AccueilCalendriers, mesures et rythmes du temps : associations et conflits

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Calendriers, mesures et rythmes du temps : associations et conflits

Calendars, measures and rhythms of time: associations and conflicts

Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée

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Publié le lundi 26 novembre 2012

Résumé

La Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée lance un appel à propositions pour un numéro thématique consacré aux calendriers, aux mesures et rythmes du temps. Ce numéro voudrait être l’occasion de donner un premier inventaire des techniques de mesure du temps, et des rythmes qu’elles induisent, replacés dans leur contexte social et historique. La réflexion s'articule autour de trois axes principaux : La mesure du temps ; les circulations, emprunts et conflits ; les rythmes du quotidien.

Annonce

Argumentaire

L’histoire du temps, telle qu’elle a été jusqu’alors construite par l’historiographie, a porté essentiellement sur l’expérience occidentale. Dans son ouvrage pionnier, David Landes (L’heure qu’il est. Les horloges, la mesure du temps et la formation du monde moderne, Paris, Gallimard, 1987) avance que « c’est l’horloge mécanique qui a rendu possible, pour le meilleur et pour le pire, une civilisation attentive au temps, donc à la productivité et à la performance ». Lorsque Norbert Elias (Du temps, Paris, Fayard, 1996) insiste avec raison sur le fait que le temps n’est pas une donnée transcendantale, antérieure et extérieure à l’expérience, mais un phénomène socialement et historiquement construit, le temps auquel il se réfère, et dont la maîtrise, selon lui, relève d’un « haut niveau de synthèse », est le temps compté de l’Occident. Partant à la conquête coloniale du monde, les Européens étaient bien en effet convaincus que la maîtrise du temps était un indicateur de la modernité et devait être répandue par l’œuvre de civilisation.

Aujourd’hui apparemment unifiée par la définition physique d’un Temps Universel et par l’usage répandu du calendrier grégorien, la question du temps ne doit pas pour autant donner lieu à des approches linéaires et évolutionnistes, mais invite à restituer la complexité des phénomènes, issus de trajectoires historiques particulières. Ainsi, la chronologie occidentale de l’histoire du temps et des transformations de la conscience du temps (passage du temps de l’Église au temps du marchand au bas Moyen-Age, révolution industrielle…) ne trouve guère de correspondance dans l’histoire de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Dans cette région, marquée par une situation déjà complexe où se croisent les expériences du temps des Grecs, des Arabes, des Turcs et des Persans, l’arrivée de l’islam, qui impose un nouveau temps religieux et un nouveau calendrier, les luttes politico-religieuses, ou encore les conditions particulières de la modernisation, ont formé ensuite certaines des grandes scansions de l’histoire du temps. Il convient de restituer finement cette chronologie pour saisir les spécificités de l’histoire du temps et de ses mesures dans le monde arabe et musulman.

La région, qui a vu naître les premiers calendriers, est caractérisée, d’une part, par la profondeur de son histoire, qui a entraîné une stratification des mesures et des conceptions du temps, et d’autre part par sa diversité ethnique et religieuse qui a produit, conjointement, une juxtaposition de ces mesures et conceptions du temps. L’histoire du temps dans le monde arabe et musulman est loin de présenter un profil linéaire mais constitue plutôt un champ de concurrence, voire de conflits, opposant notamment pouvoirs politiques et religieux, ou encore pouvoirs religieux entre eux. Et lorsque l’Occident introduit le temps de l’horloge et le calendrier grégorien au XIXe siècle (lui-même en situation coloniale, ou ailleurs, de façon moins radicale, par le biais des États modernisateurs), il s’agit juste d’une modalité nouvelle qui vient s’ajouter à bien d’autres déjà en place.

