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Les ghettos d’Italie au XVIIe siècle

The ghettos of Italy in the 17th century

Revue « XVIIe siècle »

XVIIe siècle journal

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Publié le mercredi 28 septembre 2016

Résumé

L’histoire des ghettos juifs d’Italie a débuté à Venise il y a tout juste cinq siècles, en 1516. S’inspirant du modèle vénitien, les papes qui se succèdent à partir de la seconde moitié du XVIe siècle mettent en œuvre une politique ségrégationniste à l’encontre des juifs, érigée en modèle à suivre pour les autres États de la péninsule italienne. Le modèle romain du ghetto, qui naît en 1555 avec la bulle Cum Nimis Absurdum, se détache néanmoins du prototype vénitien par sa dimension conversionniste, qui apparaît comme centrale. Ce numéro thématique devra donc combler un vide historiographique et proposer un éclairage nouveau sur le phénomène de ghettoïsation et sur les conditions de sa généralisation dans un certain nombre de territoires de la péninsule italienne.

Annonce

Argumentaire

L’histoire des ghettos juifs d’Italie a débuté à Venise il y a tout juste cinq siècles, en 1516. S’inspirant du modèle vénitien, les papes qui se succèdent à partir de la seconde moitié du XVIe siècle mettent en œuvre une politique ségrégationniste à l’encontre des juifs, érigée en modèle à suivre pour les autres États de la péninsule italienne. Le modèle romain du ghetto, qui naît en 1555 avec la bulle Cum Nimis Absurdum, se détache néanmoins du prototype vénitien par sa dimension conversionniste, qui apparaît comme centrale. La naissance puis la généralisation progressive des ghettos, qui accompagnent l’expulsion définitive des juifs de certaines régions d’Italie, et en particulier ceux du Midi, entraînent un bouleversement profond de la cartographie de la présence juive, dont les contours se figent dans la première moitié du XVIIe siècle. Auparavant éparpillée sur l’ensemble du territoire, elle s’est en effet considérablement réduite, et à toutes les échelles : les établissements juifs se limitent désormais au centre et au nord de la péninsule italienne ; dans les différentes régions, de nombreuses communautés ont disparu et sont obligées de résider dans quelques villes seulement ; à l’intérieur de la cité, les populations juives doivent maintenant vivre concentrés dans un quartier séparé.

Le début de la période de la ghettoïsation a très largement attiré l’attention des chercheurs[1], tout comme la période précédant l’émancipation[2]. Depuis le travail monumental d’Attilio Milano dont les travaux ont marqué une génération d’historiens[3], deux synthèses récentes ont récemment vu le jour, se proposant d’offrir une vue d’ensemble et de réinscrire l’histoire du judaïsme ou, plutôt, des judaïsmes italiens dans la longue durée, alors que le renouveau historiographique des dernières décennies s’était plutôt consacré aux études de cas, au mieux régionales[4].

Malgré cet important renouvellement du champ des études juives italiennes, force est de constater que le XVIIe siècle, hormis quelques cas isolés, n’a pas bénéficié de ce nouvel élan, en particulier en ce qui concerne l’histoire des ghettos, qu’elle soit sociale, économique, culturelle ou juridique[5]. Dirigeant un travail de grande ampleur sur la démographie des ghettos italiens à la toute fin de l’époque moderne paru en 2009, Luciano Allegra a insisté sur la grande diversité socio-économique des ghettos italiens et de leurs populations, rappelant au passage que de nombreux pans de la vie interne des ghettos demeuraient inconnus[6]. Plus récemment, un groupe de travail rassemblé autour d’Angela Groppi, qui a mis au jour une source inédite pour l’histoire du ghetto juif de Rome – un des très rares recensements de population dont nous disposons – s’est proposé, en partant de ce document daté de 1733, d’écrire une histoire interne du ghetto romain en lien avec le contexte politique, institutionnel, démographique, économique et social plus large dans lequel il s’inscrit[7].

L’ensemble de ces travaux nous offre désormais un cadre méthodologique et historiographique solide sur lequel il est possible de s’appuyer afin d’étudier cette période moderne centrale largement délaissée par les historiens. Ce numéro thématique devra donc combler un vide historiographique et proposer un éclairage nouveau sur le phénomène de ghettoïsation et sur les conditions de sa généralisation dans un certain nombre de territoires de la péninsule italienne. Pour ce faire, la réflexion s’articulera autour de quatre axes :

Axe I : Un ou plusieurs modèles de ghettos ?

