AccueilSales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat

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Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat

Dirty beasts and weeds! The notion of "pests"

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Publié le vendredi 28 octobre 2016

Résumé

Depuis plus d’un siècle la notion de « nuisible » fait l’objet d’une contestation de plus en plus vive. Pourtant celle-ci connait une singulière persistance sociale car « nuisible » n’est pas seulement un qualificatif que l’homme choisit d’appliquer à telle ou telle espèce mais bien un concept opérationnel qui lui donne une certaine légitimité pour la gérer, et souvent, la détruire. Afin de dresser un état de la recherche, d’historiciser cette notion et d’éclairer les enjeux actuels, le colloque se propose de croiser les regards afin de caractériser les différentes conceptions de la notion de « nuisible » qui coexistent actuellement et d’en retracer les origines, tout en s’ouvrant aux acteurs du présent.

Annonce

Organisation

  • Colloque organisé par l'AHPNE.

Avec le soutien de :

  • Comité d'histoire du ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer
  • Société nationale de protection de la nature
  • Archives Nationales
  • Fondation François Sommer
  • Service du patrimoine naturel - Muséum national d'histoire naturelle
  • Centre de recherche d'histoire quantitative, Université de Caen-Normandie
  • Pôle de l'histoire environnementale, Université de Namur

Programme, livret des résumés et informations sur le site de l'AHPNE: http://ahpne.espaces-naturels.fr/spip.php?article371

Inscription

Inscriptions en ligne : http://enqueteur.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/index.php?sid=23248&lang=fr

Argumentaire

Depuis plus d’un siècle la notion de « nuisible » fait l’objet d’une contestation de plus en plus vive. Pourtant celle-ci connait une singulière persistance sociale car « nuisible » n’est pas seulement un qualificatif que l’homme choisit d’appliquer à telle ou telle espèce mais bien un concept opérationnel qui lui donne une certaine légitimité pour la gérer, et souvent, la détruire.

À l’heure où la France vient d’adopter la loi sur la reconquête de la biodiversité, la question des « nuisibles » reprend une singulière acuité avec la multiplication et l’expansion de nouvelles espèces exotiques envahissantes, telles que le moustique tigre (Aedes albopictus), potentiel vecteur du virus Zika, transmissible à l’homme, le frelon asiatique (Vespa velutina), destructeur de ruches, l’écureuil gris (Sciusrus carolinensis), qui pourrait s’implanter au détriment de l’écureuil roux (Sciurus vulgaris) ou encore l’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia), plante fortement allergisante. Il faut aussi relever les vives controverses qui demeurent autour de la cohabitation du loup et de l’élevage, et les critiques qui sont de plus en plus documentées sur les risques, pour la santé, de l’utilisation des insecticides pour lutter contre les insectes ravageurs et l’emploi des herbicides. Si la notion de « nuisible » demeure centrale dans la gestion du sauvage par nos sociétés, elle s’avère très variable selon l’époque, l’espèce, le territoire ou le groupe social considéré.

Afin de dresser un état de la recherche, d’historiciser cette notion et d’éclairer les enjeux actuels, le colloque se propose de croiser les regards afin de caractériser les différentes conceptions de la notion de « nuisible » qui coexistent actuellement et d’en retracer les origines, tout en s’ouvrant aux acteurs du présent. Il entend ainsi contribuer à éclairer les relations et interactions entre les sociétés et la nature, et permettre de mieux saisir leurs coévolutions.

Programme

Mardi 31 janvier 2017

  • 8h30 Accueil
  • 9h Ouverture par Nicolas Forray, Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, président de la section milieux, ressources et risques au Conseil général de l’environnement et du développement durable
  • 9h30 Conférence inaugurale : Des êtres nuisibles, ou des gêneurs dans la communauté biotique ? Par André Micoud, Sociologue. Directeur de recherche honoraire du CNRS (Centre Max Weber)

10h15 Thème 1 Nuisible, une notion historiquement évolutive

Modérateur : Rémi Luglia, Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie

  • Les forestiers et les insectes dits « nuisibles » depuis 1800. Des ravageurs aux bioindicateurs, Par Laurent Lathuillière, Réseau entomologie de l’Office national des forêts
  • Du statut de nuisible à celui d'espèce protégée. La loutre en Belgique de la fin du xixe siècle à nos jours Par Sarah Beslagic, Archéozoologue. PolleN, université de Namur
  • Un problème de sécurité publique révélateur des sociétés. La gestion du loup de l’Antiquité au xxie siècle Par Jean-Marc Moriceau, Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie

11h30 Thème 2 Le nuisible dans la loi

Modérateur : Jérôme Fromageau, Historien du droit de l’environnement. Université Paris-xi

  • Le législateur français a-t-il peur des nuisibles ? Par Aline Treillard, Doctorante en droit public. OMIJ-CRIDEAU – université de Limoges
  • Réglementation relative au classement et aux modalités de destruction des animaux d'espèces non domestiques classés en tant que « nuisibles » : point d'actualité et perspectives, Par Julien Astoul-Delseny, Adjoint au chef du bureau de la chasse et de la pêche en eau douce, direction de l'eau et de la biodiversité, MEEM
  • Le nuisible, une catégorie juridique. Logiques et paradoxes d'une législation de la destruction des nuisibles (fin xixe°-début xxe siècle) Par Renaud Bueb, Historien du droit. Université de Franche-Comté)

14h30 Thème 3 Définir scientifiquement le nuisible ?

Modérateur : Isabelle Arpin, Sociologue. IRSTEA Grenoble

  • Nuisibles d’hier et d’aujourd’hui. Le lapin, le flamant et le sanglier dans le delta du Rhône Par Raphaël Mathevet, Écologue et géographe. CEFE UMR 5175, Montpellier et Anthony Olivier, Garde-technicien de la Réserve Naturelle Régionale, Institut de recherche de la Tour du Valat, Arles
  • Les données écologiques disponibles dans le cadre de la procédure de classement des espèces Par Sandrine Ruette et Murielle Guinot-Ghestem, Direction de la recherche et de l’expertise, ONCFS
  • Pourquoi les mammifères seraient-ils nuisibles ? Par Christian Arthur, Stéphane Aulagnier, Patrick Haffner, Virginie Muxart et François Moutou, Société française pour l’étude et la protection des mammifères

16h Table-ronde Vivre avec les « nuisibles » ?

Table ronde animée par Jean-Jacques Fresko Journaliste associé à L'Agence Nature, ancien rédacteur en chef de Terre Sauvage

Avec

  • Benoît Chevron, Président de la fédération départementale des chasseurs de Seine-et-Marne
  • Geneviève Gaillard, Députée des Deux-Sèvres. Rapporteuse de la loi « biodiversité » à l’Assemblée nationale
  • François Moutou, Vétérinaire et épidémiologiste. Vice-président de la Société nationale de protection de la nature
  • Baptiste Morizot, Philosophe à l’université d’Aix-Marseille. CEPREC – UMR 7304
  • Jean-Philippe Siblet, Directeur du service du patrimoine naturel. MNHN

Mercredi 1er février 2017

9h Thème 4 Les espèces exotiques sont-elles nuisibles ?

Modérateur : François Moutou, Vétérinaire et épidémiologiste

  • Lorsque les nuisibles sont étrangers. La construction historique de la notion d'espèces introduites ou envahissantes et son rapport à celle de nuisible. Par Valérie Chansigaud, Historienne de l’environnement. SPHERE, université Paris-7 Diderot
  • Espèce nuisible, espèce invasive : des statuts publics dans la succession des lectures du monde. Le cas de l'ajonc d'Europe (Ulex europaeux) sur l'île de La Réunion, Par Nathalie Udo et Catherine Darrot, Agrocampus Ouest, UMR CNRS 6590 ESO « Espaces et Sociétés », Rennes et Anne Atlan, Université Rennes 2, UMR CNRS 6590 ESO « Espaces et Sociétés », Rennes
  • De l'ibis sacré à l'ibis nuisible. Espèce invasive, résurgence de la notion de nuisible par principe ? Par Loïc Marion, UMR CNRS ECOBIO, université de Rennes-1 et Farid Benhammou, Géographe. Chercheur associé, Laboratoire Ruralités, EA2252 - Université de Poitiers
  • Des lapins de garenne dans les grands parcs urbains de la Seine-Saint-Denis. Historique d'une gestion Par Léo Martin, Doctorant. CESCO-PALOC, MNHN

11h Thème 5 Les nuisibles dans les campagnes

Modérateur : Jean-Marc Moriceau, Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie

  • Les animaux nuisibles dans les campagnes du haut Moyen Âge Par Fabrice Guizard Médiéviste. CALHISTE (EA 4343) – université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis ; ArScAn (UMR 7041) archéologies environnementales, CNRS Paris X Nanterre
  • Les friches : des espaces nuisibles ? Par Rémi Beau, Philosophe, laboratoire Sophiapol, EA 3932, université Paris Ouest Nanterre La Défense
  • Les nuisibles, symboles inamovibles de l'utilitarisme agricole ? Par Rémi Fourche, Historien, laboratoire d’études rurales, EA 3728 – université Lumière Lyon 2
  • Dites-nous qui vous détestez et nous vous dirons qui vous êtes. Les ruraux face à leurs nuisibles, Par Guillaume Marchand, Géographe, université fédérale de l’Amazonas, Florent Kohler, Anthropologue, université de Tours, Chloé Thierry, Écologue, SNP-MNHN et Philippe Léna, Sociologue et géographe, IRD

14h30 Thème 6 Quelles sources pour construire de nouveaux regards ?

Modérateur : Isabelle Parmentier, Historienne. PolleN, université de Namur

  • Animaux et plantes nuisibles selon les inventaires des Archives nationales : de l'évolution du champ lexical à la mise en Histoire Par Geneviève Profit, Conservateur du patrimoine au DEATA, Archives nationales
  • Les renards face à la rage (France, 1968-1998) Par Nicolas Baron, Agrégé d’histoire-géographie, doctorant en histoire, LARHRA, Lyon 3
  • Que la peste soit de l’animal ! La législation à l’encontre des animaux en période d’épidémies dans les villes des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège (1600-1669) Par William Riguelle, Doctorant en histoire, université catholique de Louvain

15h45 Thème 7 Le nuisible et la mer

Modérateur : Martine Bigan, Chargée de mission espèces marines au ministère de l’Écologie de 2005 à 2014

  • De la nuisibilité à la patrimonialité en milieu marin, L'histoire d'une ambiguïté entretenue Par Patrick Le Mao et Nicolas Desroy, IFREMER-CRESCO, ODE-UL-LERBN, Jérôme Fournier, CNRS, UMR 7208 BOREA, Laurent Godet, CNRS, UMR 6554 LETG et Éric Thiébaut UPMC, UMR 7144 Adaptation et Diversité en milieu marin
  • Quel nuisible en milieu « hostile » ? Le cas du marin pêcheur hauturier, dernier chasseur cueilleur moderne Par Jérémie Brugidou Doctorant, ESTCA, Paris 8 et Fabien Clouette, Doctorant, GTM-CRESPPA, Paris 8
  • Genèse et métamorphoses du nuisible, Animaux marins et sociétés occidentales (xviie-xxie s.) Par Daniel Faget, Historien. CNRS-UMR 7303 TELEMME, Aix-Marseille Université

Conclusion Par Jacques Wintergerst, Adjoint au sous-directeur de la protection et de la valorisation des espèces et de leurs milieux à la direction de l'eau et de la biodiversité (DGALN)

Comité scientifique

  • Arpin Isabelle. Sociologue. AHPNE / IRSTEA
  • Baratay Éric. Historien. LARHRA-Université Lyon 3
  • Beck Corinne. Historienne. CALHISTE, Université de Valenciennes
  • Bueb Renaud. Historien du droit. AHPNE / Université de Franche-Comté
  • Buridant Jérôme. Géographe. Université de Picardie
  • Chansigaud Valérie. Historienne. AHPNE / SPHERE (Paris-7)
  • Frioux Stéphane. Historien. LARHRA - Université Lyon 2
  • Fromageau Jérôme. Historien du droit de l’environnement. AHPNE / Université Paris XI
  • Luglia Rémi (Coordinateur). Historien. AHPNE / CRHQ (UMR 6583) et Pôle Rural - Université de Caen
  • Micoud André. Sociologue. Directeur de recherche honoraire du CNRS (Centre Max Weber)
  • Moriceau Jean-Marc. Historien. CRHQ (UMR 6583) et Pôle Rural - Université de Caen
  • Moutou François. Vétérinaire. Épidémiologiste à l’ANSES
  • Parmentier Isabelle. Historienne. PolleN - Université de Namur

