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Tempérance, abstinence et religion

Temperance, abstinence and religion

L’épreuve de la limite

The challenge of limits

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Publié le mardi 06 février 2018

Résumé

Nous voudrions, à l’occasion de ce colloque, interroger les notions de tempérance et d’abstinence, mais aussi leurs expressions argumentatives, théologiques et historiques dans un temps long. Notion éminemment chrétienne, la temperantia, la modération, a donné lieu à tout un courant de pensée, qui s’est traduit en une littérature morale, mais aussi en controverses modernes et contemporaines, ainsi qu’en mouvements prônant la limitation de la consommation de l’alcool. Au regard des contributions, l’épreuve de la limite, qui concerne tout croyant, pourra être conçue comme une épreuve pour la religion elle-même, et sa capacité à limiter ses propres injonctions dans le domaine moral et face à l’excès.

Annonce

Argumentaire

« Le corps ne nous mène jamais à la sagesse », affirmait Platon dans Phédon. Les traditions abrahamiques identifient habituellement le corps au siège des passions. Quant aux traditions abrahamiques elles-mêmes, elles se présentent volontiers comme une voie d’ascèse : le judaïsme rabbinique n’invite-t-il pas le fidèle à « accepter le joug de la Thora » afin de dompter la violence qui est en lui ? De fait, le corps occupe une place centrale dans la pensée morale des religions. Que ce soit pour le nier ou le canaliser, les traditions abrahamiques se sont largement apparentées dans l’histoire à une discipline des corps, navigant entre appel à la modération et appel à l’abstinence.

Des distinctions doivent cependant être apportées entre les traditions abrahamiques ; et, à l’intérieur de chaque tradition, des périodes doivent être déterminées.

De ces nécessaires distinctions, nous retiendrons tout particulièrement combien le christianisme hérite des conceptions platoniciennes et stoïciennes en matière de rapport au corps, et combien ces conceptions ont irrigué l’enseignement moral de l’Église, mais aussi, in fine, une partie de sa théologie. Le paradoxe est là, qui va nourrir une tension au sein du christianisme : le corps, perçu comme voué à la corruption, est aussi le lieu de la transfiguration. Or, le christianisme, dont l’acte de naissance se fait par l’Incarnation de l’Infini dans le Fini, véhicule avec lui une profonde méfiance du corps, et derrière lui de la sensualité et des plaisirs – perçus, non comme une trace du divin ou un chemin d’extase, mais bien comme autant de tentations initiant un chemin de perdition, identifié par le pape Grégoire le Grand à autant de « péchés capitaux », que la prédication, notamment après le IVe Concile de Latran (1215), identifiera à l’orgueil, l’envie, la colère, l’apathie, l’avarice, la gourmandise et la luxure.

La jonction entre platonisme et moralité chrétienne date probablement des écrits d’Ambroise de Milan. Dans ses Devoirs, ce Père de l’Église définissait les quatre vertus cardinales de la morale chrétienne : la force (d’âme), la prudence, la justice, et la tempérance « qui observe la mesure et l’ordre en tout ce que nous estimons devoir faire ou dire ». Allant plus loin, saint Thomas d’Aquin faisait de la tempérance « cette disposition de l’âme qui impose un frein à toutes les passions et à toutes les actions pour les empêches d’aller au-delà des limites qui doivent les circonscrire » (Somme théologique, quest. LXI, art. IV). Plus tard encore, Fénelon se plaisait à enseigner « les principales vertus [que] sont la prudence, la justice, la force, la tempérance qui nous enseigne à être modérés en tout, principalement dans ce qui regarde les plaisirs des sens ». L’injonction d’user de modération dans toutes les choses nécessaires à la vie trouvait alors à s’appliquer aux sensations que le corps éprouve.

