AccueilGoût de l'authentique et construction émotionnelle des territoires touristiques, XVIIe-XXe siècle

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Goût de l'authentique et construction émotionnelle des territoires touristiques, XVIIe-XXe siècle

The taste of the authentic and emotional construction of tourist territories, 17th-20th centuries

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Publié le mardi 14 juin 2011

Résumé

La plupart des lieux d’évocation touristiques tiennent à un ample répertoire d’images mentales et de sensations. Fruits de l’expérience vécue ou de projections imaginaires, ces supports du vrai, du naturel, de l’authentique — naguère de l’ancestral ou de l’immémorial —, sont bien entendu et en large part des constructions, ou les fruits de contingences. Il existe ainsi et comme l’avait noté Edgar Morin dans le Journal de Californie autant de riz cantonais que de diasporas chinoises, de produits à disposition et de goûts locaux à satisfaire. Cela signale d’emblée l’écart entre l’ici de la pratique ou de l’invention culinaire et l’ailleurs de sa diffusion ou de son exportation. Il n’en reste pas moins que le processus de célébration des vertus régionales gustatives par les touristes d’abord, puis les élus, enfin les professionnels de l’agroalimentaire ou du marketing territorial reste mal connu — Bourgogne et Bordelais mis à part.

Annonce

Appel à communication Colloque international (Saint-Brieuc, juin 2012)

Goût de l’authentique et construction émotionnelle des territoires touristiques (XVIIIe-XXe siècles)

Présentation

Après le premier colloque réuni à Saint-Brieuc en juin 2010, Penser le tourisme au XXe siècle, et publié sous le titre Initiateurs et entrepreneurs culturels du tourisme (1850-1950), Rennes, PUR, 2001, nous voudrions aborder une autre dimension relativement négligée jusqu’alors.

La plupart des lieux d’évocation touristiques tiennent à un ample répertoire d’images mentales et de sensations. Fruits de l’expérience vécue ou de projections imaginaires, ces supports du vrai, du naturel, de l’authentique — naguère de l’ancestral ou de l’immémorial —, sont bien entendu et en large part des constructions, ou les fruits de contingences. Il existe ainsi et comme l’avait noté Edgar Morin dans le Journal de Californie autant de riz cantonais que de diasporas chinoises, de produits à disposition et de goûts locaux à satisfaire. Cela signale d’emblée l’écart entre l’ici de la pratique ou de l’invention culinaire et l’ailleurs de sa diffusion ou de son exportation. Il n’en reste pas moins que le processus de célébration des vertus régionales gustatives par les touristes d’abord, puis les élus, enfin les professionnels de l’agroalimentaire ou du marketing territorial reste mal connu — Bourgogne et Bordelais mis à part. À l’heure où le patrimoine culturel immatériel consacre le « repas gastronomique des Français » (et « la diète alimentaire méditerranéenne »), de nombreuses autres pays ou régions ont obtenu reconnaissance de leurs excellences. Reste à savoir si des catégories aussi ténues ou au contraire lâches que le pain d’épice croate, la cuisine traditionnelle mexicaine, voire la gastronomie marocaine font sens.

A s’en tenir à la Bretagne, l’inventaire des « produits régionaux », supports des émotions, est à première vue aisé. Sardines à l’huile, pâtés, galettes sucrées, kouign amann — étroitement associés au pays bigouden —, sont aussi connus qu’ils composent des paniers régionaux rapportés de vacances. Même chose pour le cidre, voire les beurres ou les andouilles. On n’en dira pas autant pour les crêpes, encore moins pour les galettes (« de blé noir », plus blondes et dénommées crêpes / krampouezh aussi dans une partie de la Basse-Bretagne), les unes et les autres d’une complexité ethnographique à décourager l’analyse mais que le consommateur averti — comment du reste ? — surmonte en privilégiant tel fabricant semi-industriel plutôt que tel autre dans les rayons des supermarchés ou en attendant son tour les jours de marchés devant tel camion plutôt que tel autre. Et qui connaît le kouign des Gras (délicieuse et roborative rencontre d’avant-Carême entre une génoise et un quatre-quarts) produit autour de Mahalon et de Plozévet (Finistère) dont le calendrier de production l’éloigne de l’été et, partant, des touristes ? Et faut-il rire de ce vagabond affamé signalé par Eugen Weber dans La Fin des terroirs rêvant d’une saucisse longue comme de « Lamballe à Saint-Brieuc » ? — saucisse, adjuvant de la galette, plutôt en pays gallo que bretonnant, mais bien mal circonscrite encore. A rebours, marchandes de « bouts de saucisses » et de « morues frites », attestées par la carte postale, ont disparu. Quid aussi de l’apparente évidence des « plateaux de fruits de mer » étrangers sans doute à l’alimentation populaire mais dont l’association gourmande avec le littoral nourrit là encore cartes postales et restaurants portuaires ? Chouchenn, caramels au beurre salé (et de sel il ne peut être que celui de Guérande…), soupes de poisson, voire bière et whisky bretons sont-ils alors de pures créations opportunistes ou participent-ils d’une revendication identitaire plus affirmée ? Il n’en reste pas moins que si gavottes et craquelins subsistent grâce à leur industrialisation, d’autres maisons ont disparu, à commencer par la pâtisserie Gilbert (Saint-Brieuc) aux macarons réputés jusqu’à Paris. Comment classer alors le coco de Paimpol, le chapon de Janzé, le coucou de Rennes ou la coquille Saint-Jacques de la baie de Saint-Brieuc, produits saisonniers mais qui ont su se constituer une forte visibilité à travers des initiatives aussi diverses que des salons et émissions gastronomiques, voire une littérature de cuisine dont le marché se renouvelle sans cesse. On l’aura compris, le « bon produit » peut voisiner le « non produit » — soit par médiocre qualité intrinsèque, soit par difficulté à le faire accepter en dehors du périmètre régional.

