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Christianismes amérindiens

Amerindian Christianities

Appropriation, autonomisation, diffusion

Appropriation, empowerment and spread

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Publié le mardi 21 novembre 2017

Résumé

Les travaux ethnographiques consacrés à l'appropriation du christianisme par les populations autochtones des Amériques ont souvent insisté sur le caractère éphémère ou inconstant des conversions amérindiennes. Or de nombreux groupes indigènes se revendiquent aujourd'hui chrétiens depuis plusieurs générations. Cette journée d'étude entend explorer, à partir de plusieurs études de cas, les pratiques et les représentations chrétiennes cultivées par des populations autochtones de l'Amérique du Sud. L'appropriation du christianisme, les relations politiques avec les missionnaires, l'autonomisation et l'institutionnalisation des mouvements chrétiens amérindiens, ainsi que leur diffusion éventuelle, seront abordées par les différentes contributions. La plupart de celles-ci porteront sur les basses terres du continent sud-américain mais les discussions incluront des spécialistes d'autres aires culturelles et d'autres époques.

Annonce

Argumentaire

Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux ethnographiques ont été consacrés à l’appropriation du christianisme par les populations autochtones des Amériques. La plupart d’entre eux insistent néanmoins sur le caractère éphémère ou « inconstant » des adhésions chrétiennes amérindiennes. Or du Nunavut aux plaines du Gran Chaco, en passant par les Andes et l’Amazonie, de multiples groupes indigènes se revendiquent aujourd’hui chrétiens depuis plusieurs générations. Au cours des dernières décennies, ces groupes ont été particulièrement séduits par des mouvements d’origine protestante, génériquement qualifiés « d’évangéliques ». Sous l’influence de missionnaires rattachés à ce courant qui, à la différence de leurs homologues catholiques, promeuvent la formation de leaders religieux natifs, certains d’entre eux ne se sont pas seulement emparés du message chrétien mais ont aussi créé leurs Églises, au sein desquelles ils célèbrent des cultes et des cérémonies selon des modalités qui leurs sont propres. En d’autres termes, les Amérindiens ne se contentent plus de « s’approprier » une religion exogène mais produisent et diffusent à présent leurs propres modèles chrétiens, fondés sur des valeurs et des usages spécifiques.

L’objectif de cette journée d’étude est ainsi d’explorer, à partir de plusieurs études de cas, les pratiques et les représentations chrétiennes cultivées par les populations autochtones des Amériques. Plusieurs contributions porteront sur les basses terres de l’Amérique du Sud mais des travaux sur les Andes, la Mésoamérique ou l’Amérique du Nord pourront enrichir ce panorama. De la même façon, les réflexions historiques permettant de sonder la profondeur temporelle des phénomènes étudiés – notamment par la comparaison entre les pratiques des évangélistes du XXème siècle avec celles de leurs prédécesseurs catholiques et protestants depuis le XVIème siècle – seront les bienvenues.

Nous proposons trois axes de réflexions :

1. Appropriation du christianisme et relations politiques avec les missionnaires

Le premier axe abordera le point de départ des mouvements chrétiens amérindiens : la rencontre entre des missionnaires et des groupes autochtones des Amériques. Il s’agira d’examiner les stratégies de contact et de conversion mises en œuvre par les premiers mais surtout la façon dont elles sont reçues par les seconds. La constitution d’une communauté de « croyants », statut qui se manifeste avant tout par l’observance d’un certain nombre d’interdits portant sur des pratiques centrales dans la socialité amérindienne (consommation d’alcool, de psychotropes, danse, chamanisme, polygamie, prohibitions et prescriptions alimentaires etc.), la réorganisation de l’espace social promue par les missionnaires (regroupement de villages autour d’églises, fourniture de moyens de transports), l’introduction de nouvelles hiérarchies en matière de savoir (depuis le simple apprentissage de la lecture jusqu’aux formations universitaires), le contrôle de nouveaux moyens thérapeutiques (antibiotiques, transports, prières) sont autant de phénomènes qui remodèlent les hiérarchies politiques et offrent à divers types d’individus (cadets, femmes, etc.) de nouvelles opportunités de carrières politiques au sein du groupe. Le christianisme ici n’est pas seulement un ensemble de croyances, mais un instrument politique dont s’emparent certains Amérindiens et sa diffusion peut être éclairée par les usages qu’ils en font au sein de leur groupe ethnique.