Sous-jacente à cette pensée de la modération, se trouve l’affirmation platonicienne et chrétienne de la primauté du spirituel sur le charnel. Cette affirmation démarque, si ce n’est décentre, le christianisme de son héritage juif. Elle servit aussi, incidemment, à prouver la supériorité de la foi chrétienne (jugée « spirituelle ») sur le carcan de la loi juive (comprise comme « charnelle »). Elle représente ainsi une forme de rhétorique corporalisée, dans laquelle toute l’affirmation de la vérité chrétienne passerait pas l’affirmation d’une forme d’ascèse supérieure à celle pratiquée par le judaïsme.

Tempérance, frugalité, sobriété, modestie, … La liste des termes renvoyant, dans la tradition chrétienne, à la modération est des plus longue. L’épreuve de la limitation apparaît ici particulièrement patente : à l’hybris de la passion, le christianisme oppose la limite d’un comportement vertueux défini par sa capacité à se limiter.

Notion éminemment chrétienne, la temperantia, la modération, a donné lieu à tout un courant de pensée, qui s’est traduit en une littérature morale, mais aussi en controverses modernes et contemporaines (entre catholiques et protestants ; entre chrétiens et athées), ainsi qu’en mouvements. Les mouvements dits de « tempérance », prônant la limitation de la consommation de l’alcool, d’abord en Angleterre, Irlande et États-Unis, mais aussi en France, se sont présentés comme autant de traductions sociales de la moralité chrétienne entre le milieu du XIXe et le milieu du XXe siècles. Ces derniers mouvements se présentent tantôt comme des mouvements de modération, et tantôt comme des mouvements d’abstinence – ce qui nous pousse à envisager l’étude de la tempérance au regard de celle de la continence, à la fois dans le domaine de la consommation d’alcool ou de nourriture, et de manière plus large dans celui des plaisirs.

Prenant la parole devant l’Académie française en 1934, Paul Valéry s’exclamait : « VERTU […], ce mot Vertu est mort, ou du moins, il se meurt. Vertu ne se dit plus qu’à peine. J’avoue ne l’avoir jamais entendu. Ou, plutôt, et c’est plus grave, les rares fois où je l’ai entendu, il était ironiquement dit. Je ne me souviens pas, non plus, de l’avoir lu dans les livres les plus lus et les plus estimés de notre temps. » Paul Valéry constatait par ces quelques mots du doute et du sarcasme qui commençait à planer devant les injonctions de la morale traditionnelle. De fait, les mouvements de tempérance et d’abstinence semblent avoir difficilement survécu à la Seconde Guerre mondiale. Si l’on retrouve encore, pendant la période du conflit, des appels à la continence des soldats (à l’exemple de l’appel lancé en Angleterre par la Catholic Women’s League par la voix de sa fondatrice, auteur d’un pamphlet intitulé : The Bright Shield of Continence), le langage de la vertu chrétienne semble devenir de plus en plus inaudible dans un monde aux interactions sociales hautement complexifiées. Le corps commence alors lui aussi à se privatiser et à échapper à la discipline d’Église, comme les réactions à l’encyclique Humane Vitae le confirmeront en 1968.

Or, après une éclipse liée aux traumatismes de la guerre et de la formation des corps au service de la patrie, l’attention au corps retrouve depuis peu, entre autre sous l’influence d’un discours hygiéniste, une nouvelle actualité dans nos sociétés contemporaines. Parallèlement, la tempérance et l’abstinence semblent enregistrer depuis quelques années de nouvelles résurgences au sein de courants chrétiens conservateurs (Opus dei, mouvements évangéliques, etc.), appelant notamment à une nouvelle moralité limitatrice, en termes de sexualité notamment. L’idée, sous-jacente à ces nouvelles résurgences, est, là encore, que seul un corps maîtrisé permet d’aboutir à une passion maîtrisée. Cependant, ne doit-on pas voir aussi dans cette résurgence une instrumentalisation identitaire dont l’objectif est de délimiter un groupe : celui des élus ?

