AccueilLes discours des sphères du pénal à l’ère numérique

AccueilLes discours des sphères du pénal à l’ère numérique

Les discours des sphères du pénal à l’ère numérique

The discourses of spheres from prisons to the digital era

Revue « Semen » n° 45, printemps 2018

Semen journal no. 45, spring 2018

*  *  *

Publié le jeudi 16 mars 2017

Résumé

Ce numéro thématique entend rassembler des analyses consacrées aux discours publics émanant des institutions pénales ou les concernant, matérialisés dans les sphères numériques. Et ce, à partir d’une perspective complémentaire des travaux relatifs aux discours constitutifs de l’action pénale (inspection, instruction, procès, aveux, etc.), aux relations de pouvoir qu’ils traduisent et construisent, et à leur fonction performative. Du point de vue méthodologique, le dossier entend offrir un panorama des pratiques discursives et communicationnelles autour des institutions pénales, et croiser ainsi les ancrages théoriques et méthodologiques des chercheur·e·s ayant fait le choix d’étudier les relations entre sphères du pénal et sphères publiques numériques.

Annonce

Argumentaire 

Les institutions pénales (police, gendarmerie, justice, prison) défendent leur opacité, par exigence fonctionnelle ou culture du secret. Pourtant, elles nourrissent une production langagière et imaginaire foisonnante, à commencer par les faits divers, les récits de crimes, la chronique judiciaire (Dubied, 2004 ; Sécail, 2010 ; Kalifa, 1995 ; Seignobos, 2013), et les fictions populaires de toute sorte (Philippe, 1999 ; Beylot, Sellier, 2004 ; Villez, 2005). En outre, à partir des années 1980, ces institutions régaliennes prennent en charge leur propre mise en discours : elles deviennent parlantes.

En effet, très visibles dans les médias de masse ou les « écrits d’écran » (Jeanneret, Souchier, 2005), les institutions pénales déploient d’importants efforts pour se construire dans et par le discours auprès de divers publics, usant dans cet objectif de nombreux supports médiatiques et genres discursifs. L’une des modalités de la présence des sphères du pénal dans les arènes numériques réside dans les initiatives communicationnelles des forces de l’ordre, de la justice ou (à un degré moindre) de la prison. De l’ouverture de pages Facebook, de profils Twitter ou de sites web interactifs, jusqu’au développement de guichets ou d’applications en ligne, en passant par la diffusion de vidéos en direct ou la participation à des reportages embedded, les expérimentations se multiplient, traduisant la volonté de ces institutions de contrôler et d’exploiter leur « médiagénie » (Marion, 1997). Leur présence sur les réseaux sociaux numériques décuple encore les occasions de décrire et de valoriser le travail de leurs membres à destination des publics internautes. Dans un contexte de tensions entre institutions pénales et population (Mouhanna, 2011), une telle production langagière en ligne offre des possibilités de rencontre avec des citoyens perçus comme réceptifs à de tels formats. Dans leur tentative de contrôle des flux d’informations les concernant, et face aux crises de légitimité que constituent les épreuves de la visibilité médiatique, elles sont peu à peu devenues porteuses d’un savoir-faire discursif et d’une culture du récit sur leurs métiers et le droit, mais aussi sur les normes et les déviances, attestant le souci de maîtriser leur publicité et leur réputation.

En toute hypothèse, les procédures de « lissage » discursif et celles de « neutralisation » de la conflictualité (Oger, Ollivier-Yaniv, 2006 ; Krieg-Planque, 2010), à l’œuvre dans tout discours institutionnel, sont particulièrement accusées dans les institutions pénales. Pourtant, les arènes publiques numériques ouvrent un nouveau front et apparaissent comme un espace de conflits, où se jouent une recomposition des discours institutionnels et une affirmation des groupes professionnels. D’un côté, l’appropriation du web et des réseaux sociaux par les institutions pénales suppose d’en épouser tout ou partie des codes, au prix d’une «hybridation» (Longhi, 2014) et d’une informalisation de leur discours. De l’autre, des professionnels des sphères du pénal se saisissent des dispositifs d’auto-publication en ligne, pour raconter de l’intérieur leur métier, produire une expertise critique sur le fonctionnement du système pénal, ou encore exprimer un mal-être et formuler des doléances autour de «paroles de plainte» (Foli, 2009). Le web serait ainsi le foyer d’une réappropriation du pouvoir de parler, au sens où il faciliterait l’affirmation d’une parole publique élaborée en marge, sinon à l’encontre, du discours institutionnel (Fontaine, 2007, 258-265) ; et ce, dans des organisations bureaucratiques où le pouvoir de parler est confisqué par les instances traditionnelles de représentation, et étouffé par une « culture du secret » (Monjardet, 1996).