2. L’autonomisation et l’institutionnalisation des mouvements chrétiens amérindiens

À la faveur des politiques missionnaires protestantes, qui encouragent la prédication en langue vernaculaire et la formation pasteurs autochtones – ou parfois dans une démarche plus contestataire –, de nombreux Amérindiens se sont affranchis des autorités religieuses étrangères. Ils réalisent désormais des cultes dans leur langue, organisent des cérémonies (baptême, mariage, eucharistie, consécration de pasteurs, grands rassemblements intercommunautaires) en toute indépendance et fondent leurs propres Églises, souvent baptisées du nom de l’ethnie à laquelle ils appartiennent. Certains d’entre eux promeuvent en outre une union des « croyants » indiens à travers la création de réseaux d’Églises indigènes. Ils s’efforcent de connecter les congrégations indiennes entre elles à l’échelle régionale, nationale voire internationale pour former des « Fédérations », « Fraternités » ou autres « Confédérations » évangéliques interethniques, à la manière des mouvements politiques indigènes. Ces phénomènes invitent à s’interroger sur le rapport des « croyants » indiens aux Églises évangéliques non-indiennes et aux mouvements indigénistes « laïcs » ainsi que sur les conditions d’institutionnalisation des Églises amérindiennes (forme d’organisation ecclésiale, professionnalisation des officiants rituels, transmission des savoirs religieux, etc.).

3. La diffusion du christianisme par les Amérindiens

Enfin, nous proposons d’examiner une dynamique encore peu documentée, celle de la diffusion du christianisme par les Amérindiens eux-mêmes. Dans la mesure où, dès ses origines, le message chrétien est présenté par ses divulgateurs comme un message universel, qui a vocation à être transmis au plus grand nombre, il n’est pas surprenant que les convertis autochtones reprennent ce discours à leur compte et développent à leur tour des formes de prosélytisme. On connaît depuis longtemps des cas de populations amérindiennes qui, après avoir adopté des pratiques chrétiennes sous l’influence de missionnaires étrangers, sont allés prêcher elles-mêmes la nouvelle religion chez des peuples voisins. Cette démarche semble toutefois prendre un nouveau tour à mesure que les Églises amérindiennes se consolident. Depuis quelques années, on observe en effet l’émergence d’un discours sur la « troisième vague missionnaire », une expression qui renvoie à la volonté des indiens d’endosser eux-mêmes le rôle de propagateurs de la foi chrétienne après avoir été évangélisés par des missionnaires étrangers (première vague), puis « nationaux » (seconde vague). Bien qu’elle relève pour l’heure d’une rhétorique maniée par une poignée de pasteurs indiens plutôt que d’une véritable politique d’évangélisation, cette expression suscite de nombreuses questions : Lorsque les indiens se font à leur tour missionnaires, quelles populations ciblent-ils ? Développent-ils des stratégies de conversion spécifiques ? Prétendent-ils agir uniquement auprès d’autres groupes amérindiens ou ambitionnent-ils de dépasser le cadre du monde indigène, voire le cadre national ?

Programme

9h Introduction : Élise Capredon (Mondes Américains, CRBC), David Jabin (Musée du quai Branly, LESC-EREA), Cédric Yvinec (CNRS, Mondes Américains, CRBC)

  • 9h30Les Warao sont-ils chrétiens ? Missionnaires catholiques, convertis évangéliques et transformations sociales dans le delta de l’Orénoque, Olivier Allard (EHESS, LAS)
  • 10h00 Christianisme ou « jésuitisme » ? L’installation et l’expulsion de la compagnie de Jésus chez les Moxos/Mojeños (XVIIe-XVIIIe siècles), Vincent Hirtzel (CNRS, LESC-EREA)

10h30-10h45 Pause-café

  • 10h45 Contact, stratégie missionnaire et transformation sociale chez les Yuqui (Amazonie bolivienne), David Jabin (Musée du quai Branly, LESC-EREA)
  • 11h15 Catholicisme guarayo et sorcellerie franciscaine (Amazonie bolivienne), Cédric Yvinec (CNRS, Mondes Américains, CRBC)

11h45 Discussion : Véronique Boyer (CNRS, Mondes Américains) et Charlotte de Castelnau-L’Estoile (Université Paris Diderot)

12h30-14h30 Déjeuner

  • 14h30 Les missionnaires de la New Tribes Mission en terre yanomami, Catherine Alès (CNRS, CéSor)
  • 15h00 Indigenous Christians, Missionaries and the Question of Orthodoxy, Minna Opas (University of Turku)

15h30-15h45 Pause-café

  • 15h45 Églises indigènes dissidentes en Équateur : Anglicans et Néo-évangéliques, Susana Andrade (Pontificia Universidad Católica del Ecuador)
  • 16h15 De convertis à prosélytes : la formation des missionnaires indigènes chez les Shipibo de l’Amazonie péruvienne, Élise Capredon (Mondes Américains, CRBC)

