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(Re)penser les alternances en science politique

(Re)Thinking alternation in political science

Pour une sociologie politique des alternances au pouvoir

For a political sociology of alternation in power

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Publié le mardi 05 juillet 2011

Résumé

Ce colloque souhaite ouvrir une approche comparative de l’alternance au pouvoir de façon à saisir les réalités empiriques mais aussi les vertus et les mystifications théoriques d’une telle conception du phénomène. Sans renoncer à mieux comprendre les conséquences politiques réelles d’événements tels que « mai 81 », il s’agit donc aussi, par ce jeu de regards croisés, de faire de l’alternance un analyseur des changements d’état politique. Cette double perspective devrait permettre de rapporter les usages de la notion aux contextes dans lesquels elle est mobilisée et aux rhétoriques de légitimation dans lesquelles elle s’inscrit.

Annonce

Colloque organisé par l’ERMES (EA-1198)
Université Nice - Sophia Antipolis 8 et 9 décembre 2011

APPEL À COMMUNICATIONS


Si la notion d’alternance au pouvoir est d’usage courant dans la science politique française, son étaiement théorique se limite à un point d’accord minimal autour de son champ d’application (i) et de deux postulats, l’un fonctionnel (ii), l’autre normatif (iii), qui en fondent la portée analytique. Ainsi, bien qu’observable à d’autres échelons ou dans d’autres configurations du pouvoir politique, l’alternance concernerait essentiellement le champ du gouvernement national des régimes pluralistes (i). Lorsqu’elle est effective et institutionnalisée, c’est-à-dire régulière et régulée, l’alternance est mobilisée comme indicateur de bonne santé démocratique (ii) et, pour cette raison même, apparaît dans l’analyse et le commentaire politiques comme un épisode fortement souhaitable (iii) de la vie d’un régime politique. Exempte du lourd appareil théorique qui limite l’usage de notions pourtant voisines (comme celle de « transition démocratique »), cette acception pour le moins minimaliste de la notion d’alternance au pouvoir est d’ailleurs très proche du sens que lui attribuent les professionnels de la politique, les commentateurs et les journalistes spécialisés. Pour ces différentes catégories d’observateurs, l’alternance est donc communément appréhendée à la façon d’une respiration politique nécessaire, d’un rééquilibrage des moyens et de la latitude d’action – et donc un gage de symétrie électorale et politique – entre les principaux « partis de gouvernement » qui se disputent traditionnellement le pouvoir. Démonstration en actes de l’autonomie et de la solidité des cadres institutionnels du jeu politique national contre les velléités de renversement ou de révolution de l’ordre politique en place, l’alternance est ainsi retenue par les transitologues parmi les indicateurs du passage à la démocratie consolidée . Mieux : en tant que « substitut non violent à la révolution », l’alternance routinière au pouvoir serait le signe d’une démocratie pluraliste « performante », dans la mesure où elle éloignerait la confusion du multipartisme et son mal le plus mortifère : la conjonction des centres . En somme, telle qu’elle a été intellectuellement façonnée, la notion d’alternance au pouvoir semble servir prioritairement deux démarches conjointes : d’une part, compléter le lointain projet de modélisation des systèmes démocratiques (et de leurs « cycles de fonctionnement ») ; d’autre part, agir comme un cadre explicatif évident des changements politiques qui y surviennent.

Avec ce colloque, nous souhaitons prolonger les réflexions engagées lors du séminaire préparatoire (organisé en 2010-2011 à Nice ) et ouvrir de nouvelles pistes à partir de terrains différents (à différentes échelles, du local au transnational, et concernant des situations politiques variées). Les travaux de ce séminaire ont montré que les lectures historiographiques, constitutionnalistes et politologiques de l’alternance au pouvoir en France étaient fortement empreintes du « cas » de l’alternance de 1981. A certains égards, « 81 » a été construit comme une forme à la fois exemplaire et paradigmatique d’alternance « à la française », mais aussi comme l’amorce d’une normalisation du régime politique de la France, sur le modèle des « grandes démocraties ». Alternance modèle, « 81 » semblerait prouver que l’alternance n’engendre pas seulement des changements de politique mais aussi un changement du système politique. Cette érection de « 81 » en alternance exemplaire tient pour partie aux attentes et aux craintes que l’alternance au pouvoir pouvait susciter dans le contexte politique et social des années 1970.

