AccueilQuerelles d’écrivains, XIXe-XXIe siècle : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux

AccueilQuerelles d’écrivains, XIXe-XXIe siècle : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux

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Publié le lundi 14 juin 2010

Résumé

À l'occasion de ses cinquièmes journées d'études, le groupe COnTEXTES souhaite interroger la façon dont la querelle se décline dans les différentes formes de sociabilités littéraires, les avatars discursifs sous lesquels elle prend corps, les médias supportant idéalement ces prises de position tranchées, mais aussi les enjeux épistémologiques et méthodologiques qui peuvent se dessiner derrière ces objets d'étude scientifique.

Annonce

Corollaire négatif de la concorde, l’inimitié est aussi le propre de toute forme de sociabilité. Elle y intervient doublement en principe de ralliement à un camp et en facteur de disqualification de ceux qui n’en sont pas. À ce titre, la querelle fait partie intégrante de la condition d’homme de lettres. Elle semble même constituer la réalisation la plus manifeste des relations oppositionnelles qui dynamisent le champ littéraire dans la lutte pour les profits symboliques et matériels. Dénombrant les partisans et les dissidents, elle polarise les échanges et peut constituer l’occasion d’une mise en scène de soi, comme écrivain ou non, au point que certains se spécialisent dans l’imprécation et la polémique. Qu’on songe aux cas symptomatiques de Gustave Planche s’érigeant en spécialiste de la critique acerbe et s’attaquant avec un égal plaisir, pour des raisons diverses, à Hugo, Balzac ou Lamartine, et, plus près de nous, de Pierre Jourde fustigeant, entre autres, Angot, Despentes et Beigbeder, coupables à ses yeux d’être les producteurs d’une « littérature sans estomac ». Rançon du succès ou moyen de se constituer une postérité, la querelle concerne directement les écrivains reconnus, qui ont pour la plupart concentré nombre de réactions conflictuelles envers leurs idées, leur personne et leurs écrits. Elle n’épargne pas non plus les minores, chez qui elle anime intensément toute une intertextualité autour de la revendication d’originalité et du soupçon de plagiat. Enfin, les médiateurs du littéraire que sont les journalistes et les éditeurs se trouvent bien souvent pris dans le vif de ces querelles qu’ils subissent ou alimentent à leur avantage.

L’intérêt actuel pour l’étude des controverses scientifiques, philosophiques et politiques contribue à mieux comprendre la dispute en son principe dynamique et structurant dans la formation des groupes, dans l’échange des idées, dans les modes de positionnement. S’agissant des disciplines littéraires, une approche historienne des dissensions à l’œuvre au sein de la République des Lettres a trouvé sa première étude dès 1761 avec les Querelles littéraires d’Augustin Simon Irailh. Aux apports successifs des études d’histoire littéraire s’est ajouté le développement des approches en rhétorique et en analyse du discours, qui a notamment favorisé la connaissance de l’éristique et des caractéristiques du discours polémique. Il reste cependant de vastes terrains à défricher concernant le rôle socialisateur, créatif et dynamisant de la dispute. Si elle trouve sa place comme principe structurel dans le modèle explicatif de la sociologie des champs, connaît-elle pour autant une spécificité en littérature, où prévaut aussi l’investissement dans l’illusio ?

Dans ses enjeux comme dans les diverses formes de sa manifestation, il se pourrait que la querelle littéraire soit pleinement tributaire de ce principe de croyance intéressée. Comment, de personnelle et ponctuelle qu’elle est, la dispute peut-elle devenir l’objet d’une esthétique littéraire traduite à divers degrés dans une œuvre ou dans les valeurs partagées par un ensemble d’auteurs ? Comment la polémique anime-t-elle la vie littéraire en suscitant des manières de se faire connaître par distinctions et accointances ? Quels enjeux recouvre-t-elle du voile de l’invective et de l’affect ? Les différences sémantiques entre « controverse », « polémique » et « dispute » trouvent-elles un sens dans le débat conflictuel en littérature, où se reconfigurent les partages entre persuasion rationnelle et réaction émotive ?

Plusieurs axes de recherche complémentaires se dégagent de cette réflexion sur la spécificité des querelles littéraires.

1) Rhétorique de la polémique.

Au-delà des seuls cas bien connus de l’attaque ad hominem et de la création de sobriquets péjoratifs (ainsi de George Sand, « vache bretonne de la littérature » selon Jules Renard et « Hermaphrodite-circoncis » selon Lautréamont), l’étude des figures de style et des schémas argumentatifs pourrait déterminer dans quelle mesure la manifestation de la haine de l’écrivain repose sur une maîtrise du langage et sur le recours à la communication écrite différée. L’évolution de l’art de l’épigramme en offre une illustration significative. La dispute comme objet discursif peut en outre révéler comment se créent des prises de parole qui fonctionnent comme autant de prises de position et engagent certaines représentations discursives du locuteur.

2) Postures et trajectoires de polémistes.

Quelle importance la querelle peut-elle avoir dans la trajectoire d’un écrivain ? Méconnu, ce dernier peut être tenté de se constituer avec elle une visibilité littéraire. Reconnu, il peut la subir en tant que résistance à une routinisation des codes esthétiques et à une institutionnalisation des écoles littéraires. La dispute peut-elle composer avec certaines stratégies d’entrée dans le champ ? La mise en perspective publique des différends est porteuse d’enjeux qui dépassent le seul phénomène mondain de spectacularisation des sociabilités littéraires, chacune engageant ses rites et ses modes de distinction. Si les manières de créer la polémique en littérature peuvent contribuer à se donner une visibilité médiatique, il convient d’examiner les postures – au sens où Viala et Meizoz entendent ce concept – que cristallise une querelle littéraire, au fur et à mesure que se distribuent les rôles d’arbitre, de polémiste mordant, de pacificateur, etc. Ces postures participent-elles chez l’écrivain à la constitution d’un statut d’intellectuel et à la politisation des points de vue sur le littéraire ? Il est utile d’examiner à ce propos les modalités d’émergence publique de la querelle, en tenant compte du nombre d’agents impliqués et de l’audience donnée au phénomène.

