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Mobilités et circulation des savoirs

Mobilities and the circulation of knowledge

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Publié le mercredi 16 novembre 2011

Résumé

Le colloque organisé les 17, 18 et 19 novembre 2011 par le laboratoire ICT (Paris Diderot) se propose d’examiner la diversité des formes collectives et des rapports sociaux par lesquels se fait la mise en circulation des savoirs, ainsi que leur articulation avec de nouvelles constructions institutionnelles et de nouveaux rapports de pouvoir du Moyen Âge à nos jours, dans le cadre de cinq thématiques : circulation des corps et savoirs sexués ; l’acclimatation métropolitaine des savoirs sur le lointain ; mobilités et circulation des savoirs techniques ; circulation des savoirs et pouvoirs ; transferts et médiations : traductions et échanges scientifiques et épistolaires dans la circulation des savoirs.

Annonce

« MOBILITÉS ET CIRCULATION DES SAVOIRS », 2ème colloque international du Laboratoire Identités-Cultures-Territoires (EA337), Université Paris Diderot - Paris 7, 17 - 18 - 19 novembre 2011, Sites Buffon et Halle aux Farines (Paris Rive Gauche -13e)

Le colloque organisé en 2011 par l’ÉA « ICT » propose d’examiner la diversité des formes collectives (réseaux, sociabilités) et des rapports sociaux par lesquels se fait la mise en circulation des savoirs, ainsi que leur articulation avec de nouvelles constructions institutionnelles et de nouveaux rapports de pouvoir du Moyen Âge à nos jours, dans le cadre de cinq thématiques réparties en sessions parallèles :

  1. Circulation des corps et savoirs sexués Coordination : Gabrielle Houbre, Didier Lett
  2. L’acclimatation métropolitaine des savoirs sur le lointain Coordination : Marie-Noëlle Bourguet, Harold Lopparelli
  3. Mobilités et circulation des savoirs techniques Coordination : Mathieu Arnoux, Arnaud Passalacqua, Marie-Louise Pelus-Kaplan, Liliane Pérez
  4. Circulation des savoirs et pouvoirs Coordination : Anna Caiozzo, Florence Gauthier, Pilar Gonzalez-Bernaldo avec la collaboration d’Annick Lempérière (Université Paris 1-UMR MASCIPO)
  5. Transferts et médiations : traductions et échanges scientifiques et épistolaires dans la circulation des savoirs Coordination : Claudine Delphis, Michel Prum

PROGRAMME

Jeudi 17 novembre 2011

(SITE BUFFON) : accès par le 15, rue Hélène Brion Amphi Buffon

09h45-10h15 Accueil des participants

10h15 Allocutions d’ouverture : Liliane Pérez (directrice d’ICT,), Florence Rochefort (Présidente de l’Institut Emilie du Châtelet)

10h30 Conférence inaugurale de Daniel Roche, Professeur au Collège de France

12h30 Déjeuner Hall Buffon

14h30 – 17h30 :

Thème Transferts et médiations : traductions et échanges scientifiques et épistolaires dans la circulation des savoirs (salle RB18B - Institut Jacques Monod)

Discutante : Claudine Delphis (Université Paris Diderot, ICT)

Jean-Michel Servet (IHEID, Genève) : Retraduire Adam Smith : mobilité des idées économiques et biais de la traduction

Le (re)traducteur de La Richesse des nations d'Adam Smith se livre implicitement à un travail d'ethnographie économique puisqu'il est amené dans sa recherche ou plutôt, comme le dit lui-même son auteur, dans son « enquête » à reconnaître des catégories modernes (en matière d'emploi, de financement, d'échanges notamment) qui étaient en construction au moment de l'écriture du texte. Ce qu'illustrent les citations nombreuses de Smith faites dans les assemblées révolutionnaires françaises à la fin du XVIIIe siècle pour sortir de l'Ancien Régime. Des catégories comme « troc », « salarié », « capital » par exemple sont devenues pour nous des évidences, mais des évidences trompeuses, car les acteurs pensaient alors ce qui était des nouveautés, de façon différente de nous ; elles étaient des innovations scientifiques qui sont devenues, au fil de l'essor de cette organisation capitaliste de la production, des échanges et du financement, des évidences. Les failles de ces évidences apparaissent quand des catégories deviennent intraduisibles pour nous ou obligent à faire des choix qui déforment les idées de l'auteur. D'une certaine façon la crise actuelle de l'organisation économique et financière qui révèle à plus ou moins brève échéance une fin de celle-ci comme capitalisme rationnel au sens de Max Weber donne une certaine pertinence à ce travail de retraduction.

Michel Prum (Université Paris Diderot, ICT) : Darwin traverse la Manche : la traduction-distorsion des textes de Darwin en France

La circulation des idées évolutionnistes en Europe s’est d’abord opérée par le biais des premières traductions des grands ouvrages de Darwin, en particulier L’Origine des espèces (six éditions de 1859 à 1872) et La Filiation de l’Homme (trois éditions de 1871 à 1877). Le lamarckisme affiché de Clémence Royer, première traductrice de On the Origin of Species, a eu un impact certain sur la réception de Darwin en France. La traductrice n’a pas craint non seulement de joindre un appareil de notes très personnelles et une préface avant la lettre « eugéniste », mais elle a fait des choix de traduction surprenants qui donnent au texte darwinien une coloration téléologique qu’on ne trouve pas dans le texte originel. Jean-Jacques Moulinié et Edmond Barbier marqueront à leur tour, de façon différente, le texte darwinien, en particulier par leur rejet de l’indifférenciation lexicale de l’humain et de l’animal. C’est de ces distorsions qu’il sera question dans cette communication.

Florence Binard (Université Paris Diderot, ICT) : Traduire le genre

Une brève comparaison des guides officiels d'aide à la rédaction d'une langue non-sexiste en anglais et en français fait apparaître des stratégies féministes apparemment opposées. L'approche francophone met l'accent sur une féminisation de la langue tandis que l'approche anglophone consiste principalement à neutraliser le « masculin générique ». Cette divergence est essentiellement due à la structure de ces deux langues. Le français ne possédant que deux genres grammaticaux - le féminin et le masculin – il est mal aisé mais néanmoins pas tout à fait impossible de « dé-genrer » ou de « neutraliser » la langue en référence aux personnes humaines. En revanche, dans la mesure où l'anglais dispose de trois genres grammaticaux applicables aux êtres humains - she/he/they – une « dégenrisation » linguistique des sexes est possible sans pour autant éliminer toute « genrisation ».

L’objet de cette communication sera, d'une part, d’apporter des pistes de traduction du genre/sexe social en anglais et en français en particulier pour ce qui concerne sa détermination ou non-détermination grammaticale. Il s'agira d'autre part, d'éclairer les problèmes que rencontre la circulation, via la traduction, des textes féministes entre aire anglophone et aire francophone

Thème Mobilités et circulation des savoirs techniques : « Définir et identifier les circulations techniques » (Amphi Buffon)

  • Président de séance : Mathieu Arnoux (Université Paris Diderot, EHESS)
  • Discutante : Corine Maitte (Université de Marne La Vallée)

Vincent Demont (Université Paris X) : Un savoir commercial aux marges du monde marchand : la comptabilité chez les joailliers dans l’Empire du XVIIe siècle

La communication envisage la diffusion des savoirs comptables dans le milieu de la joaillerie en mettant l’accent sur ses limites, sa lenteur voire ses échecs. Elle cherche à explorer la manière dont la mobilité des acteurs peut conduire à la coexistence de plusieurs méthodes comptables – et non au remplacement de l’une par l’autre – au sein d’une place, d’une entreprise ou d’une famille, alors que ces méthodes impliquent non seulement une pluralité de procédures d’enregistrement des transactions, mais aussi une diversité des représentations mentales de celles-ci.

L’« isthme allemand » (F. Braudel) constitue pour cette étude un terrain privilégié. De part sa situation au carrefour des influences venues d’Italie et des Pays Bas, les influences y sont multiples, et les chemins de diffusion des innovations, rarement simples. L’adoption de ces innovations demande de plus à être perçue dans le temps long : de nombreuses inventions médiévales ne voient leur emploi généralisé qu’à la fin de l’époque moderne – l’exemple le plus connu étant la partie double, dont Luca Pacioli publie la méthode en 1494 à Venise mais qui ne s’impose en Allemagne qu’au XIXe siècle. Une historiographie désormais consistante permet de jauger à bon escient cette hétérogénéité des savoirs comptables. Dès la première moitié du XXe siècle, deux grandes directions ont été indiquées pour saisir leur évolution : celle d’une histoire fondée sur des cas pratiques et d’abord menée par des hommes du métier (B. Penndorf), et celle d’une réflexion sur les idées et représentations que véhiculaient ces pratiques, menée par des historiens ou des sociologues (W. Sombart). L’enquête collective Ars Mercatoria (toujours en cours) ouvre une voie tierce – celle d’une étude pratique des modèles théoriques et de leur diffusion, via l’imprimerie, au sein du monde marchand – et offre un arrière-plan solide à toute étude de la question.

Des questionnements nouveaux peuvent cependant apparaître aux marges du monde de la grande marchandise. Le milieu de la joaillerie se situe justement à l’intersection de celui-ci et de l’univers artisanal : il nécessite à la fois d’amples capitaux et une connaissance approfondie des matériaux, qu’il s’agisse d’estimer le titre d’un métal ou la valeur d’une pierre précieuse. Le caractère unique des objets manipulés ôte de plus tout sens à la distinction usuelle entre commerce de gros et commerce de détail. Or ce milieu connaît d’importants bouleversements au tournant des XVIe et XVIIe siècles. L’invention de la meule à diamant fait évoluer les techniques de taille et conduit à une sédentarisation de la main d’oeuvre artisanale. L’arrivée dans l’Empire des diasporas anversoise et portugaise change les acteurs du commerce, alors même que l’essor des compagnies des Indes orientales transforme les voies d’approvisionnement. La guerre de Trente ans, enfin, fait émerger une nouvelle clientèle faite d’entrepreneurs de guerre et de favoris princiers, en même temps qu’elle entraine le déclin de capitales anciennes de ce secteur – soit du fait d’évènements militaires (Augsbourg), soit parce qu’elle accentue la coupure confessionnelle avec leurs débouchés traditionnels (Cologne).

Ainsi les recompositions et les mobilités aussi bien géographiques que sociales sont-elles nombreuses dans le milieu de la joaillerie. Toute saisie extérieure de celui-ci est donc sujette à caution ; en revanche, une saisie interne est possible – même si elle ne peut prétendre à l’exhaustivité – par des études au coup par coup d’extraits de comptes ou d’inventaires. Même partielle, cette saisie suffit à constater l’hétérogénéité des techniques comptables employées. Il est alors possible, en recourant à la comparaison avec les modèles imprimés, de formuler des hypothèses sur l’origine des nouveautés dont on constate l’usage ; mais cette méthode n’explique pas la pesanteur qui empêche celles-ci d’être plus largement adoptées. Le passage par l’étude de cas permet alors de se pencher sur des parcours biographiques et de comprendre que la mobilité géographique ou sociale des acteurs, si elle peut favoriser l’introduction de techniques nouvelles, constitue en fait un frein à leur adoption généralisée : le milieu considéré ne se révèle pas assez stable pour que des pratiques véritablement normalisées y émergent. En d’autres termes : l’hétérogénéité persistante des savoirs n’est pas ici la conséquence d’une rigidité d’un milieu, mais au contraire de la fluidité de celui-ci.

Sophie Desrosiers (EHESS) : Mobilités et circulation des savoirs techniques : ce que nous disent des objets comme les textiles

Les objets renferment des savoirs qui voyagent avec eux hors des territoires où ils ont été fabriqués. Dans le cas des textiles, et plus particulièrement des soieries, la qualité des fils, leurs trajets encore visibles, les caractéristiques des éventuels décors et des lisières, et leurs couleurs sont autant de paramètres qui donnent des indications sur leurs lieux de production ainsi que sur les outils et les savoir-faire employés pour cette production. Les comparaisons qui font suite à l’analyse des objets permettent parfois de distinguer entre divers groupes d’étoffes nouvelles celles qui résultent de la mobilité des tisserands, de celles qui sont des imitations liées à l’importation de pièces créées dans un autre centre et/ou à des observations rapportées par des voyageurs. A partir de plusieurs exemples de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, je montrerai ce qui caractérise les divers types de savoirs présents dans les textiles, y compris dans le cas de publicité mensongère.

Sébastien Gardon (Université Lyon II) : Enquêter sur les circulations dans des espaces nationaux et transnationaux. Problèmes de méthodes et enjeux problématiques

Depuis une quinzaine d’années, l’intérêt de la comparaison comme outil d’analyse est discuté en sciences sociales et en histoire. De nouveaux programmes de recherche proposent de s’intéresser prioritairement aux interconnexions et aux similitudes -plutôt qu’aux différences- qui existent à la fois au-delà, entre et à l’intérieur du concert des nations. Ces liens sont longtemps restés sous-étudiés. Ils font désormais l’objet d’un investissement nouveau de la part de chercheurs visant à diverses formes d’approches transnationales1. L’histoire urbaine a tout particulièrement procédé à ce type de déplacement du regard, en s’intéressant aux associations internationales et aux échanges et circulations d’expériences, notamment entre les villes européennes. L’exemple de l’Union Internationale des Villes créée au congrès de Gand en 1913 peut ainsi être mentionné pour souligner l’importance de la circulation des experts et de la diffusion des idées et des innovations entre villes pendant l’entre deux guerres2.