Comité d’organisation

  • Chansigaud Valérie. Historienne. AHPNE / SPHERE (Paris-7)
  • Corvol-Dessert Andrée. Historienne. Académie d’agriculture
  • Février Patrick. Comité d’histoire du MEDDE
  • Profit Geneviève. Conservateur du patrimoine. Archives nationales
  • Luglia Rémi (Coordinateur). Historien. AHPNE / CRHQ (UMR 6583) et Pôle Rural - Université de Caen
  • Parmentier Isabelle. Historienne. PolleN - Université de Namur
  • Richard Emmanuelle. Fondation François Sommer
  • Siblet Jean-Philippe. MNHN – Service du Patrimoine Naturel

Informations pratiques

Entrée sur présentation d’une pièce d’identité

Inscription préalable obligatoire et dans la limite des places disponibles

http://enqueteur.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/index.php?sid=23248&lang=fr

Contact : nuisibles@unicaen.fr   

Lieu

Ministère de l’Environnement,de l’énergie et de la Mer

Tour Séquoia

92055 La Defense cedex

Bus N° 73, 141, 158, 159, 161, 174, 172, 258, 262, 272, 278, 344, 360, 378, Balabus

Tram (T2) station La Défense

Métro (Ligne 1) / RER (Ligne A) station La Défense Sortie A Dôme

Résumés

Les forestiers et les insectes dits « nuisibles » depuis 1800. Des ravageurs aux bioindicateurs

Par Laurent Lathuillière, Réseau entomologie de l’Office national des forêts

Durant des siècles, les forestiers ont été attentifs aux dégâts causés aux arbres et aux forêts par les insectes xylophages ou phytophages, considérés comme des « nuisibles » ou des « ravageurs » pour le patrimoine forestier dont ils avaient la responsabilité et la garde. Certaines espèces ont été particulièrement étudiées et surveillées en raison des dépréciations importantes des grumes, ou des conséquences sur la vitalité des boisements qu’elles peuvent occasionner. Au-delà de la connaissance (identification et biologie), les forestiers ont cherché à mettre en place des techniques de lutte, passant par le piégeage tout d’abord, puis la lutte biologique. Les techniques ont évolué (notamment avec l’avènement des produits chimiques) mais la plupart sont toujours utilisées de nos jours dans la lutte « sanitaire » avec plus ou moins de succès et de pertinence.

Les connaissances de l’écologie des espèces mais aussi des écosystèmes forestiers ont également évoluées, comme le montrent diverses publications techniques depuis 1800, et les forestiers ont pris conscience que les insectes dits « nuisibles » participaient au fonctionnement des milieux, et avaient leur place dans les biocénoses, notamment au sein des chaînes trophiques et fonctionnelles.

Par ailleurs, les techniques de recherches et d’inventaires des insectes ont récemment connu des innovations déterminantes dans l’étude de certains cortèges – saproxyliques notamment - considérés désormais comme « biodindicateurs » de la qualité des forêts françaises. Ainsi certaines espèces de « nuisibles » sont devenues patrimoniales, et pour certaines légalement protégées, ce qui n’est pas sans provoquer quelques cas de conscience (exemple avec le grand capricorne et le chêne) pour les forestiers chargés de conjuguer les fonctions de production et de préservation de l’environnement.

Les forestiers ont depuis longtemps pratiqué une véritable chasse à une partie de l’entomofaune forestière. Cette dernière présente de multiples similitudes avec la chasse dont il est communément question (et qui elle s’intéresse à d’autres espèces également considérées comme « nuisibles »), tant par la diversité des techniques employées (pièges, chasse à vue, à l’odeur, au filet, à l’affût etc.), que par la nature du gibier (lucane cerf-volant, scarabée rhinocéros) ou encore le devenir du « gibier » ainsi chassé (trophée, collection, consommation).

Nous proposons un voyage au milieu des insectes forestiers depuis deux siècles, en illustrant les évolutions tant des techniques que des enjeux de « gestion » des espèces, mais aussi des concepts et des perceptions socio-culturelles et économiques des insectes forestiers dits « nuisibles ».

Plan de l’intervention

  1. Introduction : relations historiques entre les forestiers et les insectes forestiers
  2. Les insectes forestiers : des « ravageurs » des arbres et des forêts (connaissance, information, chasse, lutte)
  3. Les insectes dans l’écosystème forestier : un maillon essentiel, nécessaire, indispensable et patrimonial
  4. Les insectes bioindicateurs de la qualité des forêts : toujours « chassés » mais pour les préserver !
  5. Synthèse et perspectives

Bibliographie

  • ABGRALL, J.-F. et SOUTRENON, A. 1991. La forêt et ses ennemis. Ed. CEMAGREF, Grenoble. 400 p.
  • Administration des Eaux et forêts. Circulaires de l’administration forestière de 1820 à 1937.
  • AGUILAR (d’), Jacques. 2006. Histoire de l’entomologie, Delachaux et Niestlé, Paris. 224 p.
  • BRUSTEL, H. 2004. Coléoptères saproxyliques et valeur biologique des forêts françaises. Les dossiers forestiers n°13. ONF. 297 p.
  • CHANSIGAUD, Valérie. 2013. L’homme et la nature, une histoire mouvementée. Ed. Delachaux et Niestlé, Paris. 272 p.
  • DAJOZ, Roger. 1998. Les insectes et la forêt. Coll. Tec & Doc, Ed. Lavoisier, Paris. 594 p.
  • GUINIER, P. et OUDIN, A. et SCHAEFFER, L. 1947. Technique forestière. Ed. La Maison Rustique, Paris. 376 p.
  • Société Dendrologique de France. 1923. Notes sur quelques insectes nuisibles aux arbres forestiers. Protat, 71 Macon. 52 p.
  • VELLE, Laurent. 2012. Inventaire des Coléoptères saproxyliques dans la Forêt Domaniale des Colettes (F-03). Rapport d’étude. DREAL Auvergne & Réseau entomologie de l’Office National des Forêts. 76 p.

Du statut de nuisible à celui d'espèce protégée. La loutre en Belgique de la fin du xixe siècle à nos jours

Par Sarah Beslagic, Archéozoologue. PolleN, université de Namur

Dans le contexte actuel de préservation de la biodiversité – en particulier de biodiversité animale – de plus en plus de recherches axées sur l’évolution de la répartition des espèces, basées sur des données historiques, viennent apporter un éclairage nouveau sur l’histoire des relations entre l’homme et l’animal, mais également sur la façon dont les animaux ont été perçus par le passé.

Face à l’inquiétude provoquée par la perte de cette biodiversité, on assiste aujourd’hui à la mise en place de mesures de conservation et de restauration des habitats naturels de certaines espèces animales. En Belgique, la loutre fait partie des animaux pour lesquels un projet LIFE-Nature « Restauration des habitats de la loutre » (Life 05/NAT/B/000085) a été mis en place entre 2005 et 2011. Il visait à restaurer les capacités d’accueil de certains bassins hydrographiques notamment en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg. Aujourd’hui, le plan transnational Loutre 2011-2021 est en œuvre pour permettre l’accueil des populations de loutres dans ces régions (Nederlandt et al., 2011).

La loutre, une espèce autochtone en Wallonie, était présente en grand nombre il y a encore quelques centaines d’années sur les rivières belges (Libois et Hallet, 1995). À l’heure actuelle, cette espèce a quasiment disparu.

Cette étude, axée sur la Belgique, a pour objectifs (i) de dresser un état des lieux de la répartition de la loutre depuis le xixe siècle, (ii) d’évaluer l’importance des prélèvements effectués sur les populations de loutres, considérées alors comme des animaux nuisibles, et (iii) de comprendre comment s’est opérée la transition de son statut, de celui d’espèce nuisible à la fin du xixe siècle à celui d’espèce protégée depuis une quarantaine d’années. La méthodologie mise en œuvre repose sur l’exploitation de divers documents historiques, notamment les revues naturalistes belges du xixe siècle, ainsi que des données de captures issues des anciennes revues de pêche.

Les données analysées montrent que la loutre était largement répandue sur la plupart des cours d’eau en Belgique jusqu’à la fin du xixe siècle, période au cours de laquelle un arrêté royal, daté du 9 juillet 1889, autorisa et encouragea la lutte contre cette espèce aquatique (Klein, 1890). Dans le cadre d’une politique de repeuplement des rivières initiée par l’État, la loutre a été considérée comme un nuisible portant atteinte aux efforts engagés pour préserver les stocks de populations piscicoles. À partir de cette date, jusqu’au milieu du xxe siècle, la loutre n’a plus connu aucun répit, et ses effectifs ont décliné de façon drastique sur le territoire belge.

Pour les pêcheurs, la loutre a toujours représenté un terrible concurrent (Beck, 2008). Principalement piscivore, la loutre pouvait manger, disait-on alors, jusqu’à 3 kg de poisson par jour (Quievy, 1907). Même si l’estimation a été grandement exagérée, la loutre est apparue comme un terrible prédateur aux yeux d’une partie de la société à l’époque, un véritable nuisible (Dubois, 1893). Nous montrerons, à l’aide des relevés de captures couvrant la période comprise entre 1889 et 1920, quelle a pu être l’ampleur des mesures d’extermination qui ont été prises, et les impacts que cela a pu avoir sur la dispersion de cette espèce.

En 1965, le système de prime à la loutre, qui avait été institué en 1889, a été supprimé, et l’autorisation de chasse levée quelques années plus tard. La loutre acquiert ainsi, en 1973, le statut d’espèce protégée via la loi de Conservation de la nature. Pourquoi un tel revirement alors que jusque dans les années 1950, on mentionnait encore, çà et là, des captures de loutres sur les rivières belges ? Plus qu’une espèce protégée, la loutre est désormais une espèce dont on espère le retour sur les rivières belges. Des mesures visant à favoriser sa réintroduction sont prises depuis quelques dizaines d’années. Comment son statut est-il passé, en quelques années seulement, de celui de nuisible à celui d’espèce protégée ? Et comment cela est-il perçu et vécu par nos contemporains ?

Bibliographie

  • Beck, C., (2008) La loutre en Bourgogne à la fin du Moyen Âge in : Les eaux et forêts en Bourgogne ducale (vers 1350-1480). Société et biodiversité, Paris : l’Harmattan, pp. 337-355.
  • Dubois, A. (1893) Les animaux nuisibles de la Belgique: histoire de leurs mœurs & de leur propagation : mammifères, oiseaux & reptiles
  • Klein (1890) (1890) La loutre. Moeurs, chasse, destruction, Louvain : imp. Aug. Fonteyn, 21p.
  • Libois, R. et Hallet, C., (1995) Situation actuelle de la loutre, Lutra lutra, en Belgique, et problématique de sa conservation, Cahiers d’Éthologie, 15(2-3-4), pp. 157-168.
  • Nederlandt, N. et al., (2011) Plan Loutre 2011-2021 en Wallonie et au Grand-Duché de Luxembourg, 75p.
  • Quievy, P. (1907) La destruction des loutres en Belgique, Pêche et Pisciculture, 18(19) : 241-244.

Un problème de sécurité publique révélateur des sociétés. La gestion du loup de l’Antiquité au xxie siècle

Par Jean-Marc Moriceau, Historien. CRHQ et Pôle Rural – université de Caen Normandie

Longtemps la lutte contre le loup a été vécue comme un baromètre du progrès de la civilisation. Le loup a été le seul animal sauvage à susciter chez l’homme autant d’énergie pour le réguler. Depuis les lois de Solon au vie s. avant J-C, les sociétés ont forgé une réglementation spécifique pour le contenir, le pourchasser, puis l’exterminer. Pour s’en protéger les pouvoirs publics ont mis en place un arsenal répressif sans équivalent. Ils lui ont même dédié une institution, qui prétend remonter à Charlemagne, et qui subsiste toujours : la louveterie. Alors que la chasse était l’attribut des privilégiés, le danger causé par le canidé a occasionné des exceptions à l’interdiction du port d’armes. Il a suscité des réquisitions à des battues collectives encouragées même par les autorités à l’échelon national depuis 1583. Et surtout il a suscité une politique de primes de destruction dont on peut mesurer les modulations et la généralisation selon de multiples facteurs : le degré de vulnérabilité ressenti à l’égard du loup ; l’état de la sécurité publique ; les capacités financières des autorités compétentes ; l’importance de la centralisation administrative ; les choix des dirigeants. Autour du loup se sont cristallisées des rancœurs sociales et des conflits de compétence, résultant des antagonismes dans les styles de vie, les modes d’occupation de l’espace et les singularités de gestion administrative. Passé la loi de 1882, la iiie République a mis en place une politique d’éradication qui, du point de vue des sociétés humaines, a réussi dans l’Entre-deux-guerres. Après un combat mené depuis plus de 2 000 ans, l’homme a eu raison du canidé sauvage jusqu’à une inversion des options idéologiques qui ont été les siennes et du statut de l’animal dans la seconde moitié du xxe s.