16h45 Discussion : Yannick Fer (CNRS, GSRL) et Jean-Pierre Chaumeil (CNRS, LESC-EREA)

Résumés

  • Olivier Allard, Les Warao sont-ils chrétiens ? Missionnaires catholiques, convertis évangéliques et transformations sociales dans le delta de l’Orénoque

Savoir dans quelle mesure les Warao du delta de l’Orénoque (Venezuela) sont devenus catholiques est une question que peuvent se poser certains missionnaires, dont un des buts affichés était l’évangélisation, mais probablement pas les Warao. Ceux-ci se considèrent dans leur majorité comme catholiques, mais cela signifie avant tout pour eux être affiliés à une institution qui a contribué à en faire des Vénézuéliens. À l’inverse, la conversion au protestantisme évangélique implique une rupture par rapport au chamanisme indigène et le choix d’une marginalité institutionnelle : c’est une nouvelle forme de socialité qui est proposée.

  • Vincent Hirtzel, Christianisme ou « jésuitisme » ? L’installation et l’expulsion de la compagnie de Jésus chez les Moxos/Mojeños (XVIIe-XVIIIe siècles).

La christianisation par les jésuites des Mojos des basses-terres de Bolivie est indissociable de la création des missions. Accepter la « réduction » ne fut pas immédiat mais en revanche s’avéra un choix définitif : les missions perdureront jusqu’à l’expulsion soudaine des jésuites en 1767. En me fondant sur la comparaison de sources historiques ainsi que sur des matériaux narratifs recueillis au sein des Mojeños au XXe siècle, tamisant ce passé missionnaire (et produit notamment au cours du mouvement prophétique de la Loma Santa), je souhaiterais montrer que les jésuites ont produit, par leur arrivée et par leur départ, des processus réflexifs qui s’éclairent mutuellement. Ces processus mettent en lumière l’importance d’un régime de « protection » missionnaire instauré puis perdu, qui incite à son tour à concevoir le christianisme Mojos moins comme le résultat d’une conversion à une nouvelle foi, que comme le résultat émergent d’une coexistence avec une catégorie particulière d’étrangers.

  • David Jabin, Contact, stratégie missionnaire et transformation sociale chez les Yuqui (Amazonie bolivienne)

Les Yuqui, groupe locuteur d’une langue de la famille linguistique tupi-guarani, vivent aujourd’hui dans une mission située au pied des Andes, en Amazonie bolivienne et tous se déclarent chrétiens évangéliques. Entre les années 1955 et 1991, trois groupes nomades, alors ennemis, furent regroupés dans ce village par des missionnaires de l’organisation New Tribes Mission. Grâce à des documents d’archives et à l’analyse du discours actuel des Yuqui sur cette période, on s’intéressera aux processus de contact et d’évangélisation. L’attention sera portée sur la stratégie mise en place par les missionnaires pour éliminer les croyances et les comportements qui leur semblaient moralement inacceptables tout comme sur la manière dont les Yuqui répondirent à ces injonctions réformatrices.

  • Cédric Yvinec, Catholicisme guarayo et sorcellerie franciscaine (Amazonie bolivienne)

Les Guarayos entretiennent un rapport paradoxal à l’Église catholique. Cette population d’Amazonie bolivienne parlant une langue guarani vit dans des missions franciscaines depuis le XIXe siècle. Aujourd’hui le catholicisme a une importance fondamentale dans la définition de l’identité guaraya, tandis que l’attachement aux franciscains est très fort, dans un contexte où la présence et l’influence de cet ordre diminuent nettement et où de nouveaux acteurs religieux et politiques apparaissent. Cependant, la dimension destructrice, sur le plan culturel et social, de l’action des missionnaires est souvent spontanément soulignée par les Guarayos, et les descriptions de leurs mœurs ne soulignent pas vraiment leur obéissance aux préceptes catholiques (débauche, polygamie, violence, sorcellerie, etc.). J’essaierai de reconstruire la logique de cette appropriation du catholicisme par les Guarayos et du transfert aux missionnaires de traits comportementaux par ailleurs associés aux Indiens non-réduits.

