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Traces de la politique, politique des traces

Traces of policy, the policy of traces

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Publié le mardi 27 janvier 2015

Résumé

Qu'implique donc le projet de penser les traces de la politique ou la politique des traces, si l'on entend par politique ce qui relève du conflit – au registre négatif de la domination et du pouvoir comme au registre positif des luttes sociales, des expressions conflictuelles et des projets d'émancipation ? Parler de traces signifie avoir affaire à quelque chose : d'infime ; d'involontairement laissé par quelqu'un ou quelque chose ; impliquant pour exister d'être interprété par quelqu'un. Il s'agit alors de s'interroger sur les politiques de l'infime, de ce qui reste, sur la manière dont ces vestiges peuvent être réactivés dans le présent d'une lutte, être utilisés comme éléments de nouvelles techniques de traçage ou de traçabilité à la base de mécanismes de pouvoir spécifiques ou venir constituer de nouvelles identités et de nouveaux sujets politiques conflictuels. On portera également attention aux méthodes scientifiques appropriées à la recherche de ces traces de la politique.

Annonce

Argumentaire

Ce colloque, ouvert aux jeunes chercheurs et chercheuses de tous les champs disciplinaires rattachés aux humanités et aux sciences sociales, se propose de partir en quête des traces de la politique. La notion de trace implique qu'on ait affaire à quelque chose : d'infime ; d'involontairement laissé par quelqu'un ou quelque chose ; impliquant pour exister d'être interprété par quelqu'un. C'est d'abord un reste, un vestige infinitésimal ; comme le dit Carlo Ginzburg, c'est ce qui échappe, un indice, quelque chose d'a priori négligeable, un « fait marginal » (Ginzburg, 1989, p. 230). C’est ensuite un « signe involontaire » (Ibid., p. 279) : si l'on peut bien désirer « laisser une trace » ou « effacer ses traces », celles qu'on laisse effectivement ne sont jamais telles qu’on les aurait souhaitées. Le fait même de les vouloir effacer imprime son passage et son intention (la tension du volontaire et de l'involontaire se résout à l'avantage du second). Enfin, la trace implique un art interprétatif : elle n'est constituée comme trace, comme trace de quelque chose (qui peut être indéterminé), de quelque activité, qu'à partir du moment où un acte d'interprétation vient donner une signification à ce qui, auparavant, n'était qu'une empreinte imperceptible et silencieuse.

Dans cette perspective, on pourrait dire que l'empreinte est une trace non (encore) interprétée : une trace de pas n'existe que pour qui peut la reconnaître comme telle. La marque, au contraire, fonctionnerait comme signe au sein d'un rapport social : objet d'une représentation sociale, elle serait immédiatement reconnue par tous ceux qui possèdent le bon code – positive ou négative, elle serait signe d’appartenance ou elle serait stigmate. Sur une échelle de l'invisible au visible, entre l'empreinte – insaisissable et inaperçue – et la marque – « officialisée », dotée une grande inertie et contribuant à structurer un certain ordre symbolique, un « partage du sensible » (Rancière, 1995) –, la trace n'est perceptible qu'à celui qui la cherche ou « tombe » sur elle : la trace s’avère inéluctablement vouée au conflit des interprétations.