La question de la circulation des savoirs en particulier est donc devenue un chantier de recherches important dans le champ des études urbaines depuis quelques années. La recherche des circulations doit s’entendre ici comme une démarche d’enquête et non comme un nouveau paradigme ou un tournant dans les sciences sociales. Cette nouvelle posture permet de renouveler les visions classiques issues des échelles de construction des réalités sociales et politiques étato-centrées. C’est en quelque sorte une manière de faire de l’histoire, un point de vue, un questionnement exercé sur des terrains et des sources. Trois éléments peuvent être mis en avant pour approfondir cette démarche. Il s’agit de travailler à historiciser la mondialisation comme processus sans en proposer une lecture à partir des enjeux du présent, de capturer la manière dont le domestique s’est construit dans la comparaison, et enfin de suivre les connexions là où elles nous mènent.

Les villes qui ont une longue tradition d’échanges d’informations et d’expériences dans la conception et la mise en oeuvre de leurs politiques urbaines, constituent ici un formidable laboratoire pour dépasser les approches locales ou nationales de construction des politiques publiques. En effet, les villes cherchent à tisser des liens avec d’autres institutions pour préparer certains projets ambitieux mais aussi pour afficher certaines de leurs réalisations. L'objectif de cette contribution est de revenir sur l'organisation de ces échanges entre villes, institutions, associations, individus hôtes et celles et ceux qui circulent. Il s'agit de repérer si ces échanges fonctionnent dans les cadres informels ou associatifs, ou s’ils sont encadrés par les acteurs d’ordre politico-administratif (Organisations internationales, Organisations non gouvernementales, État, Villes, Régions…). Cette proposition reviendra tout particulièrement sur les enjeux problématiques et méthodologiques d'une telle démarche. Nous présenterons notamment l'intérêt d'une enquête sur ces circulations à partir des sources qui peuvent être mobilisées pour ce type d'entreprise et des enjeux liés à leur exploitation.

Arnaud Passalacqua (Université Paris Diderot, ICT) : Un monde paradoxalement en concurrence : les agglomérations européennes, leurs transports urbains et l'influence des circulations techniques

Les transports urbains participent fortement de l'identité des villes : tramways lisboètes, autobus londoniens ou métro parisien sont ainsi parmi les figures les plus immédiatement et universellement reconnaissables, et ce de façon ancienne. En ce sens, ils présentent un caractère local très marqué, voire revendiqué, selon les périodes et les modes de transport.

Pourtant, les différents systèmes de transport urbain présentent une homogénéité intrinsèque : ils viennent répondre aux puissants besoins de mouvement que connaissent toutes les métropoles depuis l'ère industrielle. Ce monde est même relativement peu diversifié, seuls quelques systèmes dominants s'étant finalement imposés : métro, autobus, tramway, automobile, taxi, deux-roues motorisés. Les multiples tentatives pour développer d'autres modes de transport, du trottoir roulant de l'Exposition universelle de 1900 à Paris au métro suspendu de Wupperthal, ont pour le mieux débouché sur des réalisations demeurées uniques.

Cette homogénéité des solutions adoptées répond d'ailleurs à une cohérence des villes entre elles, puisque, sauf exception, les villes européennes présentent une certaine homogénéité dans leur tissu et l'organisation de leurs activités : coeur historique, développement concentrique, périphéries industrielles...

Le rapport des transports urbains à l'internationalisation est donc ambigu. Ils sont une activité qui ne peut être délocalisée, souvent marquée par son contexte local et très finement imbriquée dans le tissu de la ville. Simultanément, il s'agit également d'une activité technique, où des logiques financières, d'innovation et de production industrielle sont décelables, ce qui conduit souvent à dépasser le cadre local pour toucher à des dynamiques nationales ou internationales. Il existe effectivement bien un terrain historique en friche, celui des circulations dans le domaine des transports urbains3.

Ces relations entre les villes prennent souvent le visage d'une concurrence. Toute innovation semble devoir se propager et toute ville qui tarde à choisir une voie qui semble s'imposer à tous se trouve rapidement décrédibilisée, comme en situation de handicap. Dans le contexte français, la figure contemporaine du tramway est un idéal-type de ce phénomène. Des tensions entre local et global peuvent aussi s'exprimer à l'occasion de tels projets et réalisations.

Cette contribution envisage donc de proposer une analyse des différents ressorts des échanges entre les villes en matière de transports urbains, compris au sens large, c'est-à-dire incluant l'ensemble des dispositifs, individuels et collectifs, privés comme publics, consacrés à la mobilité en ville. Ce qui suppose également de suivre les différents acteurs impliqués dans ces échanges. Plusieurs vecteurs peuvent ainsi être identifiés : les entreprises de transport, les experts, les visites politiques, les associations professionnelles, les associations d'usagers, les touristes et récits de voyageurs, etc. Une réflexion peut également être engagée sur la nature de ce qui circule : documents techniques, représentations sociales des modes de transport, flux financiers, etc. Il s'agit enfin de proposer des éléments sur les transformations que les systèmes techniques peuvent connaître lorsqu'ils circulent d'une ville à l'autre.

Enfin, à l'exception du tramway, d'origine américaine, l'Europe peut être considérée comme le territoire porteur des innovations majeures du monde de la mobilité : omnibus de Nantes (1826), métro de Londres (1863), autoroute Milan-Varèse (1924), etc. L'importance des échanges avec les mondes extra-européens, notamment nord-américain et colonial, sera donc également prise en compte dans le cadre de cette réflexion.

Larissa Zakharova (EHESS, CERCEC) : Les défauts de nos systèmes peuvent être corrigés par les spécialistes soviétiques mieux qu'on ne le fait dans les firmes étrangères. L'utopie autarcique et la circulation des techniques de communication en URSS

Dès les premières années du régime soviétique, la quête des bolcheviks de la confidentialité et la nécessité de gouverner un immense territoire couvrant deux continents, hérité de l’empire tsariste, ont provoqué des transferts des techniques occidentales de télécommunication en URSS. Par la suite, avec le début de la compétition avec les pays capitalistes, la priorité a été accordée à la recherche et développement nationaux. Mais à partir des années 1930, le système industriel extensif, centralisé et planifié est devenu un obstacle au développement des recherches soviétiques et a rendu indispensables les transferts des techniques occidentales en URSS. Cependant, comme les dirigeants soviétiques aspiraient à l’indépendance vis-à-vis de l’Occident, ils ont préféré l’espionnage industriel et l’importation d’échantillons avec l’intention de reproduire les nouveautés étrangères dans les usines soviétiques. Le manque de savoir-faire provoquait des missions des ingénieurs soviétiques en Europe et aux Etats-Unis et des spécialistes étrangers en URSS. Ainsi, les transferts par le biais de l’espionnage étaient accompagnés d’une coopération soviéto-européenne dans le domaine des télécommunications. Cette tendance a été renforcée après la mort de Staline en 1953, dans le contexte de la coexistence pacifique qui n’excluait pas la compétition.

Cette contribution vise à présenter les étapes principales de ces relations de l’URSS avec le monde extérieur, en portant une attention particulière aux acteurs impliqués dans les circulations et à leurs motivations, aux vecteurs et aux procédés des diffusions des techniques en URSS. Nous distinguerons trois type de médiation : 1) par le biais des objets – des techniques proprement dites, 2) par le biais de la mobilité des individus (qui est par ailleurs réduite à cause des particularités du régime politique qui cherche à préserver l’imperméabilité de ses frontières et à contrôler les mouvements de la population) ; 3) par le biais des textes (qui incluent une variété des imprimés en commençant par les notices d’utilisation des appareils et en terminant par les articles et brochures qui présentent les innovations).

Pause café vers 16h – Hall Buffon

Vendredi 18 novembre 2011 – 09h30/12h30

SITE BUFFON : accès par le 4, rue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé

(Pause café vers 10h45 – Hall Buffon)

Thème Transferts et médiations : traductions et échanges scientifiques et épistolaires dans la circulation des savoirs (salle RH02A rdc)

Discutant : Michel Prum (Université Paris Diderot, ICT)

Claudine Delphis (Université Paris Diderot, ICT) : « Nos vieilles âmes judaïques se retrouvaient avec une joie secrète » : Correspondance inédite entre Stefan Zweig et Jean-Richard Bloch.

C’est Léon Bazalgette, médiateur malheureusement tombé dans l’oubli qui établit le contact entre Stefan Zweig et Jean-Richard Bloch en 1912. Ce dernier cherche alors des correspondants pour sa revue l’Effort Libre qui prépare un numéro spécial consacré à l’oeuvre Romain Rolland. Ce projet ne viendra pas à terme, mais il sera à l’origine d’une correspondance entre les deux hommes qui durera jusqu’en 1938 et donnera naissance à une profonde amitié que la Première Guerre mondiale n’altérera pas.

La contribution montrera et décrira tous les réseaux que Zweig et Jean-Richard Bloch ont tenté de mettre en oeuvre, qu’il s’agisse de réseaux au niveau des maisons d’édition, des traducteurs, des revues, ou de mise en place de pétitions… et analysera le rôle, souvent majeur, de Romain Rolland dans leurs relations.

Simon Taylor (Université Paris Diderot, ICT) : La circulation des savoirs juridiques dans l’Union européenne : obstacles et solutions

L’intégration européenne et le bon fonctionnement du marché unique exigent un rapprochement des droits nationaux. Or, la présence au sein de l’Union européenne de différentes cultures juridiques nationales rend difficile cette convergence. Dans ce contexte, la circulation des savoirs juridiques entre systèmes nationaux, par le biais du droit comparé, devient un enjeu central. Cette circulation vise à identifier et à comprendre les divergences entre les notions, techniques et mentalités juridiques nationales afin de réaliser une réelle harmonisation des règles. Les échanges de savoirs entre spécialistes du droit comportent toutefois un risque de « brouillage » du message compte tenu des obstacles à la transmission que représentent les divergences de culture juridique.

Cette intervention étudiera la nature de l’obstacle au dialogue dans ce contexte. De quelle manière un juriste formé (voire formaté) par une culture juridique peut-il comprendre des notions et techniques d’un autre système juridique et transmettre sans brouillage les concepts et méthodes de son propre système ? Quels sont les moyens employés aujourd’hui lors de ces échanges pour limiter (sans prétendre supprimer) « le bruit », et dans quelle mesure ces techniques s’avèrent-elles efficaces ?

Patricia Cotti (Université Paris Diderot, UFR SHC) : Traduire Freud, difficultés et enjeux

La traduction de l'oeuvre freudienne en français comme en anglais met en évidence la façon la transmission de la pensée de Freud - tout comme son émergence - est intimement liée à la langue et au discours qui le véhicule. Quels ont été les choix et les stratégies de traductions de l'oeuvre de freudienne? Comment ces choix ont-ils été faits? Et quels ont été, et sont encore, les conséquences de ces choix de traduction sur notre compréhension de l'oeuvre de Freud? C'est en partant d'exemples précis, de termes ou d’expressions utilisés par Freud et en suivant leur devenir en français et en anglais que nous essaierons de mieux appréhender la façon dont les traductions ont refaçonné les fondements de la psychanalyse freudienne.

Marie-Brunette Spire (agrégée, traductrice) : Zangwill revisité

Israel Zangwill (1864-1926) est un écrivain juif anglais de la fin de l’époque victorienne né à Londres de parents juifs immigrés d’Europe centrale.

Poursuivant une carrière d’écrivain anglais - il publia avec ses amis du courant des Nouveaux humoristes (Jerome K. Jerome, Conan Doyle entre autres) -, il n’est jamais meilleur que lorsqu’il met en scène avec réalisme et d’une plume de sociologue le monde juif traditionnel. Sa saga du peuple juif, romans et nouvelles largement lus à l’époque, Enfants du Ghetto, Rêveurs du Ghetto, Tragédies puis Comédies du Ghetto et Le Roi des Schnorrers, publiés entre 1892 et 1907, donne à voir les enjeux que pose la grande vague d’émigration juive vers l’ouest qui suit les pogroms de 1881 en Europe de l’Est, l’immigration, l’implantation et l’intégration, l’acculturation en terre nouvelle, en particulier à Londres depuis la fin du XIXe siècle. De très nombreux personnages montrent la variété des situations, le comique, le tragique, le pathétique, la volonté d’acculturation des uns et de fidélité des autres, le prix à payer - humain, cultuel et culturel - pour ces générations en transition. Zangwill fait découvrir au lecteur de son époque et de la nôtre une réalité historique dont il se veut le fidèle transmetteur.

Les éditions françaises de Zangwill prouvent, s’il le fallait encore, à quel point une traduction peut infléchir le sens premier, et par conséqunt trahir la richesse et l’authenticité de l’original, par ignorance de la langue et/ou de la culture à "faire passer", par filtre idéologique et préjugés conscients ou inconscients, ou encore par volonté d’adapter le texte au public escompté (coupures, interprétation). Cette communication se propose d’illustrer et de décortiquer la trame de distortion et la trahison du sens que Zangwill voulait donner à son premier ouvrage, resté son oeuvre maîtresse, les Enfants du Ghetto, par sa traduction en français.