  • Catherine Alès, Les missionnaires de la New Tribes Mission en terre yanomami

Les missionnaires évangéliques de la New Tribes Mission se sont introduits en Amazonie vénézuélienne à partir de la seconde moitié du XXème siècle. Leur histoire, suite à leur établissement dans le Territoire d'Amazonas qui était jusque-là dévolu aux seuls missionnaires salésiens, est relativement mouvementée. J'en présenterai ici les grandes lignes, puis je m'appuierai sur mon expérience sur le terrain pour retracer la vie dans les missions de la NTM chez les Yanomami. Cela permettra, d'une part, d'ébaucher leur mode d'organisation et de diffusion du message évangélique et, d'autre part, d'évoquer les différentes formes de réactions et de stratégies que leur présence et leurs discours ont engendrées du côté des Yanomami, l'engagement nuancé de ces derniers envers l'évangélisme, comme son évolution depuis que ces missionnaires ont été expulsés des territoires amérindiens par le gouvernement bolivarien et se sont repliés dans la capitale locale.

  • Minna Opas, Indigenous Christians, Missionaries and the Question of Orthodoxy

The history of Christianity in Amazonia until the present day is replete with controversies and negotiations over right kind of Christianity. Missionaries representing a variety of different denominations have considered local indigenous forms of Christianity as inauthentic. The question of real Christianity has also coloured local level inter-denominational relations and led to ruptures in social cohesion. Grounded in ethnographic fieldwork among the Peruvian Yine people, this paper examines such problems over orthodoxy within Amazonian indigenous Christianities at two levels: first, that of the hierarchical relationships between both Catholic and Evangelical missionaries and Yine Christians and, second, the grassroots-level inter-denominational relations between Catholic, Evangelical and Pentecostal Yine Christians. Based on these examples the paper argues that the question of orthodoxy is in many ways a central driving force in Amazonian indigenous Christianities.

  • Susana Andrade, Églises indigènes dissidentes en Équateur : Anglicans et Néo-évangéliques

Cette communication explique les raisons pour lesquelles certains fidèles catholiques quittent l'Église catholique pour former l'Église anglicane, fondée sur la foi et les sacrements du catholicisme. Parmi ces raisons se trouve la critique du cléricalisme catholique qui n'a pas accordé d'espaces de pouvoir aux indigènes. Dans cette recherche de liberté, nous remarquons la grande influence qu'ont eue les églises évangéliques qui sont devenues indépendantes des missionnaires américains il y a 50 ans.

Nous analyserons l'origine, la théologie, la terminologie et l'identité des anglicans et leur position sur la religiosité populaire et la figure de l’évêque Leonidas Proaño, représentant de la Théologie de la Libération. L'Église catholique a, pour sa part, choisi de délégitimer ses anciens prêtres et catéchistes et de dissoudre les sacrements célébrés par eux comme une expression imaginaire de son pouvoir et du monopole des biens symboliques.

En ce qui concerne le courant néo-évangéliques, son décalage, au sein de l'église évangélique, s'exprime à travers une nouvelle interprétation biblique.

  • Élise Capredon, De convertis à prosélytes : la formation des missionnaires indigènes chez les Shipibo de l’Amazonie péruvienne

Au cours des dernières décennies, les rapports que les groupes indigènes d’Amazonie entretiennent avec le christianisme ont fait l’objet d’un nombre croissant d’études anthropologiques. En dépit de la diversité de leurs approches, ces travaux présentent le plus souvent ces groupes comme les récepteurs d’un message chrétien diffusé – parfois imposé – par des missionnaires étrangers. Or depuis la seconde moitié du XXème siècle, certains amérindiens convertis à des mouvements d’origine protestante ont non seulement fondé leurs propres églises mais ont aussi entrepris de porter eux-mêmes la « parole de Dieu » à des peuples voisins ou plus lointains. Dans cette communication, je propose d’explorer cette dimension peu connue des expériences chrétiennes amérindiennes à partir de l’étude du cas des Shipibo, un groupe indigène de l’Amazonie péruvienne dont une partie des membres adhèrent au christianisme évangélique. En analysant les modalités de formation des missionnaires indiens et la trajectoire de deux d’entre eux, il s’agira d’essayer de saisir les enjeux de cette forme de prosélytisme.

Catégories

Lieux

  • Salle AS-01 (1er sous-sol) - 54 boulevard Raspail
    Paris, France (75006)

Dates

  • vendredi 24 novembre 2017

Fichiers attachés

Mots-clés

  • christianisme, amérindien, conversion, missionnaire, basses terres de l'Amérique du sud, mouvement chrétiens amérindiens

Contacts

  • Elise Capredon
    courriel : elisecapredon [at] gmail [dot] com

URLS de référence

Source de l'information

  • Elise Capredon
    courriel : elisecapredon [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Christianismes amérindiens », Journée d'étude, Calenda, Publié le mardi 21 novembre 2017, https://doi.org/10.58079/yxk

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