet d’une évaluation notée. Dans le mois qui suit la formation, les participants devront adresser au directeur de l'EfA un rapport d’une à deux pages, mettant notamment en valeur l’apport que le séminaire a pu représenter dans la conduite et l’avancement de leurs propres travaux.

Travaux en salle

  • Présentations de travaux par les doctorants
  • Ateliers thématiques et restitutions collectives

Sorties / terrains

  1. Vieille ville de Rhodes et identités minoritaires, patrimonialisation et mémoire (Ephorie byzantine et services archéologiques de la ville).
  2. Pratique de la frontière Grèce / Turquie, rencontre des acteurs animant le dispositif frontalier (FRONTEX et Police de la mer et des frontières).
  3. Revitalisation de la diaspora du Dodécanèse, rencontre des acteurs institutionnels concernés (intercommunalité, municipalité de Rhodes, associations Dodecanesian dream)

3. Equipe d’encadrement

Enseignants assurant l’encadrement permanent :

  • Georgios Agelopoulos (Université de Thessalonique, Réseau Border Crossings)
  • Dejan Dimitrijevic (Université de Nice-Sophia Antipolis, CIRCPLES)
  • Amaël Cataruzza (Ecole militaire de Saint-Cyr, Université Paris IV)
  • Gilles de Rapper (CNRS, Maison méditerranéenne des sciences de l’homme)
  • Pierre Sintès (Ecole française d’Athènes, Université de Provence)

Encadrants invités pour une partie ou la totalité du séminaire (sous réserve) :

Spécialistes des Balkans

  • Zorica Ivanovic (Université de Belgrade)
  • Kerem Oktem (San Anthony College, Université d’Oxford)
  • Jean-François Pérouse (Institut français d’études anatoliennes)
  • Nadège Ragaru (CNRS)
  • Athèna Skoulariki (Université de Crète, KEMO)

Equipe ANR « Les Balkans par le bas »

  • Aliki Angélidou (Université de Panteio)
  • Kira Kaurinkoski (Equipe Balkabas)
  • Katerina Séraïdari (Facultés Saint-Louis de Bruxelles)
  • Jean Gardin (Université Paris I)
  • Olivier Givre (Université Lyon 2)
  • Katerina Markou (Université de Crète)
  • Nebi Bardhoshi (Université européenne de Tirana)
  • Cyril Isnart (Université d’Evora) 

Spécialistes de l’aire méditerranéenne

  • Cédric Parizot (Centre de recherches français de Jérusalem)
  • Virginie Baby-Collin (TELEMMe-MMSH)
  • Stéphane Mourlane (TELEMMe-MMSH).

4. Programme du séminaire

Dimanche 12 septembre

Arrivée à Rhodes

Accueil des participants à la fondation de Montalembert

Lundi 13 septembre

Matinée : Présentation du séminaire

Conférence : « Les Balkans et l’Europe à l’heure de la mondialisation »

Après-midi : Présentation des doctorants 1

Débats

Mardi 14 septembre

Matinée : Présentation des doctorants 2

Débats

Après midi : Visite de la vieille ville

Rencontre avec les acteurs publics et communautaires de la conservation patrimoniale

