AccueilAutour de Shmuel Noah Eisenstadt : de la philologie à la sociologie

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Autour de Shmuel Noah Eisenstadt : de la philologie à la sociologie

Legacies of Shmuel Noah Eisenstadt: From Philology to Sociology

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Publié le lundi 06 juillet 2015

Résumé

Dans le cadre du programme « Sociétés plurielles » de l’université Sorbonne-Paris-Cité, une réflexion est initiée sur les diverses modalités aptes à articuler empirique et théorique dans l’appréhension du fonctionnement social. Le cycle de rencontres consacrés à ce sujet est ouvert par une journée d’études autour du système de pensée du sociologue Shmuel Noah Eisenstadt dans sa capacité à saisir la pluralité constitutive des sociétés.

Annonce

Argumentaire

Dans le cadre du Programme « Sociétés Plurielles » de l’Université Sorbonne-Paris-Cité, nous initions une réflexion sur les diverses modalités aptes à articuler empirique et théorique dans l’appréhension du fonctionnement social. Le cycle de rencontres consacrés à ce sujet est ouvert par une journée d’études autour du système de pensée du sociologue Shmuel Noah Eisenstadt dans sa capacité à saisir la pluralité constitutive des sociétés.   

La question centrale pour Eisenstadt fut, en bonne tradition wébérienne, comment comprendre le changement social et plus particulièrement la créativité humaine – et ses limitations – qui rend possible les transformations internes aux sociétés. Pour y répondre, il identifie un lien dialectique entre vision du monde – ou cosmologie – et ordre social, ouvrant ainsi un très vaste champ de réflexion embrassant longue, voire très longue, durée, et l’espace constitué comme global à différentes époques historiques. Le type d’analyse qu’il propose veut expliciter les relations existant entre la division sociale du travail, le fonctionnement du pouvoir et des institutions, la construction de la confiance collective et la constitution du sens au sein d’une solidarité plus ou moins élargie. Eisenstadt est ainsi emmené à réactiver un schéma explicatif formulé par Karl Jaspers dans le proche après-guerre, à savoir celui d’« âge axial », (Achsenzeit), schéma qu’il élargit à la notion de « civilisation axiale ».

Le projet intellectuel de Karl Jaspers fut de formuler le « schéma d’une conception d’ensemble de l’histoire » en identifiant une période de temps allant de 800 à 200 av. n. è., durant laquelle le continent Euroasiatique opéra des « percées » significatives dans l’histoire de l’humanité. Ces percées prirent la forme de « cristallisations culturelles » que sont les grands systèmes religieux et philosophiques : le confucianisme en Chine, le brahmanisme et le bouddhisme en Inde, le prophétisme en Israël, la religion de Zoroastre en Perse et la philosophie en Grèce. Jaspers considéra ces données empiriques comme facteurs d’émergence du domaine transcendant, distinct et opposé au monde d’ici-bas. Selon lui, la conscience humaine opéra des bonds semblables et synchrones sur une aire géographique allant de la Méditerranée au Pacifique.

La mutation épistémique de l’homme s’accompagna de mutations sur le plan social et politique ; c’est ainsi que la théorie de l’âge axial explique aussi la constitution d’une nouvelle élite intellectuelle et l’apparition de l’empire comme nouvelle forme d’organisation politique.

L’« âge axial » est au départ une notion restreinte, destinée à décrire le caractère multipolaire de l’œcoumène antique, plus précisément au premier millénaire av. n. è. Quoique devant constituer prima facie un stimulant défi intellectuel pour les historiens de l’Antiquité, ces derniers ne le relevèrent pourtant pas, ni pour contester ni pour appuyer empiriquement la thèse jaspérienne. Pour ce qui est de la philosophie, si elle investit ponctuellement le sujet[1] elle ne donna pas lieu à une réflexion plus suivie. Certains sociologues firent en revanche de l’« âge axial » un important sujet de débat, avec Eisenstadt comme principal artisan. Ce fut par l’intermédiaire des sociologues et à leur incitation que le sujet revint sur la table de travail des Antiquisants[2].