Le législateur français a-t-il peur des nuisibles ?

Par Aline Treillard, Doctorante en droit public. OMIJ-CRIDEAU – université de Limoges

Juridiquement, la catégorie des nuisibles regroupe les espèces nuisibles, les bêtes fauves et les organismes nuisibles[1]. Ces trois dénominations distinctes illustrent toutefois une seule conception du rapport de l’homme à la nature, un rapport anthropocentrique imprégné d’une volonté de domination du premier sur la seconde. L’émergence de la catégorie des espèces nuisibles en droit français est à rechercher dans le droit de la chasse dès le Moyen-âge et connaît son apogée après la Révolution française. Son maintien dans l’ordre juridique a des fondements davantage sociaux que scientifiques. Cette notion renvoie à un sentiment originel de crainte de la nature sauvage. L’exemple actuel de la règlementation permissive en matière d’élimination du loup est illustratif du conflit entre représentations sociales et réel écologique qui est au cœur de la problématique des nuisibles. Les conséquences de ce conflit et la législation qui en est issue sont désastreuses.

Dans un premier temps, l’analyse aura pour but de démontrer que le législateur français porte un double discours sur les espèces nuisibles qui met en lumière les blocages d’une évolution juridique attendue. D’une part, le législateur adopte une position défensive, autrement dit porte un discours juridique sur les espèces nuisibles dès lors qu’elles sont susceptibles d’être menaçante pour l’être humain (sur le plan de la santé, de la sécurité publique, de l’activité agricole ou de la propriété). Dès lors, il organise les conditions de « destruction » des nuisibles qui peut être réalisée soit par les particuliers, qui bénéficient d’un réel droit de légitime défense sur leur propriété, soit par l’administration qui intervient au nom d’un certain ordre public. En l’espèce, si la menace constitue le fondement juridique de l’intervention normative, elle est combinée à un critère quantitatif qui semble effrayer le législateur qui préfère détruire plutôt que réguler. D’autre part, le législateur adopte une position offensive qui se manifeste à travers un vide juridique quasi-complet envers certaines espèces. Ces nuisibles du droit sont ignorés car leur prise en compte conduirait à remettre en cause la construction classiquement anthropomorphique du droit de la protection de la nature qui conduit à cette catégorisation péjorative.

Dans un second temps, cet article aura pour but de démontrer que la catégorie des espèces nuisibles et les notions qui s’y rattachent ne sont plus pertinentes pour notre ordre juridique. L’analyse de l’évolution des connaissances scientifiques notamment la démécologie[2], du droit international et du droit de l’Union Européenne viendront confirmer cette position[3]. À cela s’ajoutent, les notions plus récentes de services écosystémiques, d’espèces exotiques envahissantes et le concept de nature ordinaire qui renouvellent complètement la lecture du sauvage et des espèces évoluant dans les milieux anthropisés.

Bibliographie

  • BILLET P., « DAISIE et les envahisseurs. Premier inventaire des espèces invasives en Europe », Revue Environnement, n°3, mars 2008, p.2.
  • CANS C. et de KLEMM C., « Un cas d’irréversibilité : l’introduction d’espèces exogènes dans le milieu naturel », Revue juridique de l’environnement, n° spécial 1998, p.101 à 124.
  • DELFOUR O., « Histoire de la conservation des espèces », in CORNU M. et FROMAGEAU J. (éd.), « Genèse du droit de l’environnement », Volume II, L’Harmattan, 2001, p.245 à 258.
  • JOLIVET S., « L’évolution de la notion d’espèce nuisible sous l’influence du droit de l’environnement », Mémoire de Master 2 sous la direction de Jessica MAKOWIAK, Université de Limoges, 2008-2009, 121p.
  • De KLEMM C., « L’indemnisation des dommages causés par la faune sauvage », Conseil de l’Europe, collection Sauvegarde de la nature, n°84, 1996.
  • De MALAFOSSE J. « Droit de la chasse et protection de la nature », PUF, Paris, 1979.
  • MICOUD A., LANEYRIE P., CHANTREL C., « Les animaux dits nuisibles : essai sur l’évolution récente d’une notion », compte-rendu de recherches pour le ministère de l’environnement, SRETIE-CNRS, 1989.
  • NAIM-GESBERT E., « Les dimensions scientifiques du droit de l’environnement », Bruylant, 1998.
  • OST F., « La nature hors la loi : l’écologie à l’épreuve du droit », La Découverte, 2003.
  • REMOND-GOUILLOUD, « Ressources naturelles et choses sans maître », in EDELMAN B. et HERMITTE M.A., « L’homme, la nature et le droit », Christian BOURGEOIS (éd.), 1988, p.219 à 203.

Le nuisible, une catégorie juridique. Logiques et paradoxes d'une législation de la destruction des nuisibles (fin xixe°-début xxe siècle)

Par Renaud Bueb, Historien du droit. Université de Franche-Comté)

Un colloque sur les nuisibles ne saurait faire l'impasse sur la dimension juridique de la question. La destruction des animaux nuisibles et malfaisants est une matière d'intérêt privé et général. L'homme protège sa vie et sa propriété. Dans la société traditionnelle rurale, l'animal est très présent. La puissance publique, garante de la sécurité et du bien-être, se doit aussi d'intervenir. Dès l'ancien régime, elle organise la chasse au loup, figure symbolique du nuisibles. Mais d'autres animaux menacent l'homme, pas forcément dans sa vie, mais dans ses conditions de vie et ses richesses, la première étant l'agriculture. Les oiseaux picorent les semences, les pigeons polluent les fontaines, les lapins sabotent les terres, champs et forêts, etc. Une multitude d'animaux, grands et petits, détériorent les cultures, et s'attaquent à leurs congénères domestiqués. Certes, le monde animal a ses règles et s'autorégule, mais il est l'objet des règles de l'homme, afin de faire le partage de la sauvagerie acceptée et celle qui ne l'est pas. Ce sera l'affaire du droit rural, du droit de la chasse, mais aussi des législations spéciales (loi du 3 août 1882 sur la destruction des loups, loi de 1907 sur la destruction des corbeaux et des pies). L'administration décide des battues, autorise la chasse, la destruction, les protections, établit des nomenclatures générales et locales, habilite de nombreux intervenants, le propriétaire, la commune, les chasseurs, les agents forestiers à chasser et détruire. Mais rien n'est simple, le nuisible d'un jour peut être l'utile du lendemain. La science et les naturalistes s'en mêlent. Il faut non seulement trouver un équilibre à la nature, mais aussi aux intérêts divergents des hommes. La communication présentera donc l'émergence d'un droit des nuisibles à la charnière des xixe et xxe siècles.

Nuisibles d’hier et d’aujourd’hui. Le lapin, le flamant et le sanglier dans le delta du Rhône

Par Raphaël Mathevet, Écologue et géographe. CEFE UMR 5175, Montpellier et Anthony Olivier, Garde-technicien de la Réserve Naturelle Régionale, Institut de recherche de la Tour du Valat, Arles

Cette communication propose une approche historique et socio-écologique de la notion de nuisible, à travers l’analyse comparée de trois espèces animales qui alimentent régulièrement la chronique camarguaise : le lapin de garenne (Oryctolagus cuniculus), le flamant rose (Phoenicopterus roseus) et le sanglier (Sus scrofa). Le lapin, espèce autrefois abondante a disparu de la plupart des propriétés du delta du Rhône que celles-ci soient protégées ou non. Jusqu’à la fin du XXe siècle,  il était considéré à la fois comme le gibier de base de la chasse populaire en Camargue et comme un « ravageur » des cultures. Le flamant rose, espèce protégée depuis les années 1960, fait l’objet de toutes les attentions de la part des conservationnistes et scientifiques (suivis des populations, régulation des prédateurs, création/entretien d’ilots de reproduction, gestion des niveaux d’eau autour de la colonie). En même temps, les dégâts qu’il génère dans les rizières sont l’objet de tensions régulières entre les acteurs de la conservation de la nature et de l’agriculture au sujet du modèle de production adopté en Camargue et de la nécessité de sa transformation. Enfin, le sanglier, espèce absente de Camargue au xixe siècle, est devenue une espèce gibier abondante, recherchée et attirée dans les chasses privées et publiques. Espèce désormais classée nuisible, elle engendre des dégâts agricoles croissants donc des tensions mais aussi de nouvelles alliances entre propriétaires, agriculteurs, chasseurs et gestionnaires d’aires protégées.

Dans cette communication, nous analysons l’évolution historique de l’abondance des populations de ces trois espèces en Camargue ainsi que la transformation de leurs statuts réglementaires, les effets écologiques et sociaux associés à partir :

  1. de l’étude des archives publiques et privées,
  2. d’une campagne d’enquête par entretiens semi-directifs auprès d’une trentaine de propriétaires, chasseurs, agriculteurs et gestionnaires d’aires protégées,
  3. ainsi que d’une étude quantitative des représentations sociales par la méthode d’association libre réalisée en 2011 et 2012.

Nous montrons comment ces 3 espèces illustrent des formes différentes d’intégration de la faune dans la sphère sociale mais aussi comment la légitimité des savoirs et les jeux de pouvoir évoluent au cours du temps. L’attention dont elles font l’objet de la part des différentes parties-prenantes de la gestion du territoire en fait des espèces hybrides entre espèces sauvages et domestiques qui font exploser la dichotomie nature/culture. Une espèce nuisible peut devenir menacée tel le lapin. Cette espèce clé de voute de l’écosystème camarguais, tarde pourtant à être l’objet d’une mobilisation par les scientifiques et les conservationnistes malgré un effondrement des effectifs très bien documenté. À l’inverse des espèces gibiers ou protégées peuvent devenir nuisibles avec des formes de régulation radicalement différentes (indemnisation des dégâts et battues administratives pour le sanglier, MAE, effarouchements et incitations à planter des haies pour le flamant rose). Selon l’évolution des vulnérabilités humaines et non-humaines, les espèces autant que les espaces fréquentés connaissent une patrimonialisation, mais aussi une valorisation touristique, symbolique et économique. Ainsi, nous montrons comment le statut de l’espace fait aussi le statut de l’espèce et inversement (les incursions des flamants ou des sangliers pouvant symboliser l’appropriation ou la mise sous tutelle des propriétés tantôt par les acteurs de la protection de la nature tantôt par ceux de la chasse). Les usages de la notion de nuisible fluctuent aussi selon les époques et les acteurs considérés et révèlent le caractère dynamique des relations homme/nature mais aussi des interdépendances socio-écologiques. La notion de nuisible participe alors non seulement à la recomposition des rapports de force entre acteurs du territoire mais aussi à la redéfinition du sauvage et des relations humains/non-humains en Camargue.

Bibliographie

  • Dalla Bernardina S., 1996. L’utopie de la nature. Chasseurs, écologistes et touristes. Imago, Paris.
  • Hell B., 1994. Le sang noir. Chasse et mythe du Sauvage en Europe. Flammarion. Paris.
  • Mauz I., 2002. Les conceptions de la juste place des animaux dans les Alpes françaises, Espaces et sociétés 110-111 : 129‑145.
  • Mauz I., 2005. Gens, cornes et crocs. Cemagref-Cirad-Ifremer-Inra. Versailles.
  • Micoud A, 1993. Vers un nouvel animal sauvage, le sauvage "naturalisé vivant" ?, Nature Sciences et Sociétés, vol.1(3): 202‑210.
  • Micoud A., Bobbé S., 2006. Une gestion durable des espèces animales est-elle possible avec des catégories naturalisées ? », Natures Sciences et Sociétés, 14 : 32-35.
  • Mougenot C., Strivay L., 2011. Le pire ami de l’homme : du lapin de garenne aux guerres biologiques. Paris, La Découverte.
  • Mounet C., 2007. Les territoires de l’imprévisible. Conflits, controverses et vivre ensemble autour de la gestion de la faune sauvage. Le cas du loup et du sanglier dans les Alpes françaises. Thèse de doctorat de Géographie, IGA, Université Grenoble 1. Joseph Fourier.

Les données écologiques disponibles dans le cadre de la procédure de classement des espèces

Par Sandrine Ruette et Murielle Guinot-Ghestem, Direction de la recherche et de l’expertise, ONCFS

Nous expliquerons les études et recherches menées par la direction de la Recherche et de l’Expertise de l’ONCFS permettant d’apporter des éléments au débat « Nuisibles ? ».