Mercredi 15 septembre

Matinée : Conférence thématique 1

Mise en place des travaux en ateliers

Après-midi : travaux en ateliers sur les premiers thèmes

Jeudi 16 septembre

Matinée : Travaux en ateliers sur les premiers thèmes

Après midi : Restitution 1

Vendredi 17 septembre

Matinée : Rencontre des acteurs du contrôle frontalier et migratoire

Après-midi : Conférence thématique 2

Mise en place des travaux d’atelier

Travaux en ateliers sur les seconds thèmes

Samedi 18 septembre

Matinée : Travaux en ateliers sur les seconds thèmes

Après-midi : Restitution 2

Dimanche 19 septembre

Matinée : Conclusion des travaux

Après-midi : Libre

Lundi 20 septembre

Départ

Tous ces renseignements sont consultables sur le site internet de l’EfA

http://www.efa.gr/seminaires/seminaires2009/seminairesProgrammes.htm

École française d’Athènes

6 rue Didotou 106 80 ATHÈNES

Téléphone :+30 210 36 79 904

Télécopie : + 30 210 36 32 460

www.efa.gr

5. Texte d’orientation scientifique

Depuis 1990, et la chute des régimes d’inspiration marxiste qui étaient installés dans la plupart d’entre eux, les différents pays de la péninsule balkanique ont connu d’importantes transformations économiques, politiques et sociales. Celles-ci ont été accompagnées par le passage à l’économie de marché dans la plupart des cas et, pour des pays comme la Grèce ou la Turquie voisine, par l’accélération des réformes de l’Etat imposées par les autorités internationales. Ces deux mouvements peuvent néanmoins apparaître comme ne faisant qu’un au regard de certains des commentaires du processus de mondialisation. C’est la thèse défendue par James Rosenau qui, dès 1992, intégrait la chute du mur de Berlin et les évolutions des pays occidentaux dans un même et seul mouvement composé de « turbulences » et de « cascades », découlant de l’affrontement à l’échelle de la planète entre des structures de pouvoir stato-centrées et des structures multicentrées mettant désormais à profit les transformations technologiques en matière de communication et de transport pour dépasser l’Etat [Rosenau 1992]. Jusque dans les productions les plus récentes [Sassen 2009, Abélès 2008], les sciences sociales poussent à porter une attention accrue aux cadres et aux acteurs de ces transformations du rôle des Etats à partir des questions du pouvoir et de territoires, en retrouvant ainsi l’un des thèmes centraux de la géopolitique [Rosière 2007].

De cette manière, il est possible de reconnaitre que les Balkans sont bel et bien entrés depuis 1990 dans un processus qui semble conduire à la remise en question des allégeances nationales traditionnelle qui passe très concrètement par le retrait de l’Etat-Nation de nombreux compartiments des sociétés de la région. Ici comme ailleurs, la mondialisation conduirait à promouvoir de nouveaux acteurs défiant l’omnipotence de l’Etat national, et à modifier par conséquent les régimes de légitimité sur les territoires. Ce mouvement doit attirer notre attention dans une région comme les Balkans où la formation stato-nationale a constitué le socle des dynamiques territoriales depuis la fondation des Etats au 19e et 20e siècle par la grande force avec laquelle la nationalisation des territoires de l’ancien Empire ottoman en Europe est tout entière passée par l’affirmation de cette forme de pouvoir.

Les institutions internationales au dessus des Etats ?

A partir des années 1990, l’intervention dans les pays des Balkans d’institutions d’échelle supérieure confirmerait bien le vacillement des Etats-nations. Les guerres ex-yougoslaves leur en ont donné de nombreuses occasions comme par exemple au Kosovo, avec l’intervention d’une coalition de pays sous mandat de l’ONU en 1999 et la prise de contrôle de la région dans le cadre d’une administration civile sous différentes formes (MINUK, EULEX). Dans tous les pays de la péninsule, l’Union européenne s’impose souvent comme l’acteur le plus présent et le plus efficace par le biais des différents programmes qu’elle mène (PHARE, CARDS, OBNOVA, INTEREG). Cette même échelle de pouvoir se retrouve dans le cadre de la politique de sécurité et de régulation des flux migratoires à l’origine d’une dense coopération entre les Etats et l’UE  (programme FRONTEX) mais aussi de tensions, comme c’est le cas par exemple avec la Turquie au sujet des accords de réadmission. Ces nombreux programmes de coopération participent désormais de la politique européenne dans la région et s’inscrivent dans la perspective affichée de l’intégration de l’ensemble des pays des Balkans dans l’UE, conformément aux résolutions du sommet de Thessalonique de juin 2003.

