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Les virtuoses du vote

The virtuosos of voting

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Publié le jeudi 12 juin 2014

Résumé

Cette journée d'études s'intéresse aux virtuoses du vote, c'est-à-dire à celles et ceux qui non seulement vont voter, mais qui, en outre, votent « à leur manière » : dans une autre commune que celle de leur résidence, ou bien sans se présenter au bureau de vote, ou encore en ré-agençant les listes candidates. Ce type de pratique a quasi exclusivement été traité soit sous l'angle de la déviance électorale, soit sous celui de l'incompétence technique des électeurs. On l’a moins abordé à partir de ces participants virtuoses qui s’approprient si bien les règles de l’acte de vote qu’ils peuvent, sans sanction, l’ajuster à leur style de vie (voter par procuration pour pouvoir partir en week-end), à leurs attachements territoriaux (voter ailleurs que là où l’on réside), ou encore à leurs inimitiés personnelles (rayer un candidat de la liste pour laquelle on vote).

Annonce

Argumentaire

Des fondations de la socio-histoire du vote (Offerlé 1983, Deloye & Ihl 1991, Garrigou 1992) au regain récent de la sociologie électorale française, une série de travaux incite à s'intéresser au vote non pas du point de vue de ses résultats ou de ses fonctions, mais du point de vue de ses usages et investissements (Genèses 2002). La journée d'études souhaite contribuer à cette « histoire matérielle de la démocratie » (Deloye & Ihl, 2005).

Nous proposons, dans ce cadre, d'adopter un regard décalé et complémentaire aux études des rapports « ordinaires » au politique. Ces enquêtes traitent en effet le plus souvent des seules classes populaires, pour souligner leur absence de la compétition électorale et insister sur la non-inscription ou la mal-inscription, et, bien sûr, sur l’abstention (Braconnier et Dormagen 2007). Plus largement, les commentaires savants comme ordinaires mettent en lumière la désaffection des citoyens à l’égard des urnes, la démobilisation politique (Matonti 2005).

Pour prolonger ces travaux, il s’agit ici de s'intéresser aux virtuoses du vote, c'est-à-dire à celles et ceux qui non seulement vont voter, mais qui, en outre, votent « à leur manière » : dans une autre commune que celle de leur résidence, ou bien sans se présenter au bureau de vote, ou encore en ré-agençant les listes candidates. Ce type de pratique a quasi exclusivement été traité soit sous l'angle de la déviance électorale (Dompnier 2002), des fraudes ou des possibilités de fraude ainsi ouvertes, soit sous celui de l'incompétence technique d'électeurs qui voient alors leur vote rendu plus coûteux (mal-inscription) ou invalidé (vote nul). On l’a moins abordé jusqu'à présent à partir de ces participants virtuoses qui s’approprient si bien les règles de l’acte de vote qu’ils peuvent, sans sanction, l’ajuster à leur style de vie (voter par procuration pour pouvoir partir en week-end), à leurs attachements territoriaux (voter ailleurs que là où l’on réside), ou encore à leurs inimitiés personnelles (rayer un candidat de la liste pour laquelle on vote). S'il est vrai que « l’électeur vote par plaisir, beaucoup plus que pour défendre des intérêts » (Braud 1973, p. 39), quels sont les ressorts de ce plaisir et que peut-on dire de la sophistication que certains y apportent ?

L'accent mis sur les habiletés techniques au principe de ces votes virtuoses suppose une réflexion méthodologique sur les manières de se tenir au plus près des pratiques électorales. Cette dernière gagnera à s'appuyer sur un dialogue avec la sociologie des dispositifs techniques (Dodier 1995), et celle des apprentissages et des compétences. Elle s'inscrit également dans les débats actuels relatifs à la méthodologie de l'étude du vote (Braconnier 2013).