  1. quelle est la présence significative de ces espèces ? Dans ce premier point, nous expliquerons comment des éléments pour le suivi de l’aire de répartition des espèces, et pour le suivi de la permanence de cette aire de répartition peuvent être apportés grâce aux observations collectées par les agents de l’ONCFS sur des carnets de bord dans les véhicules puis analysées par des méthodes statistiques innovantes.
  2. quel est l’impact des prélèvements sur les populations ? Nous détaillerons les enquêtes réalisées pour estimer le nombre de prélèvements pour ces espèces, les études permettant des avancées sur la connaissance de la dynamique des populations de ces espèces et les travaux de synthèse menés pour l’évaluation du statut de conservation de ces espèces au regard de la réglementation européenne (rapportage Directive Habitats Faune Flore) et du classement des espèces sur les listes de l’UICN.
  3. quelle est l’ampleur des dommages provoqués par ces espèces ? Dans ce dernier point, seront expliquées les difficultés techniques pour l’évaluation quantitative et qualitative des dommages et les études menées sur quelques sites afin d’évaluer l’impact de la prédation sur les élevages agricoles et les populations de petit gibier.

Nous conclurons en proposant une analyse des études et recherches prioritaires restant à mener sur les espèces susceptibles d’être classées nuisibles.

Pourquoi les mammifères seraient-ils nuisibles ?

Par Christian Arthur, Stéphane Aulagnier, Patrick Haffner, Virginie Muxart et François Moutou, Société française pour l’étude et la protection des mammifères

Sans remonter trop loin dans le temps, le suivi de la mise en place de la liste des espèces de mammifères de France apporte quelques éléments de réflexion sur leurs différents statuts et donc sur la notion de « nuisible ». Il suffit pour cela de partir du xixe siècle. Dans les premiers ouvrages consultés il est intéressant de noter que les animaux domestiques figurent à côté des espèces sauvages. C’est encore l’époque de l’acclimatation, de l’utilitarisme. En conséquence, à la fin du xixe siècle, il n’y a pas que les carnivores qui sont considérés « nuisibles », l'écureuil, le muscardin, le campagnol amphibie, le grand hamster l’étaient aussi, tout comme le lapin de garenne. A la fin du xixe siècle, la réalité de la disparition des espèces, le développement de la protection des animaux domestiques et la prise en compte de l’utilitarisme écolo-économique de certaines espèces vont faire évoluer les choses. Le xxe siècle voit l’écologie se développer. Les études de terrain éclairent d’un jour nouveau la relation complexe végétation – herbivores – prédateurs au sein des réseaux trophiques et des écosystèmes.

Pourtant le droit n’évolue pas aussi vite que la science ou les consciences. Il a fallu que des espèces comme l’ours brun, la loutre, le chat forestier et le grand hamster soient réellement en danger de disparition sur le territoire national pour qu’ils ne soient plus considérés comme « nuisibles » et cela depuis 1958 (chasse à l’ours interdite), 1972 (chasse et piégeage de la loutre interdits). La loi sur la protection de la nature de 1976 marque ensuite un tournant avec l’apparition des listes d’espèces dites « protégées.

La première version de l’arrêté ministériel « fixant les listes des mammifères protégés sur l’ensemble du territoire » date du 17 avril 1981. Néanmoins, en 1988, il apparait un décret sur les espèces « susceptibles d‘être classées nuisibles ». On va y retrouver des carnivores autochtones et exotiques introduits en France, ainsi que le lapin de garenne et le sanglier. Pour certaines espèces, la situation peut être curieuse. Le loup, disparu de France peu avant 1940, n’est alors cité nulle part. Inversement, bien qu’absent depuis plus longtemps, le lynx figure sur l’arrêté du 17 avril 1981. Le projet de retour, débuté en 1983 dans les Vosges, était déjà engagé. Des mises à jour ont suivi. Le loup rejoint la liste des mammifères protégés en 1993, le campagnol amphibie en 2012.

Tous les mammifères sauvages présents en France n’existent pas juridiquement pour autant. L’essentiel des rongeurs et des musaraignes ne figure sur aucun texte, soit un peu plus de 30 espèces sur environ 150 connues, soit 20%, ce qui n’est pas si négligeable. Parallèlement, l’étanchéité des Codes permet la survivance d’expressions comme « bêtes fauves » et « bêtes malfaisantes » jusqu’à la fin du xxe siècle, par exemple dans le Code des communes.

À partir de quelques exemples spécifiques, en comparant le statut respectif actuel d’espèces comme la belette, l’hermine ou encore avec le castor, nous essaierons de montrer qu’en plus de l’écologie, du droit et de l’évolution de la morale, il faut prendre aussi en compte les « habitudes » pour essayer d’interpréter l’ambiguïté ou la curieuse « logique » du terme « nuisible ». Le but de cette communication est bien de questionner le statut « nuisible » tel qu’il est appliqué aux mammifères en France à partir de ces différents cas de figure.

Lorsque les nuisibles sont étrangers. La construction historique de la notion d'espèces introduites ou envahissantes et son rapport à celle de nuisible

Par Valérie Chansigaud Historienne de l’environnement. SPHERE, université Paris-7 Diderot

Le phylloxera et le doryphore viennent d’Amérique du Nord, le moustique tigre nous est arrivé de Chine via l’Albanie, le chikungunya est introduit en France par des voyageurs venant des DOM-TOM, etc. De très nombreuses espèces fortement nuisibles ont une origine étrangère. Même l’Europe, peut également être la source de dangereuses espèces envahissantes comme le lapin en Australie ou la chenille spongieuse en Amérique du Nord. La proximité de cette réalité avec les discours xénophobes concernant les mouvements migratoires d’êtres humains rend cette question délicate, voire explosive. Cette communication revient sur la construction historique de la notion d’espèces envahissantes à travers trois problématiques :

Il convient d’abord de retracer l’histoire des notions d’espèces introduites et envahissantes et notamment du rôle central joué par le biologiste américain Charles Sutherland Elton (1900-1991) et son livre The Ecology of Invasions by Animals and Plants (1972). Ce rappel permet d’appréhender la place essentielle de l’histoire et de la géographie dans l’émergence d’un problème local due à l’introduction d’une espèce.

Le concept de frontière dans les sciences du vivant, qu’elle soit géographique ou biologique, est une question clé pour comprendre la notion d’envahissement ou d’épidémie. Cela permet d’analyser une affirmation maintes fois entendue : la notion d’espèces envahissantes serait anthropocentrée, mais est-ce vraiment le cas ? Il s’agit d’examiner cet « anthropocentrisme » supposé à l’aide d’exemples concrets comme le phylloxera en France, le lapin en Australie ou les champignons pathogènes des arbres.

Enfin, la prolifération d’espèces introduites et l’existence de discours xénophobes ne doivent pas conduire à des mélanges douteux ou des dénonciations intempestives car, en définitive, rien ne relie ces deux univers si ce n’est la similarité superficielle du vocabulaire utilisé. N’est-ce pas, en définitive, la complexité même du phénomène d’espèces envahissantes et les peurs que ces espèces suscitent qui conduisent nombre d’acteurs à prendre des positions idéologiques et partisanes ?

Espèce nuisible, espèce invasive : des statuts publics dans la succession des lectures du monde. Le cas de l'ajonc d'Europe (Ulex europaeux) sur l'île de La Réunion

Par Nathalie Udo et Catherine Darrot, Agrocampus Ouest, UMR CNRS 6590 ESO « Espaces et Sociétés », Rennes et Anne Atlan, Université Rennes 2, UMR CNRS 6590 ESO « Espaces et Sociétés », Rennes

De nombreuses espèces déclarées nuisibles ou invasives ont été introduites intentionnellement dans les territoires où des actions de gestion sont à présent en place pour les contrôler voire les éradiquer. Avec quelle trajectoire et sous l’effet de quels facteurs ces espèces sont-elles passées de la catégorie d’espèce désirée à celle d’espèce réprouvée ? A travers le cas de l’ajonc d’Europe (Ulex europaeus) sur l’île de La Réunion, les deux principaux objectifs de cette étude sont : (i) d’identifier et de décrire les différents statuts publics qui ont été attribués à l’espèce depuis son introduction dans l’île (type de justification, espaces ciblés, groupe d’acteurs définissant et diffusant chacun de ces statuts) et (ii) de contextualiser ces statuts en fonction des contextes socio-économiques et scientifiques ainsi que de l’écologie de la plante, notamment son expansion spatiale. Le corpus de matériaux collectés et analysés est composé d’articles académiques et littérature grise, d’articles de presse nationale et régionale, d’ouvrages grand public, de textes réglementaires et d’entretiens semi-directifs auprès des différents acteurs impactés ou concernés par cette plante.

L’étude a permis de mettre en évidence cinq statuts publics successifs attribués à l’ajonc depuis son introduction volontaire sur l’île au début du xixe s., que nous avons nommé : plante utile, plante patriotique, plante indigénisée et appréciée, plante nuisible et plante invasive. Chaque statut correspond à un certain type de justifications (ex. : technique, économique, scientifique, sensible) ciblant une partie des attributs ou capacités biologiques de l’ajonc (ex. : odeur et couleur des fleurs, épines, origine géographique, croissance rapide). Les surgissements de ces statuts dans l’espace public sont liés au succès écologique de la plante, c’est-à-dire son expansion géographique, mais également aux vocations socio-économiques des territoires et à l’entrée en scène de nouveaux acteurs produisant et diffusant différentes visions des milieux naturels et des relations entre les humains et la nature. La publicisation de ces statuts dépend de la mise en réseau de ces acteurs, de leur visibilité publique et de leurs capacités à capter l’attention des politiques publiques.

L’approche rétrospective choisit dans cette étude nous invite à repositionner le statut invasif de l’ajonc, aujourd’hui dominant dans l’espace public, au sein de la succession des lectures du monde. Elle permet également de conduire une analyse comparée des deux statuts nuisible et invasif afin de déceler les points de divergence et de similitudes. Il est alors intéressant de noter que, si les actions de contrôle et d’éradication engendrées par ces deux statuts sont congruentes, il y a un déficit de concertation entre les différents acteurs les promouvant. Cette analyse met ainsi en lumière à la fois les rapports de domination que les humains entretiennent avec la nature, mais aussi les rapports de force entre groupes sociaux influant indirectement la catégorisation publique du vivant.

Bibliographie

  • Callon M, Latour B (1991) La science telle qu’elle se fait: anthologie de la sociologie des sciences de langue anglaise. La Découverte
  • Chérubini B (2006) Le paysan réunionnais et les plantes envahissantes : un partenariat à construire au sein des politiques environnementales. 199–216.
  • Claeys C, Sérandour J (2009) Ce que le moustique nous apprend sur le dualisme anthropocentrisme/biocentrisme : perspective interdisciplinaire sociologie/biologie. Nat Sci Sociétés 17:136–144.
  • Kuhn T.S. (1972) La structure des révolutions scientifiques. Paris : Flammarion
  • Mougenot C, Roussel L (2006) « Peut-on vivre avec le ragondin ? Les représentations sociales reliées à un animal envahissant ». Nat Sci Sociétés 14:S22–S31.
  • Mougenot C, Strivay L (2011) Le pire ami de l’homme : du lapin de garenne aux guerres biologiques. La Découverte
  • Rémy E., Beck C. (2008) « Allochtone, Autochtone, Invasif : Catégorisations Animales et Perception D’autrui ». Politix 2: 193–209.
  • Starfinger U., Kowarik I., Rode M., Schepker H. (2003) « From Desirable Ornamental Plant to Pest to Accepted Addition to the Flora? the Perception of an Alien Tree Species Through the Centuries ». Biological Invasions 5(4) : 323–35.
  • Sittert (van) L. (2002). « Our Irrepressible Fellow-Colonist’: The Biological Invasion of Prickly Pear (Opuntia Ficus-Indica) in the Eastern Cape c.1890–c.1910 ». Journal of Historical Geography 28(3): 397–419.

De l'ibis sacré à l'ibis nuisible. Espèce invasive, résurgence de la notion de nuisible par principe ?

Par Loïc Marion, UMR CNRS ECOBIO, université de Rennes-1 et Farid Benhammou, Géographe. Chercheur associé, Laboratoire Ruralités, EA2252 - Université de Poitiers

La notion de nuisible, inventée au xixe siècle, a suscité de nombreux débats chez les scientifiques, qui l’ont âprement combattue à partir des années 1960-70. La remise en cause de cette notion semble compromise par l’engouement suscité chez les gestionnaires de l’environnement par la menace mondiale représentée par les espèces invasives, accusées par principe de nuire aux activités humaines ou à la biodiversité des espèces natives. Parmi les griefs qui leur sont reprochés figure en bonne place la prédation, véritable résurgence de la notion de nuisibles. Mais contrairement à une logique scientifique, des acteurs administratifs, naturalistes voire scientifiques appliquent implicitement ou explicitement cette notion avec le filtre de l’origine : les espèces prédatrices, même si elles exercent une forte pression sur les populations proies, sont exclues de toute critique a priori si elles sont natives, alors que la moindre suspicion de prédation de la part d’espèces allochtones les fait classer d’emblée dans la liste des espèces à éradiquer, même sans preuve de dommages.