Qu'implique donc le projet de penser les traces de la politique ou la politique des traces, si l'on entend par politique ce qui relève du conflit – au registre négatif de la domination et du pouvoir comme au registre positif des luttes sociales, des expressions conflictuelles et des projets d'émancipation ? On peut se demander, d'abord, quelles sont les traces dans le présent des luttes politiques vaincues ou simplement oubliées. Comment penser les restes, actifs ou inactifs, laissés par une « histoire discontinue de la liberté politique » (Breaugh, 2007), comme par exemple ceux de la Commune de Paris, des expériences conseillistes, d'un moment d'expérimentation de la démocratie radicale et de resurgissement de l'exigence démocratique ? On peut, ensuite, poser la question des stratégies du « négligeable » : entre un pouvoir avide d'effacer les traces de ce qui n'entre pas dans son ordre, de tracer et de pister tout ce qui le subvertit de l'intérieur ou de gouverner par le traçage des comportements et des mouvements souhaitant laisser leur trace pour s'inscrire dans le réel, échapper au traçage que leur imposent les institutions ou arpenter les traces, par exemple, de l'« héritage sans testament » des révolutions modernes (Arendt, 1985), quelles dynamiques s'instaurent ? Quels sont, enfin, les conflits d'interprétation auxquels donnent lieux les vestiges des mouvements conflictuels, les indices récoltés par le pouvoir ou les débris d'identités qui nous constituent ? Il s'agit alors ici de s'interroger sur les politiques de l'infime, de ce qui reste, sur la manière dont ces vestiges peuvent être réactivés dans le présent d'une lutte, être utilisés comme éléments de nouvelles techniques de traçage ou de traçabilité à la base de mécanismes de pouvoir spécifiques ou venir constituer de nouvelles identités et de nouveaux sujets politiques conflictuels.

Le thème des méthodes de recherche des traces de la politique pourra également constituer un questionnement transversal à ce colloque. La relation des chercheuses et des chercheurs aux éléments épars et résiduels recueillis dans leur travail, relativement à la marge des grands cadres définis par la « mémoire historique » (Halbwachs, 1950), pourra être abordée comme outil autant que comme objet de recherche. Confronté et confrontée à ce type de phénomènes, l’ethnographe, l’historienne ou l’historien doit, si ce n’est user de la sienne, du moins comprendre l'interprétation particulière de ces restes par d’autres : la reconnaissance et la valorisation de la capacité première à interpréter les traces de la politique semble un enjeu épistémologique d'importance. Comment, pour le scientifique, reconnaître une trace ? Comment restituer la lecture particulière de certaines traces par les sujets étudiés (sans les figer ni les effacer) ? Plus avant, comment nos parti-pris épistémologiques peuvent-ils participer à la construction d’une domination, d’une « géopolitique du savoir », niant l’expérience et l’interprétation particulière des traces par des groupes subalternes ? Mises en commun et confrontées, les réponses que nous apportons dans nos recherches, souvent à notre insu, permettront également d’avancer ensemble dans la compréhension des traces de la politique et de la politique des traces.

  • Arendt, Hannah, De la révolution, Paris, Gallimard, 1985 (cf. aussi la préface de La crise de la culture, Paris, Gallimard, 1989).
  • Breaugh, Martin, L’expérience plébéienne. Une histoire discontinue de la liberté politique, Paris, Payot, 2007.
  • Ginzburg, Carlo, « Traces. Racines d'un paradigme indiciaire », in Mythes, emblèmes, traces, Paris, Verdier, 1989.
  • Halbwachs, Maurice (1950), La mémoire collective, Paris, PUF, 1997.
  • Rancière, Jacques, La mésentente, Paris, Galilée, 1995.

Programme 

Jeudi 12 Février

8h30 - 9h15 Accueil

9h15 - 9h30 Introduction par Brice Nocenti

9h30 - 13h : Héritage politique : entre perte et transmission

Présidence : Aslı Telseren

  • Arnaud Figari - Ethnographie du cerro alegre. Traces, empreintes et habitus dictatorial
  • Rémi Zanni - Politiques de la poussière : Comment préserver les traces, avec Hannah Arendt
  • Jean-Philippe Tonneau - L’avocat militant au prisme des traces politique et professionnelle
  • Marie-Pierre Wynands - Les traces de la démocratie chrétienne en France : échecs de la transmission, héritages pluriels et transformation de modes d’engagement politico-religieux