Par ailleurs, l’action pénale est l’objet et l’enjeu de stratégies concurrentes de politisation ou de dépolitisation. Ainsi, le discours des institutions régaliennes coexiste avec ceux émanant des acteurs mobilisés sur les questions pénales : décideurs politiques, syndicats de policiers, de magistrats ou de surveillants de prison, associations ou collectifs, observatoires ou groupes de réflexion, etc. Plus spécifiquement, la neutralisation de la conflictualité autour des politiques policière, judiciaire et pénitentiaire est âprement contestée par « l’internet militant » (Granjon, 2001). Des publics engagés sur les questions pénales produisent et promeuvent des « contre-discours » (Auboussier, 2015), exploitant les ressources énonciatives du multimédia, la puissance évocatrice de l’image, ainsi que la diffusion virale des énoncés ; à l’instar des sites web de dénonciation des violences policières, dans la veine du « copwatching » importé des mouvements sociaux anglo-saxons.

Simultanément aux discours officiels issus de la communication organisationnelle des sphères du pénal, le dossier encourage ainsi à considérer les discours et contre-discours sur le pénal, et leurs articulations, générés ou amplifiés par les espaces participatifs du web ou les technologies mobiles. Ces (contre-)discours sont considérés comme fondamentalement interdiscursifs. L'interdiscursivité est ici comprise comme « une notion générique de mise en relation de ce qui a été déjà dit quelle que soit la forme textuelle sous laquelle apparaît ce déjà dit » (Charaudeau, 2006). C'est donc une approche dialogique, sinon « bakhtinisante » (Paveau, 2010), de la notion d’interdiscursivité qui est assumée. Autrement dit, tout discours s'inscrit dans une chaîne d'énoncés avec lesquels il est en interaction. La présence de discours concurrents ou corroboratifs au sein même de l'énoncé étant consubstantielle aux productions communicationnelles et, particulièrement, à celles visant la publicité la plus large. Tout discours est alors l'occasion d'un positionnement au sein d'une pluralité d’énoncés autour du référent considéré. Il en résulte qu'on ne peut envisager les discours publics des institutions et des acteurs à leur périphérie en dehors de leurs rapports à d'autres discours, qu’ils émanent des sphères politiques ou syndicales, de la société civile ou de particuliers, ou encore de la production fictionnelle.

L'attention spécifique au numérique se justifie en outre par l'interdiscursivité accrue des discours que l’internet favorise. Cette dernière se conjugue à une intermédialité, comprise comme une propriété des médias (Müller, 2006) permettant les emprunts, les glissements (Jost, 2014) ou la circulation et le métissage des discours d'un média à l'autre. Cette rencontre entre des ordres de discours semble favorisée par le caractère « dramaturgique » de la police et des institutions pénales (Brodeur, 2008), pour lesquelles se mêlent fréquemment le genre informatif et les projections fantasmagoriques. Le « travail de l’image » (Mawby, 2010) se déploie aujourd’hui sous la forme de contenus multimédias pensés pour favoriser leur circulation entre supports, mais aussi pour susciter des hybridations, notamment entre discours d’information et références fictionnelles. Les campagnes de recrutement constituent à cet égard des formes emblématiques de reconfiguration des pratiques discursives des institutions pénales. Il est alors possible d’analyser le jeu des acteurs en rapport avec la nature intermédiatique des dispositifs, comme une façon pour eux, et c’est une hypothèse, de s'accommoder de la diversité du paysage médiatique, dans un contexte d'accroissement du nombre et du type de médias à satisfaire dans un temps limité.

Ce numéro thématique entend ainsi rassembler des analyses consacrées aux discours publics émanant des institutions pénales ou les concernant, matérialisés dans les sphères numériques1. Et ce, à partir d’une perspective complémentaire des travaux relatifs aux discours constitutifs de l’action pénale (inspection, instruction, procès, aveux, etc.), aux relations de pouvoir qu’ils traduisent et construisent, et à leur fonction performative. D’un côté, comment les institutions pénales, placées sous l’œil des médias et du public, développent-elles des pratiques discursives et interviennent-elles dans les espaces publics numériques afin de promouvoir et de justifier leur action ? Quelles modalités et stratégies énonciatives mobilisent-elles pour exister sur le web, en vue d’affirmer leur légitimité et de gagner l’estime ou l’adhésion des publics ? Comment et dans quelle mesure le discours institutionnel épouse-t-il les conventions discursives et figuratives en vigueur sur les médias sociaux? En quoi l'investissement de tels dispositifs (re)façonne-t-il le discours des institutions pénales et sa réception ? De l'autre côté, comment simultanément des publics mobilisés ou des particuliers produisent-ils leurs propres versions des politiques et de l’action pénales ? Les contributeur-trice-s au dossier sont invité- e-s, comme les éléments de réflexion précédents le suggèrent, à considérer à la fois les discours des institutions pénales et ceux de leurs périphéries, mais aussi leurs circulations intermédiatiques, les emprunts, les contre-discours qui y prennent place. Du point de vue méthodologique, le dossier entend offrir un panorama des pratiques discursives et communicationnelles autour des institutions pénales, et croiser ainsi les ancrages théoriques et méthodologiques des chercheur-e-s ayant fait le choix d’étudier les relations entre sphères du pénal et sphères publiques numériques. 