3) Les lieux génériques de la polémique.

On connaît bien les supports privilégiés que constituent, pour les échanges antagoniques, le manifeste, le pamphlet, la correspondance et le métadiscours critique de type journalistique. Quels sont les codes et les tons liés à ces genres et régimes ? Quelles conditions en font des réceptacles de prédilection pour la manifestation de divergences d’opinion ? Outre ces lieux génériques privilégiés, qu’en est-il des thématisations de la dispute dans une œuvre romanesque ou poétique ? La genèse de certains textes peut s’avérer éclairante, comme l’est la pièce de théâtre intitulée La Guerre des Lettres, à l’origine du Charles Demailly des frères Goncourt.

4) Valeurs et usages de la dispute.

Que peut apporter aux études littéraires l’investigation ciblée des disputes nombreuses et variées qui semblent constituer la loi de fonctionnement du petit monde de la littérature ? Si l’intérêt socio-littéraire des querelles peut résider dans une forme de réflexivité qu’elles engendrent à travers les commentaires évaluatifs sur un style, une esthétique, une appartenance à une école ou un statut d’écrivain, comment traiter ce matériau testimonial sans amalgamer trop rapidement les faits, les représentations et les discours ? Quels sont les moyens d’objectiver l’expression des affects et l’exaspération des interférences cristallisées par ces différends ? De telles considérations appellent une révision méthodologique et métacritique de la querelle érigée en objet d’étude scientifique.

Ces journées d’études auront pour cadre chronologique la période qui va du XIXe siècle, moment où s’achève l’autonomisation du littéraire par, notamment, une internalisation des règles du jeu et des profits que celui-ci permet de générer, au XXIe siècle, où s’affirme un rôle public de l’écrivain en intellectuel et/ou en personnalité médiatique — ces transformations socio-historiques posant avec insistance la question d’un rôle structurel des querelles littéraires. Les journées se dérouleront à l’Université de Liège les 7 et 8 avril 2011. Les communications réserveront une place centrale à la problématisation. À cette fin, elles se garderont de privilégier l’anecdote pour elle-même et s’efforceront autant que possible de la mettre en perspective pour contribuer à une réflexion générale, comparative et/ou épistémologique.

Les propositions de contribution de 250 à 300 mots sont à envoyer au format PDF à Denis Saint-Amand (Denis.Saint-Amand@ulg.ac.be) et à Valérie Stiénon (V.Stienon@ulg.ac.be) pour le 30 septembre 2010.

Pistes bibliographiques

Angenot Marc, La Parole pamphlétaire. Contribution à la typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982.

Boquel Anne et Kern Étienne, Une histoire des haines d’écrivains. De Chateaubriand à Proust, Paris, Flammarion, 2009.

Boyer-Weinmann Martine et Martin Jean-Pierre, Colères d’écrivains, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2009.

Glinoer Anthony, La Querelle de la camaraderie littéraire. Les romantiques face à leurs contemporains, Genève, Droz, 2008.

Grojnowski Daniel, « Préface » et notes à l’édition de Jules Huret, Enquête sur l’évolution littéraire, Paris, José Corti, 1999.

Julliard Claire, Les Scandales littéraires, Paris, Librio, 2009.

Kempf Roger, L’Indiscrétion des frères Goncourt, Paris, Livre de Poche, 2006.

Larochelle Marie-Hélène (dir.), Invectives et violences verbales dans le discours littéraire, Québec, Presses de l’Université Laval, 2007.

Larochelle Marie-Hélène, Poétique de l’invective romanesque, Montréal, XYZ Éditeurs, 2008.

Lefrère Jean-Jacques et Pierssens Michel (éd.), Querelles et invectives, actes du dixième colloque des Invalides, Tusson, Du Lérot, 2007.

Sapiro Gisèle, La Guerre des écrivains 1949-1953, Paris, Fayard, 1999.

« Comment on se dispute. Les formes de la controverse de Renan à Barthes », Mil neuf cent. Revue d’histoire intellectuelle, n° 25, 2007.

« Esthétiques de l’invective », dossier Études littéraires, sous la direction de Marie-Hélène Larochelle, vol. 39, n° 2, 2008.

« Les bibliographies annotées de ADARR », Argumentation & Analyse du Discours. URL : http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/biblios.html

Sur la rhétorique du discours polémique : http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/bibliographies/discourspolemique.htm.

Sur la violence verbale, l’invective et l’injure : http://www.tau.ac.il/~adarr/index.files/bibliographies/violence.html.

Lieux

  • Université de Liège
    Liège, Belgique

Dates

  • jeudi 30 septembre 2010

Mots-clés

  • sociologie de la littérature, COnTEXTES, querelles, polémique, discours

Contacts

  • Denis Saint-Amand
    courriel : Denis [dot] Saint-Amand [at] ulg [dot] ac [dot] be
  • Valérie Stiénon
    courriel : valerie [dot] stienon [at] univ-paris13 [dot] fr

Source de l'information

  • Denis Saint-Amand
    courriel : Denis [dot] Saint-Amand [at] ulg [dot] ac [dot] be

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Querelles d’écrivains, XIXe-XXIe siècle : de la dispute à la polémique. Médias, discours et enjeux », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 14 juin 2010, https://doi.org/10.58079/gm0

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