Le droit électoral offre certaines possibilités de s'écarter, sans être invalidé, du processus électoral « standard », où l'électrice se rend au bureau électoral le plus proche de chez elle pour mettre un bulletin dans une enveloppe : l'inscription délibérée sur d'autres listes électorales que celles de son domicile, le vote par procuration, le panachage en sont quelques-unes. L'étude des votes par procuration est d'autant plus intéressante qu'en France la pratique tend à se développer avec le développement des possibilités légales – mais l'on pourrait également s'intéresser, ailleurs ou en d'autres temps, au vote par correspondance. La loi électorale française offre également une latitude dans la détermination du lieu d'inscription sur les listes électorales qui n'existe pas partout. La comparaison internationale doit permettre de penser la relation entre les possibilités techniques et leurs usages par les électeurs. Enfin, si la littérature sur les modes de scrutin (leurs effets, leur comparaison) est abondante, on s'est peu interrogé sur les usages pratiques des possibilités ouvertes par certains d'entre eux : panachage, vote transférable... Qui sont les électeurs qui se saisissent des possibilités juridiques de « jeu » avec les candidats et les listes ? Ces marges de manœuvre, pour leur part récemment réduites en France1, ont peu été explorées : il semble qu'entre la moitié (Barone & Troupel 2008) et le quart (Bargel, enquête en cours, 2014) des électeurs utilise, au moins en partie, la possibilité de rayer et d'ajouter des noms sur les listes sans que son bulletin n'en soit invalidé.

Nous proposons trois grands axes d'analyse de ces pratiques électorales virtuoses, qui gagnent bien sûr à être combinés. D'abord, on peut faire l’hypothèse que jouent ici pleinement les propriétés sociales de ces habiles électeurs. « Au cœur de l’acte de vote se rencontrent compétence sociale et instrumentation politique » (Deloye & Ihl, 2005) Si la bourgeoisie est la seule classe sociale mobilisée, pour reprendre les termes des Pinçon et Pinçon-Charlot, il est probable qu’elle le soit aussi électoralement. Ces virtuoses de l'électorat en sont-ils l'aristocratie ? Ces habiletés dans le vote sont-elles socialement situées à l'opposé de l'abstention des catégories populaires ?

Qui sont ceux pour qui s’abstenir c’est perdre la face, et qui font alors procuration de leur vote ? Cette question suppose vraisemblablement de lier les caractéristiques sociales des électeurs et leur inscription territoriale. Ainsi, si le vote par procuration à Paris est un vote bourgeois et de droite (Charpentier Coulmont Gombin 2014), on peut imaginer qu'ailleurs le recours à la procuration n'est pas lié à un style de vie qui comporte de fréquents déplacements de loisir, mais, par exemple, au travail le dimanche, à l'impossibilité physique de se déplacer, ou encore à la « remise de soi » à plus compétent politiquement. Les mandatés votent littéralement deux fois et étaient sûrs, à l’avance, d’aller voter puisqu’ils ont accepté une procuration. Ont-ils les mêmes caractéristiques sociales que leurs mandants ? S'agit-il de « leaders d'opinion » en matière électorale ?

Autre série de questions : quelles sont les caractéristiques des lieux qui attirent des électeurs au-delà de leurs habitants permanents, comme c'est le cas des communes de montagne (Bargel 2014) ? Faut-il y voir un effet de l'altitude, de l'intensité de la sociabilité locale, de l'attachement aux lieux de villégiature ? Réciproquement, qui sont ceux qui souhaitent peser sur la vie politique d'une commune dans laquelle ils ne résident pas ? Cet attachement politique s'explique-t-il par l'appartenance à une lignée autochtone, la détention d'un patrimoine local, l'insertion dans des réseaux de sociabilité ?