Il s’agira ici de dégager et de discuter les différentes typologies de ghetto existantes en Italie[8], en prêtant une attention toute particulière aux textes et aux discours normatifs imposant ou justifiant la ségrégation des juifs. Les approches comparatives seront privilégiées et pourront porter sur des territoires qui, quoi qu’ils situés en dehors de la péninsule, dépendent de certains États italiens (Comtat Venaissin, cités et territoires sous domination vénitienne) ou qui les imitent (République de Raguse). La question du statut juridique des juifs devra donc être affrontée de manière comparative afin d’appréhender le phénomène de ghettoïsation dans son ensemble. Le prototype vénitien du ghetto, qui s’inscrit davantage dans une certaine continuité historique de séparation entre les groupes devra être lu à la lumière du modèle conversionniste romain, mais aussi à travers celui qui, à Florence, aurait été un des instruments essentiels de la construction de l’État médicéen[9].

Axe II : Population, temps et espace

Si le XVIe siècle est celui de l’invention et de la diffusion progressive des ghettos en Italie, le siècle qui suit est celui de leur généralisation puis de la stabilisation et de la réduction concomitante de la présence juive dans la péninsule italienne. Une attention particulière sera donc portée au passage d’une présence diffuse et capillaire sur un vaste territoire à une concentration des juifs dans quelques agglomérations urbaines. On pourra s’interroger sur la signification qu’a pu comporter ce bouleversement cartographique du point de vue des représentations (aussi bien côté juif que chrétien) mais aussi, plus concrètement, des trajectoires et des circulations des biens et des individus.

Il s’agira notamment d’établir une cartographie précise de la population juive et des ghettos en Italie au XVIIe siècle tout en tenant compte de la présence juive ayant échappé à la ghettoïsation, comme à Livourne ou à Pise, dans quelques minuscules fiefs plus ou moins indépendants et souvent situés aux frontières des États et sur les routes qui les relient (Lippiano, Monte Santa Maria Tiberina, Piancastagnaio, Sorano, République de Saint-Marin, etc.) ou encore dans des petites cités des Marches, de Lombardie ou de Vénétie.

Axe III : Économie et société

Une des conséquences de la ghettoïsation a certainement été l’accélération du processus de gouvernance interne au sein des communautés et leur homogénéisation, bien que certaines partitions entre nations et appartenances d’origine aient pu subsister sous différentes formes à l’intérieur des ghettos. Se dotant de structures plus efficaces et à même de répondre tant aux besoins internes de gestion administrative, économique ou sociale qu’à la nécessité de négocier leurs privilèges toujours plus fragiles avec les autorités dont elles dépendent, les communautés ont par exemple produit une documentation d’archives variée qui témoigne de ces changements significatifs. Une grande partie des archives juives des ghettos reste donc à étudier, et gagnerait à être mise en valeur pour approfondir tant l’histoire interne des communautés que leur rapport avec le pouvoir qui les encadre. Leur étude permettrait par exemple de compléter les nombreux travaux s’appuyant sur les sources chrétiennes afin de confronter les points de vue.

Les archives notariales restent une source primordiale pour étudier la vie économique, la culture matérielle et les pratiques familiales ou sociales. Si cette documentation a été au cœur d’un certain nombre de travaux, les actes notariés de certaines villes, en tête desquelles se trouve Rome, restent très largement à étudier, en particulier en ce qui concerne le XVIIe siècle. Les propositions portant sur la vie économique et sociales des ghettos sont donc fortement encouragées. Il nous manque encore, par exemple, des études approfondies sur les banques juives dans les ghettos, et en particulier au moment de leur interdiction dans les États de l’Église, en 1682, qui a eu un impact considérable sur la vie des communautés, qu’il conviendrait d’analyser. Giacomo Todeschini ayant récemment proposé une lecture de la ghettoïsation à travers la focale de l’histoire politico-économique en l’associant à la naissance de la banque publique[10], il serait nécessaire d’étudier cette association au moment de la consolidation du phénomène de ségrégation au XVIIe siècle. De manière plus générale, l’ensemble des activités économiques et sociales des ghettos à cette époque devraient faire l’objet de travaux approfondis.

Axe IV : La vie religieuse

Depuis plusieurs décennies, le durcissement des positionnements idéologiques et des politiques de gestion administrative et religieuse de l’Église à l’égard des juifs à travers ses différentes institutions (Inquisition, Saint-Office, Maison des catéchumènes, etc.) dans le contexte de Contre-Réforme ont fait l’objet de travaux approfondis.

