AccueilAccueillir, être accueilli. Altérité et éducation 

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Accueillir, être accueilli. Altérité et éducation 

Welcoming, being welcomed. Otherness and education

Le sujet dans la Cité, Revue internationale de recherche biographique n° 7

The subject in the City. Revue internationale de recherche biographique journal no.7

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Publié le lundi 18 avril 2016

Résumé

L’actualité, notamment à travers les déplacements massifs de migrants et de réfugiés, met en agenda les thématiques de l’accueil et de l’hospitalité et interroge la capacité des sociétés à donner place en leur sein à des personnes et à des groupes « étrangers ». Le phénomène migratoire cristallise dans le domaine sociétal et politique la question éthique et éducative du rapport de soi à l’autre et de l’autre à soi telle que ne cessent de la poser toutes les formes de « différences », d’« étrangéité », de « subalternités » : celles de la culture et de la religion, celles du sexe et du genre, celles de la santé et de la maladie, celle du travail et du domicile.

Annonce

Argumentaire 

L’Europe des années 2015-2016 aura été celle qui n’a pas su accueillir les réfugiés des guerres et des conflits du Moyen-Orient et d’Afrique. La chancelière allemande, presque seule contre tous y compris dans son propre pays, aura eu beau défendre l’impératif éthique et politique d’un devoir et d’un pouvoir d’accueil, la Grèce déployer des efforts gigantesques pour sauver et accueillir les milliers de rescapés qui débarquent chaque jour sur ses rivages –, l’Europe, crispée sur ses intérêts économiques et politiciens, aura manqué de concevoir et de mettre en œuvre une vision politique et citoyenne de l’asile et de l’intégration qui aurait été conforme aux droits humains dont elle se revendique. Parmi les nations d’Europe, la France enfin, sans être la pire, aura cependant « réussi cet exploit d’avoir été inhospitalière[1] ». Dans ce concert d’impuissance et d’indignité, il aura fallu les gestes invisibles de gens ordinaires, de citoyens anonymes, pêcheurs et habitants de Lampedusa et de Lesbos, militants et bénévoles des associations et des réseaux de soutien aux migrants et aux réfugiés, pour sauver l’honneur, non des États, mais des hommes et des femmes dans la Cité. 

Cette actualité obsédante met en agenda de façon particulièrement aiguë les thématiques de l’accueil et de l’hospitalité tant dans leur dimension sociale et politique que dans les expériences personnelles et collectives qu’elles recouvrent. Elle interroge la capacité des sociétés à donner place en leur sein à des personnes et à des groupes « étrangers », de quelque nature que soit cette « étrangeté », à quelque situation qu’elle réponde. Le phénomène migratoire porte à son comble, dans le domaine sociétal et politique comme dans le domaine éthique et éducatif, la question du rapport de soi à l’autre et de l’autre à soi telle que ne cessent de la poser toutes les formes de « différence », d’« étrangéité », de « subalternité » d’« intersectionnalité » : celles de la culture, de la religion, celles du sexe et du genre, celles de la santé et de la maladie, celles du travail et du domicile.

