AccueilLes démocraties à l'épreuve des migrations contemporaines : politiques de la frontière et réactions sociales

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Les démocraties à l'épreuve des migrations contemporaines : politiques de la frontière et réactions sociales

Democracies and the challenge of contemporary migration - border policies and social reactions

Revue « Sciences et actions sociales »

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Publié le mardi 25 avril 2017

Résumé

Ce dossier de la revue Sciences et Actions Sociales entend participer à la compréhension des enjeux relatifs aux migrations et aux mobilités contemporaines en les envisageant comme des coproductions impliquant une diversité d’acteurs et d’espaces (migrants, acteurs politiques et institutionnels, mobilisations sociales pro ou anti-migrants, forces de l’ordre, médias, travail social, ONG, gestionnaires de « centres », école, etc.).

Annonce

Argumentaire

Cette deuxième décennie du XXIe siècle est marquée par des mouvements de populations inédits par leur ampleur. Selon le Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies, pour la seule année 2015, 65 millions de personnes ont été déracinées dans le monde (déplacés internes plus réfugiés). En Europe, la « crise des migrants » est en grande partie liée à l’actualité de la déstabilisation du Proche et du Moyen-Orient. Les conflits armés dans ces régions sont certes, en cause dans la mise en mouvement de milliers de réfugiés présents en Europe (Crawley et al., 2016), mais en réalité, les mobilités internationales actuelles touchent la plupart des régions de la planète (Wihtol De Wenden, 2009, 2013) et correspondent à une nouvelle période de déplacements humains à grande échelle dont les causes et les logiques sont multiples - globalisation, développement économique, mutations technologiques, dégradations climatiques, guerres, fuite de la misère, de régimes autoritaires, délitements des États et des institutions, aspirations à la liberté, etc. Face à ces migrations contemporaines, les démocraties libérales sont tentées par le « retour de la frontière » (Dirakis, 2016).

Le rétablissement des contrôles aux frontières au sein de l’espace Schengen dans la foulée des attentats islamistes parisiens de 2015 confirme une tendance de fond. Contrastant avec l’hyper-mobilité des flux financiers et les possibilités des réseaux de transports modernes, l’accélération de l’édification de barrières terrestres, juridiques et symboliques appliquées aux migrations est un trait saillant de la période actuelle (Streiff-Fénart et Segatti, 2012 ; Guiraudon, 2008 ; Cuttitta, 2007). Cette disjonction flagrante entre le monde de la libre circulation et celui de la fermeture des frontières n’a, malgré tout, rien de totalement inédit, du moins pour ce qui concerne les réactions des grands pays d’immigration. En effet, depuis la fin du XIXe siècle, ces États nationaux n’ont cessé de sophistiquer des dispositifs visant à contrôler les entrées et les effectifs des populations étrangères sur leur sol (Rygiel, 2006). Cependant, l’image véhiculée d’un débordement sans précédent par son envergure a une acuité particulière lorsque l’on constate, par ailleurs, que les opinions publiques des démocraties libérales sont gagnées par des formes de populisme réactif. Les avancées électorales des forces politiques portées par le discours de rejet de l’autre et le projet de rétrécissement de l’État-nation à « la fiction de l’ethnos » (Appadurai, 2009) sont là pour nous le rappeler. Face à des changements rapides déstabilisant les structures socio-économiques, les compromis sociaux et politiques hérités de l’après-guerre, les démocraties libérales semblent peiner à définir les modalités du « vivre ensemble » susceptibles de relever le défi de la pluralisation socio-ethnique. Dès lors, dans le contexte de mondialisation des flux migratoires, les pays européens sont obnubilés par la gestion de leurs frontières au Sud et à l’Est, notamment depuis les crises récentes au Maghreb et au Moyen-Orient. Qu’il s’agisse de la crispation sur les frontières terrestres intérieures de l’Union européenne qui semblaient jusqu’ici, dans le cadre de l’espace Schengen, relativement ouvertes, ou sur les frontières externes, tout se passe comme si, au sein des démocraties occidentales, les migrations contemporaines étaient uniquement appréhendées en termes de risques sociaux (dépenses sociales supplémentaires pour le Welfare State, etc.), civils (terrorisme, criminalité organisée, etc.) et culturels (imputation d’inassimilabilité de certains groupes, etc.).