À nouveau, une synthèse consacrée au XVIIe siècle et offrant une perspective comparative à l’échelle de la péninsule italienne serait la bienvenue, tout comme une histoire interne des pratiques liturgiques ou encore une étude de la culture matérielle religieuse dans le contexte si particulier de la ghettoïsation.

Conditions de soumission et d’évaluation

  • Les propositions de contributions, de l’ordre de 5000 signes maximum doivent être accompagnées d’un court CV et être adressées par mail à l’adresse suivante : michael.gasperoni27@gmail.com. Elles doivent être parvenues avant le 1er mars 2017, pour une réponse le 15 avril 2017. Les communications retenues devront être remises avant le 1er décembre 2017 (parution en 2018).
  • Les articles sont publiés en langue française mais les auteurs peuvent solliciter une aide à la traduction.

Responsable scientifique

Michael Gasperoni, chargé de recherches au CNRS, UMR 8596, Centre Roland Mousnier, travaille sur l’histoire de la ségrégation sociale et de la famille en Italie à l’époque moderne. Il a publié différents travaux sur les pratiques matrimoniales et les systèmes de parenté juif et chrétien à l’époque moderne et sur les aspects démographiques, juridiques, économiques et sociaux des ghettos juifs en Italie.

La revue XVIIe siècle

La revue XVIIe siècle est née peu après la création de la Société d’Étude du XVIIe siècle, dont elle dépend : le premier numéro a paru en 1949, et la publication s’est depuis poursuivie sans interruption, au rythme de 4 livraisons par an.

Ordonnée à mieux faire connaître le XVIIe siècle dans son ensemble, et notamment dans les domaines artistique, historique, juridique, littéraire, philosophique, scientifique et spirituel, elle est pluridisciplinaire par vocation. Elle accueille à cette fin des contributions de chercheurs et d’amateurs érudits, français aussi bien qu’étrangers, publiées après soumission à sa commission de publication. Les livraisons de varia alternent avec les numéros thématiques, élaborés sous la responsabilité d’une autorité scientifique reconnue. Chaque numéro de la revue assure, de surcroît, la recension d’ouvrages récemment parus sur le XVIIe siècle (environ 130 recensions par an). 

XVIIe siècle

Société d’Étude du XVIIe siècle
Université de Paris Sorbonne
1 rue Victor Cousin
75230 Paris cedex 05
France
http://www.17esiecle.fr 


[1] Outre les travaux de Kenneth Stow, « Sanctity and the Construction of Space: The Roman Ghetto », in Sofia Boesch Gajano et Lucetta Scaraffia (dirs.), Luoghi sacri e spazi della santità, Torino, Rosenberg e Sellier, 1990, pp. 593‑607 ; Theater of acculturation: the Roman ghetto in the sixteenth century, Seattle, University of Washington Press, 2001 (traduction italienne : Il ghetto di Roma nel Cinquecento: storia di un’acculturazione, Roma, Viella, 2014) ; « Ethnic Amalgamation, Like it or not: Inheritance in Early Modern Jewish Rome », Jewish History, 2002, vol. 16, no 1, pp. 107‑121 ; voir aussi Ariel Toaff, « Lotte e fazioni tra gli ebrei di Roma nel Cinquecento », Studi romani, 1979, XXVII, pp. 25‑32 ; id., Il ghetto di Roma nel Cinquecento: conflitti etnici e problemi socioeconomici, Ramat-Gan, Bar-Ilan University Press, 1984 ; Anna Esposito, « Gli Ebrei a Roma nella seconda metà del ’400 attraverso i protocolli del notaio Giovanni Angelo Amati », in Sofia Boesch Gajano (dir.), Aspetti e problemi della presenza ebraica nell’ Italia centro-settentrionale (secoli XIV e XV), Roma, Istituto di scienze storiche dell Università di Roma, 1983, pp. 29‑125 ; Ead., Un’altra Roma. Minoranze nazionali e comunità ebraiche tra Medioevo e Rinascimento, Roma, Il Calamo, 1995 ; Stephanie Siegmund, « La vita nei ghetti », in Storia d’Italia. Annali. 11, Gli ebrei in Italia, Torino, Giulio Einaudi editore, 1996, pp. 845‑892 ; Ead., The Medici state and the ghetto of Florence: the construction of an early modern Jewish community, Stanford, Stanford University Press, 2006 ; Anna Foa et Kenneth R. Stow, « Gli ebrei di Roma. Potere, rituale e società in età moderna », in Luigi Fiorani et Adriano Prosperi (dirs.), Storia d’Italia. Annali., 2000, vol.16. Roma, la città del papa. Vita civile e religiosa dal giubileo di Bonifacio VIII al giubileo di papa Wojtyla, pp. 557‑581 ; Marina Caffiero et Anna Esposito (dirs.), Judei de Urbe. Roma e i suoi ebrei: una storia secolare: Atti del Convegno, Archivio di Stato di Roma, 7-9 novembre 2005, Roma, Ministero per i beni e le attività culturali, Direzione generale per gli archivi, 2011 ; Serena Di Nepi, Sopravvivere al ghetto: per una storia sociale della comunità ebraica nella Roma del Cinquecento, Roma, Viella, 2013.

