AccueilGenre et sexualités en situations (post) révolutionnaires

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Genre et sexualités en situations (post) révolutionnaires

Gender and sexualities in post-revolutionary situations. Ethnologie française journal

Revue « Ethnologie française »

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Publié le mercredi 02 août 2017

Résumé

Depuis 2009, différents pays du Moyen-Orient et du Maghreb, de l’Iran à la Tunisie, en passant par l’Égypte, le Yémen, la Turquie, la Syrie, Bahreïn, etc. ont connu des mobilisations multisectorielles , pour la plupart inédites depuis leur accession aux indépendances. Ces périodes d’effervescence politique se sont accompagnées d’une participation massive des femmes. La revue Ethnologie française publiera en 2019 un numéro consacré aux situations révolutionnaires et post-révolutionnaires au prisme du genre et des sexualités. Les contributions attendues peuvent relever de la sociologie, de l’anthropologie et de la science politique, mais aussi de l’histoire. L’un des objectifs de ce numéro étant de départiculariser ce qui se joue dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb, les propositions d’articles portant sur d’autres pays et d’autres aires culturelles seront particulièrement appréciées : Europe de l’Est, de l’Ouest (dont la France) et du Sud, mais aussi Amérique latine, Asie, etc.

Annonce

Argumentaire

Depuis 2009, différents pays du Moyen-Orient et du Maghreb, de l’Iran à la Tunisie, en passant par l’Égypte, le Yémen, la Turquie, la Syrie, Bahreïn, etc. ont connu des mobilisations multisectorielles , pour la plupart inédites depuis leur accession aux indépendances. Ces périodes d’effervescence politique se sont accompagnées d’une participation massive des femmes. Diplômées chômeuses, ouvrières, paysannes, étudiantes, artistes, prostituées, magistrates et avocates, blogueuses, mères de blessés et « martyrs », féministes, syndicalistes, antiracistes, femmes niqabées, militantes LBT (lesbiennes, bisexuelles et transsexuelles), ont investi différemment l’usine, la rue, internet et les places publiques, les administrations ainsi que les institutions « transitoires » et élues [Ait Mous et Berriane, 2013 ; Kréfa, 2016].

Omniprésentes dans les différentes mobilisations (qu’elles soient multisectorielles, pour l’égalité entre les sexes, contre les structures des partis hégémoniques ou les différents gouvernements), les femmes, leurs formes d’engagement et leurs revendications sont pourtant de grandes absentes des travaux académiques sur ces situations révolutionnaires [Bennani- Chraïbi et Fillileule, 2012 ; Hmed et Jeanpierre, 2016] qui reprennent le présupposé d’un acteur protestataire homme hétérosexuel. Plus récemment, cependant, des ouvrages collectifs [Hasso et Salime, 2016 ; Gillot et Martinez, 2016 ; Sadiqi, 2016] et des numéros spéciaux de revues [Jasser, Mahfoudh, Lalami et al., 2016] ont été consacrés aux engagements féminins et/ou féministes, mais rares sont les contributions qui s’appuient sur des enquêtes de terrain. De leur côté, les médias occidentaux ont principalement relayé la « question des femmes » et celle des « minorités sexuelles » sous la forme de l’opposition idéologique entre « islamistes » et « modernistes ». Dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb, les controverses au sujet des relations entre les hommes et les femmes et des « minorités sexuelles » se structurent autour des oppositions « authenticité culturelle » versus « importation ».

Afin de combler les angles morts de la recherche scientifique, la revue Ethnologie française publiera en 2019 un numéro consacré aux situations révolutionnaires et post-révolutionnaires au prisme du genre et des sexualités. Les contributions attendues peuvent relever de la sociologie, de l’anthropologie et de la science politique, mais aussi de l’histoire. L’un des objectifs de ce numéro étant de départiculariser ce qui se joue dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb, les propositions d’articles portant sur d’autres pays et d’autres aires culturelles seront particulièrement appréciées : Europe de l’Est, de l’Ouest (dont la France) et du Sud, mais aussi Amérique latine, Asie, etc. Le numéro ne sera donc qu’en partie centré sur les pays arabes et les contributions fondées sur des enquêtes empiriques ou des archives dans d’autres contextes socio-historiques seront examinées avec beaucoup de soin.