Avec cette expérience « réussie », la thèse de « l’allergie républicaine à l’alternance » a été invalidée et l’alternance s’est imposée à la fois comme un phénomène normal et souhaitable du régime politique de la France, et comme le signe de la modernité et de l’adaptabilité de ses institutions. Souvent convoquée pour expliquer des changements intervenus durant, voire depuis les années 1980, l’alternance n’y est pourtant que rarement abordée de front, comme si les effets qu’on lui prête relevaient de l’évidence. Alors qu’en cette année anniversaire des trente ans de l’alternance de 1981, les célébrations et les publications sur le sujet n’ont pas manqué, le questionnement sur les processus politiques concrets que recouvre la notion d’alternance au pouvoir a été manifestement absent des débats.
Ici comme ailleurs, dans l’analyse prospective ou rétrospective d’une situation politique, la simple évocation d’une alternance au pouvoir suffit donc à accepter et faire accepter l’idée que de cette alternance procèdent des transformations rapides et décisives surviennent (ou sont susceptibles de survenir) dans la plupart des cadres et secteurs de la vie politique et sociale : le rapport des forces politiques, la morphologie des élites gouvernantes, l’orientation du travail gouvernemental et législatif, les représentations sociales du pouvoir, les mobilisations sociales et politiques, les champs sociaux interconnectés au champ politique, etc. Du coup, la notion d’alternance au pouvoir agit « mécaniquement », serait-on tenté d’écrire, comme désignateur d’un événement-type, ici un processus de changement politique modélisable, tout à la fois prévisible dans son occurrence et plus imprévisible dans ses conséquences, et non comme instrument de description et d’analyse du changement politique en question. En cela, la notion semble davantage faire écran aux phénomènes qui y seraient liés qu’elle ne permet de les expliquer concrètement. Or, même lorsqu’elle est un « phénomène normal » du régime politique étudié, l’alternance au pouvoir n’est pas un opérateur inéluctable et autonome de changement politique. S’il existe implicitement une homologie alternance = changement, le second processus ne procède pas « naturellement » du premier. Des hypothèses alternatives restent en effet concevables : celle d'une continuité, celle d'un processus de temps long (débordant en amont et en aval l’épisode de l’alternance) ou celle d’un moment particulier (accélération, cristallisation, révélation, etc.) dans le mouvement qui caractérise toute configuration politique. Mais ces hypothèses semblent, par contraste, passablement délaissées (y compris comme exercice de triangulation théorique) pour expliquer le changement.

Pourtant, c’est sans doute parce que l’alternance est anticipée en tant que changement politique probable par les électeurs, les professionnels et les entrepreneurs de la politique, que l’arrivée d’une nouvelle majorité est susceptible de se traduire par un changement politique. C’est également parce que les responsables politiques en mandat mais aussi les personnels administratifs des exécutifs entreverraient la perspective d’un probable changement politique que l’alternance produirait des effets sur le travail gouvernemental, parlementaire, administratif, avant même d’être advenue. De même, c’est vraisemblablement parce qu’elle est anticipée par de nombreux acteurs plus ou moins directement concernés par l’orientation politique et partisane du pouvoir gouvernemental (« partenaires sociaux », journalistes, ou chercheurs en sciences sociales pour nous limiter à quelques exemples) qu’elle peut produire des effets dans des secteurs sociaux connexes au champ politique avant qu’elle n’advienne. C’est enfin parce qu’elle fait l’objet d’importants investissements idéologiques, programmatiques et mémoriels au sein des partis politiques et des collectifs militants que l’alternance au pouvoir peut parfois agir comme mythe mobilisateur (ou fondateur), comme événement matriciel de l’engagement ou comme référent dans l’élaboration des calculs stratégiques, exerçant de la sorte des effets sur les univers partisans.

Sans perdre de vue l’intérêt que représente pour une partie de la science politique le projet de parvenir, en modélisant l’alternance, à une théorie générale des démocraties, ce colloque est consacré à une entreprise de connaissance de portée plus modeste qui s’intéresse à ce que l’arrivée aux commandes du pouvoir d’un nouveau parti (ce peut être une nouvelle alliance ou coalition dans un système partisan complexe ou la victoire d’une « autre » faction du parti dans un système à parti unique ou parti-État) fait et permet de faire concrètement dans un espace de concurrence politique donné. Pour ce faire, il vise à mettre sur le métier une sociologie des alternances au pouvoir pour interroger – à partir d’enquêtes de terrain et quels que soient l’échelon (local, national, etc.) ou la configuration politique (démocratique ou autoritaire, pluraliste ou non) – ce que l’alternance fait au champ politique, et inversement. Ce colloque souhaite donc ouvrir une approche comparative de l’alternance au pouvoir de façon à saisir les réalités empiriques mais aussi les vertus et les mystifications théoriques d’une telle conception du phénomène. Sans renoncer à mieux comprendre les conséquences politiques réelles d’événements tels que « mai 81 », il s’agit donc aussi, par ce jeu de regards croisés, de faire de l’alternance un analyseur des changements d’état politique. Cette double perspective devrait permettre de rapporter les usages de la notion aux contextes dans lesquels elle est mobilisée et aux rhétoriques de légitimation dans lesquelles elle s’inscrit.