Pour les pays concernés, le bon respect de ces injonctions revêt une importance déterminante car il conditionne le futur de leur intégration dans le jeu international. Les financements de ces différents projets sont ainsi octroyés sous condition du respect des clauses imposées par les instances internationales. Le cas de la Serbie, dont l’adhésion à l’Union européenne est liée à sa bonne coopération avec le tribunal pénal international de La Haye en est un exemple éloquent. « Nous voyons ainsi comment les instruments créés pour préparer l’adhésion des pays des Balkans occidentaux deviennent un levier politique permettant au ‘centre’ européen d’influencer les ‘périphéries’ balkaniques » [Cattaruzza & Chaveneau 2007 ; 4]. Ce processus touche un grand nombre de secteurs de la société balkanique. Dans le cadre d’Accords de Stabilisation et d’Association (ASA) par exemple, et à la différence de ce qui avait été fait précédemment pour préparer l’élargissement à l’Europe centrale et orientale, l’UE s’occupe aussi bien des aspects matériels, comme la reconstruction des infrastructures ou la relance de l’économie, qu’immatériels avec la « pacification » ou la « reconstruction identitaire » selon ses propres termes. La force de ces préconisations sur des éléments, « qui avaient été jadis intégrés dans les territoires et les domaines institutionnels du national » [Sassen 2009 ; 20], conduit ici à une certaine forme d’ « européanisation » des sociétés : par le biais de l’installation de personnels étrangers mais aussi en modifiant les institutions, les modes de vie, les rapports aux lieux et les comportements, car elles agissent en position de force comme prescripteurs de nouveaux cadres normatifs [Naumović, 2007].

A partir de ces constatations, on peut alors se demander si les Balkans ne se présenteraient pas à nouveau comme un espace où les pouvoirs nationaux seraient aisément mis sous tutelle, où les grandes puissances pourraient se permettre de « faire le jeu » comme cela a semblé être le cas au cours du 19e siècle. Ne faudrait-il pas considérer plutôt que cet affaiblissement de l’Etat dans certaines sphères du pouvoir n’est que l’aboutissement d’un processus amorcé dans d’autres régions du monde (elle est au cœur des derniers débats sur la souveraineté ailleurs en Europe) ? Son caractère plus accompli conduirait alors à affirmer que la péninsule serait aux avant-postes d’une nouvelle forme de gouvernance, qui ouvrerait la voie vers de nouveaux modes de régulation entre pouvoir d’échelles différentes, et qui témoignerait donc d’une « Balkanisation de l’Ouest » en cours pour reprendre l’expression de Stjepan Mestrović [Mestrović 1994].

Les acteurs du transnationalisme et de la localité en action

Outre l’affirmation des acteurs institutionnels supra-étatiques, et plus en lien avec la mobilité des hommes permise par la mondialisation des transports et des communications, de nouvelles formes de relations aux territoires ont émergé ces dernières décennies. Les échelles auxquelles elles opèrent peuvent être supérieures (avec la constitution de réseaux transnationaux) ou inférieures (par l’affirmation renouvelée de l’appartenance locale) aux dimensions de l’Etat national. Par le haut, les migrants économiques permanents et les minorités transfrontalières, les touristes ou les migrants saisonniers circulants illustrent par leur histoire et leurs caractéristiques différents aspects des situations balkaniques. La composition de ces réseaux transnationaux permet de retrouver l’importance des héritages qui fondent l’appartenance à ces communautés sans assise spatiale continue nous rapprochant de la thématique des diasporas [Bruneau 1998, Ma Mung 2000] ou, plus généralement, des ethnoscapes [Appadurai 2005]. Leur impact sur les évolutions politiques a été mis en évidence pour la région, comme par exemple avec la question macédonienne [Danforth 1995]. A dimension régionale, ce sont des groupes particuliers dont la position transfrontalière a accouché de formes de reconnaissance transnationale explicite, comme c’est le cas pour les Valaques [Gossiaux 1994] qui se positionnent parfois difficilement par rapport aux discours des Etats [Sintès 2008].