Pourtant, le développement d’une approche sécuritaire des migrations, depuis l’illégalisation des entrées de travailleurs dans les années 1970 jusqu’à la création puis l’extension de dispositifs de contrôle, de surveillance et d’empêchement (création de l’agence européenne Frontex en 2005, multiplication des centres de rétention, etc.), non seulement n’a pas eu l’effet de réduction du nombre de migrants, mais plutôt un coût financier et humain vertigineux qui s’accompagne d’effets pervers : pression sur les pays de transit inscrits dans les « couloirs de migrations », naufrages, morts, clandestinité, réseaux d’exploitation, esclavage moderne, gestion externalisée confiée à des pays irrespectueux des droits humains (ex : accord UE-Turquie en mars 2016), regroupement dans des structures de détention et de confinement dans une logique d’encampement (Agier, 2014). La prévalence du prisme sécuritaire produit ainsi l’accroissement des entraves aux déplacements et son archipel d’espaces réservés soustraits aux regards, propices à la prolifération du déni de droits (ex : centres de tri de type hotspotsprocessing centers, etc.). La réalité humaine de la mondialisation des migrations bravant les frontières saute néanmoins aux yeux en se révélant dans des espaces interstitiels et des lieux stigmatisés - « jungles », squats, bidonvilles, campements, etc. - dont le flot des images contribue à entretenir la figure du migrant surnuméraire et indigne (vivant dans la boue, sans travail, etc.).

Dans ces conditions, les images d’un déferlement inexorable de migrants et les épisodes de cohabitations conflictuelles (ex : agressions sexuelles collectives à Cologne au Nouvel An 2016, manifestation des commerçants de Calais le 24 janvier 2017, etc.) cristallisent la peur de la redondance socio-économique (Bauman, 2009) et les inquiétudes identitaires. À rebours de ces tendances, la « crise » des réfugiés suscite également des indignations, des appels à l’entraide, voire à la désobéissance civile. En effet, les actes de solidarité des personnes aidant les migrants illégalisés tendent à être assimilés aux actions de « passeurs » qui prolifèrent du fait de la fermeture des frontières.

En somme, dans une ère de reconfigurations des équilibres hérités de l’après Seconde-Guerre mondiale - géopolitiques, sociaux et économiques - nous assistons à la construction de figures de l’étranger indésirable concomitantes au renouveau de « l’incertitude de l’existence » (Castel, 2009). Complexifiant l’image univoque des migrants peu ou pas éduqués des années 1950-1970 en provenance de pays dont les standards de vie étaient très éloignés de ceux des habitants du Nord, les migrants sont aujourd’hui plus souvent éduqués, urbains, souvent installés mais déchus de leurs statuts en raison de conflits de toutes sortes. Ces personnes renvoient l’image aux citoyens des pays occidentaux de ce qui pourrait leur advenir dans le monde globalisé de la concurrence effrénée. Dans ce contexte incertain pour tous, les possibilités d’ajustement à court terme des sociétés occidentales aux changements que révèle la « crise des migrants » (ou « crise des réfugiés ») semblent réduites. En effet, l’hospitalité publique (Gotman, 2001 ; Stavo-Debauge, 2015), tout comme l’intolérance au spectacle récurrent de la souffrance humaine, sont limitées. Même les pays européens qui sont apparus, un temps, plus accueillants que les autres, comme la Suède ou l’Allemagne, sont aujourd’hui plus hésitants. On ne peut que constater l’attractivité des politiques répressives promettant de durcir davantage les réponses déjà promues depuis plus de trente ans face au défi migratoire - construire des murs, surveiller, expulser, externaliser, inciter au retour, etc. Les peurs associées à la construction de figures de l’altérité négative autour d’une partition morale entre « bons » et « mauvais » migrants (Streiff-Fénart, 2013) constituent une aubaine pour les forces politiques réactionnaires prônant l’idée de la grandeur recouvrée et, à n’en pas douter, la violence meurtrière de l’islamisme international favorise les promoteurs du « choc identitaire ». D’autant que les forces progressistes éprouvent des difficultés à répondre aux peurs de leurs concitoyens sans risquer d’entretenir encore davantage leurs incertitudes. En fin de compte, le « problème » de l’immigration fonctionne comme un révélateur des tensions inscrites au cœur même des démocraties libérales contemporaines : après une ère de prospérité (relative) et de libertés gagnées, le doute s’installe avec l’adhésion de franges toujours plus larges de citoyens aux projets sécuritaires et/ou xénophobes promettant de réaliser, à leur manière, la sécurité économique, territoriale, sociale et culturelle.