Enfin, en plus des caractéristiques des individus et de leurs lieux sociaux d'inscription, ces pratiques électorales virtuoses ne sont pas sans lien avec les « entrepreneurs de mobilisation » dont il faudrait s’assurer de l’efficacité : organisations partisanes et candidats proposent leur aide pour trouver mandants et mandatés pour établir une procuration, voire pour le transport jusqu’au lieu du vote. De même, la présence dans la compétition électorale d'une petite commune de listes incomplètes représente-t-elle une incitation certaine au panachage, tout comme les appels de certains candidats à voter « blanc » ou pour une liste qui n'a pas pu se porter candidate (par exemple celle des "sans voix" lors des élections municipales parisiennes de 2014).

Si ces questions et hypothèses sont construites à partir du cas d'élections politiques, les contributions concernant d'autres types d'élection (syndicales, socio-professionnelles, prud’hommales, universitaires…) sont les bienvenues, tant la comparaison entre gestes électoraux est susceptible d'enrichir la sociologie politique du vote.

Modalités pratiques de proposition

Les propositions de communication, de 1500 caratères maximum, devront parvenir à bargel [at] unice.fr et coulmont [at] ens.fr avant le 15 juin 2014. Leur a cceptation sera notifiée fin juin, et les textes des communications seront à rendre fin otobre 2014.

Organisation par Lucie Bargel (Université de Nice, ERMES et CESSP) et Baptiste Coulmont (Université Paris 8, CRESPPA-CSU)

La sélection sera faite par les deux organisateurs.

  • Bargel Lucie, « Le vote des « originaires ». Mobilisation électorale et liens à (petite) distance », Métropolitiques, 14 mars 2014.
  • Barone Sylvain & Troupel Aurélia, « Les usages d'un mode de scrutin particulier », Pôle Sud, n°19, 2008.
  • Braud Philippe , Le Comportement électoral en France, PUF, 1973.
  • Braconnier Céline, « Ce que le terrain peut faire à l'analyse des votes », Politix, n°100,2012.
  • Braconnier Céline & Dormagen Jean-Yves, La démocratie de l'abstention, Paris, Gallimard, 2007.
  • Charpentier Arthur & Coulmont Baptiste & Gombin Joël, « Un homme, deux voix : le vote par procuration », La Vie des idées, 11 février 2014.
  • Déloye Yves & Ihl Olivier, « Pour une histoire matérielle de la démocratie », Critique, n° 697-698, 2005.
  • Déloye Yves & Ihl Olivier, « Des voix pas comme les autres. Votes blancs et votes nuls aux élections législatives de 1881 », Revue française de science politique, vol. 41, n° 2, 1991.
  • Dodier Nicolas, Les Hommes et les Machines, Métailié, 1995.
  • Dompnier Nathalie, La clef des urnes. La construction socio-historique de la déviance électorale en France depuis 1848, thèse de doctorat, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, 2002.
  • « Formes et formalités du vote », Genèses, n°49, 2002.
  • Garrigou Alain, Le vote et la vertu. Comment les Français sont devenus électeurs, Presses de Sciences Po, 1992.
  • « L’ordre électoral : savoir et pratiques », Revue d’histoire du XIXème siècle, n°43, 2011.
  • Matonti Frédérique (dir.), La Démobilisation politique, Paris, La Dispute, 2005.
  • Offerlé Michel, Un homme, une voix ? Histoire du suffrage universel, Paris, Gallimard, 1983

1 Elles ne concernent plus que les élections municipales des communes de moins de 1000 habitants, et même dans ces dernières, il n'est désormais plus possible de voter pour des non-candidat-e-s.

Lieux

  • Paris, France (75)

Dates

  • dimanche 15 juin 2014

Fichiers attachés

Mots-clés

  • vote, élections, procuration, liste électorale

Contacts

  • Lucie Bargel
    courriel : lucie [dot] bargel [at] unice [dot] fr
  • Baptiste Coulmont
    courriel : coulmont [at] ens [dot] fr

Source de l'information

  • Lucie Bargel
    courriel : lucie [dot] bargel [at] unice [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les virtuoses du vote », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 12 juin 2014, https://doi.org/10.58079/qaa

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