Mais ces réseaux, formés sur la transmission d’une mémoire collective ou d’un patrimoine de représentations à travers le temps ou l’espace, s’articulent aussi avec des enjeux locaux (associatifs, politiques ou économiques) tout aussi déterminants. En effet, qu’il s’agisse de la protection de l’environnement, de la mise en valeur du patrimoine ou de la revitalisation de pratiques religieuses ou festives particulières à certains lieux [Seraïdari 2007, Claverie 2003], les appartenances à l’échelle des « petits pays » connaissent un regain de vitalité et de nouveaux acteurs institutionnels infranationaux y émergent. Ce mouvement est-il lui-aussi à mettre en relation avec un affaiblissement du discours des États constaté à l’échelle supérieure ? Doit-on y voir un nouvel effet de l’intégration régionale européenne ? En quoi participe-t-il à une nouvelle construction sociale de la localité dans la région ?

De plus, tout comme les perspectives d’intégration européenne, les mobilités géographiques semblent paradoxalement favoriser une certaine forme de fragmentation. Des relations transfrontalières, suspendues depuis près d’un demi-siècle sur le tracé du rideau de fer, ont en effet été réactivées et des réseaux, unissant des personnes de nationalités différentes, se sont reconstitués dans les Balkans à partir de domaines aussi variés que les échanges commerciaux, le passage de migrants clandestins ou l’alliance matrimoniale [de Rapper & Sintès 2006]. Cette réactivation de réseaux conduit à la promotion de mémoires alternatives ou minoritaires ainsi qu’à la remise en question des légitimités traditionnelles. Dans certains pays, les minorités les plus anciennes ont été rejointes par d’autres, issues de mouvements migratoires récents (travailleurs albanais et bulgares en Grèce) [Sintès 2003] pour conduire à un regain de l’affirmation minoritaire et à une modification importante des cadres sociaux et politiques de la coexistence dans les différents pays balkaniques [Ragaru 2007]. Selon certains observateurs, ce mouvement, associé aux politiques européennes de protection du droit des minorités, est en mesure de mettre en péril la stabilité des États concernés [Riedel 2002].

Lire le social à partir des relations entre territoires et  pouvoirs

Dans ce nouveau contexte, l’étude des sociétés des Balkans contemporains demande d’envisager ces différentes échelles sans pour autant réifier une réalité mouvante et recourir à l’évocation de déterminants primordiaux : tradition contre modernité, Etats contre société locale, transnationalisme contre nation. On ne tarderait pas à conclure sur la force des permanences, qui conduiraient à « imaginer des Balkans » comme un lieu à part de la modernité. Au contraire, comme le suggère Saskia Sassen dans son dernier ouvrage, les processus de la mondialisation permettent à ces échelles de réalité de n’être plus pensées uniquement comme étant strictement emboîtées, et les différents acteurs peuvent puiser des ressources à différents niveaux pour réaliser leurs projets à d’autres. C’est aussi ce que précise John Durham Peters en soulignant qu’une des principales caractéristiques de la modernité est la condition de « bi-focalité », qui permet à la plupart des acteurs sociaux de percevoir en même temps l’échelle locale et l’échelle globale [Durham Peters 1997].

D’un point de vue géopolitique, l’utilisation par les gouvernants des institutions internationales pour soutenir leurs intérêts nationaux donne un bon exemple de ces relations croisées entre les échelles. C’est le cas quand le gouvernement grec menace de s’opposer par véto à l’entrée de la Turquie dans l’UE faute de l’application des accords de réadmission signés entre les deux pays dans les années 1990. On a pu aussi le constater dans le différend qui oppose Slovénie et Croatie autour du golfe de Piran. Pour la Slovénie, l’intégration à l’échelle supérieure (l’Union européenne) semble agir comme un moyen nouveau d’appuyer son projet régional en mer adriatique. Au lieu de conduire immanquablement à son affaiblissement, l’inclusion d’un Etat dans un ensemble supranational permet au contraire ici de renforcer ses visées au dépend d’un autre. Concernant les déclarations identitaires, les niveaux supérieurs peuvent aussi interférer dans le processus d’identification aux échelles locales par la reconnaissance comme la désaffection : le slogan « Nous sommes tous des européens » scandés dans les rues de Tirana au moment de la crise des ambassades de 1990, qui signifiait la volonté d’être administré par un pouvoir supérieur perçu comme plus juste, et l’Euroscepticisme perceptible aujourd’hui dans les Balkans du nord Ouest en donnent des exemples. Plus en profondeur dans la société, on peut néanmoins s’interroger à nouveau sur la réalité de cet affaiblissement de l’Etat. Il suffira pour cela de porter son attention sur les acteurs et les situations de territoire permettant d’avoir une « compréhension spatiale des phénomènes politiques » [Rosière 2007]. La formation des cadres identitaires passe en effet par toute une série d’opérateurs (patrimoine, enseignement, culture) dont le territoire se fait porteur et qui viennent s’intégrer aussi bien dans l’espace public que dans l’intimité des familles ou des espaces privés. Aux mains d’acteurs devenus parfois privés, ils peuvent exercer aujourd’hui les fonctions de contrôle jadis attribué à l’Etat. Plutôt qu’une disparition, c’est donc plutôt un redéploiement qu’il faudrait voir dans ce processus, concourant conformément aux théories de Michel Foucault à une sorte d’« étatisation de la société » [Foucault 1991].