Objectifs de l’appel à propositions

Dans ce contexte, ce dossier de la revue Sciences et Actions Sociales entend participer à la compréhension des enjeux relatifs aux migrations et aux mobilités contemporaines en les envisageant comme des coproductions impliquant une diversité d’acteurs et d’espaces (migrants, acteurs politiques et institutionnels, mobilisations sociales pro ou anti-migrants, forces de l’ordre, médias, travail social, ONG, gestionnaires de « centres », école, etc.). Ce dossier vise dès lors à publier des articles originaux portant sur des travaux aboutis ou en cours de réalisation s’intéressant aux logiques des « politiques de la frontière », c’est-à-dire, des dispositifs expressément pensés et mis en œuvre à destination des migrants pour les « accueillir », les « sélectionner », les « contenir », les « expulser », les « relocaliser », etc., mais également des mobilisations de soutien aux migrants réfugiés et, à l’inverse les mobilisations anti-migrants, susceptibles de dire quelque chose des transformations en cours dans les rapports des démocraties libérales avec l’immigration. En effet, on peut considérer le traitement des migrations contemporaines dans ces sociétés comme le révélateur de tensions qui les traversent, dans la mesure où la confrontation de l’image assignée aux migrants et des dispositifs dont ils sont l’objet permettent d’aborder des dilemmes, des ambivalences, des hésitations et des dysfonctionnements qui tiraillent ces sociétés.

Les propositions attendues sont susceptibles de couvrir une diversité d’échelles spatiales, de contextes, de disciplines (histoire, sociologie, anthropologie, géographie, science politique, etc.), d’approches théoriques (relations inter-ethniques, production du racisme, histoire des migrations, études juridiques, production de l’hospitalité publique et/ou privée, régimes d’échanges économiques, sociaux et culturels, etc.) et méthodologiques pouvant contribuer à répondre à quelques interrogations générales qui constituent le fil rouge de ce dossier :

D’une part, il s’agit de questionner les logiques de construction des « politiques de la frontière » : quels sont leurs fondements, les formes qu’elles prennent, les organisations et les acteurs qui les conçoivent et les mettent en œuvre ainsi que leurs effets ? Quelles sont les interactions entre les différents types d’acteurs concernés par ces politiques et dispositifs (ex : relations croisées entre migrants, populations locales, gestionnaires de centres de rétention, forces de l’ordre, défenseurs des droits de l’homme, etc.) ? Que révèlent ces politiques de l’évolution des démocraties libérales dans leurs rapports avec les autres pays, leurs propres sociétés civiles, minorités internes, organes de répression, systèmes d’assistance aux démunis, médias, etc. ?

D’autre part, il s’agit d’interroger les dynamiques des réactions sociales qui s’inscrivent en continuité et/ou en opposition à ces politiques : quels en sont les acteurs (ex : élus locaux, mouvements radicaux anti-frontières, initiatives de « citoyens ordinaires », mouvements anti-migrants, auto-organisation des migrants, ONG, organisations de soutien aux immigrés, etc.) ? Quelles formes prennent ces mobilisations « accueillantes » et « inhospitalières » ? Sur quels terrains se déploient-elles (ex : juridique, culturel, etc.) et en mobilisant quels répertoires d’action ?