Le cas de l’ibis sacré est symbolique de cette dérive. Espèce emblématique du bestiaire mondial, sacré pour les Egyptiens qui le tenaient pour le Dieu de l’écriture (Thot), l’ibis sacré figure comme espèce vulnérable au niveau mondial compte tenu de ses populations peu nombreuses, dispersées voire localement disparues, comme en Égypte au xixe siècle et probablement en voie de disparition en Irak depuis la guerre Iran-Irak ayant conduit à l’assèchement des marais du sud de la Mésopotamie. En Afrique, elle côtoie sans problème en reproduction ou en hivernage une grande partie des espèces d’oiseaux d’eau que l’on retrouve en Europe (hérons, aigrettes, spatules, guifettes, limicoles…) dont une partie sont d'origine africaine et de présence récente en Europe où elles sont considérées comme partie intégrante de la faune locale. Mais l’espèce s’est échappée dans les années 1990 de trois parcs animaliers français, l’un en Bretagne et deux sur la côte méditerranéenne, entraînant des implantations férales parfois importantes en présence de vastes marais, comme c’est le cas en Loire Atlantique et dans le golfe du Morbihan.

Une partie des ornithologues français, ne connaissant pourtant rien de la biologie de l’espèce, a considéré d’emblée que cette espèce n’avait pas sa place en France car d’origine allochtone, et qu’elle devait être éradiquée. Pourtant, l’espèce a fortement favorisé l’implantation des spatules blanches, en liste rouge des espèces menacées, jusque-là réduites à quelques couples. Elle pourrait faire de même avec l'ibis falcinelle. Cette volonté d’éradication s’est uniquement basée sur la menace supposée que pourrait faire peser l’ibis sacré sur des espèces d’oiseaux natives. De 2005 à 2015, près de 8 000 ibis sacrés ont été tués par l’ONCFS, et des milliers de couvées détruites, en l’absence de toute étude scientifique sérieuse et en toute illégalité les premières années. Pire, la publication de 14 années de suivi du régime alimentaire de l’ibis sacré en Loire Atlantique en 2013, prouve l’innocuité de l’espèce pour les autres oiseaux. Sa dynamique est liée à celle de sa proie essentielle, l’écrevisse de Louisiane, espèce invasive réellement problématique qu’elle contribue à réguler. Pourtant, la politique de destructions systématique se poursuit.

L'objectif de cette communication est de questionner la résurgence de la notion de nuisible à travers la gestion d'une espèce dite invasive comme l'ibis sacré. Dans un premier temps, il s'agira de présenter l'expansion de l'espèce et le mécanisme décisionnel qui a amené une volonté publique d'éradication. Ensuite, il apparaît nécessaire de montrer la faiblesse scientifique des arguments amenant à une telle gestion. Enfin, nous montrerons comment non seulement ces pratiques sont contreproductives mais qu'elles s'inscrivent dans des modes de gestion dogmatiques et expéditifs difficiles à remettre en cause dans la durée. Ces mesures de destruction ont en outre des effets collatéraux importants dans les colonies mixtes de hérons et spatules, stressés par les destructions en pleine saison de reproduction, en infraction avec la législation sur les espèces et les espaces protégés, toutes ces colonies étant en Natura 2000.

Des lapins de garenne dans les grands parcs urbains de la Seine-Saint-Denis. Historique d'une gestion

Par Léo Martin, Doctorant. CESCO-PALOC, MNHN

Espèce familière, le lapin fait partie intégrante de notre environnement et de notre bestiaire collectif (Callou, 2002). Tantôt gibier, tantôt animal de compagnie, d’élevage ou de laboratoire (Opcit, 2002) son statut est multiple et changeant. Les travaux de sociologie et d’anthropologie de Catherine Mougenot et Lucienne Strivay (2002) illustrent bien la multiplicité et la complexité des liens qui s’opèrent entre les lapins et les humains au fil du temps. Par ailleurs, le lapin de garenne (Oryctolagus Cuniculus) possède un statut de conservation que certains écologues qualifient de paradoxal (Lee & Bell, 2008). En effet, en danger dans son aire de répartition d’origine (Opcit, 2008) le lapin de garenne pullule là où il est introduit (Thompson & King, 1994). Par ailleurs, alors qu’il a fortement décliné en France métropolitaine depuis les années 50 (Marchandeau et al, 2003) il trouve aujourd’hui « refuge » en périphérie des villes et parfois jusque dans leur centre s’adaptant aux contraintes du milieu (Zieg et al, 2015). Dans ce contexte, les grands parcs urbains du département de la Seine-Saint-Denis et plus particulièrement le parc Georges Valbon (400 ha) et le parc du Sausset (200 ha), abritent des espèces animales et végétales les classant au rang de zone Natura 2000 depuis 2006 (Parcsinfo, 2016). De récents travaux de thèse en ethnographie menés dans le parc George Valbon par Marine Legrand montrent en quoi l’intégration des nouvelles préoccupations environnementales modifie les modes d’appropriation de l’espace en passant notamment par une « mise en ordre » écologique de ces derniers (Legrand, 2015). Cette écologisation des parcs fut encouragée dans les années 90 par l’application d’une gestion dite harmonique (Dubreuil, 2006). Mais l’harmonie recherchée par les gestionnaires peut parfois être bousculée par la présence d’une espèce considérée dès lors comme nuisible. C’est le cas du lapin de garenne dont les mœurs entrent en conflit avec les objectifs de gestion des parcs. Arbres écorcés, chemins cabossés, pelouses et talus déstructurés, le lapin met à mal les objectifs de gestions. Actuellement classé nuisible dans le département (FICIF, 2016), des reprises de lapin sont effectués chaque année et ceci de façon professionnelle depuis 1998. Dans ce cas, les lapins capturés servent à alimenter des territoires où leur manque se fait sentir (territoire de chasse, programme de conservation). Mais ce système de régulation très coûteux pose des questions quant à sa pérennité et parfois même en fonction des années sur son efficacité. Face à cette situation le Conseil Général, les parcs, l’Observatoire de la Biodiversité urbaine et le Muséum National d’Histoire Naturelle ont réfléchi à l’élaboration d’une thèse. Ce travail viserait à co-construire un plan d’action en réfléchissant aux modalités d’intégration des connaissances écologiques et sociales. Débuté en novembre 2015, un historique de la problématique est en cours. Cette investigation représente la première enquête de terrain et se donne pour but de retracer l’évolution des pratiques et des représentations du lapin dans les parcs et leurs abords depuis les années 90. Ainsi l’intervention présentera toutes les étapes qui ont amené les gestionnaires à vouloir reconsidérer cette problématique.

La réflexion s’appuiera sur des documents d’archives et des enquêtes menées auprès des acteurs concernés ou anciennement concernés par le sujet. Ces entretiens seront analysés par un regard sociologique et anthropologique en s’intéressant plus particulièrement aux différentes controverses que le lapin fait émerger. De manière prospective, l’intervention se terminera par quelques pistes de réflexion sur la place des espèces sauvages dans les milieux urbains.

Bibliographie

  • CALLOU Cécile, 2002, « De la garenne au clapier: étude archéozoologique du lapin en Europe occidentale », MNHN.
  • DUBREUIL Céline, 2006, Une expérience de développement durable: la gestion harmonique dans les parcs départementaux de la Seine-Saint-Denis de 1990 à 2005, Mèze, Biotope : Dép. de la Seine-Saint-Denis Conseil Général : Observatoire dép. de la biodiversité urbaine, Parthénope collection, 144 p.
  • LEES Alexander C., BELL Diana J., 2008, « A conservation paradox for the 21st century: the European wild rabbit Oryctolagus cuniculus, an invasive alien and an endangered native species », Mammal Review, 38(4), p. 304-320.
  • LEGRAND Marine, 2015. « Le paradoxe de la gestion harmonique : construction d’un patrimoine écologique et dispositifs de contrôle de l’espace au sein d’un parc urbain ». ethnographiques.org, Numéro 29 - décembre 2014 Ethnologie et mathématiques [en ligne]. (http://www.ethnographiques.org/2014/ Legrand - consulté le 18.03.2016)
  • MARCHANDEAU S., PASCAL M. & VIGNE J.-D., 2003. Le Lapin de garenne : Oryctolagus cuniculus (Linné, 1758). Pages 329-332, in : Évolution holocène de la faune de Vertébrés de France : invasions et disparitions (M.Pascal, O. Lorvelec, J.-D. Vigne, P. Keith & P. Clergeau, coordonnateurs), Institut National de la Recherche Agronomique, Centre National de la Recherche Scientifique, Muséum National d'Histoire Naturelle (381 pages).
  • Rapport au Ministère de l'Écologie et du Développement Durable (Direction de la Nature et des Paysages), Paris, France. Version définitive du 10 juillet 2003.
  • MOUGENOT Catherine, STRIVAY Lucienne, 2011, Le pire ami de l’homme: du lapin de garenne aux guerres biologiques, Paris, La Découverte, Les empêcheurs de penser en rond, 169 p.
  • THOMPSON Harry V., KING C. M. (dir.), 1994, The European rabbit: the history and biology of a successful colonizer, Oxford ; New York, Oxford University Press, 245 p.
  • ZIEGE M., BRIX M., SCHULZE M., SEIDEMANN A., STRASKRABA S., WENNINGER S., STREIT B., WRONSKI T., PLATH M., 2015, « From multifamily residences to studio apartments: shifts in burrow structures of European rabbits along a rural-to-urban gradient », Journal of Zoology, 295(4), p. 286-293.
  • Site parcinfos Seine-Saint-Denis (consulté le 17/03/2016) : http://parcsinfo.seine-saint-denis.fr/L-histoire-du-parc-19.html#outil_sommaire_3
  • Site de la Fédération Interdépartementale des chasseurs d’Ile de France (consulté le 17/03/2016) : http://www.ficif.com/assets/ar-3ieme-groupe-nuisibles-seine-saint-denis-2015.pdf

Les animaux nuisibles dans les campagnes du haut Moyen Âge

Par Fabrice Guizard, Médiéviste. CALHISTE (EA 4343) – université de Valenciennes et du Hainaut Cambrésis ; ArScAn (UMR 7041) archéologies environnementales, CNRS Paris X Nanterre

Les textes du haut Moyen Âge sont peu diserts sur les animaux nuisibles. Les encyclopédistes qui héritent du savoir agronomique antique ne prennent que très peu compte de cette question au détour d’une notice sur un animal. En l'absence de sources agronomiques ou de textes spécifiques sur la question, il faut se contenter de faisceaux d’indications contenues dans quelques documents (lettres, poésie, récits…) qui donnent des informations parcimonieuses au milieu d’un discours non zootechnique. Je propose donc de partir à la recherche des animaux « nuisibles » dans ces textes.

L’enquête tourne d’abord autour du lexique des animaux malfaisants, dans une économie rurale décrite avant tout par des clercs. Les lecteurs de ces textes n’étant pas les paysans, le propos se place principalement aux plans religieux et moral. Les ecclésiastiques se demandent comment pourrait-on distinguer dans la Création des espèces qui finalement s’avèreraient inutiles, pire, nuisibles. Ces animaux ont du sens : aussi les exemplae, comme les récits de songes,détaillent les supplices infligés par des bêtes aux damnées dans les enfers. Le bestiaire démoniaque, avec en tête le serpent-dragon, concentre tous les caractères de la faune nuisible pour l’homme.

Dans un discours d’économie rurale, l’inventaire des espèces nuisibles est varié : les carnivores menacent le cheptel, les petits carnassiers la basse-cour, les vers et les insectes les récoltes. Des espèces sont occasionnellement considérées comme nuisibles : les sangliers dans les champs de blé, les chiens domestiques errant sur le finage et semant la panique dans les troupeaux.

Le point commun à toutes ces espèces est la valeur négative qui leur est accordée : le loup, la chenille, le sanglier et même le cerf, lorsqu'ils sont des animaux intrusifs, sont considérés nuisibles. Ils constituent les contrepoints des valeurs positives de la production agricole, de l'élevage, de la maîtrise de l’espace par l'homme. Car c'est le reflet d’une certaine vision du monde : le territoire des hommes ne peut se confondre avec celui des bêtes.

