AccueilFiction et sciences sociales : bonnes et mauvaises fréquentations

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Fiction et sciences sociales : bonnes et mauvaises fréquentations

Fiction and social sciences: good and bad frequentations

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Publié le jeudi 05 juin 2014

Résumé

Le colloque des doctorants du Centre européen de sociologie et de science politique, qui se tiendra les 25 et 26 septembre 2014, se propose de questionner les liens entre la fiction et les sciences sociales à la lumière de travaux s'appuyant sur des expériences de terrain. La journée s'inscrit dans une perspective pluridisciplinaire et s'adresse à la fois à des doctorants et à des chercheurs.

Annonce

Argumentaire

La « fiction artistique » est un type de discours dont les conditions de félicité exigent qu’il soit reconnu comme fiction, c'est-à-dire comme autonome du « réel » (Schaeffer, 2005). Cela l’oppose aux sciences sociales mais aussi au discours journalistique et au documentaire. De fait il est aujourd’hui largement admis qu’un discours de fiction – que l’on considère la fiction romanesque, cinématographique ou télévisuelle, la bande dessinée ou même le jeu vidéo - ne peut pas faire office d’analyse sociologique, ne serait-ce que parce que les sciences sociales se sont précisément construites par rupture épistémologique avec la fiction littéraire et le roman naturaliste à la fin du 19ème siècle (Lepenies, 1990, Sapiro, 2011), mais aussi en raison de l’ensemble des contraintes et intentions spécifiques qui orientent les écrits de l’écrivain ou du scénariste (Champy, 2000, Passeron, 1991).
Les sciences sociales ont donc le plus souvent traité la fiction comme un objet de recherche, en cherchant à déconstruire et analyser les logiques sociales de sa production (à l’instar de Pierre Bourdieu sur Flaubert, Pascale Casanova ou Bernard Lahire sur Kafka, Erik Neveu et Annie Collovald sur les auteurs de polars). Ce travail peut s’accompagner d’un désenchantement de l’image du créateur incréé par où se constitue l’illusio du champ artistique (Bourdieu, 1984), expliquant qu’il puisse faire l’objet d’un rejet par les auteurs de fiction, comme l’a montré récemment la protestation de l’écrivain Victoria Thérame après la publication d’un article de Delphine Naudier où sa trajectoire était objectivée (Desrosières, 2008).

Pourtant les différentes formes de discours fictionnel ont pu aussi être présentées comme une forme de discours sociologique, y compris par les praticiens des sciences sociales : que l’on pense aux « lectures sociologiques de Proust » (Champy, 2000), au travail d’Eric Fassin sur Christine Angot et Michel Houellebecq (Fassin, 2000, 2001) ou à celui de Lilian Mathieu sur la série Columbo (Mathieu, 2013), ou plus récemment, à l’important succès de la série The Wire dans les milieux académiques européen et nord-américain (Laurent, 2010, Bacqué et alii, 2014).
Cette distinction entre fiction comme objet de recherche, et fiction comme discours sociologique, n’épuise cependant pas la totalité des rapports entre fiction et sciences sociales.

Axes thématiques

Notre journée d’étude propose donc trois nouvelles pistes de réflexion sur ces rapports entre fiction et sciences sociales, dans une perspective délibérément empirique:

Axe 1 : Les œuvres de fiction et les travaux de sciences sociales se trouvent parfois en situation de concurrence quand elles traitent du même objet, a fortiori lorsque les premières occultent les seconds par leur succès. On peut penser aux films L’esquive (2004) ou Entre les murs (2008) pour la sociologie de l’éducation, ou aux débats virulents entre sociologues à propos de la vision des classes populaires présentées par Edouard Louis dans son autofiction En finir avec Eddy Bellegueule (2014). Dans quels cas une œuvre de fiction peut concurrencer ses propres recherches et quelle posture alors adopter ?

Axe 2 : Toutefois, fiction et sciences sociales se trouvent aussi dans des rapports de collaboration. Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon sont ainsi « auteurs », avec Marion Montaigne, de la bande-dessinée Riche, pourquoi pas toi ? (2013) dont ils sont en même temps les protagonistes. Il arrive aussi que des sociologues ou des politistes soient sollicités pour participer à l’élaboration de scenarii de télévision ou de cinéma. Quelles sont les conditions de ces collaborations ?