Sur le plan analytique, Le dossier appréhendera le genre comme une catégorie transversale [Clair, 2012] et non comme une « variable » : il ne s’agit ainsi pas « d’ajouter », aux côtés des engagements des hommes, ceux des femmes jusque-là négligés par les travaux sur les révolutions. L’ambition du numéro est de montrer que le genre, entendu comme un rapport social, est nécessaire à l’analyse des situations révolutionnaires et inversement, que ces dernières permettent de renouveler les travaux sur les rapports sociaux de sexe. L’une des problématiques centrales est de mettre en évidence, à l’appui d’enquêtes de terrain, que si le genre est un rapport social très naturalisé, les conjonctures critiques autorisent une critique de l’ordre du genre et des sexualités. Parallèlement aux effets des conjonctures révolutionnaires sur ces rapports sociaux, le numéro vise aussi à montrer dans quelle mesure le reflux des mobilisations peut être assimilé à un retour à l’ordre antérieur du genre et des sexualités. Il a enfin pour objectif d’analyser les mobilisations et les engagements au croisement de dynamiques locales et de circulations internationales.

Axes thématiques

Les contributions se situeront dans l’un ou plusieurs axes analytiques suivants :

Situations révolutionnaires et critique de l’ordre (hétéro) sexué

Moments qui bousculent l’ordre du possible et du pensable, les situations révolutionnaires sont propices à une certaine défatalisation [Damamme, Gobille, Matonti et al., 2008] des rapports sociaux. Impensables pour la quasi-totalité de la population, voire même pour les militants les plus radicaux, les chutes de dirigeants autoritaires au pouvoir depuis des décennies ont favorisé une dénaturalisation de l’ordre social et politique. Les situations révolutionnaires étant des moments qui sortent de l’ordinaire, des pratiques routinières sont abandonnées, des frontières symboliques et spatiales entre les genres sont transgressées, des revendications et des causes qui semblaient impensables émergent [Zancarini-Fournel, 2002]. Elles constituent, en ce sens, des espaces-temps d’arrangements inédits des genres [Goffman, 2002 ; Fillieule et Roux, 2009].

De fait, les conjonctures critiques se sont accompagnées d’une intense politisation des corps [Dakhlia, 2012 ; Lachenal, 2013] et des sexualités, ainsi que de la plus grande visibilité de nouvelles « féminités » et « masculinités » [Connell, 2005], dont certaines sont portées par des collectifs et des associations engagées pour les droits des « minorités sexuelles » et de genre. Quelle est la composition sociologique des groupes et des mouvements sociaux porteurs de ces revendications et de ces identités de genre ? Dans quelle mesure s'inscrivent-ils en continuité et/ou en rupture avec les générations précédentes ? Les situations révolutionnaires ont aussi autorisé de nombreuses transgressions symboliques et spatiales : alors que l’espace urbain nocturne est, en conjoncture ordinaire, un espace masculin, les places investies comme les symboles de la « révolution » ont été occupées autant par des hommes que par des femmes. Le dossier propose de montrer dans le même temps que si ces mobilisations et ces pratiques semblent inédites, elles n’émergent pas pour autant dans un vide, structural et/ou structurel [Taylor, 1989].

Dans la mesure où le genre constitue une catégorie analytique [Scott, 1988] transversale, le dossier ne se borne pas aux mobilisations qui ambitionnent explicitement d’agir sur les rapports sociaux de sexe. Ce sont donc également les mobilisations syndicales, pour l’accès à l’emploi et l’amélioration des conditions de travail, jusque-là trop négligées dans l’étude des révolutions, qui sont au cœur de ce dossier. Leur appréhension au prisme du genre s’impose d’autant plus que les femmes sont, beaucoup plus que les hommes, durement frappées par le chômage et les effets de l’ouverture dérégulée des échanges. Enfin, si les femmes de milieux populaires entretiennent souvent une distance envers le féminisme, perçu comme une idéologie et un mode de vie « bourgeois », les situations révolutionnaires permettent des rencontres improbables [Zancarini-Fournel, 2002] et peuvent, ce faisant, favoriser l’émergence d’une conscience de genre qui se construit dans la dynamique même des mobilisations.

Retour à l’ordre antérieur du genre et des sexualités ?

