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La part de la main

The role of hands

Numéro spécial de la revue Ethnographiques.org

Ethnographiques.org journal special issue

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Publié le lundi 08 septembre 2014

Résumé

La revue Ethnographiques.org lance un appel à contribution pour un dossier intitulé « La part de la main » coordonné par Nicolas Adell et Sophie Chevalier. Ce dossier est sous-tendu par une question à laquelle il s'agira d'apporter des réponses élaborées à partir de matériaux ethnographiques : si tout l'esprit n'est pas dans le cerveau, quelle est la part qui revient aux mains ?

Annonce

Argumentaire

Dans un discours donné à Paris pour la séance inaugurale d’un congrès de chirurgie en 1938, Paul Valéry dit son étonnement d’apprendre qu’il n’existe pas de traité général de la main. C’est un projet auquel il rêve depuis quelques années et qu’il ne réalisera pas. Mais il accumule pour cela des notes, des dessins et des réflexions dans ses Cahiers qui donnent une idée des pistes qu’il envisageait d’explorer. Il aurait vraisemblablement repéré et analysé toutes les situations de décrochage entre la main et la tête, et aurait insisté sur l’autonomie de celle-là par rapport à celle-ci. Il aurait mis en évidence la symétrie des interrelations qui se nouent entre les techniques cérébrales et les techniques manuelles, puis entre ces deux pensées sises en des lieux distincts du corps. 

L’intuition centrale de Valéry, rejoignant ainsi par d’autres voies des recherches menées actuellement en anthropologie des savoirs et des processus d’acquisition des connaissances (voir notamment Downey, 2005 ; Downey, Lende, 2013 ; Harris, 2007 ; Ingold, 2000 ; Jacob, 2010 ; Marchand, 2010 ; Sennett, 2010), est qu’il s’agit là de deux figures, presque deux agents, qui travaillent ensemble (ce qui ne veut pas dire qu’ils se répètent ou se copient systématiquement) à la pensée-pesée – les deux actions sont initialement signifiées par le même mot en latin : pensare – du monde, de l’environnement et des relations sociales.

Ce numéro voudrait prolonger ces réflexions pour sortir des impasses auxquelles ont conduit les oppositions brutales entre le corps et l’esprit d’une part, et d’autre part les controverses d’hégémonie qui avaient réduit le problème en une alternative : l’homme pense-t-il parce qu’il a une main, ou bien a-t-il une main parce qu’il pense ?

L’anthropologie a d’abord suivi et prolongé ces pistes en s’appuyant sur les données fournies par l’anthropologie physique, et ce dans deux directions. D’un côté, l’on s’engageait vers la démonstration de la main libératrice de l’esprit, lequel se manifestait fondamentalement dans la parole (Leroi-Gourhan, 1964). Identifier ce qui permet la parole (notamment la main, dispensée du service de locomotion par la bipédie, et devenant l’outil que la bouche n’a plus besoin d’être, pour schématiser à l’extrême la démonstration) revenait à repérer les fondements de l’esprit humain. Une large partie des recherches menées en anthropologie des techniques a poursuivi, tout en la complexifiant, la voie de la main-qui-libère. C’est notamment la perspective des précieux travaux portés par le groupe de Techniques et culture, appliqués à répondre à cette question essentielle : en quoi et comment l’esprit humain (dans son unité et sa diversité) prend-il corps ? D’où un intérêt appuyé pour ces manifestations de pensée que sont les chaînes opératoires appréhendées comme des narrations (où les gestes forment autant de « phrases » dont la grammaire et le lexique sont à découvrir) ; ou pour la culture matérielle, plus exactement pour ces choses qu’on manipule (les outils, les objets, les monnaies, etc.).

D’un autre côté, tout un pan de l’anthropologie, dans la lignée des travaux de Paul Broca sur la bilatéralité du cerveau, défrichait la perspective de la main-qui-organise. Ce sont, entre autres, les études pionnières de Robert Hertz (1909) sur la prééminence de la main droite et la bipolarité religieuse (le sacré « droit », d’ordre, de conventions, et le sacré « gauche », festif, de désordre ; ici le bilatéralisme a une origine plus sociale que biologique) ou encore les essais inclassables de Marcel Jousse (1969) sur les différents bilatéralismes (créateur, récitateur, régulateur).