Si l’accueil en effet semble concerner au premier chef l’étranger au pays, celui qui est séparé par une origine, une langue, une culture, il prend une réalité sociétale de plus en plus importante au sein même des sociétés, à l’interne des « systèmes », où l’intensification de la division du travail, la complexification de l’organisation sociale ont démultiplié les phénomènes de segmentation et de fractionnement du tissu social, avec leur lot de mises à l’écart et d’exclusions, appelant du même coup l’intervention croissante de mesures publiques et le développement de « politiques d’accueil ». Dans les sociétés technocratiques hautement administrées qui sont les nôtres, l’accueil est partout, et d’abord dans la langue que parlent les institutions : agents d’accueil, personnel d’accueil, lieu d’accueil, centre d’accueil, maison d’accueil, aire d’accueil, famille d’accueil, pays d’accueil, langue d’accueil, classe d’accueil, guichet d’accueil, borne d’accueil, etc. Avec le transfert des pratiques hospitalières, au cours de l’histoire moderne et contemporaine, de la sphère domestique et privée à la sphère publique et étatique, l’accueil est devenu « la forme moderne et administrée de l’hospitalité »[2], tout en perdant souvent le sens de celle-ci. Dans une version plus aiguë, il n’est sans doute pas exagéré de dire que nous sommes dans des sociétés dont une partie de plus en plus importante des membres est occupée à « accueillir » l’autre, elle aussi de plus en plus nombreuse : enfants, malades, personnes en situation de handicap, personnes âgées, etc., mais aussi – et sans préjuger des formes et du sens que prend ici l’« accueil » – celles et ceux dont ces mêmes sociétés produisent l’exclusion, le rejet voire l’expulsion, du chômeur au sans-domicile, du réfugié au sans-papier, du malade mental au prisonnier[3]. Dans beaucoup de ces cas, autant que – et quelquefois avant que – d’assurer des fonctions de protection sociale (hébergement, sécurité, soin), les politiques et les dispositifs d’accueil représentent un outil fonctionnel de gestion des flux propre à orienter et à canaliser des catégories de populations. Ce faisant, ils contribuent à instituer et à multiplier des statuts d’« étrangers au système » et, avec eux, les espaces séparés (les cases, les silos ?), à la fois physiques et mentaux, destinés à les recevoir (à les ranger, les trier ?).   

Cette étatisation de l’accueil, sa traduction administrative et fonctionnelle dans des structures et des dispositifs institutionnels amènent à sortir de la seule approche éthique qui, pour une longue tradition, fait de l’hospitalité une « vertu » (dont on sollicite la pratique et dont on déplore la rareté sinon la disparition) et qui, dans des œuvres plus contemporaines (Levinas, Derrida), absolutise ou inconditionnalise l’hospitalité comme matrice et expérience centrale du rapport à « l’être »[4]. Ouvrir la pensée de l’accueil à la dimension sociale et politique, c’est la considérer dans les termes de rapports à l’autre historiquement et socialement construits, de pratiques sociales concrètes conditionnées par des structures sociales, culturelles, juridiques, économiques.

Cette nécessaire prise en compte des conditions structurelles de l’accueil ne doit pas cependant conduire à passer sous silence ce qui s’y joue d’un singulier de l’expérience de « l’accueillir » et de « l’être accueilli » et de la relation à l’altérité qui y est nouée. À un premier niveau, l’accueil spatialise la relation de soi à l’autre entre un ici et un ailleurs, un dedans et un dehors, un chez-soi et un hors-de-soi. L’accueillant peut se revendiquer d’un lieu à soi dont il ouvre l’accès à l’accueilli, ce lieu serait-il de l’ordre d’un for intérieur. Si l’accueil, comme il est souvent dit, consiste à faire place, à donner place, il le fait au titre d’une place que l’on a et que, au lieu et dans le temps où il se trouve, n’a pas l’accueilli. La relation d’accueil relève d’une constitutive asymétrie, qui risque sans cesse de se figer en position de supériorité y compris morale. La disposition d’accueil cependant reconfigure cette inégalité des places en introduisant le double mouvement d’un intérieur vers un extérieur et d’un extérieur vers un intérieur, mouvement dont le seuil est le lieu. Ouverture à l’étranger, à l’autre que soi, l’accueil ne peut s’effectuer que dans une sortie de soi, une ex-position ou un dés-abri de soi. Le seuil est ce lieu particulier, entre le dedans et le dehors, cet entre-deux où se risquent l’accueillant et l’accueilli et où peut se nouer un entre-nous[5].