Ce numéro vise aussi à examiner si, et dans quelle mesure, le retour à une conjoncture routinière peut être assimilé à un retour à l’ordre antérieur des rapports de genre et de sexualité. Les chercheur-e-s ayant travaillé sur les changements de régime, notamment en Amérique Latine et en Europe de l’Est [Alvarez, 1990 ; Jaquette et Wolchik, 1998 ; Matland et Montegomery, 2003], soulignent la contribution décisive des femmes à la contestation des institutions autoritaires et, dans le même temps, leur marginalisation de l’espace politique professionnel après les crises. La composition sexuée des institutions élues dans les pays du Moyen-Orient et du Maghreb semble accréditer ce constat, y compris là où, comme en Tunisie, des règles contraignantes pour promouvoir la « parité » ont été adoptées. C’est en déplaçant le questionnement du champ politique professionnel vers les trajectoires, les dispositions et les pratiques individuelles que ce dossier entend répondre à cette interrogation. Se départir d’une lecture focalisée sur le champ politique professionnel permet de mettre au jour des transformations plus invisibles, mais non moins importantes : appropriation de l’espace urbain, incidences de l’engagement dans les sphères familiales et conjugales [McAdam, 1993 ; Pagis, 2014], dans les champs artistiques et culturels, émergence de nouveaux réseaux et de nouvelles formes d’engagement sexuées, etc.

Circulations internationales et réappropriations locales

Les mobilisations de chaque pays peuvent être étudiées à l'aune du croisement de dynamiques locales et de circulations internationales (des causes et des répertoires d'action, des ressources financières et cognitives). Les révolutions arabes ont par exemple donné lieu à une grande mobilité de militant-e-s et d'expert-e-s, entre les pays arabes eux-mêmes d'une part, entre les pays arabes et les pays européens d'autre part. Des organisations internationales qui appuient depuis plusieurs années des actions contre les violences envers les femmes et la représentativité numérique entre les deux classes de sexe [Lacombe, Marteu, Jarry-Omarova et al., 2011] ont intensifié les ressources à destination de certaines associations féminines et/ou féministes. Il est dès lors, difficile d'analyser les rapports de genre et/ou de sexualité dans la conjoncture révolutionnaire et post-révolutionnaire sans intégrer les effets des circulations internationales. Les ressources et contraintes de la globalisation ne sont cependant pas transférées de manière mécanique : elles sont réappropriées par les actrices et les acteurs locaux [Jaunait, Le Renard et Marteu, 2013]. Seront ainsi particulièrement appréciées les contributions qui prendront pour objet les engagements, dans les pays d’accueil (dont la France), des populations issues des pays en révolution et les façons dont elles ont vécu les révolutions « à distance ». Inversement, les articles traitant des effets des révolutions sur les mobilités seront examinés avec une grande attention.

Calendrier

Les propositions de contributions (titre et résumé de 4000 à 6000 signes, références bibliographiques incluses) sont attendues pour le 10 septembre 2017. Elles mentionneront les principaux axes de démonstration ainsi que le matériau (enquêtes et/ou archives) mobilisé et seront assorties d’une notice bio-bibliographique de l’auteur-e.

Elles doivent être envoyées aux coordinatrices du dossier, Abir Kréfa et Sarah Barrières : abir.krefa@ens-lyon.fr et sarah.barrieres@yahoo.fr. La sélection des propositions sera transmise aux auteur-e-s courant octobre 2017.

Les textes définitifs (de 35.000 à 70.000 signes max., espaces et bibliographie compris) devront être envoyés avant le 31 janvier 2018.La publication de ce numéro d’Ethnologie française est prévue pour le printemps 2019.

Coordination

  • Abir Kréfa, maîtresse de conférences, Université de Lyon 2, Centre Max Weber
  • Sarah Barrières, doctorante, EHESS, Centre Maurice Halbwachs