Échéancier et modalités de soumission

  • Lancement de l’appel : 20 février 2017
  • Date limite d’envoi des propositions d’article : 15 avril 2017

  • Notification de la décision aux auteur-e-s : 05 mai 2017
  • Remise des textes aux coordinateurs et au comité de lecture de la revue : 01 septembre 2017
  • Retour des expertises : 15 novembre 2017
  • Réception des textes (version finalisée) : 30 janvier 2018
  • Parution : printemps 2018

Les propositions d’article présenteront un résumé d’environ 3.000 signes espaces compris. Elles seront adressées aux trois coordinateurs par courriel :

  • isabelle.hure@univ-fcomte.fr
  • guillaume.le-saulnier@univ-reims.fr
  • michael.meyer@unil.ch

Coordination du numéro

  • Isabelle HURE, M.C.F. en Sciences de l’information et de la communication, Université de Franche-Comté, ELLIADD (E.A. 4661)
  • Guillaume LE SAULNIER, M.C.F. en Sciences de l’information et de la communication, Université de Reims Champagne-Ardenne, Cérep (E.A. 4692)
  • Michaël MEYER, Maître d'enseignement et de recherche suppléant, Université de Lausanne, Institut des sciences sociales

Références

  • AUBOUSSIER J., 2015, « Présentation », Semen [En ligne], 39/2015, mis en ligne le 19/11/15, consulté le 10/07/16 [URL : https://semen.revues.org/10463]
  • BEYLOT P., SELLIER G. (dir.), Les séries policières, Paris, L’Harmattan / INA, coll. « Les médias en actes »
  • BRODEUR J.-P., 2008, « Que dire maintenant de la police ? », in CHAUVENET A., OCQUETEAU F. (dir.), Notes inédites sur les choses policières. 1999-2006, Paris, Éd. La Découverte, « Textes à l’appui », p. 255-268
  • CHARAUDEAU P., 2006, « La situation de communication comme lieu de conditionnement du surgissement interdiscursif », Tranel, n° 44, p. 27-38
  • CONNAN P.-Y., LE SAULNIER G., VERDIER B., 2016, « Quand une profession taiseuse se dévoile sur le web : les ethè discursifs élaborés dans les blogs de policiers », Itinéraires [En ligne], 2015-3/2016, mis en ligne le 01/07/16, consulté le 02/07/16 [URL : http://itineraires.revues.org/3145]
  • DUBIED A., 2004, Les dits et les scènes du fait divers, Genève-Paris, Droz, coll. « Travaux de sciences sociales »
  • FOLI O., 2009, « Une participation impossible ? Processus communicationnel de disqualification des plaintes individuelles en organisation », Communication et organisation [En ligne], 36/2009, mis en ligne le 11/03/11, consulté le 05/01/13 [URL : http://communicationorganisation.revues.org/890]
  • FONTAINE J.-Y., 2007, Socioanthropologie du gendarme. Gendarmerie et démocratie, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales »
  • GARRIC N., LONGHI J., 2013, « Atteindre l’interdiscours par la circulation des discours et du sens », Langage et société, n° 144, p. 65-83
  • GRANJON F., 2001, L’Internet militant. Mouvement social et usages des réseaux télématiques, Rennes, Éd. Apogée, coll. «Médias et nouvelles technologies»
  • HÉBERT L., Guillemette L. (dir.), 2009, Intertextualité, interdiscursivité et intermédialité, Presses de l'Université Laval, coll. « Vie des signes »
  • HURÉ I., 2014, « Le procès Fourniret émancipe-t-il la chronique judiciaire ? », Communication et Langages, n° 182, p. 95-111
  • HURÉ I., 2015, « Des magistrats sans autorité face aux victimes. Le cas des débats télévisés sur la récidive criminelle », Mots. Les langages du politique, n° 117, p. 101-115
  • JEANNERET Y., SOUCHIER É., 2005, « L'énonciation éditoriale dans les écrits d'écran », Communication et langages, n° 145, p. 3-15
  • JOST F., 2014, « Présentation du numéro », Télévision, 2014/1, n° 5, p. 7
  • KALIFA D., 1995, L’encre et le sang. Récits de crimes et société à la Belle Époque, Paris, Fayard KRIEG-PLANQUE A., 2012, Analyser les discours institutionnels, Paris, Armand Colin, coll. « ICOM »