Ce transfert disciplinaire ne s’opéra pas sans modification conceptuelle, l’axialité ne correspondant plus (seulement) à une époque déterminée, mais désignant un type de civilisation. La caractéristique d’une civilisation axiale est, selon Eisenstadt, la conception, promue par une classe autonome d’intellectuels, d’une tension et un antagonisme entre l’ordre infra-mondain et celui transcendantal. Ce décalage demande à être comblé ce qui incite à agir en vue d’un changement social global. Ainsi, pour Eisenstadt, le changement social se trouve à la conjonction des circonstances historiques contingentes, de la structure et de la culture, comprise comme un ensemble de symboles exprimant une vision spécifique du monde.

Eisenstadt pense que les changements révolutionnaires interviennent très rarement dans l’histoire de l’humanité et reconnaît surtout deux circonstances de ce type : l’âge axial antique et l’avènement de la Modernité comme nouveau type de civilisation caractérisé par un degré élevé de réflexivité ainsi que par la « naturalisation » de l’homme et de la société.

Aux théories explicatives de la modernité, la théorie d’Eisenstadt apporte l’idée qu’il existe une multiplicité de centres d’innovation et qu’une révolution industrielle n’intervient pas en l’absence d’une révolution épistémique. Une nouvelle sociologie de la modernité vit ainsi le jour dans la seconde moitié du XXe siècle : celle des « modernités multiples ». Si Jaspers voulait s’opposer à la conception du temps organisé autour de l’événement chrétien de l’Incarnation en mettant en avant la longue durée et les processus, Eisenstadt prend le contrepied de l’européocentrisme et affirmait l’originalité des modernités extra-européennes.

La modernisation n'implique nullement l'occidentalisation, « le processus de modernisation ne saurait plus être vu comme le but ultime de l'évolution de toute société connue » (Eisenstadt, 2003, p. 24). La modernité gagne ainsi à être conçue moins comme un modèle civilisationnel universel que comme un type spécifique de civilisation, né en Europe et s'étant depuis diffusé ailleurs dans le monde. La diffusion de la modernité représente pour les autres civilisations un défi à l'égard de leurs prémisses institutionnelles et symboliques. Une grande variété de modernités s'est développée à partir de l’interaction entre modernité européenne et occidentale et les civilisations asiatique, africaine et latino-américaine. Les résultats de cette rencontre ont produit des configurations socio-historiques partageant plusieurs caractéristiques et se différenciant tout autant entre elles. Les éléments particularistes propres à chaque civilisation essaient de s'approprier la modernité à leur façon dans leurs propres termes, ils articulent continuellement, et concrètement selon les différents contextes historiques, les antinomies et les contradictions de la modernité. Au sein de toutes les sociétés contemporaines, de nouveaux questionnements concernant la modernité et de nouveaux programmes culturels issus de cette dernière se sont développés qui attestent la croissante diversification des visions et des compréhensions de la modernité et qui nous mènent bien loin des conceptions hégémoniques de l'occidentalisation du monde en vogue dans les années 1950. Ce qui caractérise les identités culturelles dans le monde contemporain est donc bien « cette combinaison de la diversité croissante dans la réinterprétation de la modernité d'une part et le développement de tendances globales multiples et références réciproques d'autre part » (Eisenstadt, 2003, p. 532).