13h-14h30 Déjeuner

14h30-18h : Raconter les traces

Présidence : Jephthé Carmil

  • Rémi Rouge - Foucault et les politiques du récit : les traces de l’infâme
  • Mira Younes - Inscrire l’inestimable
  • Thomas Gwillim - La trace à l’épreuve d’un changement de paradigme : de l’ « archéologie de la modernité » à l’histoire-simulacre
  • Rostano Eloge Mombo Nziengui - Traces politiques identitaires et mémoires historiques dans le polar francophone postcolonial

Vendredi 13 Février

8h30 - 9h Accueil

9h - 12h30 : Traçabilité, contrôle et résistance

Présidence : Armand Aupiais-L’homme

  • Mathieu Corteel - Prospecter et punir, le cas du logiciel PREDPOL
  • Elsa Tiszler - Migrant-e-s « en attente » à la frontière entre obligation de traçabilité et invisibilisation des traces
  • Sébastien Tenembaum - De la trace transitive à la trace opérationnelle
  • Cléo Collomb - Une politique des traces numériques est possible : de la gouvernementalité algorithmique aux smart mobs

12h30-14h Déjeuner

14h-17h30 Lutte des traces

Présidence : Charlotte Puiseux

  • Mara Montanaro - Le régime sexué des traces dans l’histoire des femmes chez Françoise Collin
  • David Copello - Les traces de l’expérience post-révolutionnaire dans l’Argentine des années 1980 : absence ou mise en quarantaine ?
  • Nicolas Fretté - Traces et anachronisme
  • Tara Mousavier - La « fête du feu » à Téhéran : une volonté de survivance

Comité scientifique

  • Thomas Berns, philosophe, PHI, Université Libre de Bruxelles.
  • Emmanuelle Chérel, historienne, LAUA, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes.
  • Patrick Cingolani, sociologue, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Marguerite Cognet, sociologue, URMIS, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Marie Cuillerai, philosophe, LLCP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Fabrice Dhume, sociologue, URMIS, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Jules Falquet, sociologue, CEDREF/LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Fabrice Flipo, philosophe, LLCP, Université Paris 7 - Denis Diderot/Telecom & Management SudParis.
  • Claudia Girola, sociologue, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Azadeh Kian, sociologue, CEDREF/LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Jean-François Laé, sociologue, CRESPPA, Université Paris 8.
  • Martine Leibovici, philosophe, LLCP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Seloua Luste Boulbina, philosophe, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Numa Murard, sociologue, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Etienne Tassin, philosophe, LLCP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Mahamet Timera, sociologue, URMIS, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Jerome Valluy, sociologue, COSTECH, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1).

Comité d’organisation

  • Armand Aupiais-L'homme, doctorant en anthropologue, URMIS, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Yohan Barres, doctorant en sciences de l'information et de la communication, COSTECH, Université de Technologies de Compiègne.
  • Jephthé Carmil, doctorant en sociologie, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Charlène Charles, doctorante en sociologie, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Cléo Collomb, doctorante en philosophie, COSTECH/PHI, Université de Technologies de Compiègne/Université Libre de Bruxelles.
  • Brice Nocenti, doctorant en philosophie, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Charlotte Puiseux, doctorante en philosophie, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Aslı Telseren, doctorante en sociologie, CEDREF/LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Pauline Vermeren, docteure en philosophie, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.
  • Rémi Zanni, doctorant en philosophie, LCSP, Université Paris 7 - Denis Diderot.

Lieux

  • Université Paris Diderot, Bâtiment Sophie Germain, Amphithéâtre Turing - Croisement de l’avenue de France et de la rue Alice-Domon-et-Léonie-Duquet
    Paris, France (75013)

Dates

  • jeudi 12 février 2015
  • vendredi 13 février 2015

Fichiers attachés

Mots-clés

  • trace, politique, conflit, mémoire, lutte, numérique, identité

Contacts

  • Brice Nocenti
    courriel : brice [dot] nocenti [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Brice Nocenti
    courriel : brice [dot] nocenti [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Traces de la politique, politique des traces », Colloque, Calenda, Publié le mardi 27 janvier 2015, https://doi.org/10.58079/rv4

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