En dépit de la complexité du temps dans la région, celui-ci n’a pas donné lieu jusqu’alors à une histoire sur la longue durée, apte à saisir les multiples niveaux, les circulations et les emprunts. Il existe certes quelques travaux sur ces questions, notamment sur les calendriers anciens et la conception du temps en islam. Les Ottomans et le temps (Georgeon François et Hitzel Frédéric (dir.), Brill, Leiden – Boston, 2012) a apporté récemment un certain nombre de réponses, mais la réflexion doit être poursuivie et les spécificités régionales interrogées. Ce numéro de la REMMM voudrait être l’occasion de donner un premier inventaire des techniques de mesure du temps, et des rythmes qu’elles induisent, replacés dans leur contexte social et historique. Il s’agit là d’un travail préalable indispensable pour aborder ensuite les questions relatives à la transformation de la conscience du temps et à celles du temps comme entité vécue. La réflexion pourrait s’articuler autour de trois axes, dissociés ici mais qui peuvent fort bien s’articuler autour d’une même thématique :

  • La mesure du temps

Il s’agirait ici de revenir de façon plus systématique sur une histoire du temps concret, quantifiable, celui du calendrier et de l’heure. Voir comment, à partir de l’hégémonie du calendrier julien (qui cohabite néanmoins avec d’autres calendriers, copte, juif, persan, arménien…), vient s’ajouter le calendrier lunaire musulman, qui adopte une posture majoritaire, mais non universelle. Celui-ci n’évince pas en effet les calendriers antérieurs et laisse place à l’émergence de nouveaux : pour des raisons pratiques, les pouvoirs musulmans, abbaside puis ottoman, adoptent en effet un calendrier fiscal proche du calendrier julien, puis la réforme catholique, suivie par la colonisation et l’occidentalisation introduisent le calendrier grégorien. Les almanachs et Rûznamés ottomans témoignent de la complexité de ces références calendaires. Cet axe invite à explorer également le vaste dossier des datations, de la détermination des ères, du rôle de l’événement. La détermination de l’heure a elle aussi une histoire longue. Il s’agira de revenir sur ce qui touche à l’astronomie et à la gnomonique, art et science des cadrans solaires, notamment le ‘ilm al-mîqât (détermination des heures des prières). Ces disciplines ont été abordées jusqu’ici exclusivement en tant que sciences, et doivent être replacées dans leur contexte social et politique, jusqu’à la confrontation actuelle avec la physique moderne. La question de l’heure civile, qui se lit jusqu’à la Première Guerre mondiale de deux façons différentes (à la turque et à la franque), doit aussi être interrogée, dans ses diversités régionales, ainsi que les modalités du processus d’unification du temps, à partir du XIXe siècle, sous la poussée conjointe des outils de la modernité (télégraphe, chemin de fer…) et des prescriptions internationales.

  • Les circulations, emprunts et conflits

Les calendriers, comme la détermination de l’heure, sont des produits et des instruments de pouvoir. L’organisation institutionnelle du temps est un attribut éminent de la domination, que les différents pouvoirs, politiques et/ou religieux, se disputent. Le double mouvement de stratification et de juxtaposition des mesures, tels qu’il apparaît dans le bref inventaire qui précède, est donc traversé de multiples conflits. Ce n’est pas sans difficulté que le calendrier hégirien s’est imposé au commencement de l’islam, et les astronomes ont dû dès lors renoncer aux planètes comme principe explicatif au profit de Dieu. Toutefois, le chiisme persan possède son propre calendrier, solaire. La question de l’adoption du calendrier grégorien, réclamée par Rome aux Catholiques d’Orient, a provoqué de nombreux conflits, voire des scissions, au sein de la cette communauté au XIXe siècle. Les Églises orthodoxes l’ont adopté à leur tour au XXe siècle, à l’exception, dans la région, du patriarcat de Jérusalem. En 1874, le triomphe d’un temps profane désormais compté, rationnel, « moderne », s’est fait en Égypte au prix de la suppression du calendrier copte, même si celui-ci continue encore longtemps à rythmer la vie agraire. Les conflits et compromis qui jalonnent l’histoire du temps dans les sociétés arabe et musulmane doivent être finement documentés.