Axe 3 : A l’instar de la philosophie morale qui voit dans la fiction la possibilité de s’exercer à observer des comportements et à formulerune éthique en acte (Laugier, 2006), on peut penser, comme l’a d’ailleurs bien noté Howard Becker, que les sciences sociales peuvent s’appuyer sur la fiction pour appréhender le monde social (Becker, 2010). Par exemple, Judith Butler mobilise les écrits littéraires et philosophiques de Monique Wittig pour dénaturaliser la notion de sexe (2006), Carol Gilligan s’appuie sur la mise en scène que le roman victorien opère de la division sexuée du travail social pour proposer la formulation d’une éthique du care (2008), Luc Boltanski analyse l'enquête sociologique au prisme du roman policier et du roman d'espionnage (2012). Le recours à d’autres formes de fiction et à des œuvres moins consacrées peut être envisagé. A la suite de The Wire, les séries Borgen, une femme au pouvoir, The West Wing, Veep, Boss, Secret State ou encore House of Cards peuvent éclairer les mécanismes des prises de décision politique. Les bande-dessinées d’Etienne Davodeau se veulent une vision réaliste du monde ouvrier. Réciproquement, la fiction peut recourir aux sciences sociales. Le réalisateur de L’Exercice de l’Etat, Pierre Schoeller, reconnaît par exemple sa dette à l’égard de la thèse d’Aude Harlé sur les cabinets ministériels. L’autobiographie présente un cas limite intéressant, comme dans les œuvres d’Annie Ernaux, ayant évoqué l’importance de sa lecture de Bourdieu, ou du sociologue Richard Hoggart, auteur de 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises. Fiction et sciences sociales sont donc dans une relation de complémentarité. Quels usages croisés de la fiction et des sciences sociales peut-on ainsi distinguer et analyser ?

La journée s’inscrit dans une perspective pluridisciplinaire. Elle s’adresse à la fois à des doctorants et à des chercheurs.

Modalités d'envoi des propositions

Les propositions de communication doivent être envoyées

avant le lundi 30 juin 2013

à fictionsciencessociales@gmail.com. Elles comprennent 4000 à 6000 caractères (tout inclus). Elles doivent s’appuyer sur un travail empirique et/ou des expériences de terrain. Merci de préciser vos nom, téléphone, courriel et laboratoire de rattachement.

Organisateurs

  • Jean-Michel Chahsiche (CRPS-CESSP),
  • Lucile Dumont (CSE-CESSP),
  • Romain Lecler (CRPS-CESSP),
  • Matthieu Marcinkowski (CRPS-CESSP),
  • Jérôme Pacouret (CSE-CESSP).

Comité scientifique

  • Frédérique Matonti (CRPS-CESSP),
  • Gisèle Sapiro (CSE-CESSP),
  • Johanna Siméant (CRPS-CESSP).