Bibliographie

  • Michel Agier (dir.), Un monde de camps, Paris, La Découverte, 2014.
  • Arjun Appadurai, Géographie de la colère. La violence à l’âge de la globalisation, Paris, Payot & Rivages, 2007.
  • Zygmunt Bauman, Vies perdues. La modernité et ses exclus, Paris, Rivages Poche/Petite Bibliothèque, 2009.
  • Robert Castel, La montée des incertitudes. Travail, protections, statut de l’individu, Paris, Seuil, coll. « La couleur des idées », 2009.
  • Heaven Crawley, Franck Duvell, Khatarine Jones, Dimitris Skleparis, « Understanding the dynamics of migration to Greece and the EU: drivers, decisions and destinations », Unravelling The Mediterranean Migration Crisis (MEDMIG), Research brief, n°2, sept. 2016.
  • Paolo Cuttitta « Le monde frontière. Le contrôle de l’immigration dans un monde globalisé », Culture et conflits, n° 68, 2007, p. 61-84.
  • Alexis Dirakis, « Une anthropologie politique de la frontière. Réflexions à partir de l’anthropologie de Helmuth Plessner », Le Débat, n° 188, 2016, p. 132-134.
  • Anne Gotman, Le sens de l’hospitalité. Essai sur les fondements sociaux de l’accueil de l’autre, Paris, PUF, 2001.
  • Virginie Guiraudon, « Les politiques de gestion des frontières et de l’immigration », in Olivier Borras et Virginie Guiraudon, Politiques publiques I, Paris,Presses de science po, 2008, p. 173-194.
  • Philippe Rygiel (dir.), Le bon grain et l’ivraie. La sélection des migrants en Occident, 1880-1939, La Courneuve, Aux lieux d’être, 2006.
  • Joan Stavo-Debauge, Qu’est-ce que l’hospitalité ? Recevoir l’étranger à la communauté, Paris, Economica, coll. Études sociologiques, 2015.
  • Jocelyne Streiff-Fénart, « Penser l’étranger. L’assimilation dans les représentations sociales et les théories sociologiques de l’immigration », Revue européenne des sciences sociales, 2013, vol. 541, n  1-2, p. 65-93.
  • Jocelyne Streiff-Fénart, Aurélia Segatti (eds), The challenge of the Treshold: border closures and migration movements in Africa, Lanham, Maryland, Lexington books, 2012.
  • Catherine Wihtol de Wenden, La Globalisation humaine, Paris, PUF, 2009.
  • Catherine Wihtol de Wenden, Les nouvelles migrationsLieux, hommes, politiques, Paris,Ellipses, 2013.

Procédure d'évaluation des propositions de contributions

En lien avec la ligne éditoriale de la revue (voir présentation de la revue [http://www.sas-revue.org/]), les textes proposés doivent être originaux et ne pas avoir déjà fait l'objet d'une publication dans des revues. Néanmoins, à la condition qu'il demande l'accord préalable à la revue Sciences & Actions Sociales, l'auteur d'un article dans la revue SAS peut publier son article dans un ouvrage ou des actes de colloque à la condition de citer la source de première publication, c'est-à-dire la revue SAS.

Les propositions de contribution doivent respecter les recommandations aux auteurs présentées dans la rubrique : « proposer un article ». Ces propositions doivent être envoyées par courrier électronique au format .doc ou .rtf à l'adresse suivante : redaction@sas-revue.org au plus tard le 30 juin 2017. Un accusé de réception est alors adressé en retour. Les textes font l'objet d'une évaluation anonyme par trois lecteurs désignés au sein des comités de rédaction et scientifique de la revue. Sur la base de leurs évaluations, après une discussion de l'article au sein du comité de rédaction, une décision collective est prise : accepté en l'état, accepté avec modifications mineures, accepté sous réserve de modifications majeures, refusé. Cette décision est transmise à l'auteur par la revue SAS au maximum trois mois après la réception de la proposition de l'article.

Calendrier de l'appel à contributions

  • Les propositions d'articles sont à envoyer à redaction@sas-revue.org au plus tard le 30 octobre 2017.

  • Les retours aux auteurs sont prévus pour le 30 novembre 2017 pour une publication dans le numéro de janvier 2018.

Coordination

  • Mohamed Belqasmi, Attaché de recherche, Laboratoire d’Étude et de Recherche Sociales/IRTS-IDS Normandie, doctorant en sociologie URMIS - Université Côte d’azur
  • Jocelyne Streiff-Fénart, Directrice de recherche émérite, Unité de Recherche Migrations et Société (CNRS UMR 8245 - IRD UMR 205) - Université Côte d’Azur
  • Catherine Wihtol De Wenden, Directrice de recherche émérite, Centre de Recherches Internationales (CNRS UMR 7050) - Sciences Po

Dates

  • lundi 30 octobre 2017

Mots-clés

  • démocratie libérale, migration contemporaine, politique de la frontière, réaction sociale

Contacts

  • Manuel Boucher
    courriel : manuel [dot] boucher [at] idsnormandie [dot] fr

Source de l'information

  • Manuel Boucher
    courriel : manuel [dot] boucher [at] idsnormandie [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les démocraties à l'épreuve des migrations contemporaines : politiques de la frontière et réactions sociales », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 25 avril 2017, https://doi.org/10.58079/xhh

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