  • Les rythmes du quotidien déterminés par ces différentes mesures

C’est à partir de ces mesures que les individus et les groupes gèrent leurs activités. Si les rythmes ruraux ont longtemps été scandés par les éléments naturels et encadrés par le calendrier julien (solaire), les villes réclament la présence de marqueurs de temps plus subtils pour organiser ses activités complexes. C’est aussi dans la ville que se révèlent de façon plus lisible les conflits de temps et de comptage de temps qui opposent les différents segments de la société. À l’échelle du quotidien, la succession du jour et de la nuit, autrefois marquée réglementairement par l’ouverture et la fermeture des portes des marchés et des quartiers, mais aussi par les prières musulmanes, reste longtemps structurante, donnant lieu à deux univers spécifiques qu’il reste à examiner à différentes époques, jusqu’à aujourd’hui. Le rythme hebdomadaire des différentes communautés est imprégné du temps liturgique et cultuel et marqué par les jours chômés (vendredi vs dimanche). Le calendrier annuel est lui aussi fortement rythmé par le temps religieux (fêtes, carêmes, pèlerinages…), mais aussi par le temps politique (levée des impôts, cérémonies et commémorations…) et enfin atmosphérique (villégiature d’été). La concurrence pour l’imposition d’un temps dominant, ou du moins légitime, se répercute dans l’espace de la ville, notamment à travers des marqueurs sonores (appels à la prière, cloches, coups de canon…). L’analyse de ces différents rythmes, jusqu’à la période actuelle, la mise en évidence des moments de rupture ou de transformation, pourraient donner des indices précieux pour la construction d’une chronologie propre de l’histoire du temps dans le monde arabe et musulman.

Conditions de soumission

Des résumés de proposition (4000 signes maximum) peuvent être envoyés par courriel à Sylvia Chiffoleau sylvia.chiffoleau@gmail.com  

avant le 29 mars 2013.

Les articles sélectionnés devront être remis avant le 1er septembre 2013.

Comité scientifique de la revue

Fariba Adelkhah (Ceri/Paris), Denise Aigle (Ephe/Umr Islam médiéval/Ifpo, Damas), Elisabeth Allès (Umr Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine), Ahmad Beydoun (Université libanaise, Beyrouth), Larbi Chouikha (Ipsi – Université de la Manouba), Nathalie Clayer (Umr Centre d’histoire du domaine turc), Jocelyne Dakhlia (Ehess, Iismm), Jean-Claude David (Gremmo-Mom, Lyon), Stéphane Dudoignon (Cnrs, Paris), Paul Dumont (Université Marc Bloch, Strasbourg), Iman Farag (Cedej, Le Caire), Philippe Fargues (Institut européen, Florence), Leila Fawaz (Tufts University, USA), Andrée Feillard (École française d’Extrême-Orient, Jakarta), Halima Ferhat (CNR, Rabat, Maroc), Marc Gaborieau (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du sud), Jean-Claude Garcin (Université de Provence/Iremam), Michael Gilsenan (New York University), Nilüfer Göle (Ehess, Paris), Denis Gril (Université de Provence/Iremam), Masachi Hanéda (Center of Oriental Studies, Todei University, Tokyo), Abdelhamid Hénia (Université de Tunis), Bernard Hourcade (Umr Monde iranien), Robert Ilbert (Université de Provence/Mmsh), Baber Johansen (Ehess, Iismm), Gudrun Krämer (Freie Universität, Berlin), Françoise Lorcerie (Cnrs-Iremam, Aix-en-Provence), Denis Matringe (Centre d’études de l’Inde et de l’Asie du sud), Sabrina Mervin (Umr Monde iranien), Abdelwedoud Ouldcheikh (Université Marc Bloch, Strasbourg), Alexandre Popovic (Ehess), André Raymond (Université de Provence/Iremam), Christian Julien Robin (Laboratoire d’études sémitiques anciennes, Paris), Alain Roussillon (Genèse et transformations des mondes sociaux CNRS-EHESS), Jean-Louis Triaud (Université de Provence/Iea), Jean-Pierre Van Staëvel (Université de Paris 4), Gilles Veinstein (Collège de France/ Centre d’histoire du domaine turc), Mercedes Volait (Citeres/Emam, Tours), Thierry Zarcone (Centre d’histoire du domaine turc, Paris)

Lieux

  • REMMM-MMSH, 5 rue du Château de l'Horloge
    Aix-en-Provence, France (13100)

Dates

  • vendredi 29 mars 2013

Mots-clés

  • calendriers, mesure du temps, monde musulman

Contacts

  • Sylvia Chiffoleau
    courriel : sylvia [dot] chiffoleau [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • François Siino
    courriel : siino [at] club-internet [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Calendriers, mesures et rythmes du temps : associations et conflits », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 26 novembre 2012, https://doi.org/10.58079/m9c

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