Jean-Louis Bacqué-Grammont (CNRS) : Un vecteur de l'ouverture au monde de l'Empire ottoman : les langues de l'Europe occidentale et les effets en retour

La présence d’interprètes et de traducteurs est bien attestée dès le XVe siècle au moins dans l’administration centrale ottomane pour les langues d’Europe dont l’usage diplomatique s’imposait : grec, latin, italien et slavon en tout cas. Si la traduction de quelques ouvrages tirés de ces langues – et même du français – apparaît au siècle suivant, c’est encore pour les besoins de la chancellerie ottomane. Toutefois, dès 1580, on voit circuler une « Histoire des Indes Orientales » traduite de plusieurs ouvrages en latin et en italien. Dans le courant du XVIIe siècle se manifestent les premières évidences de l’intérêt de particuliers pour des ouvrages dans ces deux langues rendant compte de l’évolution des connaissances scientifiques et cosmographiques en Europe. L’application de celles-ci dans le territoire ottoman se fera ensuite par l’intermédiaire du français et cela jusqu’au début du XXe siècle au moins. Toutefois, dans sa curiosité universelle, l’époque des Lumières n’hésitera pas à traduire une nouvelle fois dans les langues de l’Europe des textes turcs qui étaient issus de celles-ci…

Thème Circulation des savoirs et pouvoirs : « Entre miroirs au prince et vision du monde » (salle RH04A – rdc)

  • Présidente de séance : Faranirina Rajaonah (Université Paris Diderot, SEDET)
  • Discutant et synthèse : Julien Loiseau (Université Aix en Provence, UMR 8167)

Introduction : Anna Caiozzo (Université Paris Diderot, ICT) : L’imaginaire de l’Inde et les transferts de savoirs de pouvoir en Orient médiéval : autour de Khusraw Anūshirvān

Aya Sakkal (Lettres et littérature arabes, Strasbourg) : Miroir des Princes entre pouvoir et images : Kalîla et Dimna d'Ibn al-Muqaffa

L’étude a pour objectif d’examiner la conception du pouvoir dans la « traduction » en arabe de Kalîla et Dimna au VIIIe siècle par Ibn al-Muqaffa‘ secrétaire de l’administration abbasside, ainsi que dans la représentation iconographique du livre illustré ultérieurement.

La réflexion se poursuivra pour évaluer l’impact de ce livre « itinérant » dans la vie culturelle et politique de l’Orient musulman médiéval.

Lydwine Scordia (Université de Rouen), Emmanuel Tixier du Mesnil (Université Paris X) : Entre Orient et Occident, circulation, versions et lectures du Secret des secrets (XIe-XVe siècles)

La tradition manuscrite du Secret des secrets est complexe : les différentes versions traduites en latin de l’arabe ont elles-mêmes fait l’objet de traductions en langues vernaculaires, d’ajouts, de compilations, de gloses, de tris aussi et finalement de recompositions. Une vraie jungle de textes apparentés mais distincts que Denis Lorée explore pour sa thèse préparée sous la direction de Bernard Ribémont.

Le Secret des secrets est un exemple de mobilité et circulation des savoirs entre Orient et Occident. L’angle d’étude choisi dans cette intervention à deux voix est un thème qui intéresse tout autant l’Occident latin que le monde islamique : les liens existant entre entre savoirs et pouvoir.

Annie Vernay-Nouri (BNF, Conservatrice des manuscrits arabes) : La cartographie ottomane de Pir Reis : innovations et transpositions

Véronique Adam (Littérature française du XVIIe siècle, Toulouse le Mirail, CRI Grenoble III) : Le savant alchimiste et le politique : pouvoir occidental et contre-pouvoir oriental

Le savant alchimiste de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle dont Paracelse est la figure emblématique, confronté à la question du savoir, du pouvoir et du savoir de pouvoir, nous expose à plusieurs paradoxes : les rois européens (comme Frédéric II) invitent les alchimistes à leur cour et les poussent à traverser sans fin l’Europe pour les rejoindre. Le voyage du savant semble tantôt lui donner une force politique (capter l’attention du prince en servant ses intérêts) tantôt l’entraîner en dehors de la société, le vouer à l’errance, la marginalité ou la pauvreté pour mener à bien sa quête de la pierre philosophale. Dans les deux cas, se révèle l’importance croissante de l’argent dont semblent dépendre l’exercice du pouvoir politique comme l’expérience du savant. Certains rois tirent leur puissance économique du savoir alchimique : les traités des mines rédigés par les alchimistes font la fortune de certains rois.

Incarnant deux polarités sociales (peuple et cour) et forts de cette influence sur les rois , les alchimistes se livrent paradoxalement dans leurs traités à une critique de la figure du pouvoir, de sa tyrannie voire de sa cupidité. Ils contestent le pouvoir du roi, en convoquant le prince ou le paysan comme contre-modèle emblématique, en marge de toute domination ou intérêt économique. En opposant le politique à l’autorité du savoir, érudit ou populaire, ils imaginent des mondes et des réalités apparemment utopiques mais empruntés aux Ottomans et aux Chinois, mondes conduits par des rois soucieux de séparer le savoir du pouvoir et de laisser vivre les savants loin de la sphère politique, oublieux de toute économie, et bien distincts des états romains antiques vantés par les autres humanistes. La figure de l’état politique représentée (imaginée ?) se construit donc contre le mode de gouvernement du roi occidental. Le va-et-vient entre la figure du roi orientalisé et du roi occidental est d’autant plus complexe que le roi est un symbole alchimique, témoignant d’une troisième pouvoir, magique celui-là.

Cette opposition entre deux savoirs de pouvoir pose néanmoins problème : force est de constater que bon nombre d’alchimistes s’appuient sur la figure royale réelle et occidentale en lui dédicaçant leur oeuvre ou en la prenant comme témoin fiable de leur expérience apparemment invraisemblable : le roi occidental devient un témoin clé du pouvoir magique des matières et du savant, emprunté à l’orient, dans les textes alchimiques comme dans les traités qui tentent d’examiner la validité de ce pouvoir magique et économique de l’alchimiste. Rencontrer le roi, lui dédier son oeuvre ou le rendre témoin d’une expérience apparemment invraisemblable assure à l’alchimiste, la possibilité d’être écouté (et rémunéré) dans d’autres cours (comme PH Fabre). Le pouvoir politique donne son autorité au savant et légitime le savoir et la pratique orientale du pouvoir politique et magique. Chacun, savant et politique, offre à l’autre un pouvoir économique.

Reste à voir si à l’instar de Descartes conseillant Christine de Suède, les propos politiques du savant ont eu une incidence concrète sur la sphère du pouvoir au-delà de l’exploitation des richesses naturelles.

Frédéric Hitzel, (CNRS, CETOBAC) : Instructeurs français au service des premières écoles militaires turques de Constantinople (1774-1798)

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l'Empire ottoman présente des signes de déclin. L'avenir de ses territoires est la question essentielle qui agite les chancelleries européennes : quelle attitude adopter face à une éventuelle dissolution de cet empire ?

En France, un homme s'oppose à son démembrement, le comte de Vergennes. La paix européenne lui paraît fondée sur un équilibre contenant le rôle de l'Angleterre et faisant obstacle à l'agrandissement territorial de la Russie. Il estime que l'Empire ottoman, qu'il connaît bien pour avoir été longtemps ambassadeur à Constantinople, loin d'être condamné, peut au contraire se renouveler en se modernisant. Le rôle de la France, selon lui, est d'être le maître d'oeuvre de cette entreprise, nécessaire à l'équilibre européen et profitable à tous.

De fait, des experts militaires français sont envoyés en Turquie pour aider l'empire à se moderniser. Dès la fin de la guerre russo-turque de 1768-1774, le baron de Tott organise, avec l'aide d'un renégat écossais Campbell Mustafa Aga et d'un artilleur français Aubert, un nouveau corps d'artillerie à tir rapide. Il crée une nouvelle fonderie de canons et met en place une école d'ingénieurs. Bien que le baron de Tott ait quitté la Turquie en 1776, son oeuvre sera poursuivie par ses disciples et par une mission militaire, dirigée de 1784 à 1788 par l'officier du génie Lafitte-Clavé et l'ingénieur du roi Monnier de Courtois. Les événements révolutionnaires et un changement de régime ne dissuadent pas le gouvernement français de continuer à dépêcher d'autres ingénieurs et artilleurs à Constantinople. La Marine ottomane n'est pas oubliée. Sa modernisation est due à deux ingénieurs constructeurs français, Le Roy et Du Rest, qui introduisent de nouveaux modèles de vaisseaux de lignes et de nouvelles méthodes de construction.À partir des "journaux" rédigés au quotidien par certains ingénieurs, nous étudierons la manière dont les cours étaient dispensés aux élèves turcs sur les rivages de la Corne d'Or, les méthodes utilisées, et comment furent mis en place les premiers outils linguistiques indispensables à l'enseignement de disciplines aussi particulières que la castramétation, le lever des plans, la trigonométrie.

Thème Mobilités et circulation des savoirs techniques : « Circulations des techniques, circulations marchandes » (salle RH02B – rdc)

Présidente de séance : Marie-Louise Pelus-Kaplan (Université Paris Diderot, ICT)

Discutante : Catherine Verna (Université Paris 8)

Jacques Bottin (CNRS, IHMC) : Circulation des acteurs, diffusion des normes et des pratiques dans l'espace négociant de la façade atlantique européenne (1550-1650)

Isabelle Bretthauer (Université Paris Diderot, ICT) : Circulation des savoirs techniques des notaires du nord de la France à la fin du XIVesiècle : les registres de notaires comme traces des méthodes de travail

Il existe peu de documentation sur les méthodes de travail des notaires du nord de la France pour la fin du XIVe siècle. Si les actes notariés (scellés du sceau de la juridiction) ont fait l’objet de nombreuses ordonnances (royales ou à portée locale), concernant la forme qu’ils doivent présenter, les monnaies qu’ils mentionnent, …, peu d’ordonnances ont réglementé le travail d’enregistrement notarial (l’exception notable consiste dans une ordonnance rappelant aux notaires du Châtelet de Paris d’enregistrer leurs contrats), pour des considérations ponctuelles.

Pourtant, il est possible d’étudier le travail d’enregistrement des notaires : comme le rappelle Jean Hilaire, les registres de notaire sont des formulaires en puissance ; à travers eux, nous nous approchons de la méthode de travail des notaires. La comparaison de registres de plusieurs localités normandes montre que l’uniformité n’est pas la règle : nous ne pouvons pas définir le type documentaire « registre de notaire » de façon rigide. Par contre, en utilisant certains critères, il est possible de mener une comparaison à large échelle (registres de notaires de Normandie et de la région « ligérienne » autour d’Orléans) : en modifiant notre perspective, apparaissent alors des « zones d’usage ». Comment ces usages circulent-ils ? Par quel moyen ? C’est par la méthode comparative que nous comprendrons de façon plus précise les méthodes de travail des notaires du nord de la France.

Christelle Rabier (EHESS Centre A. Koyré) : Les circulations techniques médicales, entre Europe et colonies, 1600-1800

L’intervention se propose de faire une synthèse de travaux récents sur l’histoire des techniques médicales et leur circulation en Europe à l’époque moderne. La médecine moderne repose sur des techniques thérapeutiques, qui incluent des remèdes, mais aussi des artefacts mécaniques ainsi que des technologies de l’information. En proposant une définition inclusive des techniques thérapeutiques, l’intervention se propose d’expliciter leurs circulations. Celles-ci seront envisagées dans l’espace européen, mais également aux différentes échelles de pratique qu’elles coordonnent : l’espace domestique, où patient et praticien se rencontrent ; l’espace urbain, qui articule les artisans, les métiers médicaux – chirurgiens ou apothicaires – et les institutions urbaines, comme les hôpitaux ou les administrations sanitaires ; l’espace national ou international, où la maîtrise des techniques médicales revêt des enjeux stratégiques. Entre la découverte du Nouveau monde – et ses fabuleuses plantes médicinales comme le bois de guaiac ou le quinquina - et les guerres européennes, qui voient le couronnement de la construction de deux siècles d’administration sanitaire, les techniques médicales sont partie prenante des circulations commerciales et savantes de l’Europe.

Mau Chuan Hui (Université Tsing Hua, Taïwan) : Le marché de la soie et la recherche sur les vers séricigènes sauvages en France et en Chine

La soie produite par des vers sauvages restait longtemps silencieuse en retraite et peu connue, auprès de la soie de Bombyx mori. Pourtant, on retrouve des récits dans l’historiographie chinoise rapporte cependant dès l’an 5 avant J.-C. que les empereurs recevaient de temps en temps des rapports de fonctionnaires signalant l’apparition de cocons produits par des vers sauvage, signe de bon augure.

Au début des Ming (1368-1644), l’empereur Yongle (1403-1424) ordonna de présenter en offrande au temple impérial des soieries de cocons des vers sauvages, entraînant dès lors de leur usage à la cour. A la fin de la dynastie, peu après l’arrivée de la flotte portugaise qui ouvrit le commerce maritime entre les deux extrêmes du Continent, cette soie devint appréciée du public, à l’exemple du

dernier empereur. Mais il fallut attendre le début de la dynastie mandchoue pour que la production de cette soie bénéficie de l’encouragement des empereurs. Sous le règne de Kangxi (1661-1722) apparut le premier texte décrivant la production de la soie sauvage dans la province du Shandong par Sun Tingquan 孫廷銓 (1613 孫廷銓 (1613 孫廷銓 (1613 孫廷銓 (1613孫廷銓 (1613孫廷銓 (1613 孫廷銓 (1613-1674). En 1696, Louis le Comte, un des « mathématiciens du roi » en Chine, fit connaître aux Français le tissu en soie sauvage, le kien tcheou (jianchou 繭綢), 繭綢), 繭綢), grâce à son Nouveau mémoire sur l’état présent de la Chine.

