AccueilTraces matérielles de la mort de masse

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Traces matérielles de la mort de masse

Material Traces of mass death

L'objet exhumé

The exhumed objet

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Publié le jeudi 04 décembre 2014

Résumé

La pratique d’enfouissement des cadavres s’enracine dans l’histoire longue des violences de masse, qu’elles aient été produites dans le cadre d’affrontements guerriers, de génocide ou de répression politique. Celle de leur exhumation semble s’inscrire, elle, dans une dynamique propre à un XXe siècle à la fois traversé par des violences extrêmes d’une ampleur inédite et marqué par l’épanouissement de la figure victimaire. Le développement de l’archéologie funéraire, les progrès de la médecine légale qui permet l’identification ADN des cadavres des années après le décès, associés à l’intérêt croissant de nos sociétés pour le passé et sa mémoire ainsi qu’à la soif de justice et de réhabilitation mémorielle des victimes, ont contribué à l’essor de la quête des cadavres enfouis à la hâte dans des contextes extrêmes partout dans le monde.

Annonce

Argumentaire

La pratique d’enfouissement des cadavres s’enracine dans l’histoire longue des violences de masse, qu’elles aient été produites dans le cadre d’affrontements guerriers, de génocide ou de répression politique. Celle de leur exhumation semble s’inscrire, elle, dans une dynamique propre à un XXe siècle à la fois traversé par des violences extrêmes d’une ampleur inédite et marqué par l’épanouissement de la figure victimaire. Le développement de l’archéologie funéraire, les progrès de la médecine légale qui permet l’identification ADN des cadavres des années après le décès, associés à l’intérêt croissant de nos sociétés pour le passé et sa mémoire ainsi qu’à la soif de justice et de réhabilitation mémorielle des victimes, ont contribué à l’essor de la quête des cadavres enfouis à la hâte dans des contextes extrêmes partout dans le monde. Traces matérielles du massacre, ces fosses et les restes qu’elles contiennent sont un outil à la disposition des chercheurs certes, mais aussi des familles, de la justice et des États pour établir une vérité méconnue, oubliée, refoulée ou niée. On le devine : les motivations des uns et des autres ne concordent pas nécessairement et les conflits associés (qu’ils soient symboliques, politiques, immobiliers ou diplomatiques) sont à la hauteur du degré de sensibilisation des sociétés au passé soulevé par ces traces.

Dans le cadre d’une historiographie et de pratiques en renouvellement, notre équipe pluridisciplinaire (archéologues, historiens, anthropologues) souhaite poursuivre ses réflexions sur une dimension particulière de ces traces matérielles de la mort de masse. En effet, si les fosses communes abritent les restes humains des victimes, elles contiennent aussi divers objets qui interpellent tout autant les professionnels des exhumations, les chercheurs que les proches des victimes. Trop souvent laissés à la marge (sauf par les archéologues), considérés comme des appendices des restes osseux, ces objets sont non seulement riches en informations, mais aussi porteurs d’émotions et d’interrogations multiples. C’est à ces objets, signifiants en soi, à leur fonction dans la pratique exhumatoire et à leurs usages postérieurs dans les pratiques de réinhumation et d’entretien du souvenir, que ce colloque est consacré.

Les communications pourront porter, de façon non exhaustive, sur les axes de réflexion suivants :

1- L’objet-source

L’objet retrouvé dans les fosses communes est un support majeur de connaissance : il est l’un des éléments fondamentaux de l’expertise, du traitement anthropologique et scientifique des données.

Identification : L’objet (plaques d’identité, accessoires vestimentaires et restes de vêtements, bijoux, objets personnels, équipements, etc.) associé aux documents d’archives, aux témoignages des survivants, aux observations archéologiques et anthropologiques, voire aux analyses génétiques, peut être un élément clef de l’identification des corps.