[2] Parmi l’importante bibliographie, voir Luciano Allegra, Identità in bilico. Il ghetto ebraico di Torino nel Settecento, Torino, Silvio Zamorani editore, 1996 ; Marina Caffiero, Battesimi forzati: storie di ebrei, cristiani e convertiti nella Roma dei papi, Roma, Viella, 2004.

[3] Voir en particulier Attilio Milano, Storia degli ebrei in Italia, Torino, Einaudi, 1992.

[4] Riccardo Calimani, Storia degli ebrei italiani. Dalle origini al XV secolo, Milano, Mondadori, 2013 ; Id., Storia degli ebrei italiani. Dal XVI al XVIII secolo, Milano, Mondadori, 2014 ; Marina Caffiero, Storia degli ebrei nell’Italia moderna. Dal Rinascimento alla Restaurazione, Roma, Carocci, 2015.

[5] Les réseaux marchands et la foisonnante activité économique des communautés juives – en particulier celle de Livourne – ont toutefois bénéficié d’un élan historiographique remarquable pour les XVIIe et XVIIIe siècles. Voir, entre autres, Viviana Bonazzoli, Adriatico e Mediterraneo orientale. Una dinastia mercantile ebraica del secondo seicento: I Costantini, Trieste, Lint, 1998 ; Cristina Galasso, Alle origini di una comunità: ebree ed ebrei a Livorno nel Seicento, Firenze, L. S. Olschki, 2002 ; Lucia Frattarelli Fischer, Vivere fuori dal ghetto: ebrei a Pisa e Livorno, secoli XVI-XVIII, Torino, Silvio Zamorani editore, 2008 ; Francesca Trivellato, The Familiarity of Strangers : The Sephardic Diaspora, Livorno, and Cross-Cultural Trade in the Early Modern Period, 2009, Yale University Press, traduit récemment par Guillaume Calafat aux Éditions du Seuil (Corail contre diamants: réseaux marchands, diaspora sépharade et commerce lointain, Paris, 2016).

[6] Luciano Allegra (dir.), Una lunga presenza. Studi sulla popolazione ebraica italiana, Torino, Silvio Zamorani editore, 2009.

[7] Angela Groppi (dir.), Gli abitanti del ghetto di Roma. La Descriptio Hebreorum del 1733, Roma, Viella, 2014.

[8] Voir, notamment, Donatella Calabi, « Les quartiers juifs en Italie entre XVe et XVIIe siècle. Quelques hypothèses de travail », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 1997, vol. 52, no 4, pp. 777-797 ; Donatella Calabi, « Gli stranieri e la città: un’esplorazione storiografica per la prima età moderna », in Francesco Chiapparino (dir.), Diversità sociale e sostenibilità: una prospettiva storica, Bologna, Il Mulino, 2011, pp. 145‑191.

[9] Stephanie Siegmund, The Medici state and the ghetto of Florence, op. cit. Voir aussi Giacomo Todeschini, La banca e il ghetto: una storia italiana (secoli XIV-XVI), Rome, Editori Laterza, 2016.

[10] G. Todeschini, La banca e il ghetto, op. cit.

Lieux

  • Paris, France (75)

Dates

  • mercredi 01 mars 2017

Fichiers attachés

Mots-clés

  • ghetto, XVIIe siècle, Italie, ségrégation sociale

Contacts

  • Michael Gasperoni
    courriel : michael [dot] gasperoni [at] cnrs [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Michael Gasperoni
    courriel : michael [dot] gasperoni [at] cnrs [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les ghettos d’Italie au XVIIe siècle », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 28 septembre 2016, https://doi.org/10.58079/vtk

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