La production de la soie sauvage donnait aux Français l’illusion d’obtenir une matière précieuse sans trop de main-d’oeuvre qualifiée, suscitant alors, à la fin du XVIIIe siècle, une fureur pour la recherche d’insectes séricigènes, en même temps que des efforts consacrés aux recherches sur la soie produite par le Bombyx. Avec l’aide de voyageurs, d’agents diplomatiques et de marchands, les Français s’adonnaient à identifier des races sauvages de lépidoptère capables de produire la soie et à saisir les conditions optimales de leur élevage.

Par une observation entre le marché et la fabrication, le présent article examine l’impact du marché maritime sur les recherches techniques en prenant l’exemple de la soie sauvage ; ainsi que le rôle des gouvernements, français et chinois, dans le processus de développement d’une industrie qui s’appuyait sur les progrès techniques et la diffusion d’un savoir-faire efficace.

François Wassouni (Université de Maroua, Cameroun) : Mobilités, développement et circulations des savoirs techniques dans l'artisanat africain de la période précoloniale au XXIe siècle. L'exemple de l'artisanat camerounais

Les techniques constituent des aspects, des éléments fondamentaux dans l’histoire des sociétés humaines. Par le passé comme aujourd’hui, les techniques jouent un rôle essentiel dans la mesure où elles facilitent la vie, résolvent nombre de problèmes auxquels les hommes sont confrontés. Il est impossible de se déplacer, de faire l’agriculture, de communiquer, de se soigner, de s’habiller pour ne citer que ces domaines là, sans toutefois faire allusion aux savoirs techniques. Les facilités du monde actuel où on peut communiquer aisément, savoir tout ce qui se passe dans les coins les plus reculés en un temps record, sont le fait des techniques. L’histoire de l’humanité ne saurait donc se comprendre et s’écrire de façon pertinente, sans toutefois faire allusion aux savoirs techniques qui ont connu une évolution notable d’une partie du monde à une autre, évolution due très souvent à des facteurs multiples.

S’il faut faire une catégorisation des techniques, l’on mettra d’un côté les techniques modernes et de l’autre les techniques traditionnels qui relèvent davantage des civilisations passées et qui ont perduré dans certaines parties du monde à l’instar de l’Afrique.

Au rang des facteurs de développement ou de diffusion des techniques à travers le monde des périodes les plus reculées à nos jours, figurent en bonne place les contacts entre les individus, les peuples, lesquels contacts sont souvent dus aux mobilités. Dans leurs déplacements d’un point à un autre, d’une région, d’un pays à un autre, les individus ou les peuples finissent par vulgariser leurs savoirs techniques à d’autres et vis-versa. Il existe ainsi dans l’histoire de l’humanité des liens étroits entre mobilités et circulations des savoirs techniques. Si l’on s’intéresse à l’histoire des techniques en Afrique et tout particulièrement au secteur de l’artisanat, l’on se rend compte que le développement de tel ou tel autre secteur d’activité dans telle ou telle région, a été dans la plupart des cas le fait des mobilités. Mobilités et circulations des savoirs techniques dans l’artisanat africain constitue dès lors un sujet d’histoire important sur lequel il est intéressant d’y consacrer une réflexion dans le cadre de ce colloque.

A partir de la région du Nord-Cameroun sur lequel nous menons des travaux de recherche depuis quelques années, quels rapports peut-on établir entre mobilités et circulations des savoirs techniques depuis la période précoloniale à nos jours ? En d’autres termes, quelle est l’influence des mobilités sur le développement des savoirs techniques dans l’artisanat de cette partie du continent africain de la période d’avant la colonisation jusqu’au XXIème siècle en cours ? L’exploitation des sources diverses : écrites, orales, matérielles, archéologiques et la méthode d’observation permettront de conduire cette recherche.

Thème L’acclimatation métropolitaine des savoirs sur le lointain : « savoirs naturalistes » (salle RH04B – rdc)

  • Présidente de séance : Marie-Noëlle Bourguet (Université Paris Diderot, ICT)
  • Discutant : Kapil Raj (EHESS, Paris)

Brian W. Ogilvie (Université du Massachusetts, Amherst) : Merian’s Surinamese lantern fly : The coming into being and passing away of a scientific fact

During her 1699-1701 sojourn in Surinam, the artist and naturalist Maria Sibylla Merian observed a striking phenomenon. One night a box full of strange flies started to make a loud sound. When she opened it, she and her household were first terrified, and then amazed, by the bright glow that the insect emitted. She depicted the creature and described its luminescence in her 1705 folio volume, Metamorphosis insectorum surinamensium, specifying that the Dutch colonists had given the creatures the name “Lantarendragers,” laternarios in Latin. Merian’s description and illustration circulated widely in eighteenth-century works on insects. Rene-Antoine Ferchault de Réaumur and August Johann Rösel von Rosenhof discussed it in their encyclopedic studies of insects, while Carolus Linnaeus named the species Fulgora laternaria in homage to Merian’s observations. Later naturalists added several more species to the genus Fulgora. None of these naturalists were able to verify Merian’s claim that the fly was luminescent, yet textbooks of entomology more than a century later still held out the possibility that Merian was right, and that the fly glowed only at a certain point in its life cycle. The case of Merian’s lantern fly opens up a number of questions about the metropolitan reception of the natural history of distant lands. Why were metropolitan naturalists willing to believe an account by a woman artist with no formal education, despite their inability to confirm her observations? Her personal experience obviously played a role: was her artistic training as a careful observer also a factor? Did the colonial vernacular name lantarendrager affect naturalists’ willingness to accept Merian’s account? How and when did anatomical investigation of preserved specimens factor into evaluations of the lantern fly’s luminescence? When did most naturalists decide that Merian had been wrong, and what did it do for her reputation as an entomologist? My contribution, based partially on research I will complete in summer 2011, will explore these questions.

Marianne Klemun (Université de Vienne) : "Austrian" Expeditions and the varying context of competition between botanists and gardeners.

The overseas expeditions initiated in the 18th century by the Viennese court have hitherto received scant attention in international research. They did not correspond to the principle of expeditions, as defined by the European powers, with their circumnavigations of the globe: these were indeed a model for Vienna but were not realizable in practice. For in the 18th century the Habsburgs had no navy of their own, nor were cartographic goals a priority. The ventures were not reflected in descriptions of voyages that ensured primarily a public or discursive reception. With their focus on journeys for botanical and zoological collection, undertaken mainly by gardeners and teachers, the Austrian activities and the objects that arrived in Vienna raised interesting questions for present-day historical research. For in terms of the quantity of living plants and birds the collecting voyages were wholly effective, in that exotica from Africa, Asia and the Americas were cultivated in the gardens of Vienna, but the scientific documentation of these species took place very slowly. This discrepancy between a successful material presence in the gardens and the less successful scientific documentation in words did not mean, however, that the integration of these plants into a ‘learned corpus’ was unsuccessful, since the gardens very rapidly gained both a local and an international reputation although admittedly only among a specific scientific elite. For example, Alexander von Humboldt made a special journey to Vienna to prepare, in the gardens, for the expedition he had planned.

The travelling gardeners should be understood as the agents and mediators of knowledge. These took on the task of requisitioning overseas, setting up the modes of transport and the integration of the natural objects into new settings in Vienna. In these different roles the status of the agents was variable. As court gardeners they were part of a larger service unit, as travellers they could also be isolated diplomats of the Emperor, but in their role as interpreters of botanical material they remained, in the eyes of a botanically well-versed public, far below the “real” botanists, the taxonomists. What this changing status meant, in terms of the varying context of action and in the varying situations of the individual protagonists, who were in competition with one another, for the cultural and epistemic loading of the objects and the production of knowledge, is the main question of this paper.

Yuko Takigawa (Université de Kagawa, Japon) : Contrast of Japanese materials and knowledge used by Cuvier, Valenciennes and Siebold to describe Japanese fish and aquatic animals in the 19th century

After Linnaeus established scientific classification using binominal nomenclature in the middle of the 18th century, the Linnaean system was promptly adopted as a universal system by Western scientists. Thus collecting by enthusiastic explorers and collectors increased the number of herbal and animal specimens being collected from all over the world and brought to Europe. Those specimens were classified and described by Western scientists who were devoted to biology, and some of the specimens were stored as “type specimens” within European academic institutions. Based on the number of rich specimens and the system of classification, Europe became the leading centre of modern biology during the 18th and 19th centuries.

Although the contemporary native people in the non-European regions had interests in natural history, they were left behind in the development of modern biology. Isolated from the west, Japan in the 18th and 19th centuries can be regarded as one of periphery countries in terms of biology, and Japanese intellectuals were out of the Linnaean system. Japanese species were, however, eventually integrated in modern biology through specimens and other resources, which were brought to Europe by the Dutch East India Company, the sole western trader with Japan.

In this paper, I would like to focus on how Japanese materials and knowledge were collected and brought to Europe as scientific sources. Western intellectuals collected Japanese materials not only by themselves, but also by the aid of local actors. The roles of the native actors, who provided scientific materials, changed through the ages. In addition, the way that metropolitan scholars could obtain scientific materials and knowledge were different according to their historical backgrounds. Based on my investigation on specimens and natural history drawings, I would like to evaluate therelationship between scholars and native actors. I would also like to compare two types of western scholars who worked on Japanese fish and aquatic animals. One is Cuvier and Valenciennes, who used the drawings of the Japanese printed book “Umi no sachi.” The other is Siebold, who was not only successful in collecting a huge number of scientific source materials, but also in obtaining knowledge by the native actors.

12h45 – Déjeuner – Hall Buffon

Vendredi 18 novembre 2011 - 14h30/17h30

HALLE AUX FARINES : accès par le Hall E / ascenseur F

(Pause café vers 16h – Salle 574-5e)

Thème Circulation des savoirs et pouvoirs (salle 580F–5e)

  • Présidente de séance : Pilar González-Bernaldo (Université Paris Diderot, ICT)
  • Discutant : Pierre-Yves Saunier (CNRS-UMR Environnement Ville Société, Lyon)

Lissel Queiroz Perez (Université de Rouen-MASCIPO) : El arte obstetriz. Les sages-femmes et la construction d’un savoir obstétrique dans le Pérou du XIXe siècle (1826-1900)

La communication s’intéresse à la naissance de la profession de sage-femme au Pérou au XIXe siècle. Celle-ci s’inscrit pleinement dans la problématique de la mobilité et de la circulation des savoirs pratiques et théoriques. A l’origine de cette histoire se trouve une sage-femme française, ancienne élève de la Maternité de Paris et disciple de Madame Lachapelle, appelée Benoîte Cadeau-Fessel. Celle-ci décide de s’installer au Pérou et de fonder avec son mari, lui-même médecin, la Maternité de Lima sur le modèle de Port-Royal. L’originalité de l’institution liménienne réside dans le fait qu’elle associe un hôpital, un hospice et une école de sages-femmes. Elle est donc la première de ce genre dans toute l’aire hispanique. L’énergie et le caractère de la première sage-femme péruvienne ont joué un rôle déterminant dans la fondation de cette maternité qui connaît plusieurs aléas tout au long du XIXe siècle. Elle s’affirme néanmoins à son tour comme un modèle à l’échelle andine puisque deux sages-femmes formées dans cette école dans les années 1830 sont appelées, l’une par l’Equateur et l’autre par la Bolivie, pour fonder une maternité à l’image de celle de Lima. Les sages-femmes apparaissent également comme les médiatrices entre un savoir médical, marqué par un développement du courant hygiéniste, et une pratique jusque-là majoritairement féminine, empirique et, dans le cas de la région andine, bien différente à celle de l’Europe de l’Ouest. En ce sens, les transferts dont il est question ici ne se font pas dans une seule direction, on est face plutôt à une articulation très dynamique. Il s’agit enfin d’étudier la participation des sages-femmes à la construction d’un savoir sur les femmes elles-mêmes.

Javier Sabarros (Doctorant, Université Paris Diderot, ICT) : Circulation des savoirs et mobilité des savants dans la constitution d'une discipline historique en Argentine au début du XXe siècle

La communication cherche à rendre compte de la mobilité des universitaires et des intellectuels argentins à la fin du XIXe siècle (notamment, leurs parcours de formation souvent européens ou leur intégration aux réseaux des correspondants et de sociétés scientifiques internationales) et des débats et contextes conceptuels auxquels ils s'intègrent. En mettant l'accent sur les questions de la mobilité de ces savants et de la circulation des idées dont leurs ouvrages sont le résultat, le but de cette communication sera de rendre compte de la tension local/universel qui constitue le contexte de surgissement de la discipline historique universitaire en Argentine.

Ricardo Gonzalez Leandri (CSIC-Espagne) : Medical power, State knowledge and reconfiguration of the academic field. Argentina 1890-1930

The paper we are presenting will analyze the interrelation, at the beginning of the 20th century, between two decisive processes of the links between medical knowledge and the State and of the efforts to establish a new “medical power” that is to replace the current professional model, which is too tied up to a political system of dignitaries. It involves: a) the reshaping of the academic field, between 1890 and 1910, in synchrony with noteworthy ideas of international circulation about the “clinical look” and Hygiene as a component of State knowledge and b) the search for an “integrating professionalism”, based on the attempts to redistribute internal power within the Faculty and to widen its social base. When changes were forced in the relationship between the academic world and the body of practicing diplomats, and a series of subjects were transformed into “cultural” and “scientific” issues, both processes were articulated with the emergence of a new reformist institutional model, which nevertheless encountered considerable difficulties to get a foothold and establish itself.

