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Crise et mise en crise

Crisis and the creation of crises

Colloque de l’ACSALF

ACSALF conference

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Publié le jeudi 03 mai 2012

Résumé

L’Association canadienne des sociologues et des anthropologues de langue française (ACSALF) organise son colloque général sur le thème de la crise. L’invitation s’adresse aux sociologues et anthropologues et à ceux et celles qui partagent leurs perspectives d’analyse. Notre ambition dépasse le cadre strictement économique ou politique bien que nous allons leur accorder une attention particulière. Les transformations au sein du « monde arabe » constituent un volet de ce colloque qui s’ouvrira aussi sur le développement d’une perspective comparative entre les sociétés.

Annonce

Problématique

Depuis la crise économique de 2008, nos sociétés n’ont cessé de se faire dire qu’elles étaient en crise ou sur le point de l’être. Or, si l’on y réfléchit bien, l’idée de crise a été une caractéristique endémique de nos sociétés depuis bien plus longtemps. Au point où nous pouvons y voir un mécanisme de gestion des institutions et des populations. On n’a qu’à penser aux années qui ont suivi le 11 septembre 2001 pendant lesquelles les États-Unis ont été en crise sécuritaire scandée d’alertes jaunes ou rouges, ce qui a permis de justifier la limitation des libertés individuelles et collectives par le Patriot Act ou la Loi antiterroriste canadienne, notamment. Plus proche de nous, la transformation des universités se fait en prétextant une crise imminente ou déjà en cours, une crise permanente, tantôt financière, tantôt dite des clientèles ou de l’emploi universitaire, etc. L’Université y perd peu à peu sa capacité critique pour devenir un simple lieu d’élaboration gestionnaire et technicienne sans qu’on proteste, crise oblige. La crise, quel que soit son lieu, devient le prétexte pour faire avaler des couleuvres, la socialisation massive des pertes financières des banques ou la mise en tutelle de démocraties par les banquiers. L’état de crise permanent, comme l’état de guerre permanent, permet de faire taire la critique sociale, de la délégitimer ou de la réprimer. C’est un moyen qui a été largement utilisé par les régimes autoritaires. La lutte contre le communisme, la résistance à la domination de l’Occident ou contre la montée de l’islamisme radical, pour nous limiter à quelques exemples, ont tous servi à dénier l’indéniable.

Néanmoins, certains tentent de s’émanciper de cette impasse. On peut voir les Printemps arabes comme une réponse à semblable situation. À cela s’est ajoutée toute une série de « printemps » occidentaux allant d’émeutes en Angleterre et en Grèce à la détermination pacifique des indignés espagnols et, plus récemment, le mouvement « Occupy Wall Street ». Des mouvements qu’on décrit volontiers comme mal organisés, sans chef, ni parti, ni programme clair, inspirés les uns des autres. Un mouvement qui se fait en faisant. Les analyses se bousculent, du général au spécifique, sans qu’aucune n’émerge comme totalement convaincante : l’inégalité, bien sûr, de pouvoir et de condition; un retour des rapports de classe au-devant de la scène à cause du recul de l’État-Providence; ou encore la polarisation des opinions et la déception envers le système politique. D’autres, plus circonstanciés, y voient surtout un haut-le-cœur de plus de 20 ans de néolibéralisme. Ou, simplement, ils identifient ces « révoltes » comme un sentiment simple, mais profond, d’avoir été floué : les plus pauvres ayant renfloué les plus riches sans que ceux-ci n’exercent aucune retenue sur les bonus qu’ils se versent. Serait-ce une simple bulle médiatique?