Écrire l’histoire du massacre et de ses victimes : L’objet renseigne sur les conditions de la mort individuelle et collective, sur le moment de cette mort (par exemple montres arrêtées sur une même heure en Bosnie), sur le groupe visé (militaires ou civils), sur la nature des violences subies (armes et projectiles). Il permet également d’aborder une éventuelle dimension sexuelle des violences. Longtemps les objets ont également contribué à déterminer le sexe des victimes, avec souvent des erreurs dues à la prégnance des stéréotypes de genre chez le chercheur. Une arme présupposait l’homme, le bijou la femme. De fait, l’analyse des objets est bien plus complexe, s’ils sont un des éléments d’identification du sexe de la victime, ils éclairent aussi les relations de genre en temps de guerre.

Il prodigue aussi des informations précieuses sur la victime, sa condition socio- économique (vêtements, chaussures, bijoux, objets liés à la profession), ses croyances/ superstitions (symboles et objets religieux, portes bonheurs), ses habitudes (objets liés au tabac, à l’écriture, à l’hygiène, à la santé, aux jeux), ses pratiques culturelles (liées à une ethnie ou à un groupe géographique), son état sanitaire (maladies, handicaps, etc.) et son mode de vie. Les textes (lettres, carnets, etc.) et graffitis présents sur certains objets nous renseignent également sur l’état d’esprit des victimes et de ses geôliers/bourreaux. L’objet peut ainsi révéler des pratiques mal connues, notamment les nombreuses adaptations du quotidien aux situations de conflits (récupération, modification et détournements d’objets pour mieux répondre aux besoins et à la pénurie). Quelles informations historiques peuvent être tirées du croisement entre l’étude de l’objet en lui-même, l’étude du contexte d’enfouissement et l’identification individuelle du corps associé ? Certaines études scientifiques fondamentales peuvent

également être proposées à partir de ces corpus d’objets exhumés (étude de la dégradation des matériaux, etc.).

L’absence d’objet est tout aussi significative que leur présence. L’analyse des catégories d’objets récupérés (donc absents dans les fosses) témoigne de pratiques de dépouillement et de récupération d’objet, avant et après le décès des victimes, souvent orchestrées par les fossoyeurs et/ou les bourreaux eux-mêmes pour nourrir des intérêts mercantiles (bijoux et objets précieux) ou pour empêcher toute identification ultérieure.

Prouver : L’objet vient également contribuer à l’établissement du récit d’un évènement historique qui dans le cas du passé très récent peut dans certains cas corroborer une procédure judiciaire ; il se transforme alors en preuve. Dans d’autres cas, au contraire, l’objet peut être utilisé à mauvais escient dans le cadre de la création d’un mythe voire utilisé pour illustrer des théories révisionnistes.

Cette première dimension des objets retrouvés nous conduira à nous interroger sur les protocoles d’identification et leur évolution à travers le XXe siècle, sur le travail des experts et les obstacles qu’ils rencontrent (stéréotypes à surmonter, falsifications mises en place par les bourreaux par exemple à Katyn, réinterventions successives, etc.).

2- L’objet-signe

La trace matérielle du massacre que constitue l’objet est également un signe. Il renvoie à l’être humain qui l’a possédé comme une sorte de métonymie et dispose ainsi d’une puissance évocatrice majeure. Les objets se retrouvent ainsi souvent au cœur des représentations muséographiques de la violence de masse.

Personnification : D’où provient la puissance évocatrice et émotionnelle de l’objet ? L’objet exhumé suppose une irruption brutale dans l’intimité d’une vie, d’une vie individuée qui refait surface. La banalité d’un rasoir, d’une alliance, de lunettes fait apparaître des fragments biographiques qui redonnent chair aux os inanimés. Et l’insertion dans cette banalité du quotidien participe à la compréhension du surgissement du drame, de la tragédie, de l’inouï. Jusqu’à quel point la puissance émotionnelle de ces traces matérielles modifie-t-elle le rapport que le chercheur entretient avec son objet ? Quelles relations la famille des défunts entretient-elle avec ces objets : s’agit-il d’un patrimoine privé ou collectif ? Quels rapports entretien la population locale résidant de nos jours à proximité de ces fosses lors de la découverte fortuite d’objets provenant de ces fosses (dans les labours, lors de travaux, etc.) ?