Liliane Crips (Université Paris Diderot, ICT) : La circulation des théories raciales et la reconfiguration des savoirs disciplinaires en Allemagne et dans l’Europe occupée (1933-1945)

Lorsqu’ Hitler accède au pouvoir, en 1933, il ne s’empare pas seulement du triple levier du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, mais aussi de l’ensemble des institutions scientifiques – centres de recherche et universités – ainsi que du système de santé. Cela se traduit par l’exclusion, rapide et systématique, de tous les professionnels juifs, dont vingt-quatre prix Nobel, et par l’instauration d’une « science national-socialiste ». Celle-ci se définit par un double postulat : servir le « peuple allemand », donc son chef, censé l’incarner, et considérer la « race », en tant que concept biologique, comme l’alpha et l’oméga de toute théorie comme de toute pratique.

Dès avant 1939, mais plus intensément encore après le déclenchement des hostilités, toutes les disciplines scientifiques, de la physique aux sciences économiques, en passant par la chimie, l’anthropologie, la criminologie ou les statistiques, participent à la préparation puis à l’effort de guerre. Dans ce contexte, la biologie et la médecine jouent un rôle central, dans la mesure où elles apportent leur contribution à la mise en oeuvre des différentes facettes de la politique eugéniste et raciale du régime nazi.

Mariano Ben Plotkin (IDES/CONICET-Untref-Argentine) : Psychoanalysis and Political Authoritarianism. Argentina in the 1960s and 70s

Since Freud’s times it has been common knowledge that the existence of a certain level of political and social freedom is a precondition for the successful implantation of psychoanalysis in a given society. The experiences of interwar Europe and the Soviet Union seem to confirm this idea. However, the implantation of psychoanalysis in Latin American countries, (Argentina and Brazil being the most notorious cases) sharply contradict this received knowledge since in those countries it was precisely during the murderous military dictatorships of the 1960s and 70 that psychoanalysis disseminated dramatically turning both countries into “world capitals of psychoanalysis”. The paper will analyze in comparative perspective the diffusion of psychoanalysis in Argentina and Brazil during the 1960s and 70 analyzing the articulation of this diffusion with social, political and cultural conditions existing in both countries.

Thème L’acclimatation métropolitaine des savoirs sur le lointain : « Altérités » (salle 481F–4e)

  • Présidente de séance : Anne-Julie Etter (Doctorante, Paris Diderot, ICT)
  • Discutante : Isabelle Surun (Université Lille 3)

Boris Jeanne (EHESS) : Le laboratoire romain : transformations des savoirs missionnaires américains en données universelles au second XVIe siècle

En raison de l’importance des missionnaires dans les découvertes et les conquêtes à l’époque moderne, la ville de Rome occupe une position d’exception dans la récolte des savoirs issus du Nouveau Monde. Mais le traitement de ces données par le Saint-Siège ne suit pas la même logique que celle des centres politiques métropolitains comme Madrid (associant savoir et pouvoir), ni que celle des centres éditoriaux comme Venise (recherchant le profit). La communication cherchera à souligner l'originalité du laboratoire romain : tant que le projet politique universel romain est en retrait par rapport au pouvoir des princes, ce sont les images qui sont le vecteur de savoirs que les mots rendent suspects ; quand ce projet devient plus abouti, les mots prennent le relais et anticipent l’institutionnalisation de cette action universelle du Saint-Siège au XVIIe siècle.

April G. Shelford (American University, Washington D.C) : Civilizing Colonial Knowledge (18th century)

This paper engages with the colloquium's themes by examining the “civilizing” of colonial knowledge in eighteenth-century metropolitan publications. The focus is two individuals, both of whom lived and worked in French colonies: the Jesuit Jean-Baptiste Le Pers (1675-1735), who spent decades evangelizing Caribbean slaves, and Jean-Baptiste-Christophe Fusée-Aublet (1720-1778), who conducted botanical research on Isle de France (now Mauritius) and in French Guiana. In different ways and for different reasons, their views underwent significant redaction and “tempering” before being presented to the French reading public. In Histoire de l'Isle de St. Domingue (1730), Pierre François-Xavier de Charlevoix went beyond correcting Le Pers' factual errors to excise his rich, if deeply idiosyncratic, critique of colonial society. Manuscript versions of several brief essays appended to Histoire des plantes de la Guiane françoise (1775), particularly his observations of African slavery and the cultivation of sugar cane, demonstrate how thoroughly Fusée-Aublet censored himself and adjusted his authorial tone for a European audience. Such editorial interventions privileged propriety or prudence over intellectual authority based in colonial experience, but that is only the most obvious (and perhaps banal) conclusion we may draw from these three cases. Of greater interest is how the presentation of colonial knowledge worked within (or against) other agendas, such as advancing particular conceptions of historical writing, managing public perceptions of conditions in the colonies, or seeking to influence public opinion and state policy.

Véronique Larcade (Université de Polynésie) : L’hétérogénéité de la validation des savoirs sur Tahiti, clé possible de compréhension d’une paradoxale opacité (1771-1859) SOUS RESERVE

Les dates de parution du Voyage autour du Monde de Bougainville, d’une part, et des Derniers Sauvages de Max Radiguet, d’autre part, peuvent constituer les repères chronologiques principaux de cette contribution.

La mise en évidence au XXe siècle de la radicale et même infranchissable différence de références entre les Polynésiens et les Européens, tant lors du contact à la fin du XVIIIe siècle qu’après (métaphore de la plage de G. Dening) a rendu définitivement problématique la notoriété de Tahiti, avérée dès sa découverte par l’Anglais Wallis, en 1767. Or, du côté européen, l’information rapportée dans le cadre de la phase de l’exploration fait déjà polémique. Ce que collectent (et la manière dont ils le font) les scientifiques embarqués (cas de G. Forster lors du 2e voyage de Cook) ne correspond pas forcément aux préoccupations des officiers de marine. Par ailleurs, pour ces derniers, et tout particulièrement Bougainville, la reconnaissance et l’approbation des milieux savants n’est pas acquise alors que le succès public des relations de voyage imprimées et la littérature qu’elles suscitent en retour offre une autre instance de validation.

Au coeur du problème se trouve la communication limitée avec les « Naturels » dont la langue autant que le comportement (organisation sociopolitique ; sexe ; religion) défient la compréhension. La phase de la « mission » qui à partir des années 1800, succède à celle de l’exploration, procède de l’avantage pris par l’interprétation péjorative plutôt que celle qui idéalise ce que l’on croit savoir de Tahiti. Toutefois, il ne s’agit pas exactement d’éradiquer une culture vicieuse, erronée et coupable dont la condamnation paraît confirmée par l’effondrement démographique et le désordre consécutif au choc microbien.

En fait, alors que dans le Pacifique et dans cette partie de la Polynésie tout particulièrement, l’évangélisation précède la colonisation, entrent en jeu des nouvelles instances de validation exclusivement européenne d’ordre religieux d’une part et politico-idéologique (effet de « racialisation ») d’autre part qui entrent en concurrence ou collaborent dans la compétition entre l’impérialisme britannique et de l’impérialisme français. Le problème de la disparition définitive des témoins de la période d’avant le contact avec les Européens dramatise la transmission lacunaire du savoir « authentique » qui s’opère alors dans un contexte d’aliénation dont se fait écho Max Radiguet, écrivain de l’état-major de l’amiral Dupetit-Thouars qui fait ratifier le protectorat de la France sur Tahiti en 1843.

Une prolongation de cette réflexion est sans doute possible, puisque dans cette perspective, au début du XXe siècle, apparaît impérative une nouvelle exigence de vérité, celle que valident d’un côté la fouille archéologique et le « terrain » anthropologique d’un autre côté. Ainsi dans le cadre d’une phase d’enquête, cette fois, se trouve renouvelées les approches de la phase d’exploration évoquée précédemment ; ce qui nourrit une construction (plutôt qu’une restauration) identitaire dont la validation est problématique et à tout le moins polémique (B. Saura).

Valérie Chansigaud (Paris, Dr en sciences de l’environnement) : Le désir du gorille (1846-1910). La difficile constitution des savoirs lointains.

L’histoire de la découverte du gorille est exceptionnelle à plusieurs titres : les premiers spécimens ne sont découverts qu’au milieu du XIXe siècle (acquisition du premier crâne : 1846 ; première publication : 1847) et l’animal devient immédiatement l’objet des convoitises des scientifiques européens, car sa taille, sa ressemblance avec l’homme, les mythes autour de son mode de vie fascinent et suscitent de nombreuses questions. Des squelettes et des spécimens naturalisés arrivent peu à peu en Europe et aux États-Unis et permettent de mieux connaître la morphologie et l’anatomie de l’animal. Le gorille vivant demeure quant à lui parfaitement inconnu. Les récits de ses moeurs sont recueillis auprès des populations autochtones, mais ils sont souvent empreints d’exagération ou, mal traduits, ne concernent pas le gorille mais d’autres singes. Ce n’est qu’en 1861 qu’un européen, Paul Belloni Du Chaillu (1831-1903), est confronté pour la première fois aux gorilles et peut rapporter des informations de première main. Le succès de son livre et de ses conférences est spectaculaire, et les polémiques qui se déclenchent dans le monde scientifique quant à la véracité de son récit sont d’une rare violence.

Du Chaillu pose le problème de l’acquisition des connaissances au sujet des animaux vivants exotiques et du devenir de celles-ci dans l’univers savant où elles se trouvent tour-à-tour, et parfois de façon contradictoire, validées, corrigées, rejetées. Il faut remarquer qu’aucun des juges de Du Chaillu n’a voyagé en Afrique et rien n’indique qu’ils soient très familiers avec l’observation d’animaux sauvages dans la nature ; ce qui pose la question de la nature et de la légitimité de leur expertise. Ce n’est que peu à peu que l’on fera justice au témoignage de Du Chaillu : les pratiques scientifiques évoluent en particulier parce que la multiplication des jardins zoologiques obligent à mieux connaître les conditions de vie des animaux maintenus en captivité. Ainsi le cas du gorille met en lumière le fonctionnement des pratiques scientifiques, la fragilité et le poids des questions d’expertise, la difficile acceptation du savoir lorsqu’il n’est pas construit par un membre du monde scientifique. Il rend surtout compte des distances entre le métropolitain et le lointain, distances qui ne sont pas seulement d’ordre géographiques.

Thème Circulation des corps et savoirs sexués : « Identités de sexe et sexualités » (salle 472F–4e)

  • Présidente de séance : Gabrielle Houbre (Université Paris Diderot, ICT)
  • Discutante : Sylvie Steinberg (Université de Rouen)

Régis Schlagendhauffen (Université de Strasbourg) : Réseaux et circulations des savoirs autour de l'homosexualité au tournant du XIXe Siècle en France et en Allemagne

Au carrefour entre plusieurs réseaux d’intellectuels, Eugène Wilhelm alias Numa Praetorius cherchait à travers ses observations consignées dans son journal intime tout comme à travers sa production scientifique à dépasser une controverse bien connue au début du XXe siècle : celle qui opposait les tenants du « vice allemand » à ceux du « vice français ».

Dans ma communication je me propose de revenir sur l’origine de cette controverse puis de montrer comment l’expérience singulière d’Eugène Wilhelm alliée à son engagement au sein de réseaux intellectuels français et allemands ont permis de participer au dépasser cette controverse. Pour ce faire, je m’appuie sur le journal inédit de l’auteur ainsi que sur des articles scientifiques de l’époque.

Irina Podgorny (Musée de la Plata-CONICET, Argentine) : Musées qui voyagent : les pathologies sexuelles dans les collections d’anatomie populaire à la fin du XIXe siècle

Les travaux sur les pratiques de voyages ont souvent analysé les itinéraires de la collection entre les espaces du terrain et le musée. Cette intervention, en revanche, s’intéresse à la mobilisation de collections et de savoirs associés aux musées ambulants du 19ème siècle. Elle analyse en particulier l’exhibition de modèles en cire, momies et corps embaumés humains dans les musées itinérants qui, parcourant l’Europe et l’Amérique, arrivent à Buenos Aires vers la fin du 19ème siècle. Malgré leur popularité, ces soi-disant musées itinérants d’anatomie populaire, qui comprenaient des collections ethnographiques, anthropologiques et médicales, représentent un phénomène encore très peu connu. Les itinéraires sud-américains de ces musées et collections anatomiques de pathologies sexuelles révèlent la consolidation d’un type de stratégie pour la vente de remèdes et aussi comment ces musées propagent une certaine manière d’exposer et de lire les maladies sexuelles avant la consolidation, dans les années 1890, des musées universitaires de dermatologie et syphilographie.

Cathy Mc Clive (Durham University/GB) : La tournée de Michel-Anne Drouart ou apprendre à être un hermaphrodite

Pendant une vingtaine d’années Michel-Anne Drouart, le célèbre hermaphrodite parisien, a fait sa carrière en voyageant en France et en Europe. Il s’exhibe aux yeux du grand public pour de l’argent et se laisse ausculter par les meilleurs chirurgiens, médecins, érudits et hommes de lettres de son temps.