PROPOSITIONS DE COMMUNICATION ET CALENDRIER

Sont attendues des communications basées sur des investigations empiriques poussées, portant de façon monographique ou comparative sur les terrains français et/ou étrangers, locaux et/ou nationaux (pour plus de précision, voir l’exposé des axes de réflexion ci-après). Les propositions de communication, d’une longueur d’une à deux pages, sont à transmettre par courriel aux organisateurs pour le 20 septembre 2011.
Elles comprendront un titre, présenteront le matériau empirique et les méthodes mobilisés ainsi que le(s) terrain(s) d’analyse. L’acceptation sera notifiée aux auteurs fin septembre 2011. Les textes des communications devront parvenir aux organisateurs pour le 20 novembre 2011.

COMITE D’ORGANISATION

  • Philippe ALDRIN (philippe.aldrin@unice.fr),
  • Lucie BARGEL (lucie.bargel@unice.fr),
  • Nicolas BUÉ (nicolas.bue@unice.fr)
  • Christine PINA (christine.pina@unice.fr)
Équipe de recherche sur les mutations de l’Europe et de ses sociétés
ERMES, EA 1198, Nice – Sophia Antipolis

COMITE SCIENTIFIQUE

  • Stéphanie DECHEZELLES (CHERPA),
  • Michel CAMAU (IREMAM),
  • Michel DOBRY (CESSP-CRPS),
  • Françoise DREYFUS (CESSP-CRPS),
  • Nicolas KACIAF (CERAPS),
  • Marine DE LASSALLE (GSPE),
  • Jay ROWELL (GSPE),
  • Isabelle SOMMIER (CESSP-CRPS),
  • Karel YON (CERAPS).
Colloque organisé avec le soutien de l’Université Nice – Sophia Antipolis et de l’ERMES

LES AXES

Les travaux du colloque ne manqueront pas de poser la question de la définition ou redéfinition scientifique du terme « alternance ». Sans anticiper ce débat, on peut définir l’alternance – de façon provisoire et minimale –comme un changement de la personne, du groupe et/ou de la tendance politique à qui est imputé l’exerce du pouvoir. Cette définition de travail, pour courte et peu précise qu’elle soit, devrait permettre d’ouvrir la réflexion et les échanges du colloque à diverses configurations politiques, y compris non démocratiques. Elle permet, en outre, d’intégrer à la réflexion les enjeux des luttes pour la labellisation de processus de changement politique comme « alternance » et, donc, sur les représentations ou cadres qui sont au fondement de cette labellisation.

À titre indicatif, sont exposés ci-dessous deux des axes de réflexion que nous souhaitons privilégier.