Devenir : Que devient l’objet après avoir été exhumé et analysé ? Cette question comporte une dimension juridico-éthique, tout comme pour les restes humains : à qui appartiennent-ils ? Faut-il les restituer ? Si oui, à qui ? Selon quelles procédures ? Ici surgissent les conflits entre les diverses catégories d’acteurs qui interviennent dans le processus d’exhumations et dont les intérêts divergent : familles des victimes, relais associatifs, les experts et praticiens de l’exhumation, les autorités administratives et judiciaires (archéologie, justice, armée, anciens combattants, etc.), acteurs politiques, médias... L’objet retourne-t-il dans la sphère intime qu’il n’aurait jamais dû quitter ou appartient-il au patrimoine collectif en étant voué à être conservé par la société et à être éventuellement exposé publiquement ? Certaines législations entrent parfois en contradiction : archéologique et patrimoniale, judiciaire, militaire et anciens combattants. Certaines pratiques s’inscrivent même dans des traditions, parfois centenaires, non réglementaires. Il conviendra de les mettre en évidence et de démontrer l’intérêt des démarches pluridisciplinaires.

Exposition : De par l’émotion qu’il suscite, de par sa puissance évocatrice de la personne disparue, l’objet est en effet la proie de toutes les convoitises. Il devient même central dans le cadre de l’entretien du souvenir, dans la remémoration figée au sein de musées, d’expositions temporaires, comme ornement monumental, ou réutilisé lors de cérémonies du souvenir. Quels sont donc les différents usages sociaux et mémoriels de l’objet ? Quelle est la place, ou l’occultation, de l’objet dans les pratiques mémorielles postérieures aux exhumations ? Les objets présentés sont-ils associés au nom des victimes dans leur présentation muséographique ?

Recommandations

Notre colloque portera d’abord sur la mort de masse provoquée par l’homme. Dans ces conditions, il nous semble préférable d’exclure les morts d’épidémie, sauf quand le contexte est celui des conflits armés ou des lieux de répression (par exemple les lieux d’internement).

Sans préjuger d’un espace-temps préalable, le colloque a pour ambition de faire se rencontrer des chercheurs d’horizons disciplinaires les plus divers, de l’histoire à la médecine en passant par l’archéologie, le droit, la sociologie ou l’anthropologie. On appréciera donc les communications portant sur des espaces lointains, tout comme celles qui prennent en compte les dimensions genrée, éthique ou juridique de la question.

Soumission des propositions

Les propositions de communications, de 300 mots environ, rédigées en français ou en anglais et accompagnées d’un bref CV (1 page maximum) sont à envoyer à l’adresse suivante (objetsfosses[at]gmail.com)

avant le 12 janvier 2015.

Les organisateurs du colloque prendront en charge l’hébergement et le repas des participants pendant la durée de la manifestation. Merci d’indiquer également vous aurez besoin d’une prise en charge partielle de vos frais de transport. Le budget, limité de la manifestation, ne permettra pas une couverture généralisée de ces dépenses.

Comité scientifique / organisateur

  • Sophie Baby (Université de Bourgogne - UMR 7366 Centre Georges Chevrier),
  • Michaël Landolt (Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan - UMR 7044 Archimède),
  • François-Xavier Nérard (Université de Paris I - UMR 8138 IRICE),
  • Luis Rios (Antropología Física, Sociedad de Ciencias Aranzadi),
  • Michel Signoli (UMR 7268 ADES AMU-EFS-CNRS),
  • Queralt Solé (Universitat de Barcelona),
  • Fabrice Virgili (CNRS - UMR 8138 IRICE),
  • Annette Wieviorka (CNRS - UMR 8138 IRICE).

Lieux

  • Marseille, France (13)

Dates

  • lundi 12 janvier 2015

Fichiers attachés

Mots-clés

  • Génocide, objet, trace, guerre

Contacts

  • François-Xavier Nérard
    courriel : francois-xavier [dot] nerard [at] univ-paris1 [dot] fr
  • Mathieu Jestin
    courriel : labexguerres [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • François-Xavier Nérard
    courriel : francois-xavier [dot] nerard [at] univ-paris1 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Traces matérielles de la mort de masse », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 04 décembre 2014, https://doi.org/10.58079/rfs

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