Bibliographie

  • Amat J., Songes et visions. L’au-delà dans la littérature latine, Paris, 1985.
  • L’animal exemplaire au Moyen Âge (Ve-XVe s.), éd J. Berlioz, A.M. Polo de Beaulieu, Rennes, 1999.
  • Guizard F., Les terres du sauvage dans le monde franc (IVe-IXe s.), Rennes, 2009.
  • Ortalli G., Lupi genti Culture. Uomo e ambiente nel Medioevo, Turin, 1997.
  • Voisenet J.,  Bêtes et hommes dans le monde médiéval. Le bestiaire des clercs du Ve au XIIe siècle, Turnhout, 2000.
  • Ziolkowski J.M., « Poultry and predators in Two Poems from the Reign of Charlemagne », Denver Quaterly, n°24/3, 1990, p. 24-32.

Les friches : des espaces nuisibles ?

Par Rémi Beau, Philosophe, laboratoire Sophiapol, EA 3932, université Paris Ouest Nanterre La Défense

Nous voyons se constituer à la fin du xviiie siècle un faisceau de discours économiques et agronomiques, développant une critique violente de l'ensemble des espaces rassemblés sous la désignation de friches. Incultes, négligées, terres incertaines ou terrains vagues, les friches se voient accusées de nuire aux paysages et à la société. Suivant ces discours que développent, en particulier, les agronomes qui parcourent les campagnes françaises, d'Arthur Young à Jean-Augustin-Victor Yvart en passant par François de Neufchâteau, ces terres délaissées « improductives et malsaines » défigurent les paysages autant qu'elles déshonorent leurs propriétaires. La critique des friches est ainsi non seulement appuyée sur les nouveaux savoirs agronomiques et économiques, mais possède également une dimension morale. Si elle apparaît initialement principalement dans les campagnes, cette critique prend forme également dans un contexte urbain, visant les lieux désertés après avoir été le théâtre de révoltes sociales. Dans ce sens, Bernadette Lizet décrit la façon dont les discours sur la nature et sur les phénomènes sociaux se croisent tout particulièrement à la fin du xixe siècle, montrant notamment comment l'idée qu'il existe une végétation de la subversion ou une flore de crise s'impose alors – on parle aussi de flore rudérale au sens littéral d'une végétation qui pousse sur les décombres. De fait, cette association entre l'écologique et le social intéresse des botanistes qui sillonnent les villes et élaborent des flores urbaines, flore du « déséquilibre écologique et social ». Renvoyant au désordre de la nature et de la société, les friches sont donc désormais décrites comme des espaces nuisibles.

Cette dépréciation des friches perdure aux xix et xxe s. Elle prend même une nouvelle ampleur dans le dernier quart du xxe s. avec l'apparition de la thématique de la fermeture des paysages, qui résulterait de la déprise agricole. Et, les métaphores se font à nouveau violentes : « la friche est une lèpre qui dévore le paysage (Le Floch et Devanne, 2003) ». Les espaces délaissés, livrés à la nature seraient propices à l'installation et au développement d'une faune et d'une flore dangereuses et nuisibles – serpents, ronces, ambroisie, etc. Par ailleurs, cette recrudescence de la critique des friches associe une nouvelle fois l'écologique et le social, les espaces abandonnés étant, en effet, suspectés d'abriter un certain nombre d'activités illégales (Dupré, 2005).

Enfin, ce regard négatif sur les friches peut être réinterrogé et contesté au sein d'approches qui renouvellent la pensée du sauvage. De ce point de vue, les friches ne devraient plus être considérées comme des lieux propices au développement des espèces nuisibles, mais plutôt comme des lieux d'accueil favorisant une forme de retour du sauvage (Génot, Schnitzler, 2012, Clément, 2004).

Bibliographie

  • Gilles CLÉMENT, Manifeste du Tiers paysage, Paris, Sujet-objet éd, coll. « L’autre fable », 2004, 69 p.
  • L. DUPRÉ, « Des friches: le désordre social de la nature », Terrain, no 1, 2005.
  • C. JANIN et L. ANDRES, « Les friches : espaces en marge ou marges de manœuvre pour l'aménagement des territoires ? », Annales de géographie, 2008.
  • Bernard KALAORA, « Les Salons verts : parcours de la ville et de la forêt », in La théorie du paysage en France: 1974- 1994, Seyssel, Champ Vallon, coll. « Pays / Paysages », 1995.
  • Sophie LE FLOCH et Anne-Sophie DEVANNE, « Qu'entend-on par fermeture du paysage ? », Convention cadre « Gestion des Territoires », Cemagref, 2003.
  • Bernadette LIZET, « Naturalistes, herbes folles et terrains vagues », Ethnologie française, vol. 19, no 3, Juillet 1989.
  • Annik SCHNITZLER-LENOBLE et GÉNOT Jean-Claude, La France des friches : de la ruralité à la féralité, Quae, 2012.

Les nuisibles, symboles inamovibles de l'utilitarisme agricole ?

Par Rémi Fourche, Historien, laboratoire d’études rurales, EA 3728 – université Lumière Lyon 2

Cette communication s’appuie sur un travail de thèse consacré à l’histoire de la protection phytosanitaire[4]. Cette dernière se définit par rapport à des organismes vivant dans un écosystème déséquilibré. En concurrence avec l’homme, ils sont « nuisibles ». Le nuisible est une représentation axiomatique en agriculture végétale, cependant historiquement peu étudiée, sauf ponctuellement (livres scolaires) ou sur des points connexes (protection de la nature, rôle des oiseaux, chasse…). L’objectif est d’envisager une éventuelle modification dans leur perception au niveau national, et ce en lien avec l’évolution des méthodes sanitaires. Symboliquement, la période considérée est comprise entre 1867, création de la Société d’insectologie agricole, et 1972, date de la prise en compte de l’environnement dans l’homologation des pesticides. La démonstration s’effectue en s’appuyant sur de nombreux périodiques, surtout naturalistes ou agricoles, dépouillés lors de notre thèse, ainsi que sur des archives du Ministère de l’agriculture.

Tout d’abord, la réinterrogation du danger induit par les « nuisibles » constitue une obligation. Il s’agit d’apprécier la réalité des dégâts infligés aux cultures au cours du temps. Après 1945, les écrits techniques laissent imaginer une modification de la perception des risques. Les praticiens adoptent alors un comportement routinier… avant l’échec de la chimie. Parallèlement, il est nécessaire de s’intéresser aux variations sémantiques traduisant diverses approches des « nuisibles » lors de la période envisagée : permettent-elles d’envisager une évolution conceptuelle ou renvoient-ils à une vision technique : reflets des réalités éthologiques, termes génériques, degrés de déprédation ?

S’attarder sur le classement agricole du vivant permet de mieux apprécier les évolutions. S’il y a des nuisibles, il y a des utiles. Ils sont abordés symétriquement. Cette catégorisation résulte d’observations biologiques de la part des élites, naturalistes ou agricoles. La volonté de vulgariser le classement apparait clairement avec la société d’insectologie. Mais, la représentation du vivant est multiple. Le « grand public » s’instruit par le biais d’expositions, de livres, de conseils, éléments réducteurs des connaissances… Or, dès le xixe siècle, des naturalistes ne se cantonnent pas à une dichotomie pratique. Cette dernière n’est pas si simple pour autant. Les scientifiques s’opposent aux animosités envers certains animaux utiles et des passerelles existent entre les groupes. Ainsi, des espèces sont utiles et nuisibles, alors que d’autres changent de catégorie au cours du temps. Ce point sera présenté à l’aide de quelques exemples précis.

Dès 1945, la perception des espèces indésirables se modifie et avec elle, celle de tous les hôtes des parcelles cultivées. La chimie tendrait-elle à régler les problèmes phytosanitaires ? Ce ne fut qu’illusion. Les effets secondaires se font sentir avant 1950 : intoxications d’abeilles, phénomènes de résistance, multiplication des indésirables… Cette ultime partie est développée en suivant les premières tentatives de lutte intégrée (1958-1973), méthode novatrice par la participation des praticiens aux programmes, les travaux liés à la dynamique des populations et la mise en place des seuils de nuisibilité/tolérance. La lutte intégrée repose sur des idées antérieures, certaines issues du xixe siècle, mais prend, en raison des problèmes engendrés par la chimie de synthèse, un développement très important dans les années qui succèdent à la période présentée ici.

Dites-nous qui vous détestez et nous vous dirons qui vous êtes. Les ruraux face à leurs nuisibles

Par Guillaume Marchand, Géographe, université fédérale de l’Amazonas, Florent Kohler, Anthropologue, université de Tours, Chloé Thierry, Écologue, SNP-MNHN et Philippe Léna, Sociologue et géographe, IRD

La caractérisation des nuisibles révélerait-elle, en creux, le profil sociologique de ceux qui les définissent ? Une enquête pluridisciplinaire menée durant trois ans dans trois communes bocagères (Vendée, Yonne, Seine-et-Marne) nous permet d’apporter quelques éléments de réponse. Afin de comprendre l’attitude de leurs habitants à l’égard de la nature ordinaire, nous avons pratiqué une double approche (qualitative et quantitative) portant sur la connaissance de la faune et flore des communes concernées, la place réservée à la « nature » - dans ses multiples acceptions -, et son utilité. Au total, 242 personnes ont été interrogées, respectant, autant que faire se peut, l’éventail sociologique de leur population (jeunes actifs, rurbains, néo-ruraux, agriculteurs, retraités…). Une question portant sur les nuisibles a fait l’objet de réponses méritant que l’on s’y arrête. Quelles sont les espèces nuisibles ? Faut-il les réguler, les exterminer, les protéger ? L’énumération obtenue est beaucoup plus étendue que celle dressée par le gouvernement français (environ 70 espèces ou groupes d’espèces). Y figurent notamment des invertébrés (moustiques, guêpes, frelons, chenilles, limaces), des plantes exotiques, des reptiles (grenouilles, serpents, crapauds), des grands prédateurs (loups, ours) mais aussi l’humain ! Toutefois, si l’on s’en tient aux vingt espèces animales les plus citées, on retrouve certains membres de la liste officielle (renard, ragondin, fouine, corbeau, sanglier, étourneau, blaireau...). Ces inventaires débouchent sur des considérations qui vont plutôt dans le sens d’une « régulation », mais surtout, qui suggèrent qu’aucune politique de protection de l’environnement n’est acceptable « sans restriction » : certaines espèces seront toujours malvenues. Cela ne doit pas nous empêcher de constater des différences significatives d’une commune à l’autre, en fonction du profil des personnes interrogées mais aussi, et cela est central, en fonction de représentations partagées au sein d’une même commune. Selon que les rurbains sont plus nombreux, on citera les pigeons, les rats, les chats errants. Les communes fortement agricoles citent les étourneaux, pies, corneilles, mais aussi les sangliers ou les chevreuils. De même, lorsqu’il s’agit de définir le sort à leur réserver, les agriculteurs bios, les néo-ruraux et les navetteurs d’origine urbaine sont enclins à plus de tolérance que les agriculteurs conventionnels ou les natifs ruraux. Certaines idées véhiculées par les premiers sur la biodiversité ou l’écologie peuvent parfois influencer les autres habitants… Ces résultats montrent que la définition des nuisibles est mouvante et dépend de différents facteurs tels que l’origine des populations, le type d’agriculture pratiquée et l’adhésion aux représentations collectives des communes considérées.

Bibliographie

  • Bobbé, S., 2000. « Les nouvelles cultures du sauvage ou la quête de l’objet manquant. État de la question ». Ruralia. Sciences sociales et mondes ruraux contemporains, n°07, URL : http://ruralia.revues.org/180
  • Delfour, J., 2011. « Sauvagine » hommes et petits carnivores sauvages dits « nuisibles », partage des territoires, partage des connaissances. Thèse de géographie, Université de Clermont-Ferrand, 352 p.
  • Frioux, S. et Pépy, E-A (dir.) 2009, L’animal sauvage entre nuisance et patrimoine. France, xvie-xxie siècle, ENS, 2009, 208 p.
  • Kohler, F., Thierry, C., Marchand, G., Léna, Ph., 2016. Réhabiliter la nature ordinaire. Une approche participative. Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 256 p.
  • Mauz I., 2002b. « Les conceptions de la juste place des animaux dans les alpes françaises ». Esp et soc., 110-111, 129-145.
  • Micoud, A. 1992. « Comment en finir avec les animaux dits nuisibles ? », Études Rurales, n°129/130, 1993, p. 83-94.
  • Mougenot, C., et Mormont, M. , 2009. « États de guerre ou de paix... autour de la prolifération des rats ». Ethnologie française, vol. 39(1), pp. 35-43.
  • Mougenot, C., et Roussel, L. (2006). « Peut-on vivre avec le ragondin ? Les représentations sociales reliées à un animal envahissant ». Natures Sciences Sociétés, (Supp. 1), pp. 22-31.
  • Woodroffe R., Thrirgood S. et Rabinowitz A., 2005a. People and wildlife, conflict or coexistence ? Cambridge, Cambridge University Press, Zoological society of London, 497 p.