Références bibliographiques

  • AIT MOUS Fadma et BERRIANE Yasmine, 2013, « Le mouvement des Soulaliyates : une mobilisation sectorisée de femmes pour le droit à la terre », in ALLAL Amin et PIERRET Thomas (dir.), Devenir révolutionnaires : au cœur des révoltes arabes, Paris, Armand Colin : 83-85.
  • ALVAREZ Sonia, 1990, Engendering Democracy in Brazil: Women's Movements in Transition Politics, Princeton (N.J), Princeton University Press.
  • BENNANI-CHRAÏBI Mounia et FILLIEULE Olivier (dir.), 2012, « Retour sur les situations révolutionnaires arabes », Revue française de science politique, 62.
  • CLAIR Isabelle, 2012, Sociologie du genre, Paris, Armand Colin.
  • CONNELL Raewyn, 2005 [1995], Masculinities, Polity Press, Cambridge.
  • DAKHLIA Jocelyne, 2012, « Amina et l’instantanéité de la révolution », En ligne : http://nachaz.org/blog/amina-et-linstantaneite-de-la-revolution-par-jocelyne-dakhlia.
  • DAMAMME Dominique, GOBILLE Boris, MATONTI Frédérique et al., 2008, Mai Juin 68, Paris, Éditions de l’Atelier.
  • DOBRY Michel, 1992, Sociologie des crises politiques. Paris, Presses de Sciences Po.
  • FILLIEULE Olivier et ROUX Patricia (dir.), 2009, Le sexe du militantisme, Paris, Presses de Science Po.
  • GILLOT Gaëlle et MARTINEZ Andrea (dir.), 2016, Femmes, printemps arabes et revendications citoyennes, IRD ORSTOM.
  • GOFFMAN Erving, 2002, L’arrangement des sexes, Paris, La Dispute.
  • HASSO S. Frances et SALIME Zakia (dir.), 2016, Freedom without Permission: Bodies and Space in the Arab Revolutions, Durham, Duke University Press.
  • HMED Choukri et JEANPIERRE Laurent (dir.), 2016, « Révolutions et crises politiques : Maghreb/Machrek », Actes de la recherche en sciences sociales, 211/212.
  • JAQUETTE Jane et WOLCHIK Sharon (dir.), 1998, Women and Democracy: Latin America and Central and Eastern Europe, Baltimore, Johns Hopkins University Press.
  • JASSER Ghaïss, MAHFOUDH Amel, LALAMI Feriel et al. (dir.), 2016, « Féminismes dans les pays arabes », Nouvelles Questions Féministes, 35/2.  
  • JAUNAIT Alexandre, LE RENARD Amélie et MARTEU Élisabeth, 2013, « Nationalismes sexuels ? Reconfigurations contemporaines des sexualités et des nationalismes », Raisons politiques, 49 : 5-23.
  • KREFA Abir, 2016, « Les rapports de genre au cœur de la Révolution », Pouvoirs, 156 : 119-136.
  • LACHENAL Perrine, 2013, « Être une fille autrement : self-défense féminine au Caire », in BONNEFOY Laurent et CATUSSE Myriam (dir.), Jeunesses arabes, Paris, La Découverte : 211-220.
  • LACOMBE Delphine, MARTEU Élisabeth, JARRY-OMAROVA Anna et al., 2011, « Le genre globalisé : cadres d’action et mobilisations en débat », Cultures & Conflits, 83 : 7-13.
  • MATLAND Richard et MONTEGOMERY Kathleen (dir.), 2003, Women's Access to Political Power in Post-Communist Europe, Oxford, Oxford University Press.
  • MCADAM Doug, 1989, « The Biographical Consequences of Activism », American Sociological Review, 54: 744-760.
  • PAGIS Julie, 2014, Mai 68, un pavé dans leur histoire. Événements et socialisation politique, Paris, Presses de Science Po.
  • SADIQI Fatima (dir.), 2016, Women’s Movements in Post-“Arab Spring”, North Africa, Palgrave McMillan US.
  • SCOTT Joan, 1988, «  Genre : une catégorie utile d’analyse historique », Les Cahiers du GRIF, 37 : 125-153.
  • TAYLOR Verta, 1989, « Social Movement Continuity: The Women's Movement in Abeyance », American Sociological Review, 54 : 761-775.
  • ZANCARINI-FOURNEL Michelle, 2002, « Genre et politique : les années 1968 », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 75 : 133-143.

Dates

  • dimanche 10 septembre 2017

Mots-clés

  • révolution, genre, sexualité

Contacts

  • Abir Kréfa
    courriel : abir [dot] krefa [at] ens-lyon [dot] fr
  • Sarah Barrières
    courriel : sarah [dot] barrieres [at] yahoo [dot] fr

Source de l'information

  • Abir Kréfa
    courriel : abir [dot] krefa [at] ens-lyon [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Genre et sexualités en situations (post) révolutionnaires », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 02 août 2017, https://doi.org/10.58079/y6u

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