En 1749, au début de cette carrière, Drouart n’a que seize ans. Son corps ambigu évolue avec sa renommée et les idées sur le sexe qui prédominent en lui oscillent avec le temps et varient selon le praticien médical qui l’examine. Certes, l’effet de la maturité se grave sur son corps, mais il semble aussi que Drouart apprend à se servir de la curiosité scientifique et humaine de ses interlocuteurs afin de raffiner son propre discours sur son corps et surtout sur ses évacuations sanguines. Nous n’avons accès au discours de Drouart qu’à travers les divers rapports et mémoires scientifiques rédigés, non sans intérêt, par ceux qui l’auscultent, mais en comparant ces rapports nous voyons combien les réponses de Drouart aux mêmes questions changent et combien il apprend à jouer le rôle de l’hermaphrodite, et à maintenir l’ambiguïté de son corps. L’étude de ce cas particulier nous permet de nous poser des questions sur les rapports entre le sexe et le genre pendant la deuxième moitié du XVIIIe siècle et particulièrement sur le rôle de la menstruation en tant que signe de féminité.

Laurence Moulinier-Brogi (Université Lyon II) : A la recherche du corps féminin vu de l’intérieur

On sait qu’au Moyen Age, les médecins ne décrivaient guère le corps de la femme, et ne lui consacraient en général que des chapitres portant sur la génération et la gynécologie. Cet apparent désintérêt ne s’explique pas que par le poids de la grille de lecture livresque de ce corps tenu pour naturellement impur ; des questions de pudeur ont pesé aussi dans la relative méconnaissance du corps féminin par des médecins du sexe opposé.

Or d’une part les hommes ont pu être associés à une expérience a priori aussi strictement féminine que l’accouchement, et d’autre part certains ont tâché de contourner le tabou de la pudeur et de juger de l’intériorité de ce corps sans pour autant l’inspecter, par le biais de l’examen des urines, notamment. Mais que ce regard masculin porté sur le corps des femmes ait été direct ou déductif, il ne nous fait pas accéder à l’expérience vécue. Le fait qu’au Moyen Age aient vu le jour deux traités de médecine dus à des femmes est-il gage d’un autre regard ? Au vrai, le croisement de sources très diverses est nécessaire pour accéder à la gamme des situations vécues par les femmes dans leur chair, attendues biologiquement ou culturellement comme la sexualité, l’accouchement, la stérilité ou le vieillissement, mais aussi exceptionnelles, comme la lévitation, la possession ou l’extase. Les écrits émanant de ou concernant de femmes spirituelles ne sont ainsi pas le dernier lieu où trouver mention de sexualité ; mais y entend-on directement la voix des femmes, ou faut-il toujours imaginer qu’elle a été recueillie par un micro masculin ? On se demande pour finir si des sources comme les correspondances ou les testaments ne sont pas la promesse la plus riche d’une voix en prise directe sur un corps, ou en tout cas moins médiatisée, donc d’un regard plus direct sur un corps vécu de l’intérieur.

Samedi 19 novembre 2011 - 09h30/12h30

HALLE AUX FARINES : accès par le Hall E / ascenseur F
(Pause café vers 10h45 – entre salle 472F et 473F)

Thème Mobilités et circulation des savoirs techniques : « Histoire politique des circulations techniques » (salle 476F - 4e)

  • Présidente de séance : Sophie Coeuré (Université Paris Diderot, ICT)
  • Discutante : Irina Gouzévitch (EHESS, Centre Maurice Halbwachs)

Michèle Virol (Université de Rouen) : Mobilité des ingénieurs et circulation de savoirs techniques liés à la fortification et à la poliorcétique. Europe et Amérique XVIIe-XVIIIe siècles

Dès la fin du XVIe siècle, les ingénieurs tentent d’identifier leurs techniques de fortification en les rattachant à un pays et en publiant en langue vernaculaire des traités de fortifications. Leur formation, leurs carrières et leurs réalisations prennent ainsi un caractère plus original, leur assurant une réputation, même si la mobilité reste une constante : par exemple, les ingénieurs des Pays-Bas sont recherchés pour leur maîtrise de l’hydraulique, ceux de l’Empire pour les fortifications et pour l’extraction minière. La mobilité est entendue en un sens spatial : un ingénieur se déplace parce qu’il est envoyé par son employeur en mission à l’étranger ou dans les colonies, mais aussi parce qu’il entre au service d’un ou plusieurs autres pays, en temps de guerre comme en temps de paix. Ce déplacement peut entraîner une mobilité sociale, un changement de statut, de fortune et de reconnaissance. Des cas isolés aux phénomènes de groupe, la mobilité des ingénieurs aux XVIIe et XVIIIe siècles atteste que l’Europe et ses colonies d’Amérique sont un vaste marché du travail où les recommandations de personnages puissants et les compétences reconnues après des travaux bien réalisés, des sièges victorieux ou des ouvrages publiés se concurrencent ou se complètent.

Les savoirs circulent avec les ingénieurs à travers les projets, devis et publications techniques, mais aussi par l’enseignement des écoles spécialisées qui, surtout au XVIIIe siècle, valorise la formation des ingénieurs de l’Europe. Cependant, dans les colonies européennes de l’Amérique, les ingénieurs de la fortification appelés à assurer les défenses des nouvelles possessions doivent adapter leurs savoir-faire à des conditions matérielles et financières fort différentes, générant une circulation spécifique des savoirs techniques.

Ferruccio Ricciardi (EHESS, Centre Maurice Halbwachs) : La dimension politique des circulations techniques: diplomatie, relations commerciales, expertise (Etats-Unis/Italie, années 1950-1960)

Les études récentes sur les circulations de savoirs techniques ont eu le mérite de rejeter le caractère diffusionniste qui est propre à la notion de transfert, au profit d'analyses qui, en revanche, mettent l'accent sur les phénomènes d'hybridations, de traduction, de métissage. Si les potentialités euristiques de cette approche sont très prometteuses, elles risquent cependant de sous-estimer la nature éminemment politique de tout processus de transfert qui, par définition, se fonde sur un rapport asymétrique. Cette asymétrie est le reflet de rapports inégaux entre les agents exportateurs et les communautés d'accueil, mais aussi entre les passeurs, les lieux de médiation, les différentes traditions intellectuelles mobilisées...

Cette communication veut mettre à jour la problématique de la dimension politique (au sens large du terme) des circulations techniques en analysant les effets induits sur ces échanges par les rapports de domination existant entre acteurs, objets et idées. Elle le fera à partir de quelques exemples significatifs tirés des échanges entre États-Unis et Italie durant les années 1950 et 1960, c'est-à-dire dans une période où l'implication grandissante de la puissance américaine dans les relations internationales (via les politiques liés au plan Marshall, puis à la guerre froide) tend aussi à transformer les modalités et les conditions des échanges techniques.

Trois aspects seront interrogés afin de comprendre en quoi ces échanges techniques peuvent avoir un caractère politique : l'activité diplomatique, qui parfois s'appuie sur le transfert de technologie pour véhiculer sa propre stratégie ; les relations commerciales et le rôle des produits comme moyen d'agencement d'une véritable idéologie politique ; le rôle des experts (par exemple les consultants) qui incarnent le paradigme socio-technique dominant afin de montrer à leurs interlocuteurs la voie du progrès technique et du développement économique.

Léonard Laborie (CNRS, UMR Irice 8138) : Aux frontières de la circulation des techniques télégraphiques. L'échec du projet d'école internationale d'ingénieurs spécialisés (1868-1874).

L'idée de créer une école internationale pour former les ingénieurs télégraphistes est discutée dès les premières années d'existence de l' « Union télégraphique internationale ».

Associant les administrations télégraphiques d'une vingtaine d'Etats, l'Union a été fondée en 1865 pour forger des règles opérationnelles, des normes techniques et commerciales communes aux différents opérateurs. Elle était le résultat institutionnel d'une circulation des hommes et des techniques du télégraphe depuis plusieurs décennies, dont l'adoption généralisée du système morse était une autre manifestation. Son objectif était d'abord fonctionnel (interconnecter les réseaux nationaux et développer le trafic international), mais aussi en un sens spirituel (rapprocher les peuples).

Un lieu commun pour la formation de la future élite télégraphique s'inscrivait dans cette double dynamique, en la renforçant. Portée avec enthousiasme par l'Italie et la Russie, la proposition rencontre une forte opposition de la part d'autres pays, qui finissent par l'emporter. Circulation mais pas communion. L'épisode révèle la persistance des enjeux de souveraineté à l'ère de la coopération multilatérale et des nouvelles technologies de l'information.

Marie-Clotilde Meillerand (ANR MOSARE - Laboratoire Triangle - UMR 5206 - ENS de Lyon) : Mobilisations d’expériences extra-métropolitaines au service de l’aménagement urbain. Le cas des membres des Organismes Régionaux d’Etudes d’Aires Métropolitaines (OREAM) (1966-1970)

Cette communication propose de revenir sur les travaux menés dans le cadre des Organismes régionaux d’études et d’aménagement métropolitain (OREAM), structure de planification diligentée par l’Etat dans la seconde moitié des années 1960 pour prendre en charge l’aménagement métropolitain autour de 8 grandes villes françaises.

Au sein de ces structures mises en place en 1966/1967, notre intérêt se portera principalement sur les membres de ces équipes d’aménageurs en s’intéressant particulièrement à leur carrière. En effet, une part importante des membres ont connu une première expérience à l’étranger dans les territoires de colonisation et de coopération pendant la décennie précédente. C’est le cas des préfets en poste à la tête de ces structures (expérience notamment en Algérie autour du plan de Constantine, lien avec Delouvrier), mais aussi les urbanistes architectes (autour de Michel Ecochard au Maroc), et encore des membres de bureaux d’études en statistique/économie (SEDES, …), tous participent aux études des OREAM. Le réinvestissement dans les pratiques et dans les réseaux de connaissances est très important dans l’expérience et les travaux des OREAM entre 1966 et 1970, et proposent des méthodes de travail et des solutions urbanistiques innovantes qui retiendront notre attention.

Thème Circulation des savoirs et pouvoirs (salle 477F – 4e)

  • Présidente de séance : Nikita Harwich (Université de Nanterre-MASCIPO)
  • Discutant : Jean-Pierre Zuniga (EHESS)

Romy Sanchez (Université Paris 1 - MASCIPO) : Jorge Davidson : circulations atlantiques d’une possible bibliothèque abolitionniste

En 1837, le Noir libre Jorge Davidson, né en Jamaïque et devenu tailleur dans la ville de Matanzas à Cuba, est arrêté par les autorités de la ville : il possède des feuillets et des journaux considérés comme séditieux. Le dossier judiciaire de l’accusé - qui se défend lors de sa déposition en expliquant qu’il ne connaît pas le contenu desdits papiers - constitue le point de départ de cette recherche. Dans le dossier en question apparaissent les documents trouvés chez Davidson : des journaux de Philadelphie, de Boston et de Baltimore, une version imprimée d’un discours en l’honneur de l’abolitionniste George Thompson, et un petit livre biographique illustré sur la poétesse noire Phillis Wheatley, publié aux Etats-Unis.

Il s’agit d’évaluer à travers cet exemple à quel point certaines circulations d’acteurs et de textes liées à l’abolitionnisme en terres d’esclavage ne sont pas exclusivement le fait des seuls Blancs lettrés. La circulation des idées abolitionnistes britanniques du début du XIXème siècle tisserait ainsi des liens très divers entre Vieille Europe, Amérique du Nord et monde Caraïbe. Des liens manifestement plus divers qu’une schématique descente des idées anti-esclavagistes sur les populations libres de couleur, supposément prêtes à recevoir la Bonne Parole venue de Grande Bretagne. Le « cas Davidson » illustre une triple circulation, qui est celle que l’on s’efforce de mettre à jour dans cette présentation : les nombreux déplacements de l’individu Jorge Davidson dans l’espace caraïbe et à l’échelle américaine, les circulations des papiers politiques envoyés au tailleur jamaïcain, et finalement le caractère international du personnel formé par les témoins du procès cubain du Noir libre. Davidson est-il une exception, un cas particulièrement « circulatoire » ? Ou existait-il à Cuba et dans la Caraïbe, une frange de population de couleur, ou plus largement d’origine modeste - encore mal identifiée par l’historiographie – qui, à l’image de cet artisan, fréquentait les idées abolitionnistes et voyageait souvent, les colportant probablement par la même occasion ? A partir de cette étude de cas, le texte proposé essaie d’ouvrir des pistes pour diversifier l’étude des circuits abolitionnistes américains en général et caribéens en particulier.

Annick Lempérière (Université Paris 1 - MASCIPO) : Le « droit administratif » : circulation et métamorphoses entre France et Mexique (mi-XIXe siècle)

« Il ne revient pas à l’autorité judiciaire de connaître des questions administratives » (No corresponde a la autoridad judicial el conocimiento de las cuestiones administrativas). Cette formule lapidaire, texte de l’article 1 de la loi du 25 mai 1853 concernant l’organisation du contentieux administratif, constitue une véritable révolution juridique. Son auteur, le juriste Teodosio Lares, est le Ministre de la justice du gouvernement du Général Santa Anna. Deux ans auparavant, Lares a présenté devant les membres d’une société savante, l’Ateneo mexicano, quatorze « leçons de droit administratif », publiées en 1852 à Mexico. L’introduction d’un nouveau savoir d’État, inconnu jusqu’alors au Mexique, ie le droit administratif tel que produit par la jurisprudence et théorisé par les juristes français depuis la fin de la période napoléonienne, est donc suivie sans délai de sa transformation en norme juridique, grâce à une conjoncture politique qui a vu les conservateurs accéder au pouvoir en avril 1853, avec pour principal projet le renforcement du pouvoir exécutif. La loi du 25 mai 1853 sera dérogée, dès 1856, par les libéraux revenus au pouvoir.