Il ne s’agit évidemment pas de s’en tenir à la Bretagne, mais de comparer ces quelques observations armoricaines avec d’autres pratiques et patrimoines menant au tourisme ou issus de celui-ci. Il ne s’agit pas, non plus, de céder à la manière de Curnonsky et Marcel Rouff auteurs entre 1921 et 1928 de La France gastronomique. Guide des merveilles culinaires et des bonnes auberges françaises, en 28 volumes, même si l’encyclopédisme des « cuisines régionales » répond alors au second réveil des « provinces ».

La rencontre aura donc vocation à interroger prioritairement les thèmes suivants :

1. La naissance des saveurs régionales

L’exaltation des richesses gastronomiques des terroirs précède la venue des touristes. Mais sont-elles seulement liées aux produits ou obéissent-elles à des normes « nationales » appliquées aux provinces ? Comment, dans un processus d’intégration de la quête gourmande, les récits de voyages et les guides participent-ils (sous l’Ancien Régime et jusqu’au début du XXe siècle) d’un imaginaire des désirs ? À cet égard, existe-t-il des registres provinciaux précoces, passant par les saveurs et déplaçant les topographies ? Philippe Meyzie a notamment montré pour le Sud-Ouest les similitudes entre cadeaux alimentaires de villes et produits régionaux. Bref et au même titre que, par la géographie des milieux, la science administrative qualifie des espaces d’attributs divers, en est-il autant et selon les mêmes logiques des espaces régionaux : que ceux-ci deviennent ultérieurement touristiques ou non ?

Par ailleurs, comment a pu s’établir la solution de continuité entre alimentation quotidienne des espaces investis et gastronomie ? La piste des auberges, des pensions de famille comme des hôtels (théâtres d’une bonne chère devenant gastronomie savante) impose de relire l’invention des restaurants sur fond d’usages, peut-être différenciés, entre produits « naturels » et produits régionaux. La question du « frais », comme de l’hygiène, invite à beaucoup d’attention lorsque des normes du dehors viennent modifier les habitudes du « dedans » ; sans compter que la nationalisation des cuisines régionales à la faveur d’un processus analogue à l’école et à l’armée — en tout cas tels que les menus de banquets politiques le manifestent — tendent à mettre le produit local « à toutes les sauces », au propre comme au figuré.

2. L’inventaire des possibles

Alors même que l’alimentation globalisée s’impose, la restauration éco-gastronomique ne fait qu’extrapoler les vertus du « home made ». On en oublierait presque ce que recouvre le tour de main, la variété des recettes, les secrets des affinages (des vins, des fromages comme des huîtres) qui justifient l’authenticité et l’attribution de prix et médailles aux salons gastronomiques dont l’exacte géographie mériterait d’être relevée pour en saisir les correspondances, ou non, avec les territoires touristiques. Plus largement, s’impose la compréhension d’une apparente évidence, celle de la carte des saveurs ou comme l’écrit Florent Quellier : « Comment cartographier les saveurs [et] les goûts des terroirs ? »
Entre le stock de produits et recettes disponibles en un espace — dont l’inventaire peut là aussi être instructif —, comment s’opère la sélection offerte au voyageur devenant touriste ? A l’inverse, la piste des circuits courts ou des plats « typiques » est-elle toujours compatible avec l’épuisement de stocks ? En témoigne le destin du délicieux « bouquet » — pièce obligée du plateau de fruit de mer —, remplacé par l’insipide « crevette rose » décongelée d’Asie du sud-est ? L’environnement de la table (décors extérieur et intérieur, vaisselle, linge, menus, …) appelle donc bien de substantiels développements, car la promesse anticipe le ravissement (ou la déception) des papilles. Enfin, l’identification d’une figure à un lieu (comme la Mère Poulard au Mont Saint-Michel) ne doit pas faire oublier la cohorte des anonymes. Ombres fugitives des souvenirs, mais authentiques détenteurs (ou peut-être même davantage détentrices) de ces recettes et tour de main évoqués plus haut, ces acteurs et actrices essentiels méritent plus qu’un simple arrêt sur image, surtout lorsque la dynastie devient empire.