Ce qui se joue, dans l’instauration imprédictible, incertaine de cet en-commun relève de processus d’altération, participe d’une ouverture à un devenir-autre, facteurs de métamorphose et de transformation[6]. Pratiquer l’hospitalité, selon Guillaume Le Blanc, c’est accepter que « soi-même ne forme pas un monde complet », c’est faire entrer en soi la compréhension narrative de l’autre vie : « L’hospitalité […] est certes amenée à faire sa place à l’autre, mais depuis une capacité performative propre qui consiste à prendre soin des vies étrangères en leur conférant de nouvelles possibilités narratives. […] L’hospitalité répond d’un souci de rendre des existences à nouveau intelligibles, là où précisément elles sont considérées comme inintelligibles[7]. » Dans cette puissance performative et métamorphique de l’accueil réside aussi sa dimension politique, en ceci qu’instaurant des relations nouvelles il invente des histoires nouvelle, instaure des sens nouveaux, et ce faisant prend potentiellement à revers les « frontières », les « murs », les « ghettos » externes et internes de toutes sortes élevés entre les humains.

Que serait alors une « politique de l’accueil » qui soit autre chose qu’une politique de gestion des flux, qu’une politique de tri et de placement, qui soit une politique réconciliée à la fois avec l’éthique, le droit et l’expérience ? Sans doute faudrait-il en chercher un des piliers dans le domaine juridique, en particulier dans le « droit cosmopolitique » par lequel Kant appelait à reconnaître « le droit de tout étranger à être étranger »[8] et, plus près de nous, dans ce « droit de cité » dans lequel Étienne Balibar entend fonder une « co-citoyenneté » ouverte de participation active[9]. Que signifierait alors de penser l’accueil du malade à l’hôpital, de la personne handicapée dans l’entreprise, de la personne âgée en EHPAD – et bien sûr du migrant ou du réfugié dans le pays où il cherche asile – dans les termes d’un droit à être « étranger », en l’occurrence à être cet « autre » qu’on accueille : d’un droit à être « enfant », « malade », « handicapé », « âgé », « immigré » ou « réfugié » ? Et non pas pour les assigner à la « condition » à laquelle renverraient ces désignations mais au contraire pour les reconnaître dans l’intégrité de leur personne et ouvrir et partager avec eux un droit de citoyenneté ouverte et active.

L’autre voie (l’autre voix) de ce que l’on pourrait définir comme une éthique politique et sensible de l’accueil serait certainement celle que peuvent indiquer les théories du care, du moins si on entend celles-ci, non pas dans la version sentimentale et compassionnelle sous laquelle leur diffusion médiatique prête souvent à les mésinterpréter, mais dans la dimension de reconnaissance politique du care comme « activité caractéristique de l’espèce humaine incluant tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer notre “monde” de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible[10] ». La pensée du care réintroduit l’accueil dans le paradigme d’une vulnérabilité constitutive de la condition humaine et des multiples liens de dépendance (de besoin, de service, d’entretien, de soin, d’attention, etc.) qui « attachent » les hommes entre eux. Elle en appelle à une tout autre déclinaison des activités humaines que celle à laquelle soumet la logique de la production, qui efface et ignore tout ce qui ne relève pas de sa seule rationalité. Elle met au jour, elle rend visible, sensible, elle réinscrit dans la Cité ce que l’on pourrait appeler d’un mot avec Sandra Laugier, « l’entretien du monde humain » et, avec lui, « ce qui importe, ce qui fait la différence dans les vies humaines », « leur texture d’être »[11]. L’accueil, tous les « accueils » relèvent de ce domaine d’activité vitale de « l’entretien humain », dont la préoccupation est essentielle à la recherche biographique.

C’est à ces « scènes de l’accueil », à ce qu’elles disent de l’expérience de « l’accueillir » et de « l’être accueilli », aux processus de formation de soi à l’altérité dans lesquels elles engagent mais aussi aux possibles devenir-autre ensemble auxquels elles ouvrent, c’est à la reconnaissance d’un droit du seuil entendu comme droit cosmopolitique à être « autre », à l’expérience d’une commune vulnérabilité qui nous lie, je et tu, nous et vous, dans la réversibilité de nos dépendances et de nos attachements, qu’invite ce numéro.