Cet épisode de l’histoire politico-intellectuelle mexicaine pose plusieurs problèmes. Les données biographiques disponibles sur T. Lares laissent entendre qu’il ne s’est jamais rendu en Europe, mais ses Leçons révèlent une connaissance bibliographique très à jour des traités de droit administratif produits en France jusqu’en 1851. Que retiennent les Leçons de la jurisprudence et de la théorie françaises de l’indépendance de l’administration à l’égard du pouvoir judiciaire ? D’autre part, le texte bref de la loi (14 articles) trahit d’un côté un volontarisme immodéré (l’art. 1), de l’autre une application, à la fois partielle et indéterminée, du droit administratif à la française, au contexte juridique du Mexique, où les constitutions républicaines successives ont consacré les pratiques juridictionnelles héritées de l’ancien régime. Intellectuellement d’avant-garde, le projet conservateur s’avère juridiquement impraticable : comment expliquer cette incohérence ? La dérogation de la loi par les Libéraux en 1856 peut interprétée soit comme la sanction de la défaite politique des conservateurs, soit comme un acte de réalisme tenant compte du contexte juridique national. La communication se propose d’exposer ces problèmes à la lumière des apports de l’histoire du droit hispanique et hispano-américaine, qui permettent de prendre la mesure de l’écart incommensurable entre un modèle juridique qui semble répondre au projet politique de l’équipe au pouvoir, et des pratiques juridictionnelles dans lesquelles la société se reconnaît alors autant que les professionnels du droit.

Eduardo Zimmermann (Universidad de San Andrés, Argentina) : Between Politics and Administration. Towards a New Concept of Statehood in Argentina

In Latin America, lawyers were central actors in the process of adaptation and circulation of transnational forms of social knowledge and professional practices: as statesmen, in the drafting of the first national constitutions and codes, as intellectuals and men of letters shaping a local public sphere, and lastly, as early participants in the incipient professional market. Lawyers, and the world of the law in general (legislation, jurisprudence, doctrine and legal education, the structure and functioning of judicial institutions) operated as interpreters of and mediators between the transnational world of legal knowledge and practices, and local circumstances.

The search for common transnational paradigms, nevertheless, went hand in hand with the need to contribute to the process of consolidation of national identities and national scientific cultures. Since the second half of the nineteenth century, American constitutionalism and French droit administratif operated as two very influential poles in shaping Argentine legal culture, while at the same time being modified and adapted to the demands posed by local political processes.

In covering these movements of adaptation of a nascent legal culture to political circumstances, this article attempts to illuminate the strong links between the process of institutionalization of certain academic disciplines and forms of social knowledge, and modern state building in Latin America.

Stefan Rinke (Freie Universität Berlin, Zentralinstitut Lateinamerika-Institut) : Transfers of knowledge between Germany and Argentina between the First World War and the Great Depression

After the First World War many Germans regarded Latin America as a "last free continent". Argentina was considered the most precious jewel. The Weimar Republic developed a cultural and press policy in order to regain influence. But, did Germany reach the goals it had set itself? What interests did the Argentine governments follow in its relations to Germany? What role did non-state actors like Germans living abroad or scientists and academics travelling between spaces have? What impact did the competition with France have ?. My contribution will deal with these questions based on German sources in order to sort out persepctives for joint research projects.

Eduardo Manero (CNRS) : Flux menaçants, frontières et conflits de souveraineté en post guerre froide en Amérique latine

Les circulations internationales légales et illégales d’êtres humains comme de données et de biens matériels ou immatériels constituent un des enjeux majeurs du « désordre global », agissant et redéfinissant les rapports à la sécurité. Revendiquées ou craintes, elles contribuent à configurer de nouvelles formes de relation avec l’espace, affectant la définition plus générale de la frontière, comme limite de ce que l’on désire défendre.

A partir de l’analyse d’une série de situations conflictuelles allant de la région andino-amazonienne à la frontière mexico-américaine en passant par la « Triple Frontière » (Brésil-Paraguay-Argentine), l’exposé cherchera à illustrer comment, en Amérique latine, depuis les années 1990, l’importance accrue des frontières et des conflits de souveraineté doit être mise en relation avec une question stratégique centrale de la post guerre froide : le contrôle et la circulation des « flux » et des « stocks », aussi bien légaux (matières premières, marchandises, capitaux) qu’illégaux (drogues, contrebande diverse, migrants, etc.). L’absence, réelle ou présumée, de « souveraineté effective » dans les espaces frontaliers permet aussi bien le développement et la circulation d’entités légales et illégales -dont une grande partie est de type transnational-, considérées comme menaçantes que la mise en oeuvre de politiques interventionnistes de la part des Etats-Unis, légitimés dans des représentations stratégiques qui accentuent le caractère global des enjeux et des réponses sécuritaires. Ainsi la porosité des frontières et la circulation des menaces transnationales, éléments prioritaires du dessin stratégique déployé par les Etats-Unis dans le cadre de la National Security Strategy après le 11/9/2001, étaient au centre des politiques de sécurité des Etats-Unis à l’égard l’Amérique latine dans les années 1990.

Thème L’acclimatation métropolitaine des savoirs sur le lointain : « Des savoirs utiles » (salle 480F - 4e)

  • Président de séance : Harold Lopparelli (Doctorant, Université Paris Diderot, ICT)
  • Discutant : Simon Shaffer (Université de Cambridge, RU)

Samir Boumediene (Université Nancy 2) : L’acclimatation portuaire des savoirs sur le lointain : la validation des remèdes américains dans les ports de l’Europe méditerranéenne (XVIe-XVIIIe s.)

Si la production de savoirs sur le lointain met en jeu la coopération entre des savants restés en métropole et des explorateurs parcourant les antipodes, elle repose aussi sur de nombreuses étapes intermédiaires. Cette communication voudrait étudier en particulier le rôle joué par les villes portuaires dans l’introduction des remèdes originaires d’Amérique, tels que le bois de gaïac, la racine de Mechoacán, l’ipécacuanha ou encore le quinquina.

Les interfaces portuaires sont le lieu où se déroule la première « expérience » (dans tous les sens du terme) des remèdes exotiques, à laquelle participent des acteurs ayant des origines et des aspirations très diverses. Dans les ports en effet, les « go-between » peuvent être des voyageurs sur le départ ou de retour des Indes, mais également des marchands, des médecins, des apothicaires des diplomates ou encore les contrôleurs des douanes qui doivent être capables de vérifier l’identité et la qualité des drogues. Si la participation aux activités portuaires est un élément définitoire de l’identité de certains de ces médiateurs, comme les marchands ou les contrôleurs, elle contribue en réalité à redéfinir le statut de l’ensemble de ces personnages. Ainsi, parce qu’il a accès en premier aux substances venues de loin et parce qu’il doit soigner des populations particulièrement vulnérables, le médecin qui vit dans un port dispose d’un statut et d’un crédit que n’ont pas toujours ses homologues des villes de l’intérieur.

S’intéresser au rôle des ports constitue alors un moyen de repenser la médiation. En mettant au moins temporairement de côté la dichotomie centre/périphérie, il s’agit d’envisager l’existence d’autres configurations épistémologiques et sociales, dont le « milieu portuaire », avec ses soigneurs et ses malades, pourrait être un exemple (comme du reste le bateau). L’hypothèse de cette communication est donc que le port n’est pas seulement une courroie de transmission, mais qu’il est aussi un lieu de production et une instance de validation des savoirs du (ou sur le) lointain.

Cette idée peut être étayée à travers trois études de cas. La première est celle du médecin Nicolás Monardes qui, dans la seconde moitié du XVIe siècle, profite de ses contacts avec les marchands sévillans pour expérimenter sur les malades puis pour promouvoir dans toute l’Europe l’usage de nombreuses substances originaires des Indes occidentales. La seconde est celle de Giacinto Cestoni (1637-1718), apothicaire à Livourne, qui diffuse à l’ensemble de l’Italie savante des connaissances qu’il acquiert ou qu’il met au point sur le quinquina, le chocolat et la zarzaparrilla. Le troisième, enfin, est celle du port de Cadix à la fin du XVIIe siècle, où des médecins, des apothicaires et des marchands fournissent au consul de France Pierre Catalan des informations sur le quinquina et l’ipécacuanha que le diplomate s’empresse de fournir à Colbert et Pontchartrain.

David Plouviez (Université de Nantes), Ressources coloniales et enjeux militaires. Construction, légitimation et rejet des savoirs sur les bois américains dans la communauté savante et technicienne maritime française, fin XVIIe -XVIIIe siècle.

Dans le contexte de l’édification des principales puissances navales de l’époque moderne, de nombreuses matières premières furent employées à la construction des vaisseaux et des frégates. Les réserves ligneuses américaines firent l’objet de convoitises de la plupart des Etats européens disposant d’une marine permanente entraînant des prospections à l’intérieur du continent et dans les immenses espaces coloniaux.

Mais si l’Angleterre et l’Espagne exploitèrent rapidement au XVIIe siècle ces nouvelles ressources, il n’en fut pas de même de la France. A cette époque, l’Etat français était peu informé des disponibilités et des qualités intrinsèques de ses ressources coloniales. Or, de nombreux acteurs furent à l’origine de la construction d’un savoir consacré à la botanique américaine – notamment canadienne – en démontrant l’intérêt qu’avait la France à exploiter ces ressources pour sa marine. A la fin du XVIIe siècle, ce savoir pratique bénéficia d’un puissant relais en métropole par l’entremise de l’administration coloniale et du monde savant qui normalisa les apports de ces connaissances en les soumettant à l’expérimentation.

Dans un premier temps, la légitimation du savoir colonial sembla unanime mais le corps des techniciens de la marine le rejeta au profit d’un savoir technique qui lui était propre, longtemps resté empirique mais en voie de normalisation. La seconde moitié du XVIIIe siècle témoigna alors d’une légitimation incomplète d’un savoir colonial sur fond de concurrence entre les savants, garants de ces nouvelles connaissances, et un monde d’ingénieurs-constructeurs, groupe forgeant son identité à travers la définition de normes techniques liées à la construction des bâtiments du roi.

Wu Huiyi (Doctorante Université Paris Diderot/SUM Italia) , Itinéraires multiples, savoir multiforme : quelques considérations préliminaires sur le corpus de traductions botaniques dans la description de l’Empire de la Chine et de la Tartarie chinoise (Paris, 1735)

Si un texte écrit est le réceptacle d’un savoir, le traduire sera, à proprement parler, agir sur un savoir lointain. Comme tout savoir ramené d’ailleurs, la traduction est soumise à un régime de validation et reconnaissance ; mais elle obéit aussi à ses propres règles, dictées par la nature textuelle et inter-linguistique du travail.

Nous proposons d’appréhender ces questions en prenant comme exemple le corpus de botanique médicinale envoyé par des jésuites français en Chine et publié dans la monumentale et encyclopédique Description de l’Empire de la Chine et de la Tartarie chinoise de J.-B. Du Halde (Paris, 1735). Ce corpus comprend un grand nombre de textes traduits du chinois, notamment de l’ « Herbier chinois », c’est-à-dire le Materia medicae (Ben Cao Gang Mu) de Li Shizhen (1518-1593). La botanique médicinale est un domaine de savoir particulièrement intéressant : il s’agit d’un domaine de savoirs en pleine mutation à ce début du XVIIIe siècle ; il permet de mettre en confrontation les enjeux théoriques et pratiques, la nécessité de systématiser et celle de traiter des cas particuliers. Enfin, c’est un domaine dont le renouveau a été particulièrement redevable aux connaissances apportées des contrées lointaines. Or, ce que démontre ce corpus dans la Description, est surtout le rôle dynamique des acteurs en Chine : d’une part, nous verrons la manière dont les missionnaires en Chine interagissent avec les savants parisiens, répondent aux questionnements de ces derniers, ou prennent initiative d’enquête en s’informant par la lecture sur des débats scientifiques européens. D’autre part, les traductions sont tirées d’un riche réservoir de savoirs locaux ayant sa propre logique classificatoire et cadre conceptuel explicatif. Comment ces principes ont-ils été appréhendés par les observateurs européens ?

Ce corpus, qui se présente comme un tout cohérent et méthodiquement conçu, est en réalité un panaché de trois ensembles de textes, attribués respectivement à Joachim Bouvet (1656-1730), à Dominique Parrenin (1665-1741) et à François-Xavier Dentrecolles (1664-1741). Les itinéraires en Chine de ces trois missionnaires étaient différents. Les deux premiers ont toujours servi à la cour de Pékin sans pour autant exercer la même fonction dans la bureaucratie impériale, tandis que le dernier a passé vingt ans à évangéliser dans les provinces, avant de s’installer à Pékin où il réalisera ces traductions. Leurs écrits, consacrés au même domaine botanique et puisant des informations du même corpus de Materia medicae, illustrent d’autant mieux l’impact des parcours individuels dans la société chinoise sur la production des savoirs ; leurs similitudes et interpénétrations invitent aussi à adopter un regard nuancé, plus interactif que conflictuel, sur les multiples rapports et canaux de circulation de

connaissances qu’il peut y avoir entre les élites et les classes populaires, le centre et la périphérie, la Chine et l’Europe.

Ronald Guilloux (laboratoire S2HEP, Université Lyon 1-ENSL), La réception de l’acupuncture japonaise en France : histoire d’une invalidation (1683-1825).