Rien n’est totalement clair dans le monde arabe non plus. L’appellation « printemps arabe » cache une réalité complexe. Comme on peut le voir en Tunisie et encore plus en Égypte, et de manière prospective en Syrie ou au Yémen, la question de l’après crise montre les difficultés de ces mouvements spontanés, en réseau, à prendre pied dans le réel organisé qui survit à la disparition des dictateurs. D’une part, ils n’ont pas les structures qui permettent une action soutenue et bien ciblée. Ce qui laisse les fruits de ces mouvements exposés à la récupération par des groupes organisés autour d’objectifs définis. Les élections égyptiennes sont exemplaires, les Frères musulmans et les salafistes du Parti Al-Nour ont largement dominé les mouvements plus libéraux qu’on avait associé à la place Tahrir. Dans certains pays, cette frange libérale est bien étroite et les révolutionnaires puisent à d’autres sources. Les pays occidentaux ne sont pas non plus en reste dans la course pour conserver leur influence et protéger leurs intérêts, sans parler de leurs ventes d’armes. D’autre part, le départ ou l’assassinat des dictateurs et de leur famille ne mettent pas nécessairement fin au régime. Ce qui amène les « révoltés » à constamment se remobiliser, refondant à chaque fois leur accès à l’espace démocratique, tantôt pour exercer des pressions sur les dirigeants effectifs, tantôt pour réclamer des élections, l’application des lois, des mobilisations à effet décroissant auprès des populations. Chose certaine, les jeunes élites désœuvrées, libérales ou non, jouent là comme ici un rôle central. Chaque individu partageant son indignation dans ce qui devient un tumulte par l’amplification des réseaux sociaux et des nouvelles technologies dont il faut encore comprendre l’impact dans et au-delà des crises.

De tout cela reste, malgré les limites évidentes de ces mouvements et les réalités diverses qu’ils recouvrent, l’impression persistante de voir un moment charnière de l’histoire du monde. Car les révoltes arabes, en devenant des modèles, même dans leur inachèvement, nous ont renvoyé une image aux antipodes de l’orientalisme ambiant. Peut-être se laisse-t-on trop influencer par le sentiment d’une reprise de la crise de 1929 qui nous avait conduits à un « ordre nouveau »? Ordre nouveau qui, ne l’oublions pas, prit deux formes qui ne sont pas si loin l’une de l’autre malgré des différences radicales: l’État-Providence et le National-Socialisme. Chose certaine, une des dynamiques sous-tendant les crises économiques actuelles réside dans la croissance irrésistible des nouvelles puissances industrielles dont les différences sont à peine voilées par leur commune appartenance au BRICS. Le réalignement du capitalisme occidental qui l’accompagne et l’amplifie (délocalisation et sous-traitance) entraîne un approfondissement de l’altération du rapport salarial. Le discours sur la « démondialisation » devient crédible, à gauche comme à droite. D’autres ont davantage en tête 1989, alors que le mur qui séparait les deux grandes idéologies dominantes s’effondrait. Sur ce plan aussi, le résultat n’est pas net. Le grand souffle de liberté qui a emporté le mur a pris des formes différenciées allant d’un capitalisme débridé au retour de l’autocratie.

Notre colloque intitulé « Crise et mise en crise » convie donc tous les sociologues et anthropologues à envisager dans leurs domaines d’études ce questionnement sur le caractère problématique de la vie sociale imposé par les crises. Nous accueillerons les propositions théoriques comme empiriques et les travaux portant sur une seule société aussi bien que comparatifs.

Les axes suivants pourront inspirer les participants, dans chacun de ceux-ci un volet sera consacré au monde arabe et un autre sera plus général.

Axe 1 : Les concepts de crise et de mise en crise

Crise économique, crise politique, crise de l’université, crise de la famille, crise de la démocratie représentative, crise de la culture, crise des valeurs, crise du religieux, on pourrait répéter le même radical « crise de » pour une foule de domaines de l’activité sociale. En fait, certains en ont répertorié l’usage dans les sciences sociales et historiques depuis la fin du XVIIIe siècle en France, pour d’autres cet usage apparaît un siècle avant, en Angleterre. Deux dates qui soulèvent la question des rapports entre crise et révolution. On peut penser la notion de crise selon trois axes épistémologiques : la crise apparaît comme une rupture dans le prévisible, entre le passé et le futur; la crise est la source de transformations irrésistibles; la crise est la conséquence d’une dynamique incontrôlable. En quoi toutes les conceptions de la crise révèlent-elles des conceptions de la société voire des théories de la vie humaine et sociale? N’impliquent-elles pas toutes une notion de normativité voire de normalité qui serait perdue, en voie de l’être, soumise à une restauration ou profondément réformée?