Ces voies continuent d’être explorées et gardent un fort pouvoir descriptif, sinon analytique. L’intérêt pour la dimension matérielle de la culture, et pour les dispositions corporelles qui l’activent (cf. les recherches conduites par le groupe « Matière à penser ») a joué un impact considérable pour réévaluer les places respectives des connaissances discursives et des connaissances procédurales dans l’économie générale des savoirs chez l’être humain. L’essentiel des connaissances humaines ne passe pas par le langage. Et il est désormais acquis que la pensée n’a que très partiellement, et seulement dans un second temps, « réflexion faite » en quelque sorte, la forme du discours (Bloch, 2013 ; Downey, Lende, 2013).

Ces travaux décisifs, à la croisée des sciences cognitives, de la philosophie, des neurosciences et de l’anthropologie ont rendu à la pensée une dimension corporelle qui a permis d’évaluer à nouveaux frais les thématiques de l’apprentissage, de la perception ou des représentations entre autres. Si la totalité de l’esprit n’est pas dans le cerveau, quelle est la part qui revient aux mains ? Car considérer que la pensée a une dimension corporelle ne revient pas à considérer qu’il suffit d’avoir un corps pour qu’une pensée soit. Le mouvement, et celui des mains et des doigts en particulier (dont le toucher constitue une séquence essentielle), joue là un rôle fondamental que les travaux d’Alain Berthoz (2007) ont souligné, mais qui n’ont guère été suivis dans le champ des sciences humaines et sociales.

Pour les anthropologues, cela représente un défi ethnographique. Aux problèmes classiques posés par la « description » des idées et des représentations quand leur siège (la tête) et leur forme (le discours) ne sont pas questionnés, il faut désormais ajouter ceux qui ne manquent pas de surgir quand le siège et la forme de la pensée cessent de tomber sous le sens. L’une des ambitions de ce numéro sera précisément d’aboutir à une meilleure formulation de ces difficultés pour proposer les moyens, théoriques et méthodologiques, de les lever ou de les contourner. Ainsi, les contributions attendues pourront traiter de situations singulières où la place des mains fait problème. Deux cas de figure inversés, qui peuvent se manifester sur deux modes, constituent des entrées privilégiées, mais non exclusives d’autres approches. Pourront ainsi être évoquées des situations présentant la disparition des mains, réelle ou métaphorique, qui impacte une activité pour laquelle on estime a priori qu’elles ne sont qu’un instrument passif : le passage (pour les écrivains, les « intellectuels », etc.) à la machine à écrire ou à la dictée numérique, ou encore la disparition concrète des mains (amputation, paralysie, etc.) ont-ils un effet (et de quel ordre ?) sur la pensée ? Qu’en déduire quant à la formation des idées ?

Inversement, seront attendues des contributions traitant de cas où les mains sont mises au premier plan, avec l’étude de groupes (artisans, sportifs, artistes, etc.) ou de situations (salutations, prières, soins, etc.) que la qualité ou la présence de la main distinguent, réellement ou métaphoriquement là aussi. De quoi sont faits les « tours de main » des « petites mains » et des « hommes de main » ?

Ce partage a priori entre la main et l’esprit, niché dans une situation qui l’accentue, devrait permettre de mieux penser la place de la main dans la vie de l’esprit. Dans cette perspective, enfin, toute approche ethnographique du toucher, qu’elle prenne la forme d’une enquête ethnolinguistique sur le lexique des sensations ; d’une étude des modes du contact allant de la caresse au coup de poing, mais aussi de l’impossibilité ou de l’interdiction du contact ; ou encore d’une analyse des situations de reconstruction du toucher comme des travaux sur les mains artificielles ou sur les greffes de mains, sera particulièrement appréciée.

D’autres approches fondées sur l’analyse de données ethnographiques (ou proposant une réflexion sur la démarche ethnographique qu’implique un tel objet) pourront bien sûr être adoptées.