[1] Michaël Neuman, Le Un, n° 93 du 10 février 2016.

[2] Voir les travaux d’Anne Gotman à qui est empruntée cette formule, et en particulier Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre. Paris : PUF, 2001.

[3] Voir les analyses de Zygmunt Bauman sur la production des « déchets humains » dans la société globalisée : Vies perdues. La modernité et ses exclus. Paris : Payot, 2006 ; les travaux dirigés par Michel Agier sur le phénomène de l’« encampement » : Un monde de camps. Paris : La Découverte, 2014 ; ceux de Saskia Sassen sur l’« expulsion » comme nouveau modèle de société : Expulsions. Brutalité et complexité dans l’économie globale. Paris : Gallimard, 2016.

[4] Voir Levinas. Totalité et infini. Paris : Le Livre de Poche, 1990 [1961] ; Derrida. De l’hospitalité. Paris :Calmann-Lévy, 1997.

[5] Peut se réinvestir là toute la pensée de François Jullien sur la créativité de « l’entre ». Voir L’écart et l’entre. Leçon inaugurale de la Chaire sur l’altérité. Paris : Galilée, 2012.

[6] Ce que Jacques Derrida dit encore d’une autre façon : « L’hospitalité offerte à ceux qui viennent par-delà les frontières suppose d’abord l’hospitalité intérieure à l’égard de ses propres autres. » Dans M. Seffahi (dir.). Autour de Jacques Derrida : De l’hospitalité. Genouilleux : La Passe du vent, 2001, p. 173.

[7] Guillaume Le Blanc (2011). Politiques de l'hospitalité. Cités, 46, 2011/2 (p. 87-97), p. 94.

[8] Emmanuel Kant. Projet de paix perpétuelle. In Œuvres philosophiques, t. III. Paris : Gallimard (Pléiade), 1986 [1795].

[9] Étienne Balibar. Droit de cité. Paris : PUF, 1998 ; Citoyen-sujet et autres essais d’anthropologie philosophique. Paris : PUF, 2011.

[10] Joan C. Tronto. Un monde vulnérable. Pour une politique du care. Paris : La Découverte, 2009, p. 244.

[11] Sandra Laugier. Le sujet du care : vulnérabilité et expression ordinaire. In Pascal Molinier, Sandra Laugier, Patricia Paperman (dir.). Qu’est-ce que le care ? Paris : Petite Bibliothèque Payot, 2009, p. 175. 

Conditions de soumission

1. Envoi d’une proposition de texte d’une page (titre, résumé, éléments bibliographiques)

d’ici le 30 avril 2016.

2. Retour du comité de rédaction le 15 mai 2016.

3. Envoi d’un article de 25 000 à 30 000 signes (espaces compris) pour le 31 juillet 2016. Ce texte doit être accompagné d’un résumé en français et en anglais ainsi que de 5 mots clés. Voir les consignes aux auteurs.

4. Expertises en double aveugle menées par le comité de lecture international de la revue ainsi que des experts extérieurs. Retour vers les auteurs avec les commentaires des expertises le 31 août 2016.

5. Envoi des textes définitifs avant le 31 septembre 2016.

6. Publication du volume le 20 novembre 2016.

Les propositions d’articles et les textes doivent être adressés à la revue Le sujet dans la Cité. Revue internationale de recherche biographique : revue@lesujetdanslacite.com

Coordinateur scientifique

  • Augustin Mutuale (ISPP Paris)

Dates

  • samedi 30 avril 2016

Mots-clés

  • accueil, altérité, étranger, éducation

Contacts

  • Christine Delory-Momberger
    courriel : christine [dot] delory [at] lesujetdanslacite [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Christine Delory-Momberger
    courriel : christine [dot] delory [at] lesujetdanslacite [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Accueillir, être accueilli. Altérité et éducation  », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 18 avril 2016, https://doi.org/10.58079/utm

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