Ces éléments fondamentaux, qui passent par l’observation de la territorialité aux échelles locales rappellent les travaux de Kevin Cox qui soulignent la nécessité de « l’étude des concepts dialectiques de territoires et la territorialité » [Cox 2002 ; 1] et ceux à la géographie sociale française [Di Méo & Buléon 2005]. Mais souvent, ces approches bottom up ont pris le local comme une donnée intangible alors qu’il procède lui aussi d’une somme de processus dynamiques. A la suite de David Harvey, il semble donc nécessaire se demander « comment sont construits et vécus la localité, la communauté et la région » [Harvey 1993 ; 6]. Afin de débattre de ces différentes questions, notre attention se portera de préférence sur les études de terrain au plus proche de la réalité vécue car elles permettent de mettre en lumière les relations entretenues par les Etats et les acteurs transnationaux, de mesurer l’impact sur les territoires des politiques des institutions internationales tout en donnant la pleine mesure des initiatives de la société civile, des associations ou des pratiques des individus qui incarnent, participent ou contredisent le mouvement général. A travers ces études particulières, il s’agira ainsi d’aboutir sur l’observation de la « fractalité » que Sarah Green attribue à la société balkanique [Green 2005]. Ceci permettra aussi de rendre compte de la fluidité des appartenances et des actions qui peuvent mettre en question les processus politiques globaux qui sont déterminants dans l’agencement des lieux, des territoires et des identités, car c’est à cette échelle du local que résident « les structures de sentiment qui fournissent avec le temps le champ discursif » [Appadurai 2005 ; 224]. Par le biais de ces Case Studies, il devient possible d’examiner les processus de résistance discrète qui, à l’échelle supérieure demeurent invisibles, afin de montrer comment les acteurs inventent pour utiliser ou pervertir les idéologies dominantes dans leurs jeux de positions entre le local et le monde global [Abélès, 2006]. Il s’agira finalement de comprendre comment se recompose « par le bas » les modes de territorialisation des identités dans le contexte de ce début de 21e siècle [Hannerz 1989].

6. Références bibliographiques – lectures obligatoires (en gras)

Abeles M. (2006), Politique de la survie, Paris, Flammarion.

Abeles M. (2008), Anthropologie de la globalisation, Paris, Payot.

Appadurai  A. (2005) Après le colonialisme. Les conséquences culturelles de la globalisation, Paris, Payot & Rivages.

Bruneau M. (1998) Les Grecs pontiques, diaspora, identité, territoires, Paris, CNRS Editions.

Cattaruzza A. & Chaveneau E. (2007) « Ni voisins, ni membres. La « périphérisation » des Balkans occidentaux via le processus d’adhésion à l’UE », L’Espace politique n°2.

Claverie E. (2003) Les guerres de la vierge. Une anthropologie des apparitions, Paris, Gallimard

Danforth M. (1995) The Macedonian conflict: ethnic nationalism in a transnational world, Princeton University Press.