Animaux et plantes nuisibles selon les inventaires des Archives nationales : de l'évolution du champ lexical à la mise en Histoire

Par Geneviève Profit, Conservateur du patrimoine au DEATA, Archives nationales

Dès qu'il y a trouble, dès qu'il y a « nuisance », l'administration est presque toujours productrice de règlements et donc d'archives. Les Archives nationales en sont le réceptacle pour les administrations de l'État. En témoigne par exemple, dans le domaine qui nous intéresse, le plan de chasse à la bête du Gévaudan que l'on peut dater des années 1764-1767 adressé au comte de Saint-Florentin, ministre de Louis xv et aujourd'hui conservé par les Archives nationales dans la série des archives de l'administration moderne consacrée à l'agriculture. Entre le vocabulaire employé par l'auteur du plan et celui du rédacteur de la notice de l'inventaire des archives, le point de vue est différent : d'un côté celui, contemporain des événements, qui épouse le sentiment des victimes, de l'autre celui, distant, qui se veut objectif, décrivant des documents produits par une administration. Donc deux regards, deux points de vue qui doivent être reliés.

Le vocabulaire utilisé au cours du temps par les archivistes des Archives nationales dans les inventaires qu'ils ont produits, relatif à ce que nous appelons « les nuisibles », animaux et plantes nuisibles, s'il reflète d'une part l'époque de sa rédaction, peut également porter en lui la trace de l'administration et de l'époque qu'il décrit. Ce vocabulaire exprime d'abord l'action représentée par l'archive décrite, qui est souvent juridique et montre la volonté de protéger la société victime. Le vocabulaire utilisé est issu plus tard d'une nomenclature réglementaire puis émane d'une politique oscillant entre éradication et conservation. Les points de vue varient suivant les services administratifs : pour une période récente, les archives seront décrites différemment selon qu'elles proviennent du bureau de la Chasse rattaché à la direction de la Nature et des Paysages du ministère de l'Écologie, ou de la direction de la Protection et de la Valorisation des Espèces, ou de la direction de la Prévention des Risques, ou enfin du bureau des Réserves et Parcs nationaux.

La manière dont le travail de l'administration est livré aux historiens, c'est-à-dire l'étude de la mise en archives, (collecte, chronologie des versements, description des documents archivés), permet donc de faire apparaître l'évolution d'une notion sociale, et lui donne une épaisseur historique. L'historien, consultant sur Internet les inventaires dématérialisés des Archives nationales, devra pour faire sa recherche, suivre un double jeu de pistes : pour retrouver ou découvrir les documents qui l'intéressent dans le système informatique qui aujourd'hui les décrit, il devra s'interroger sur le vocabulaire utilisé par le producteur des documents, l'administration, puis par son médiateur, l'archiviste, oscillant entre le vocabulaire générique d'une époque peu tournée vers l'histoire de la protection des espèces, et celui, précis, d'une société contemporaine soucieuse d'écologie et de santé publique.

Les renards face à la rage (France, 1968-1998)

Par Nicolas Baron, Agrégé d’histoire-géographie, doctorant en histoire, LARHRA, Lyon 3

En mars 1968, un renard roux (Vulpes vulpes) atteint de la rage fut découvert à Montenach en Moselle. Ce fut le début d'une épizootie rabique inédite en France au sein de l'espèce vulpine tant par sa durée, trente ans de 1968 à 1998, que par son ampleur géographique, un grand quart nordest du territoire national. Pour un animal déjà classé comme nuisible en raison des dégâts qu'il pouvait occasionner dans la basse-cour et chez le gibier, cette survenue de la rage eut des conséquences majeures à l'échelle des individus et de l'espèce.

En adoptant « le point de vue animal » et en menant « une histoire éthologique », nous pouvons essayer de reconstituer le vécu des renards face à la rage en France entre 1968 et 1998. Dans cette optique, nouvelle sur le plan historiographique, trois points peuvent être abordés :

1) Les renards sont malades. C'est à la suite d'une morsure par un animal contaminé, le plus souvent un congénère, que les renards contractent le virus de la rage. Après une incubation asymptomatique de quelques semaines, ils ressentent brutalement des troubles physiques et comportementaux particulièrement graves (paralysie, perte de l'instinct de survie, agressivité…) et décèdent au bout de quelques jours de cette maladie incurable après avoir peut-être transmis la rage à leur tour. Le front rabique avance très rapidement, de plusieurs dizaines de kilomètres chaque année, en particulier à la suite des contacts entre individus liés au rut puis à la dispersion des renardeaux, et provoque la mort, en trente ans, d'au moins 38 000 renards dans le nord-est de la France.

2) Les renards sont persécutés puis vaccinés. Devenus vecteurs potentiels d'une zoonose redoutable en raison de la virulence de leur salive, les renards subissent des mesures radicales mises en place dès le début de l'épizootie par les hommes qui se méfient de cet animal « doublement nuisible ». Habitués à devoir échapper aux balles ou aux pièges des chasseurs, les renards sont victimes de nouvelles pratiques (tirs de nuit, gazage des terriers, charniers empoisonnés) qui entraînent la mort, souvent douloureuse, de centaines de milliers d'individus et qui créent des déséquilibres dans la population vulpine qui ne font qu'aggraver la propagation du virus. À partir de 1986-1987, les renards de France vont être vaccinés oralement à l'aide d'un appât disséminé dans la nature, cette opération indolore pour l'animal étant couronnée de succès puisque le dernier renard enragé est recensé en 1998.

3) Les renards s'adaptent. L'espèce vulpine ne reste pas sans réagir face à cette double menace qui pèse sur elle, à savoir la rage et les mesures d'éradication. En effet, malgré des pertes annuelles de plus de 50 % sur certains territoires, elle parvient à reconstituer ses effectifs très rapidement en augmentant sa fécondité de façon significative. Par ailleurs, en tant qu'animaux omnivores et opportunistes, les renards s'implantent au sein des aires urbaines, dans des zones où la densité humaine interdit l'utilisation des mesures d'éradication et offre d'importantes ressources alimentaires comme les déchets ménagers. Enfin, les individus qui possèdent un comportement plus solitaire et plus méfiant vis-à-vis de leurs congénères sont ceux qui, en évitant les contacts, vont limiter les risques de contamination, ce qui va au final modifier la structure sociale de l'espèce.

Pour cette étude, l'historien dispose de sources documentaires nombreuses et variées. Les bulletins épidémiologiques, les articles et les thèses vétérinaires permettent de se faire une idée très précise des modes de contamination et des symptômes des renards enragés ainsi que des techniques d'éradication et de vaccination qui leur sont appliquées. Ces données scientifiques sont à mettre en relation avec les connaissances toujours plus fines de l'éco-éthologie du renard roux en France qui sont livrées dans des revues naturalistes (La Hulotte, La Salamandre), dans des ouvrages de référence par des spécialistes reconnus (M. Artois, J-S. Méia) et dans les thèses vétérinaires.

Que la peste soit de l’animal ! La législation à l’encontre des animaux en période d’épidémies dans les villes des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège (1600-1669)

Par William Riguelle, Doctorant en histoire, université catholique de Louvain

Parmi l’ensemble des mesures législatives adoptées par les autorités en période de peste, force est de constater que l’historiographie insiste relativement peu sur la place de l’animal. Celui-ci occupe pourtant une position centrale dans la règlementation lorsqu’il s’agit pour les administrateurs d’adopter une série de dispositions prophylactiques afin de prémunir la ville contre la « maladie contagieuse ». Dans le contexte de la théorie miasmatique, les bêtes sont perçues comme portant dans leurs entrailles et dans leurs poils ou plumes de la vapeur pourrie qui est susceptible de s’élever dans l’air et de le corrompre[5]. Sous la menace d’épidémies, l’animal présent dans le périmètre urbain devient donc un être « nuisible », indésirable, dont il convient de limiter l’élevage ou la circulation pour des motifs sanitaires.

Mobilisant essentiellement des sources législatives, cette communication se propose d’analyser la règlementation des autorités centrales et locales à l’égard des animaux en temps de peste. Quelles sont les espèces considérées comme « nuisibles » ? Comment le pouvoir fait-il face au danger qu’elles représentent ? Quels sont les normes prescrites et les moyens mis en place pour lutter contre cette nuisance ? Autant d’interrogations qui contribuent à étudier l’attitude des gouvernants, mais qui mettent également en lumière le regard porté par l’homme sur l’animal ainsi que « le statut que ce regard leur confère »[6].

Ces objectifs seront abordés au travers des villes des Pays-Bas méridionaux et de la principauté de Liège, dans un cadre chronologique qui s’échelonne du début du xviie siècle à 1668, date à laquelle la peste se manifeste pour la dernière fois dans ces régions.

De la nuisibilité à la patrimonialité en milieu marin. L'histoire d'une ambiguïté entretenue

Par Patrick Le Mao et Nicolas Desroy, IFREMER-CRESCO, ODE-UL-LERBN, Jérôme Fournier, CNRS, UMR 7208 BOREA, Laurent Godet, CNRS, UMR 6554 LETG et Éric Thiébaut UPMC, UMR 7144 Adaptation et Diversité en milieu marin

L’évolution spatio-temporelle de la notion de nuisibilité d’espèces autochtones en milieu marin est explorée à travers plusieurs études de cas (e.g. Sabellaria alveolata, Sabellaria spinulosa, Lanice conchilega). La présence de ces espèces peut être perçue comme une gêne  pour certains usages anthropiques. Elles sont donc classées comme des « nuisibles » ou une « nuisance ». Ces notions évoluent aussi vite que les pratiques économiques ou récréatives développées en milieu marin mais aussi de l’intérêt qu’ont pu leur consacrer les scientifiques, au point que les habitats façonnés par ces trois espèces sont devenus « patrimoniaux », même si cette notion, souvent mal définie, n’est pas unanimement partagée sur l’ensemble du littoral.

Nous analyserons également l’apparition et le développement souvent qualifié d’ « invasif » de certaines espèces allochtones (e.g. Crepidula fornicata, Crassostrea gigas, Venerupis philippinarum, …) dont la nuisibilité proclamée (et parfois avérée pour certaines activités économiques) varie en fonction des usages qui se développent autour de leur présence. Le passage de nuisance à ressource halieutique, par exemple, entraîne une évolution des réglementations concernant ces espèces : de la destruction obligatoire à la gestion du stock avec mise en œuvre de « prélèvements raisonnés » voire de réensemencement pour pallier une surexploitation !

Enfin, nous évoquerons la perte de la mémoire collective et partagée pour certaines espèces ou habitats marins en prenant pour exemple la Zostère Zostera marina. La quasi-disparition des immenses herbiers se développant sur nos côtes au début des années 1930 n’a été suivie que par une très lente recolonisation jusqu’aux années 1980, avec une notable accélération depuis cette date. La perte de références mémorielles sur l’abondance de cette espèce au début du XXème siècle, jointe à la profonde mutation des usages économiques et récréatifs sur le littoral pendant sa période de raréfaction, font que le retour de cette espèce, qui réjouit les scientifiques et les écologues, induit auprès des usagers du littoral les mêmes inquiétudes que l’apparition d’espèces allochtones. Ceci provoque des phénomènes de rejet car le retour de ces herbiers est parfois perçu comme une « invasion anormale » et souvent vécu comme une nuisance pour les activités de loisir devenue dominantes en milieu littoral (baignade, installations de mouillages, etc.).

Au travers de ces situations multiples, prises parmi des éléments communs de notre faune et flore marine, nous mettons en lumière que la notion de « nuisibilité » ou de « patrimonialité » est une construction culturelle liée à une unité de temps ou de lieu dont les composants évoluent en fonction des perceptions changeantes qu’ont les populations littorales de leur environnement et des composantes du patrimoine naturel, mais aussi de l’intérêt qu’ont bien voulu accorder les scientifiques à certaines espèces ou habitats.