Enfin, ethnographiques.org offrant toutes les potentialités d’une revue en ligne, les auteur-e-s seront vivement encouragé(e)s à proposer également des matériaux visuels ou sonores susceptibles de structurer ou d’accompagner leur article et à même d’en favoriser la lecture.


Conditions de soumission

Les propositions de contribution (1 page maximum et la bibliographie)

sont attendues au plus tard le 31 octobre 2014.

Ces propositions doivent être envoyées, avec la mention « La part de la main » (en objet du message), aux destinataires suivants : nicolas.adell@univ-tlse2.fr; sophie.chevalier7@wanadoo.fr 

Elles seront examinées par le comité de direction de la revue. Les auteurs seront avisés de la décision des coordinateurs et des membres du comité dans le courant du mois de novembre 2014.

Les auteurs retenus devront remettre leur article le 1er mars 2015 au plus tard.

Coordinateurs scientifiques

  • Nicolas Adell
  • Sophie Chevalier

Bibliographie

  • BERTHOZ Alain, 2007. Le sens du mouvement. Paris, Odile Jacob.
  • BLOCH Maurice, 2013. L’anthropologie et le défi cognitif. Paris, Odile Jacob.
  • DOWNEY Greg, 2005. Learning Capoeira. Lessons in Cunning from an Afro-Brazilian Art. New York / Oxford, Oxford University Press.
  • DOWNEY Greg, LENDE Daniel H. (eds.), 2013. The Encultured Brain. An Introduction to Neuroanthropology. Cambridge, MIT Press.
  • HARRIS, Mark (ed.), 2007. Ways of Knowing. New Approaches in the Anthropology of Knowledge and Learning. New York / Oxford, Berghahn Books.
  • HERTZ Robert, 1909. « La prééminence de la main droite : étude sur la polarité religieuse », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 68, pp. 553-580. Réédité dans HERTZ Robert, 1928. Sociologie religieuse et folklore. Paris, Alcan, pp. 99-129 (en ligne), http://classiques.uqac.ca/classiques/hertz_robert/socio_religieuse_folklore/socio_religieuse_.html (page consultée le 28 juillet 2014).
  • INGOLD Tim, 2000. The Perception of Environment. Essays on Livelihood, Dwelling and Skill. Londres, Routledge.
  • INGOLD Tim, 2011. « Ways of mind-walking : Reading, writing, painting », in INGOLD Tim, Being Alive. Essays on Movement, Knowledge and Description. Londres, Routledge, pp. 196-209.
  • JACOB Christian (éd.), 2010. Lieux de savoirs. Vol. 2 : Les mains de l’intellect. Paris, Albin Michel.
  • JOUSSE Marcel, 1969. L’anthropologie du geste. Paris, Les Editions Resma.
  • LEROI-GOURHAN André, 1964. Le geste et la parole. Paris, Albin Michel, 2 tomes.
  • MARCHAND Trevor (ed.), 2010. Making Knowledge. Explorations of the Indissoluble Relation between Mind, Body and Environment. Londres, Wiley-Blackwell « Journal of the Royal Anthropological Institute Book Series ».
  • SENNETT Richard, 2010 [2008]. Ce que sait la main. La culture de l’artisanat. Paris, Albin Michel.
  • TAUSSIG Michael, 2011, I Swear I Saw This. Drawings in Fieldwork Notebooks, Namely my Own. Chicago, Chicago University Press.
  • VALERY, Paul, 1957 [1938]. « Discours aux chirurgiens », in Œuvres 1. Paris, Gallimard « La Pléiade » : 918-919.

Dates

  • vendredi 31 octobre 2014

Mots-clés

  • esprit, main, toucher, anthropologie cognitive, anthropologie des sens, anthropologie du corps

Contacts

  • Sophie Chevalier
    courriel : sophie [dot] chevalier7 [at] wanadoo [dot] fr
  • Nicolas Adell
    courriel : nicolas [dot] adell [at] univ-tlse2 [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Nicolas Adell
    courriel : nicolas [dot] adell [at] univ-tlse2 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« La part de la main », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 08 septembre 2014, https://doi.org/10.58079/qt4

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