Les questions auxquelles ouvrent l’œuvre d’Eisenstadt et dont nous aimerions débattre sont les suivantes :

  1. Que disent les sciences historiques et les sciences des religions sur le lien entre changement social et une cosmologie opposant infra-mondain et transcendent ?
  2. Comment faire dialoguer l’argumentation à l’échelle micro de la philologie avec l’échelle macro de la théorie sociologique ? Comment la documentation antique, lacunaire, peut venir à l’appui d’une théorie sociologique ? Comment désamorcer le risque de littéralisme dans l’interprétation des sources antiques ?
  3. Quels nouveaux apports à la théorie d’Eisenstadt concernant la rareté des processus révolutionnaires ?
  4. Quel lien aujourd’hui entre bond épistémique et révolution ?
  5. Quelles sont les conséquences politiques – et notamment dans les processus contemporains de radicalisation – de la fin de l’Etat-providence comme « lieu charismatique » du programme culturel de la modernité et de l’identité collective?
  6. De nombreuses identités autrefois invisibles, voire dominées ou exploitées, ont perdu leur place marginale pour occuper le devant de la scène. Par quels moyens contestent-elles les contenus des programmes culturels nationaux considérés comme trop hégémoniques en revendiquant leur autonomie?
  7. L'introduction du concept de modernités multiples a eu le mérite de relancer le paradigme civilisationnel, en le dépouillant des scories malencontreuses du choc des civilisations et d'essayer de répondre sérieusement à la question que Weber soulève (et à laquelle ses détracteurs ne savent pas répondre): comment expliquer l'essor de l'Europe et plus général de l'Occident? En étant attentifs à l'usage de la comparaison faite par les partisans et les adversaires de Weber, ce serait opportun de mieux connaître les avantages et les limites d'une approche en termes de civilisations pour comprendre le monde commun et pluriel dans lequel nous vivons. Plus généralement, de quelle façon l’apport d’Eisenstadt à la compréhension des dynamiques civilisationnelles a revigoré les travaux comparatistes? 
  8. Le monde global est devenu également une arène pour comprendre comment se jouent les différentes formes de compétition entre les civilisations. Si chacune d’entre elles est porteuse d’un programme culturel global, voire universaliste, comment comprendre les dynamiques d’échanges et d’hybridation entre les civilisations?

Notes

[1] Eric Voegelin et son monumental Order and History, 5 vols, 1956-1987.

[2] Mis à part le numéro de Daedalus intitulé Wisdom, Revelation and Doubt (1975), nous pensons ici principalement aux ouvrages initiés et édités par Shmuel Noah Eisenstadt, notamment ceux de 1986 (The origins and diversity of axial age civilizations) et de 2005 (Axial civilizations and world history avec J.P. Árnason et B. Wittrock).

Modalités de soumission

Envoyer une proposition d’environ 500 mots, en français ou en anglais, avant le 15 octobre 2015. La sélection des communications sera annoncée au plus tard le 1er décembre 2015. 

Date limite pour l’envoi des propositions : 15 octobre 2015.

Contact : madalina.vartejanu-joubert@inalco.fr, vincenzo.cicchelli@msh-paris.fr

Date du colloque : 26 Janvier 2016

Comité scientifique

  • Vittorio Cotesta (Université Rome 3),
  • Renée Koch-Piettre (EPHE),
  • Vicenzo Cicchelli (Paris Descartes),
  • Madalina Vartejanu-Joubert (INALCO)

Organisateurs

  • Madalina Vârtejanu-Joubert (INALCO),
  • Vincenzo Cicchelli (Paris Descartes)

Lieux

  • INALCO, 65 rue des Grands Moulins
    Paris, France (75013)

Dates

  • jeudi 15 octobre 2015

Mots-clés

  • Eisenstadt, âge axial, philologie, théorie de la culture, Jaspers, modernités multiples

Contacts

  • Madalina Vârtejanu-Joubert
    courriel : mihaela-madalina [dot] vartejanu-joubert [at] inalco [dot] fr
  • Vincenzo Cicchelli
    courriel : vincenzo [dot] cicchelli [at] ceped [dot] org

Source de l'information

  • Madalina Vârtejanu-Joubert
    courriel : mihaela-madalina [dot] vartejanu-joubert [at] inalco [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Autour de Shmuel Noah Eisenstadt : de la philologie à la sociologie », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 06 juillet 2015, https://doi.org/10.58079/syw

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