La question de la « mise en crise » nous laisse dans l’ambiguïté entre deux notions: soit on l’entend comme appareil communicatif, comme paradigme de la gestion de l’espace et de l’opinion publics par la multiplication des alertes ou encore comme une propriété autopoïétique de la compétition médiatique (la « fin du monde » à la une chaque jour fait augmenter les audiences), soit on l’entend comme la capacité réelle d’acteurs éminents de provoquer des crises (grandes ou petites : la guerre en Irak, l’augmentation des droits de scolarité, la décote de la dette souveraine, le déclenchement d’une poursuite sur le bois d’œuvre, le retrait de la cotisation à l’UNESCO, etc.). Bref, « la mise en crise » est-elle une forme particulière de la «mise en discours» plus générale ou une forme de gestion pratique par la « thérapie de choc »? Est-ce que la nouvelle élite financière globalisée s’est engagée sur la voie de la gestion par la crise permanente? Est-ce devenu une technique de gouvernance appliquée à différentes échelles? Comment les approches de l’anthropologie et de la sociologie rendent-elles intelligibles les crises et mises en crises actuelles?

Axe 2 : Crise générale, crises spécifiques

L’actualité nous amène à insister sur les crises économiques et politiques. Ce ne sont certes pas les seuls moments où sociologues et anthropologues ont utilisé ce vocable. Que peut-on apprendre de toutes ces « crises »? Il s’agit ici d’approcher la notion de crise empiriquement plutôt que théoriquement. De partir de secteurs particuliers de l’activité humaine pour la saisir. Des crises dont le cadre temporel, la portée, l’intensité et la violence sont variables. On peut traiter ici tant des crises humanitaires issues de conflits armés que des crises du religieux ou de la famille. Comment la désaffiliation sociale touche-t-elle tant les salariés pauvres que ceux qui sont exclus du rapport salarial? La crise de la classe moyenne n’est-elle pas surtout une crise du lien social?

Axe 3 : Les sources des crises

Comment envisager les sources des crises? Dans l’économie, dans le politique, dans la culture, dans les institutions? Peut-on en identifier une cause précise, circonstanciée et même corrigible ou bien sont-elles constitutives du capitalisme lui-même, au déploiement de la postmodernité ou du développement du système-monde? Est-ce que nous assistons à une autre étape du passage de la domination économique de l’ouest vers l’est? Sommes-nous devant de gigantesques manipulations par des groupes d’intérêts puissants qui gagent sur la crise pour en tirer profit et pouvoir? Sommes-nous soumis à l’illusion de l’actualité? Ne sachant déchiffrer le rapport entre le « mouvement réel » et le « mouvement apparent », entre la crise et son substrat social.

Axe 4 : Les mouvements d’émancipation

Du retentissant « Dégage » des Tunisiens à la colère des Grecs, des protestataires se sont élevés contre le sort que leur crise leur faisait. Quelle est la composition socioculturelle de ces mouvements d’émancipation? Comment s’inscrivent-ils dans leur société? Qu’est-ce qui explique leur émergence? Quelle est leur articulation avec les mouvements organisés plus traditionnels? La situation de chaque mouvement est variable. Par exemple, alors que les syndicats et la gauche historique jouent un rôle en Grèce, on se trouve devant une mosaïque difficile à saisir et variable dans le temps en Égypte. Quels seront leurs impacts sur la société politique? Sur la pensée politique? Auront-ils un effet au-delà des événements qui les voient naître? Quels sont les mécanismes qui favorisent le développement de ces mouvements? Quel est le rôle joué par les réseaux sociaux et les nouvelles technologies de communication? Quel est celui des médias internationaux?

Axe 5 : Les conséquences des crises

Toutes les crises n’ont pas la même portée. Entre la crise de nerfs et la crise existentielle, les conséquences divergent en profondeur et en remise en question. Les crises sociales sont rarement anodines. L’ampleur maintes fois soulignée de la crise économique de 2008 entraînera-t-elle des transformations des structures socio-économiques de la même intensité? Ses conséquences seront aussi fort différentes selon qu’on les considère au plan individuel ou collectif. Par exemple, la hausse du suicide et la remise en question de l’État-providence appartiennent-elles à la même logique d’ensemble?

L’idée de crise, même lorsqu’elle se pérennise, implique une durée limitée. Que la crise sera suivie d’une « sortie de crise ». Outre les appels à renverser les régimes, on a entendu bien des voix énoncer des « solutions ». Même les décotes imposées par les Standard & Poors, Moody’s et Fichte sont censés être un pas dans cette direction. Peut-on penser à des réformes à partir d’en-haut? Le capitalisme peut-il réformer le capitalisme? Sommes-nous devant un autre exemple de la remarquable résilience du système capitaliste? Peut-on le rendre soluble dans la morale? Pour certains, la sortie de la crise de 1929 n’aurait pas été possible sans la guerre de 1939-1945. Sommes-nous devant la même éventualité?