Axe 1 : Discours et usages sociaux de l’alternance

L’alternance charrie avec elle toute une série de représentations, plus ou moins normatives, qui sont à l’origine de la valeur qui lui est accordée dans les théories de la démocratie. On peut ainsi s’interroger sur la construction de ces représentations, sur les processus qui amènent à qualifier d’alternance tel ou tel changement électoral et reconfiguration des titulaires du pouvoir politique, et sur l’intérêt qu’ont certains acteurs à de telles qualifications – visible dans la volonté de certains d’entre eux de qualifier leur élection de « rupture », même quand le même parti est reconduit au pouvoir.
C’est à ces intérêts et imaginaires sociaux accolés à l’alternance qu’est consacré ce premier axe de questionnements. Parce que qualifier une reconfiguration politique d’alternance n’est pas neutre, parce que faire de certains événements des événements fondateurs (comme le 10 mai 1981 plutôt que les législatives qui suivent et qui donnent la majorité législative indispensable à la mise en œuvre de changements politiques) ne va pas de soi , il convient d’interroger les logiques sociales d’attribution du label alternance. En ce sens, l’alternance ne serait pas qu’un phénomène électoral, mais constituerait à la fois une catégorie de perception et d’intelligibilité du jeu politique et une ressource plus ou moins mobilisable et plus moins convoitée par les différents acteurs politiques.
Les contributions inscrites dans ce premier axe pourront se concentrer sur les diverses représentations, imaginaires et constructions intellectuelles de l’alternance. Sont notamment attendues des propositions portant sur les mémoires militantes de l’alternance, les anticipations (déjouées ou non) de l’alternance dans les différents champs sociaux (journalistique, politique, juridique, politiste etc.), ou encore les commémorations de l’alternance. On cherchera notamment à comprendre dans quelle mesure ces représentations sont liées au contexte dans lequel elles interviennent, aux enjeux qu’elles recouvrent, ou aux intérêts et propriétés sociales des acteurs qui les portent. Les communications pourront aussi mettre au jour les qualités prêtées aux alternances par les divers acteurs sociaux (parmi lesquels les chercheurs en sciences sociales). Il s’agit en effet de se saisir de cette question pour interroger plus largement les représentations et les grilles d’analyse des politistes, et de tester ainsi le caractère opératoire de la notion d’alternance. Parallèlement, s’en tenir à une approche discursive de l’alternance pourrait occulter les changements effectifs produits, accélérés ou imputés aux remplacements des titulaires du pouvoir, dans la mesure où ces changements, substantiels ou symboliques, sont pour partie à l’origine de la qualification de certaines reconfigurations.

Axe 2 : L’alternance au concret

L’un des principaux questionnements autour de l’alternance concerne la relation de causalité entre le changement des titulaires du pouvoir et les changements qui en résulteraient dans d’autres champs sociaux. L’alternance serait à l’origine de modifications importantes, de transformations permettant tout à la fois d’établir son effectivité mais également d’en mesurer la portée ou l’importance. Ainsi, si des alternances peuvent être identifiées, nommées ou codées comme telles, ce serait aussi parce qu’elles témoignent soit d’une attente (l’alternance souhaitée), soit d’une hypothèse ou anticipation (l’alternance possible), soit de changements observés ou analysés a posteriori comme conséquences ou preuves de l’alternance (l’alternance opérante). L’alternance serait alors, non plus une représentation proposée par les acteurs, mais également une réalité identifiable et définissable par ce qu’elle produit – ou ce qu’elle ne produit pas. Nombreux sont ainsi les travaux qui font de l’alternance la cause (ou un facteur causal parmi d’autres) de changements, et ceux qui, à l’inverse, s’emploient à relativiser le rôle de l’alternance dans les changements qu’on lui impute. Il s’agit donc, dans les contributions, de proposer une réflexion sur ce qu’est l’alternance au concret, ce qu’elle provoque, ce qu’elle participe à rendre visible ou ce qu’elle cristallise. Comment identifier ou circonscrire de manière précise ce qui relève de l’alternance, ce qui tient, de manière plus diffuse, à des évolutions de long terme et ce qui résulte de construction intellectuelle à des fins d’intelligibilité de la réalité politique et sociale ? Les contributions pourront porter sur les différents champs sociaux dont certaines évolutions sont imputées à l’alternance. Il s’agira à la fois d’identifier les différentes causalités imputées à l’alternance et d’interroger celles-ci.
L’alternance a par exemple été pensée en lien avec les institutions politiques (Pouvoirs, 1977 ; Quermonne, 2003). Le système institutionnel serait ainsi une condition de possibilité et un facteur explicatif important de la survenue puis du bon déroulement de l’alternance de 1981 en France, ce dont témoigne l’importance que revêt cette dernière dans les travaux de nombreux constitutionnalistes. Ce faisant, cette alternance aurait constitué un test, voire un élément de stabilisation pour les institutions et serait à l’origine de multiples modifications dans la vie politique mais aussi dans des champs périphériques à la politique (intellectuels, médias, groupes d’intérêt, professions, religions, etc.).

Lieux

  • Faculté de Droit et Science politique
    Nice, France

Dates

  • mardi 20 septembre 2011

Mots-clés

  • Alternance(s), changement d'état politique, élites gouvernantes, militantisme

Contacts

  • ALDRIN #
    courriel : philippe [dot] aldrin [at] unice [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Philippe ALDRIN
    courriel : philippe [dot] aldrin [at] sciencespo-aix [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« (Re)penser les alternances en science politique », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 05 juillet 2011, https://doi.org/10.58079/is5

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