Nous voudrions, à l’occasion de ce colloque, interroger les notions de tempérance et d’abstinence, mais aussi leurs expressions argumentatives, théologiques et historiques. L’épreuve de la limite, qui concerne tout croyant, pourra dès lors être aussi conçue comme une épreuve pour la religion elle-même, et sa capacité à limiter ses propres injonctions dans le domaine moral et face à l’excès. La modération n’est-elle pas la condition préalable à la sociabilité ? Et l’appel à la modération plutôt qu’à la privation ne constitue-t-elle pas finalement la seule voie possible à une morale respectueuse de la liberté du croyant ? Quelle place à la tempérance, dans un monde dans lequel la morale, définie par l’institution ou le groupe, est interrogée par la conscience individuelle ?

Programme

Mercredi 14 mars 2018

Après-midi : Antiquité et Moyen âge

13h45 : Accueil

14h00 : Mots d’introduction des organisateurs

  • 14h15-14h45 : Catherine Vialle (Institut catholique de Lille), La limite, la tempérance et l’abstinence comme chemins vers l’altérité dans l’Ancien Testament
  • 14h45-15h15 : Aude-Sophie Dulat-Gravier (doctorante, Faculté de Théologie de Strasbourg), Ascèse ou vertu ? Différenciation du discours de la modération dans la pensée d’Ambroise de Milan

15h15-15h30 : Échanges avec la salle

15h30-15h45 : Pause

  • 15h45-16h15 : Jean Heuclin  (Institut catholique de Lille), Tempérance et abstinence chez les clercs et les laïcs durant le haut Moyen-Âge
  • 16h15-16h45 : Mireille Demaules (Université d’Artois), Du refus du plaisir à l’idéal de modération : réflexions sur quelques exemples de la littérature médiévale

16h45-17h00 : Échanges avec la salle

Jeudi 15 mars 2018

Matin : Le protestantisme moderne et contemporain

  • 9h00-9h30 : Alain Joblin (Université d’Artois), Luther, chantre de l'obésité ? Les Réformateurs et la tempérance
  • 9h30-10h00 : Victoria Afanasyeva (doctorante, Paris I Panthéon-Sorbonne), Journal de Marie Poujol : histoire d’une protestante engagée dans la lutte antialcoolique à Paris (1895-1912)

10h00h-10h15 : Échanges avec la salle

10h15-10h30 : Pause

  • 10h30-11h00 : Mokhtar Ben Barka (Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis), Tempérance et Prohibition aux États-Unis
  • 11h00-11h30 : Audrey Bonvin (doctorante, Université de Fribourg), (Re) Définitions de la modération et de la privation de la trinité Spiritueux-Spiritualité-Sensualité par les « croisées » des Women’s Temperance Unions

11h30-11h45 : Échanges avec la salle

Après-midi: En dehors du protestantisme : quelle place à la tempérance, de l’Ancien Régime à nos jours ?

  • 14h00-14h30 : François Raviez (Université d’Artois), L'Ancien Régime : diète et sobriété au Grand Siècle
  • 14h30-15h00 : Serge Boarni (docteur de l’Université Aix-Marseille I), La rupture du jeûne comme expérience de la limite. Une étude casuistique

15h00h-15h15 : Échanges avec la salle

15h15-15h30 : Pause

  • 15h30-16h00 : Olivier Rota (Université d’Artois), Les catholiques anglais et la question de l’alcoolisme. Aspects sociaux, théologiques et économiques, du milieu du XIXe s. au milieu du XXe s.
  • 16h00-16h30 : Charles Coutel (Université d’Artois), L’épreuve de la limite. Lecture philosophique

16h30-16h45 : Échanges avec la salle

16h45-17h00 : Conclusions

Lieux

  • Maison de la Recherche, Salle des colloques - 9, rue du Temple
    Arras, France (62000)

Dates

  • mercredi 14 mars 2018
  • jeudi 15 mars 2018

Fichiers attachés

Mots-clés

  • tempérance, abstinence, limite, morale, histoire, religion, catholicisme, protestantisme

Contacts

  • Olivier Rota
    courriel : olivier [dot] rota [at] univ-catholille [dot] fr

Source de l'information

  • Olivier Rota
    courriel : olivier [dot] rota [at] univ-catholille [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Tempérance, abstinence et religion », Colloque, Calenda, Publié le mardi 06 février 2018, https://doi.org/10.58079/zhy

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