Faut-il voir tout en noir? N’est-il pas aussi vrai que de nombreux champs déclarés « en crise » sont maintenant l’objet d’un « retour de » ou d’une renaissance? Depuis longtemps les crises sont vues comme un mal nécessaire, une mort ou un élagage qui permettront le renouvellement du système touché. Quels possibles les crises actuelles ouvrent-elles? Est-ce que le choc sera suffisant pour engager une réflexivité accrue tenant compte des multiples facteurs en jeu? La société, l’environnement, l’économie et la culture peuvent-ils coexister? La démocratie peut-elle jouer son rôle? Les élites sont-elles à ce point commises dans la logique actuelle qu’elles ne puissent fonder de nouvelles orientations? Sommes-nous requis à une fuite en avant?

Calendrier :

  • Soumission des projets de communication 30 avril 2012

  • Réponse du comité scientifique 1er mai 2012
  • Envoi des communications définitives 1er octobre 2012
  • Dates du colloque : 23 au 26 octobre 2012, UQAM, Montréal

Modalités pour répondre à l'appel à communication :

  • Votre proposition doit inclure un titre, un résumé d'au plus 400 mots pour une communication et de 600 mots pour un projet d'atelier et les coordonnées des participants.
  • Il doit comprendre :
  • Identité, coordonnées postales et électroniques, discipline et institution d'appartenance de l'auteur.
  • Titre et 3-4 mots-clés.
  • Exposé de la problématique.
  • Démarches méthodologique et théorique, sources et matériaux mobilisés.
  • Principaux résultats attendus.
  •  Les propositions seront soumises à un comité d'évaluation scientifique selon les normes habituelles.
Proposition de communication par voie électronique seulement via : acsalf@inrs-ucs.uquebec.ca

Comité d’organisation :

  • Rachad Antonius (Sociologie–UQAM);
  • Hélène Charron (Sociologie–Université Laval);
  • Gabriela Coman (Sociologie–Université de Montréal);
  • Nancy Couture (Sociologie–Université Laval);
  • Marie-Claude Haince (Social Science–York University);
  • Frédéric Parent (Sociologie–Cégep de Lévis);
  • Paul Sabourin (Sociologie–Université de Montréal);
  • André Tremblay (Sociologie–Université d’Ottawa).

Comité scientifique :

  • Yves-Marie Abraham (Gestion–HEC);
  • Marcos Ancelovivi (Sociologie–McGill);
  • Rachad Antonius (Sociologie–UQAM);
  • Pierre Beaucage (Anthropologie–Université de Montréal);
  • Bernard Bernier (Anthropologie–Université de Montréal);
  • Daniel Dagenais (Sociologie–Université Concordia);
  • Sylvie Fortin (Anthropologie–Université de Montréal);
  • Gilles Gagné (Sociologie–Université Laval);
  • Louis Jacob (Sociologie–UQAM);
  • Micheline Labelle (Sociologie–UQAM);
  • Louis Marion (Philosophie–Indépendant);
  • Martin Meunier (Sociologie–Université d’Ottawa);
  • Jorge Pantaleon (Anthropologie–Université de Montréal);
  • Samir Saul (Histoire–Université de Montréal);
  • Paul Sabourin (Sociologie–Université de Montréal);
  • Marie-Blanche Tahon (Sociologie–Université d’Ottawa);
  • Joseph-Yvon Thériault (Sociologie–UQAM);
  • André Trembaly (Sociologie–Université d’Ottawa);
  • Karine Vanthuyne (Anthropologie–Université d’Ottawa).

Lieux

  • 320 Rue Sainte-Catherine Est Montreal (UQAM)
    Montréal, Canada

Dates

  • lundi 30 avril 2012

Mots-clés

  • crise, mise en crise, monde arabe

Contacts

  • Gabriela Coman
    courriel : acsalf [at] inrs-ucs [dot] uquebec [dot] ca

URLS de référence

Source de l'information

  • Gabriela Coman
    courriel : acsalf [at] inrs-ucs [dot] uquebec [dot] ca

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Crise et mise en crise », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 03 mai 2012, https://doi.org/10.58079/kv7

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