  • LONGHI J., 2014, « L’hybridation du discours institutionnel à l’épreuve du numérique : renouvellement et reconfiguration de la parole institutionnelle », in LONGHI J., SARFATI G.-E. (dir.), Les discours institutionnels en confrontation. Contribution à l’analyse des discours institutionnels et politiques, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces discursifs », p. 167-188
  • MARION Ph., 1997, « Narratologie médiatique et médiagénie des récits », Recherches en communication, n° 7, p. 61-88
  • MAWBY R., 2010, “Police corporate communications, crime reporting and the shaping of policing news”, Policing & Society, vol. 20, n° 1, p. 124-139
  • MEYER M. (dir.), 2012, Médiatiser la police. Policer les médias, Lausanne, Éd. Antipodes, coll. « Médias et Histoire »
  • MONJARDET D., 1996, Ce que fait la police. Sociologie de la force publique, Paris, Éd. La Découverte, coll. « Textes à l’appui »
  • MOUHANNA Ch., 2011, La police contre les citoyens ?, Paris, Champ social éd., coll. « Questions de société »
  • MÜLLER J., 2006, « Vers l’intermédialité : histoire, positions et options d’un axe de pertinence », Médiamorphoses, n° 16, p. 99-110
  • OGER C., OLLIVIER-YANIV C., 2006, « Conjurer le désordre discursif. Les procédés de "lissage" dans la fabrication du discours institutionnel », Mots. Les langages du politique, n° 81, p. 63-77
  • PAVEAU M.-A., 2010, « Interdiscours et intertexte. Généalogie scientifique d'une paire de faux jumeaux », in ABLALI D., KASTBERG SJÖBLOM M. (dir.), Linguistique et littérature : Cluny, 40 ans après, Besancon, Presses universitaires de Franche-Comté, coll. « Annales littéraires de l’université de Franche-Comté », p. 93-105
  • PAVEAU M.-A., 2012, « Activités langagières et technologie discursive. L’exemple de Twitter », La pensée du discours [En ligne], mis en ligne le 27/02/12, consulté le 30/08/16 [URL: http://penseedudiscours.hypotheses.org/8338]
  • PHILIPPE O., 1999, La représentation de la police dans le cinéma français. 1965-1992, Paris, L’Harmattan, coll. « Sécurité & Société »
  • SÉCAIL C., 2010, Le crime à l’écran. Le fait divers criminel à la télévision française (1950-2010), Paris, Nouveau monde éd. / INA, coll. « Culture-médias »
  • SEIGNOBOS É., 2013, « La parole judiciaire : entre silences et polyphonie médiatique. Métamorphoses et adaptations de la chronique judiciaire », Sociétés et représentations, n° 36, p. 179-194
  • THOMAS C., 2009, « La communication par le bas au ministère de la Justice », Communication et organisation, n° 35, p. 170-181
  • VILLEZ B., 2005, Séries télé : visions de la justice, Paris, Presses universitaires de France

Note

1 Les textes, discours, images, dispositifs issus aussi bien des institutions que de leurs périphéries, attendus comme objet ou terrain d'étude, peuvent être natifs du web ou importés sur la toile.


Dates

  • samedi 15 avril 2017

Mots-clés

  • discours, sphères du pénal, police, justice, prison, numérique, internet, publication en ligne, médias, représentations, récit, médiagénie, communication organisationnelle, intermédialité, interdiscursivité

Contacts

  • Michaël Meyer
    courriel : michael [dot] meyer [at] unil [dot] ch
  • Guillaume Le Saulnier
    courriel : guillaume [dot] le-saulnier [at] univ-reims [dot] fr
  • Isabelle Huré
    courriel : isabelle [dot] hure [at] univ-fcomte [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Michaël Meyer
    courriel : michael [dot] meyer [at] unil [dot] ch

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les discours des sphères du pénal à l’ère numérique », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 16 mars 2017, https://doi.org/10.58079/x83

Archiver cette annonce

  • Google Agenda
  • iCal
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search