Dimitrijevic D. (2004) Fabrication des traditions, invention de la modernité,  Paris, Maison des Sciences de l’Homme.

Durham Peters J. (1997) “Seeing Bifocally: Media, Place, and Culture.” Culture, Place, and Power: Essays in Critical Anthropology, A. Gupta and J. Ferguson (dirs.). Durham: Duke University Press, 1997. p. 75-92.

Di Méo G & Buléon P. (Eds.) (2005), L’espace social. Lecture géographique des sociétés,Paris, Armand Colin.

Foucault, M. (1991) ‘Governmentality’ in The Foucault Effect: Studies in Govern-mentality. Graham Burchell, Colin Gordon, and Peter Miller, eds.. Chicago: University of Chicago Press, pages 87 à 104.

Gossiaux, J.-F. (2002) Pouvoirs ethniques dans les Balkans, Paris, Presses Universitaires de France .

Green, S. (2005) Notes from the Balkans. Locating Marginality and Ambiguity on the Greek-Albanian Border, Princeton, Princeton University Press.

Hannerz, U., (1989) « Notes on the Global Ecumene », Public Culture, vol. 1, n° 2, 1989, p. 66 à 75.

Harvey D. (1993) From space to place and back again: Reflections on the condition of post-modernity, New York, Routledge.

Ma Mung E. (2000) La diaspora chinoise, géographie d'une migration, Gap, Géophrys.

Mestrović S. (1994), The Balkanization of the West: The Confluence of Postmodernism and Postcommunism, Londres, Routledge.

Naumović S. (2007) “On ‘us’ as ‘them’: understanding the historical bases and political uses of popular narratives on Serbian disunity”, Sophia, Cas Working papers serie n°1, p. 3 à 24.

Ragaru N. (2007) 'Repenser la politisation des identités : les engagements militants dans les Balkans d'aujourd'hui', Revue d'études comparatives Est-Ouest 38, 4, pp. 5-28 .

de Rapper G. &, Sintès P. (2006) 'Composer avec le risque : la frontière sud de l'Albanie entre politique des Etats et solidarités locales', Revue d'études comparatives Est-Ouest 37, 4, pp. 243-271.

Riedel S. (2002), Minorités nationales et protection des droits de l’homme, un enjeu pour l’élargissement, Politique étrangère n°3, p. 647 à 664.

Rosenau J. (1992), Turbulence in World Politics, Princeton, Princeton University Press

Rosière S. (2007), « Comprendre l’espace politique », L’espace politique n°1.

Rosenau J. (1993), « Les constitutions dans un monde en proie aux turbulences », Cultures et Conflits, 08, [en ligne]

Sassen S. (2009) La Globalisation, une sociologie, Paris, Gallimard.

Seraïdari K. (2007) Que sa grâce soit grande ! » Pratiques dévotionnelles et conflits idéologiques dans les Cyclades (« Μεγάλη η χάρη της ! » Λατρευτικές πρακτικές και ιδεολογικές συγκρούσεις στις Κυκλάδες), Athènes, Erinni (Philippotis).

Sintès P. (2008) « Les Valaques de la région de Gjirokastër et la Grèce » G. de Rapper & P. Sintes (Eds.), Nommer et classer dans les Balkans, collection Monde Méditerranéens et Balkaniques, Ecole française d’Athènes, Athènes.

Sintes P. (2003) «Les Albanais en Grèce : le rôle des réseaux préexistants »,  Balkanologie vol. VII (1), p. 111 à 133.

Catégories

Lieux

  • Fondation Marc de Montalembert
    Rhodes, Grèce

Dates

  • lundi 07 juin 2010

Fichiers attachés

Mots-clés

  • Balkans, société, territoires, identités, globalisation

Contacts

  • Pierre Sintès
    courriel : psintes [at] efa [dot] gr

Source de l'information

  • Sintès Pierre
    courriel : sintes [at] mmsh [dot] univ-aix [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Territoires, pouvoirs, identités dans les Balkans contemporains », Séminaire, Calenda, Publié le vendredi 23 avril 2010, https://doi.org/10.58079/gas

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