Les premières descriptions détaillées de l’acupuncture furent l’oeuvre de deux médecins de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales ayant séjourné au Japon : Wilhem Ten Rhijne (1683) et Engelbert Kaempfer (1694). De cette zone de contact, nous exposerons brièvement les motivations, les difficultés rencontrées et les opinions des deux auteurs sur l’acupuncture.

Puis, dans la perspective de la session, nous centrerons notre propos sur la problématique de la réception de ces premières descriptions de l’acupuncture en Europe, en France en particulier : comment ce savoir sur l’acupuncture y fut-il reçu ? Précisément, quels enjeux cognitifs et quels rapports à la construction de l’identité médicale savante ont été engagés ? Deux périodes de réception seront abordées.

(1719-1787) Les premières réactions du monde savant sur l’acupuncture seront textuelles. Les chirurgiens (Heister 1719, Dujardin 1774) décriront l’acupuncture comme une « ponction » destinée à libérer l’humeur pathogène. Ils n’hésiteront pas à souligner les lacunes en anatomie des Chinois et Japonais, et à les classer parmi les peuples inférieurs. Si les médecins partageaient l’anatomisme des chirurgiens, ils posaient un regard plus pragmatique : l’acupuncture pouvait à la fois éclairer la connaissance de « l’économie animale » (Vicq d’Azyr, 1787) – en particulier « les enchainements et les communications des nerfs » (van Swieten 1770) – et « l’art de guérir ».

(1810-1825) Cette exhortation à la pratique trouvera un écho en 1810 dans les premiers tâtonnements thérapeutiques du Dr isérois Louis Berlioz et la publication de son mémoire sur l’acupuncture (1816) qui suscitera l’intérêt du Paris médical (Cloquet, Sarlandière, Pelletan, Meyranx, etc.) des années 1820. L’acupuncture sera pratiquée de façon intensive dans plusieurs hôpitaux (Saint-Louis, Hôtel-Dieu, la Pitié, la Charité) pour traiter les rhumatismes et les névralgies. A la théorie japonaise, ces acupuncteurs français préféreront la description du nombre d’aiguilles, de la durée et du lieu de piqûre. Ils voudront même expliquer les effets positifs observés, selon l’hypothèse d’un fluide galvanique perturbé que l’aiguille aidait à rétablir. Mais l’acupuncture française ne connaitra qu’un succès éphémère puisqu’elle disparaitra de la littérature médicale à la fin des années 1820.

Nous conclurons que la réception des premières descriptions sur l’acupuncture en France a été un processus d’invalidation progressive opéré par plusieurs filtres : le filtre épistémologique (anatomisme) s’appliquait sur la théorie médicale japonaise, sur les premiers descripteurs eux-mêmes, enfin sur les hypothèses des acupuncteurs français ; le filtre politique (orientalisme) faisait subir à la médecine des Japonais un processus de racialisation (Barnes 2005) et d’historicisation (cf. l’Histoire de la chirurgie de Dujardin, 1774) ; le filtre technique réduisait l’acupuncture à une simple piqure locale ; enfin, le filtre institutionnel de 1810-1820 jetait sur cette pratique, un interdit (inauguré par le procès sur le magnétisme animal de 1884). Ainsi, un processus paradoxal d’invalidation a permis l’émergence d’un savoir-pratique éphémère, l’acupuncture française des années 1810-1820. Mais ce que montre surtout ce processus sur le plan identitaire, c’est la construction progressive d’une idéologie de savoir-pouvoir (l’orientalisme médical) inhérente à la modernisation amorcée de la médecine en France.

Thème Circulation des corps et savoirs sexués : (salle 481F - 4e)

  • Président de séance : Didier Lett (Université Paris Diderot, ICT),
  • Discutante : Sylvie Steinberg (Université de Rouen)

Cécile Treffort (Université de Poitiers) : Les manifestations féminines du deuil dans les funérailles médiévales : de la circulation d’un stéréotype à une « loi du genre » dans la mise en scène de l’ordre social

On considère habituellement que, dans les sociétés traditionnelles, les femmes jouent un rôle spécifique dans l’accompagnement de la mort, du traitement du corps du défunt aux célébrations mémorielles en passant par d’autres étapes du rituel funéraire. A première vue, la société médiévale répond à ce schéma. A ce titre, les miniatures accompagnant l’ordo in agenda mortuorum du sacramentaire de Warmundus d’Ivrea, qui représentent une femme éplorée, manifestant sa douleur par des gestes exacerbés, sont significatives d’un discours où le partage des rôles entre groupes sociaux est clairement établi.

Pourtant, il serait peut-être utile de s’interroger plus profondément sur ce qui apparaît de prime abord comme une évidence, fondée en particulier sur la circulation de puissants stéréotypes. Si les pleureuses des cortèges funéraires, qui accompagnent le corps du défunt vers sa dernière demeure et donnent à voir, dans le discours textuel ou iconographique, une partition fonctionnelle entre les genres, sont réellement des femmes, portent-elles l’intégralité des signes à disposition des deuillants ? Alors que les femmes pleurent, hurlent, s’arrachent les cheveux, se griffent la poitrine, comment se comportent – ou devraient se comporter – les hommes ? Quelle est la raison de tous les gestes qui entourent le dernier voyage du défunt, et pas seulement ceux qu’on prête aux femmes, aux yeux des spectateurs médiévaux ?

Pour tenter de répondre à ces questions, la communication explorera diverses sources, notamment normatives, narratives et iconographiques, en essayant d’identifier les motifs principaux qui se transmettent à travers le temps et qui passent d’un type documentaire à l’autre, donnant au corps féminin une valeur particulière dans la transmission d’un discours social visant à transcender les genres. Indépendamment de la réalité des funérailles contemporaines, le caractère spécifiquement féminin accordé à ces manifestations bruyantes et gesticulantes ne pourrait-il en effet pas être aussi un élément discursif permettant de mettre en valeur une transgression supplémentaire dans l’adoption de ces pratiques par des hommes, intensifiant de fait le message véhiculé par les gestes ? Jouer sur une « loi du genre » pour amplifier l’exagération pourrait-elle être une des clés pour permettre à l’ensemble de la communauté, hommes et femmes confondus, de tenter par une dramatisation extrême de transcender le chaos provoqué par la disparition d’un de ses membres et, in fine, de rétablir l’ordre social ?

Dorothea Nolde (Université de Brême, Allemagne) : Autres pays, autres moeurs : les notions de genre dans les récits de voyage, à l'époque moderne

Dans les récits et guides de voyage de l’époque moderne, l’ordre des sexes était un des critères essentiels pour décrire et évaluer l’ordre social et politique d’un pays étranger dans son ensemble.

Ce phénomène, qui commençait au 16e siècle, connut son apogée lors de l‘encyclopédisation du voyage, à l’époque des lumières. L’intervention retracera l’usage changeant fait des notions de genre, dans le discours sur le voyage en Europe, du 16e au 18e siècle.

L’analyse portera notamment sur les frontières du genre comme marqueur d'altérité culturelle et sur les stéréotypes du genre véhiculés par les récits de voyage, faisant partie du "savoir" sur d'autres nations.

Rafael Mandressi (CNRS) : Définir la virilité : le savoir des médecins et le propre des hommes à l’époque moderne

Dans la pensée médicale de la première modernité, la virilité renvoie à une trajectoire et à un seuil, inscrits tous les deux dans le temps et dans le corps. Ils admettent des variations, voire des fluctuations, et même des écarts. Franchir le seuil revient à accomplir un processus, à accéder à un état qui est pourtant voué à décliner, tôt ou tard, jusqu’à disparaître, noyé dans la vieillesse. On aura atteint la perfection, le corps aura été travaillé par les qualités et les forces qui sont en lui jusqu’à lui permettre d’engendrer, en lui donnant la robustesse, la solidité, la vigueur auxquelles il est promis. Le courage, la modération, la barbe, la voix accompagneront cette progression. Les testicules assureront la production de la semence et en irradieront la vertu à l’ensemble des parties. Les « marques » seront en place, l’éclosion aura eu lieu, les hommes le seront complètement. On naît homme, et on le devient. Par la chaleur, qui est responsable, dans la nature, de faire la différence.

Elodie Jauneau (Université Paris Diderot, ICT) : Les Equipes Médico-Sociales Itinérantes pendant la guerre d'Algérie : la mission sociale, humanitaire et stratégique des « toubibas »

Entre 1954 et 1962, la guerre d’Algérie entraîne la poursuite de la féminisation de l’armée française amorcée depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. Présentes sur tous les fronts depuis 1939, les femmes s’engagent à nouveau sous les drapeaux dans cette ultime guerre de décolonisation française. Mais pour la première fois depuis qu’il leur est possible d’être militaires comme les hommes, nombre d’entre elles rejoignent des unités exclusivement féminines : les équipes médico-sociales itinérantes (EMSI). Créées en 1957, celles que les Algérien-n-es surnomment « les toubibas » constituent un rouage essentiel mais méconnu de la guerre dite « de pacification » que la France a menée jusqu’en 1962. Leur mission revêt un caractère multiple. Elle est avant tout sociale et humanitaire mais elle devient rapidement civilisatrice et stratégique pour l’armée française. Sous couvert d’aide aux populations les plus reculées d’Algérie, les EMSI participent en fait activement à la guerre psychologique qui cherche à toucher les femmes musulmanes pour mieux atteindre les hommes. Prodiguant conseils et soins, elles contribuent activement à la diffusion d’une éducation des Algériennes « à la Française », mission qui n’est pas sans rappeler les préceptes des premières heures de la colonisation.

Thème Circulation des savoirs et pouvoirs : « Du droit naturel aux droits de l’homme : circulations atlantiques » (salle 473F - 4e)

Président de séance : Yannick Bosc (Université de Rouen)

Discutant : Antonio Annino (Université de Florence)

Nestor Capdevila (Université Paris X) : Las Casas, universalisme et sacrifice

En Amérique, les Espagnols ont découvert des religions païennes qui pratiquent le sacrifice humain. Comme l'universalisme chrétien exige sa suppression, la guerre contre les Indiens trouve une justification humanitaire. Mais l'extirpation militaire du sacrifice ne revient-elle pas, comme le dit Las Casas, à sacrifier des hommes à une idole, autrement dit faire advenir un « faux » universel ?

Le paradoxe de cette critique de la conquête comme légitimation inavouée du sacrifice humain, faite au nom d'un universalisme « réellement » chrétien, est qu'elle passe par la légitimation du sacrifice humain des païens.

Florence Gauthier (Université Paris Diderot-Paris 7, ICT) : La réapparition de Las Casas et des droits naturels universels à l’époque des Révolutions de France et de Saint-Domingue/Haïti, 1789-1804

La critique du colonialisme et de l’esclavage par Las Casas et ses amis fut combattue au point de tomber dans l’oubli au XVIIe siècle, tandis que la conquête/destruction des Indes se poursuivait dans le Nouveau Monde. Mais, au XVIIIe siècle, la crise du système colonial esclavagiste vit renaître le grand legs de Las Casas. Bien qu’encore négligé par l’historiographie, un courant des Lumières réactualisa la critique des politiques de puissance coloniale, de l’esclavage et du racisme moderne apparu au tournant du siècle. Dès les débuts des Révolutions de France et de Saint-Domingue, les défenseurs de la liberté du « Nouveau peuple de Saint-Domingue » osèrent l’alliance de la résistance des libres de couleur avec celle des esclaves. Le parti colonial tenta d’éloigner le spectre du souvenir de Las Casas en réitérant ses campagnes de calomnies, mais cette fois, la résistance à l’oppression parvint à mettre à l’ordre du jour l’abolition de l’esclavage et ouvrit le second procès du colonialisme.

Eric Millard (Université Paris X) : L’utilisation de l’argument du droit naturel comme justification des doctrines des juristes aux XIXe et XXe siècles

Le recours à l'argument de droit naturel est extrêmement fréquent dans la doctrine des juristes, de tous temps et en tous lieux. Pour autant, il ne désigne rien de précis, et remplit essentiellement une fonction justificative et/ou évaluative du droit existant, comme des propositions de modification du droit. Deux exemples seront proposés, autour de la philosophie des droits de l'homme : au tournant des 19° et 20° siècles dans la doctrine administrative française, et depuis les années 80 du siècle dernier dans la doctrine constitutionnelle sud-américaine. Une appréciation de ces usages à partir des analyses positivistes d'une part (Kelsen et Ross), critiques d'autre part (Critical legal studies aux Etats-Unis, analyse critique du langage juridique en Europe) sera avancée pour ouvrir la discussion."

Samedi 19 novembre 2011 – 12h30/17h30

SITE BUFFON : Accès par le 15, rue Hélène Brion

12h45 – Déjeuner – Hall Buffon

14h30-17h30 : Amphi Buffon

Session plénière : conclusions des travaux des ateliers et discussion générale.

Lieux

  • 15 rue Hélène Brion (Université Paris 7 Diderot, Amphithéâtre Buffon, métro Bibliothèque François Mitterrand)
    Paris, France

Dates

  • jeudi 17 novembre 2011
  • vendredi 18 novembre 2011
  • samedi 19 novembre 2011

Mots-clés

  • Mobilités, circulation, savoirs, genre, espace, migrations

Contacts

  • Manuelle Sarda
    courriel : labo [dot] ict [at] univ-paris-diderot [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Gabrielle Houbre
    courriel :

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Mobilités et circulation des savoirs », Colloque, Calenda, Publié le mercredi 16 novembre 2011, https://doi.org/10.58079/jkg

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