Bibliographie

  • Audouin, J. V., & Milne-Edwards, H. (1832). Recherches pour servir à l'histoire naturelle du littoral de la France, ou, Recueil de mémoires sur l'anatomie, la physiologie, la classification et les mœurs des animaux de nos côtes: ouvrage accompagné de planches faites d'après nature (Vol. 2). Crochard.
  • Basuyaux O. (2011). Etude et cartographie de Sabellaria alveolata sur la côte ouest du département de la Manche. Focus sur les abords de Granville. Rapport SMEL / CE–env/2011-01
  • Blanchard, M. (1995). Origine et état de la population de Crepidula fornicata (Gastropoda Prosobranchia) sur le littoral français. Haliotis, 24, 75-86.
  • Blanchard M., Hamon D. (2006). Bilan du suivi de l'exploitation industrielle de la crépidule en Bretagne Nord (baies de Saint-Brieuc et du Mont Saint-Michel) 2002-2005. http://archimer.ifremer.fr/doc/00000/6301/
  • Blanchard M. (2009). Recent expansion of the slipper limpet population (Crepidula fornicata) in the Bay of Mont-Saint-Michel (Western Channel, France). Aquatic Living Resources, 22(1), 11-19.
  • De Smet B., D'Hondt A.-S., Verhelst P., Fournier J., Godet L., Desroy N., Rabaut M., Vincx M., Vanaverbeke J. (2015). Biogenic reefs affect multiple components of intertidal soft-bottom benthic assemblages: The Lanice conchilega case study. Estuarine Coastal and Shelf Science, 152, 44-55.
  • De Smet B., Godet L., Fournier J., Desroy N., Jaffre M., Vincx M., Rabaut M. (2013). Feeding grounds for waders in the Bay of the Mont Saint-Michel (France): the Lanice conchilega reef serves as an oasis in the tidal flats. Marine Biology, 160(4), 751-761.
  • Desroy N., Dubois S., Fournier J., Ricquiers L., Le Mao P., Guérin L., Gerla D., Rougerie M., Legendre A. (2011). The conservation status of Sabellaria alveolata (L.) (Polychaeta: Sabellariidae) reefs in the Bay of Mont-Saint-Michel. Aquatic Conservation-marine And Freshwater Ecosystems, 21(5), 462-471.
  • Dubois, S. (2003). Ecologie des formations récifales à Sabellaria alveolata (L.): valeur fonctionnelle et patrimoniale (Doctoral dissertation, Paris, Muséum national d'histoire naturelle).
  • Godet L, Fournier J., Van Katwijk M, Olivier F, Le Mao P., Retiere C (2008). Before and after wasting disease in common eelgrass Zostera marina along the French Atlantic coasts: a general overview and first accurate mapping. Diseases of aquatic organisms, 79(3), 249-255.
  • Lejart, M. (2009). Etude du processus invasif de Crassostrea gigas en Bretagne: Etat des lieux, dynamique et conséquences écologiques (Doctoral dissertation, Université de Bretagne occidentale-Brest).
  • Ropert, M. (1999). Caractérisation et déterminisme du développement d'une population de l'annélide tubicole Lanice conchilega (Pallas, 1766) (polychète Térébellidé) associé à la conchyliculture en Baie des Veys (Baie de Seine Occidentale) (Doctoral dissertation).

Quel nuisible en milieu « hostile » ? Le cas du marin pêcheur hauturier, dernier chasseur cueilleur moderne

Par Jérémie Brugidou, Doctorant, ESTCA, Paris 8 et Fabien Clouette, Doctorant, GTM-CRESPPA, Paris 8

Nous étudierons le rapport entre la diversité des discours sur une « nature » nuisible de la part des acteurs du monde de la pêche hauturière en Bretagne et la diversité des profils de ces acteurs. Notre proposition part d’une double interrogation. La première est d’interroger la possibilité du nuisible dans un milieu considéré dans son ensemble comme hostile, un monde maritime. Le milieu maritime est souvent considéré, par les chercheurs comme par ses acteurs, comme un antimonde (Brunet), un « no-man’s land » (paroles d’enquêtés de notre terrain dans le Fulton Fish Market du Bronx, 2013), un « monde à part » (Geistdorfer). Si tout le milieu est vu comme pouvant nuire à l’homme, la question du nuisible, souvent pensée en regard d’un confort terrien peut-elle avoir une place ? Quelles définitions peut-il recueillir selon les acteurs humains de ce no-man’s land ?

La deuxième est de poser la question du nuisible sur un terrain de chasseurs cueilleurs, et non de cultivateurs. L’on sait depuis les travaux de Descola que le cueilleur compose avec le sauvage autant que le cultivateur, mais dans un rapport très différent à l’appropriation. Si le métier de pêcheur hauturier s’approche d’avantage des pratiques de type chasseur-cueilleur, comment interpréter la recrudescence des alertes au nuisible dans ces milieux sans barrières ? Est-ce un phénomène inhérent à toute présence humaine dans un milieu, ou n’est-ce pas plutôt une contamination depuis l’écologie mentale industrielle, voire une stratégie clé dans le processus d’appropriation et d’exploitation des milieux ?

Grace à une ethnographie fine des traits de chalut au large de l’Irlande et des débarquements dans les criées bretonnes, engagée depuis un an et demi, et à des entretiens embarqués, nous pouvons non seulement mettre en avant les différences de perception qu’il peut y avoir entre marins et armateurs industriels, mais aussi ceux qui peuvent exister sur le bateau entre matelots et patrons-pêcheurs. Puisqu’évidemment le rapport et les stratégies pour composer vis-à-vis d’une nature nuisible, ou à l’hostilité d’un milieu, n’est pas la même sur le pont que dans l’habitacle de commandement : d’un côté il y aura les harnais, de l’autre les écrans de contrôle des courants et des fonds.

Nous voulons dans un premier temps montrer que le nuisible garde son rôle de rouage dynamique dans la création d’une écologie (« un partage du sensible » J. Rancière), a fortiori quand cette écologie déplace aussi la frontière de ce qui est habitable pour l’homme. À travers une remise en question des quatre modes d’appropriation de la nature de l’anthropocène énoncés par Latour (Logos, Nomos, Theos, Cosmos), et par une étude fine des considérations sur les espèces pêchées et du vocabulaire qui lui est associé à terre et en mer – ressource, stock, rejets, mais aussi tout le travail de taxonomie différenciant l’animal de la viande (ex. : Eglefin/Haddock) – nous tenterons de mettre en avant les écarts entre cette écologie de la frontière, celle des marins, et l’écologie (ou plutôt économie gestionnaire) industrielle pensée depuis les bureaux des armements.

Nous verrons aussi que cette distribution cosmologique participe, pour les matelots, à un processus de création d’une communauté, et non simplement un travail de composition avec la « Nature ». Nous faisons un travail de veille sur Facebook auprès de différentes communautés de marins-pêcheurs, groupes au sein desquels sont partagées, commentées, likées chaque semaine des images de prises monumentales, photos dont l’objectif est surtout d’ancrer une identité de marin certes “évidente” mais aussi “flottante” (Geschiere), et non, contrairement aux professionnels du secteur à terre, de représenter un rapport au monde et à la nature sauvage.

En somme on aurait comme modèles (mais pas exclusifs) prenant le nuisible comme rouage :

marins <—nuisible—> marins          ici le nuisible fabrique du réseau

armateurs —nuisible—> nature          ici le nuisible est une stratégie normative de territorialisation.

La représentation normée du milieu hostile et des espèces utiles et nuisibles, dont participe une hiérarchisation taxinomique précise, disposerait avant tout d’un objectif marchand pour les industriels, et d’un objectif social pour les matelots. Nous verrons cependant qu’à travers un processus hégémonique (Roseberry) l’objectif économique a tendance, notamment en temps de crise, à s’imposer aussi parmi les matelots. Ainsi, la question de l’obligation de débarquement des espèces indésirables et de leur imputation sur les quotas sera examinée tout particulièrement lors de l’intervention, d’autant qu’elle pose autrement la question du nuisible : s’installe dans le débat public la question du marin pêcheur lui même tantôt perçu comme « espèce à protéger », « en voie de disparition » ou comme « nuisible ».

Genèse et métamorphoses du nuisible. Animaux marins et sociétés occidentales (xviie-xxie s.)

Par Daniel Faget, Historien. CNRS-UMR 7303 TELEMME, Aix-Marseille Université

Longtemps considéré comme le refuge de créatures diaboliques [Corbin, 1988], le milieu marin change progressivement de visage au cours des deux derniers siècles de l’époque moderne [Cabantous, 1990]. Ce désenchantement progressif des mondes maritimes, encouragé par les effets de la déchristianisation et l’essor des approches naturalistes, se traduit au début de la période contemporaine par l’émergence d’une stricte séparation du vivant entre animaux utiles et animaux nuisibles, désormais légitimée par la littérature scientifique du xixe siècle. La communication proposée, en retraçant les étapes de cette métamorphose, envisagera la place tenue dans ce processus par les représentants de la mégafaune marine, delphinidés et pinnipèdes. Peut-être aggravée par des changements comportementaux liés à des forçages anthropiques sur la ressource halieutique [Antoine, 1993], la détestation croissante des mammifères marins aboutit au début du xxe siècle à la formalisation d’une pensée exterminatrice [Faget 2009]. D’abord exprimée en France au sein du ministère de la Marine, celle-ci fait l’objet de pratiques expérimentales avant la Seconde Guerre Mondiale. Elle trouve un relais éphémère dans le cadre des politiques autarciques du régime fasciste en Italie. Après avoir analysé les éléments essentiels de ces politiques, la communication abordera le brutal retournement de la représentation de ces grands animaux survenu dans le monde occidental à partir des Trente Glorieuses. On soulignera les ambigüités qui accompagnent l’engouement de nos sociétés pour certaines espèces devenues emblématiques d’une nouvelle relation tissée entre les sociétés humaines et le milieu marin. La fonction de « passeur de nature » actuellement revêtue par le dauphin sera à cet égard explicitée, en contrepoint de l’affirmation très contemporaine de nouvelles figures marines du nuisible (requins, méduses, et cténaires).

S’appuyant sur les écrits des naturalistes, des biologistes et des océanologues, cette étude utilisera en parallèle les sources produites par les communautés de pêche (prud’homies méditerranéennes) ou les représentants des administrations locales et de l’État (conseils généraux, préfectures, ministères). Elle fera appel aussi aux sources iconographiques (presse populaire du xixe siècle, production cinématographique et publicités contemporaines).

Bibliographie

  • ANTOINE Loïc, « Les mammifères marins, la pêche et l’homme », Recherches marines, IFREMER, n°5, octobre 1993,
  • CABANTOUS A., Le ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime (XVIe-XIXe siècle), Paris, Fayard, 1990.
  • CORBIN A., Le territoire du vide. L’Occident et le désir de rivage (1750-1840), Paris, Aubier, 1988.
  • FAGET D., « Les tueries de dauphins en Méditerranée ou l’impossible rationalisation d’un massacre (xixe-milieu xxe s.) », Provence historique, t. LIX, fasc. 237, juillet-août-septembre 2009.
  • Faget D.: «Pour une approche transdisciplinaire de l'histoire maritime : l'étude des colonies d'hermelles Sabellaria alveolata (Linné 1767) à Marseille (France) à la fin du xixe siècle», Mésogée, n° 63, MHN de Marseille, 2007, p. 27‑37. 

Notes

[1] Anciennement dénommé « fléaux des cultures », dont le régime juridique est prévu aux articles L251-3 à L251-11 du Code rural et de la pêche maritime. Quant aux espèces nuisibles et aux bêtes fauves, il faut se référer aux Chapitre 7 du Titre II du Code de l’environnement dénommé.

[2] La démécologie est l’étude des populations, elle étudie les mécanismes de variations des populations.

[3] Il s’agit notamment de la Convention sur la Diversité Biologique de 1992, de la notion de bon état écologique présente par exemple dans la convention de Bonn, de Berne, dans la directive Oiseaux, la DCE…

[4] Rémi FOURCHE, Contribution à l’histoire de la protection phytosanitaire dans l’agriculture française (1880-1970), Université Lyon 2, soutenue le 29 octobre 2004, 2 volumes. 520 p.

[5] Mathias de Grati, Discours de droit moral et politique qui peut servir de remède tant contre la peste des villes et états que contre celle de l’âme et du corps, Liège, Henry Hovius, 1676, p. 13 ; Jean-Noël Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens. t. 2. Les hommes face à la peste, Paris-La Haye, Mouton, 1976, p. 25, 180. Sur la théorie des miasmes, voir notamment : Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social XVIIIe-XIX e siècles, Paris, Aubier Montaigne, 1982.

[6] Corine Beck, Éric Fabre, « L’animal, l’histoire et l’histoire naturelle. Un mariage à trois est-il possible ? », Études rurales, n° 189 (2012), p. 107.

Lieux

  • Tour Séquoia - Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, cedex
    La Defense, France (92055)

Dates

  • mardi 31 janvier 2017
  • mercredi 01 février 2017

Mots-clés

  • nuisible, nuisance, environnement, animal, faune, plante, prédateur, interaction, politique publique, nature, espèce, exotique, envahissante

Contacts

  • Rémi Luglia
    courriel : remi [dot] luglia [at] snpn [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Rémi Luglia
    courriel : remi [dot] luglia [at] snpn [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Sales bêtes ! Mauvaises herbes ! « Nuisible », une notion en débat », Colloque, Calenda, Publié le vendredi 28 octobre 2016, https://doi.org/10.58079/w1l

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