Bibliographie indicative

  • BACQUÉ Marie-Hélène, FLAMAND Amélie, PAQUET-DEYRIS Anne-Marie, TALPIN Julien, The Wire. L’Amérique sur écoute, Paris, La Découverte, 2014.
  • BECKER Howard, Comment parler de la société ? Artistes, écrivains, chercheurs et représentations sociales, Paris, La Découverte, 2010.
  • BOLTANSKI, Luc. Énigmes et complots : une enquête à propos d’enquêtes. Paris, Gallimard, 2012.
  • BOURDIEU Pierre, « Mais qui a créé les créateurs ? », in Pierre Bourdieu, Questions de sociologie, Paris, Editions de Minuit, 1984.
  • BOURDIEU, Pierre. Les Règles de l’art. Paris, Seuil, 1992.
  • BOURDIEU Pierre, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°62-63, p. 69-72, 1986.
  • BUTLER, Judith, Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l’identité, Paris, La Découverte, 2006.
  • CASANOVA Pascale, Kafka en colère, Paris, Seuil, 2011.
  • CHAMPY Florent, « Littérature, sociologie et sociologie de la littérature. Sur quelques lectures sociologiques de À la recherche du temps perdu. », Revue française de sociologie, Vol.41 n°2, 2000.
  • COLLOVALD Annie et NEVEU Erik, « Le ‘Néo-polar’. Du Gauchisme Politique Au Gauchisme Littéraire. », Sociétés et Représentations, n°11, pp.77–93, 2001.
  • DESROSIERES Alain, « Quand une enquêtée se rebiffe : de la diversité des effets libérateurs, ou les arguments des trois chatons », Genèses, n°71, pp.148-159, 2008.
  • ERNAUX Annie, La Place, Paris, Gallimard, 1983.
  • FASSIN Eric, « Le roman noir de la sexualité française », Critique, 2000, n°637-638, pp. 604 - 616.
  • FASSIN, Eric. « Le double « je » de Christine Angot : sociologie du pacte littéraire », Sociétés & Représentations, n° 11, pp. 143-166, 2001.
  • HOGGART Richard, 33 Newport Street. Autobiographie d’un intellectuel issu des classes populaires anglaises, Paris, Gallimard, 1991.
  • LAHIRE Bernard, Franz Kafka. Eléments pour une théorie de la création littéraire, Paris, 2010, La Découverte.
  • LAUGIER Sandra (dir.), Ethique, littérature, vie humaine, Paris, PUF, 2006.
  • LAURENT Sylvie, « Les ghettos américains Sur écoute. Et si la fiction était plus juste que les sciences sociales ? », Esprit, 2010.
  • LEPENIES Wolf, Les trois cultures. Entre science et littérature, l’avènement de la sociologie, Paris, Édition de la maison des sciences de l’homme, 1990.
  • LOUIS Edouard, En Finir Avec Eddy Bellegueule, Paris, Seuil, 2014.
  • MATHIEU Lilian, Columbo, la lutte des classes ce soir à la télé, Paris, Textuel, 2013.
  • MAUGER, Gérard, « Les autobiographies littéraires, objets et outils de recherche sur les milieux populaires », Politix, n°27, 1994.
  • MAUGER Gérard, POLIAK Claude, PUDAL Bernard, Histoires de lecteurs, Paris, Nathan, 1999.
  • MONTAIGNE Marion, PINCON Michel, PINCON-CHARLOT Monique, Riche, Pourquoi pas toi ?, Paris, Dargaud, 2013.
  • PASSERON Jean-Claude, « L’illusion romanesque », in Jean-Claude Passeron, Le raisonnement sociologique. L’espace non popperien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991.
  • PASSERON, Jean-Claude, « Portrait de Richard Hoggart en sociologue », Enquête, n°8, 1993.
  • PEYRIERE, Monique. « Maya Deren et les sciences sociales : quand le cinéma expérimental prend l’avantage sur le documentaire pour affronter la réalité du monde. », Sociétés, n°96, 2007.
  • PUDAL Bernard, « Du Biographique Entre ‘Science’ et ‘Fiction’. Quelques Remarques Programmatiques. » Politix, n°27, pp.5–24, 1994.
  • SAPIRO Gisèle, La Responsabilité de l’écrivain, Paris, Seuil, 2011.
  • SAPIRO, Gisèle. « Droits et devoirs de la fiction littéraire en régime démocratique : du réalisme à l’autofiction », Fixxion, 2012, n°6.
  • SCHAEFFER Jean-Marie, Pourquoi La Fiction?, Paris, Seuil, 1999.
  • SCHAEFFER Jean-Marie, « Quelles vérités pour quelles fictions ? », L’Homme, n°175-176, 2005.
  • WITT Michael, Jean-Luc Godard, Cinema Historian, Bloomington, Indiana University Press, 2013.

Lieux

  • Paris, France (75)

Dates

  • dimanche 30 juin 2013

Mots-clés

  • fiction, appel, méthodologie, sociologie de l'art, controverses, cinéma, bande dessinée

Contacts

  • Lucile Dumont
    courriel : colloquearcan2019 [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Lucile Dumont
    courriel : colloquearcan2019 [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Fiction et sciences sociales : bonnes et mauvaises fréquentations », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 05 juin 2014, https://doi.org/10.58079/q6e

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