Par ailleurs, réserves aristocratiques ou bourgeoises d’hier, marchés, commerces spécialisés ou GMS d’aujourd’hui posent évidemment la question des frontières entre le réservoir local des quotidiens et une autre expérience : non plus celle gastronomique, mais celle d’une alimentation en / des / de vacances. Simple prolongement des habitudes « de la maison » — en location, comme au camping —, cette cuisine peut tout autant s’ouvrir aux bricolages d’un local mélangé au global. Mais c’est plutôt du côté des frontières culturelles et culinaires, des situations de conflits autour de l’authentique et de ses pratiques qu’il faudra s’arrêter. L’étude intra-régionale de tels enjeux — telle justement la frontière de la galette et de la « crêpe » ou la querelle des andouilles entre Vire et Guéméné — n’est évidemment pas mince.

3. La sélection des territoires

Le « terroir gourmand » peut-il, à lui seul, faire tourisme ? La France des fromages ou des charcuteries n’en donne pas l’impression. Si l’on peut se laisser tenter par Isigny et ses pluralités, tout comme Roquefort, le pouvoir émotionnel de la rillettes ou de l’époisse ne s’associe pas à un lieu. C’est un peu le paradoxe des AOC et autres labels, capables de fortement structurer la présence de produits dans les imaginaires et les consommations mais rarement d’animer une envie de découverte — en dehors du tourisme-nature, assez confidentiel. Tout aussi spécifique est le tourisme gastronomique dont il n’est pas utile de redessiner les contours. En revanche, et alors que les emblèmes alimentaires régionaux sont assez peu vecteurs d’ethnicité — sinon par associations d’idées devenant elles-mêmes presque « naturelles » — les cuisines régionales obéissent à des mécanismes promotionnels évidents. Campagnes de communication, organismes régionaux ou nationaux de labelisation, entrée en jeu des industries agroalimentaires en mal de bonnes pratiques et d’intervention dans l’économie touristique signalent que l’artisanat gustatif est souvent devenu vitrine.
En dernière instance, une poêlée de Saint-Jacques aura-t-elle le même goût à Paris qu’à Erquy, des langoustines la même douceur iodée à Lyon qu’au Guilvinec ? Outre l’impression, parfois exacte, de pouvoir profiter de plaisirs autrement inaccessibles, c’est évidemment dans un rapport empirique d’étrangeté que se construit cette relation. Se dessine donc, en arrière-plan, l’espérance du retour, entrelacs de nostalgie et de découvertes. Entre photos des moments heureux et incursion de saveurs nouvelles aux menus du quotidien, le « tour de Gaule » (ou tour du Monde) se ponctue souvent d’un « c’est bon comme là-bas, dis ! ». Raison donc de n’oublier ni les métissages ni le rôle des mouvements d’originaires dans la construction des envies d’ailleurs. Ni non plus, la transmission des recettes par la carte postale ou, plus récemment, des livres. Avec cet ultime paradoxe que la transposition conduit à trouver souvent les saveurs exotiques d’ « ici », meilleures que celles — en principe authentiques — de « là-bas », surtout lorsque la préparation au voyage s’est accomplie sous le signe de ce que Marc Augé appelle le « futur antérieur ».

Modalités de soumission

Les propositions de communication (un paragraphe argumenté), seront à rendre (date impérative) à patrick.harismendy@wanadoo.fr

pour le 15 octobre 2011

Les réponses aux propositions seront communiquées mi-novembre.

Une invite toute particulière est faite en direction des communications construisant leur démonstration sur l’iconographie (sous toutes ses formes, y compris la cartographie, la littérature pour enfants ou la bande-dessinée). Les champs scientifiques sollicités relèveront plus particulièrement de l’histoire, l’histoire de l’art, l’ethnologie, l’anthropologie, les études littéraires (et notamment les littératures des voyage) ainsi que la géographie historique.

Organisateurs : Patrick Harismendy — Jean-Yves Andrieux, UEB – Rennes 2.

Comité scientifique 

  • Jean-Yves Andrieux, Professeur d’histoire de l’Art contemporain, Université Paris-Sorbonne, Paris IV (à partir de septembre 2011)
  • Patrick Harismendy, Professeur d’histoire contemporaine, Université européenne de Bretagne, Rennes 2
  • Jean-Pierre Lethuillier, Maître de conférences d’histoire moderne, Université européenne de Bretagne, Rennes 2
  • Florent Quellier, Maître de conférences d’histoire moderne, Université François Rabelais, Tours [chaire CNRS d’histoire de l’alimentation des mondes modernes] 

Les acceptations seront communiquées courant novembre 2012.

Lieux

  • Saint-Brieuc, France

Dates

  • samedi 15 octobre 2011

Mots-clés

  • tourisme

Contacts

  • Patrick Harismendy
    courriel : patrick [dot] harismendy [at] wanadoo [dot] fr

Source de l'information

  • Patrck Harismendy
    courriel : patrick [dot] harismendy [at] wanadoo [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Goût de l'authentique et construction émotionnelle des territoires touristiques, XVIIe-XXe siècle », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 14 juin 2011, https://doi.org/10.58079/iml

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