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Les catégorisations des publics minorisés en question

The issue of categorising minority groups

Revue « Participations »

Participations journal

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Publié le jeudi 15 février 2018

Résumé

L'ambition de ce numéro est, d'une part, d'interroger le processus de catégorisation des groupes sociaux appelés à prendre part à la concertation publique et, d'autre part, d'analyser la réappropriation, la redéfinition voire la contestation de ces catégories par les participant·e·s. Plus précisément, il entend étudier le processus d'émergence des catégories qualifiant les publics des dispositifs participatifs, le sens que ces catégories recouvrent dans un contexte national ou local particulier et les usages que les protagonistes d'un dispositif en font. Il se concentrera plus précisément sur les dispositifs appelant à la participation des groupes sociaux minorisés sur des fondements ethno-raciaux et s’appuiera sur la comparaison de cas situés dans des contextes politiques et culturels distincts. Le dossier portera en outre une attention particulière à l’interpénétration entre les rapports sociaux de sexe, de race et de classe.

Annonce

Argumentaire

La diffusion d’un impératif participatif est allée de pair avec la création de dispositifs visant à inclure dans le débat public des groupes minoritaires [Guillaumin, 1972] ou exclus du corps des citoyens. En France, une partie des dispositifs instaurés dans le cadre de la politique de la ville visent à mobiliser des publics définis à l’aune de critères spatiaux mais envisagés sous l’angle ethno-racial [Palomares, Rabaud, 2006]. Aux États-Unis, l’émergence, la consolidation mais également le rejet des pratiques participatives sont liés aux processus de catégorisation ethno-raciales dans certains mouvements sociaux [Polleta, 2005] ou dans les quartiers populaires [Talpin, 2016]. Parallèlement, certains groupes sociaux sous-représentés dans le champ politique ont fait l’objet d’un ciblage plus explicite, avec la création de conseils des étrangers instaurés dans plusieurs villes européennes [Flamant, 2016], d’assemblées réunissant les populations indigènes en Amérique du Sud [Cárdenas et al., 2011], ou des conférences en matière d’égalité raciale au Brésil. Mais alors qu’en France comme dans les Amériques, pour ne citer que ces zones géographiques, les relations ethno-raciales sont explicitement ou implicitement au cœur des projets participatifs, cette question reste peu abordée dans la littérature francophone sur la démocratie participative.

L'ambition de ce numéro est, d'une part, d'interroger le processus de catégorisation des groupes sociaux appelés à prendre part à la concertation publique et, d'autre part, d'analyser la réappropriation, la redéfinition voire la contestation de ces catégories par les participant·e·s. Plus précisément, il entend étudier le processus d'émergence des catégories qualifiant les publics des dispositifs participatifs, le sens que ces catégories recouvrent dans un contexte national ou local particulier et les usages que les protagonistes d'un dispositif en font. Il se concentrera plus précisément sur les dispositifs appelant à la participation des groupes sociaux minorisés sur des fondements ethno-raciaux et s’appuiera sur la comparaison de cas situés dans des contextes politiques et culturels distincts. Le dossier portera en outre une attention particulière à l’interpénétration entre les rapports sociaux de sexe, de race et de classe.

Certaines perspectives de théorie politique, en particulier féministes, envisagent la reconnaissance explicite des groupes minorisés comme un moyen de lutter contre les inégalités dans le processus délibératif. Iris Marion Young [2002] défend ainsi la nécessaire prise en compte des « perspectives » des groupes sociaux historiquement discriminés, en particulier les femmes et les groupes ethno-raciaux. Parfois critiquée pour son essentialisme [Mouffe, 1995, McBride, 2005], cette approche ne précise pas quelles conceptions des rapports sociaux sont adossées à la qualification des groupes que les dispositifs se devraient d’inclure. Or, les catégories « Noirs » ou « Indigènes », pour ne citer que celles-ci, ne revêtent pas le même sens selon les pays et les époques.

A partir d'une étude des mesures de discrimination positive instaurées dans plusieurs pays d'Amérique Latine, Mala Htun [2016] montre par exemple que le groupe social des « Noirs » est associé à des représentations distinctes aux États-Unis et dans un continent sud-américain où le métissage a longtemps été au cœur des mythologies politiques nationales. Alors que ce groupe est pensé sous l'angle des origines dans le premier cas, il est plutôt associé à des caractéristiques phénotypiques ou à la classe sociale des individus dans le second cas. Si cette étude n'interroge pas directement les dispositifs participatifs, elle montre que les contours des groupes sociaux désignés par une même catégorie varient selon les espaces et les périodes au cours desquelles elle est mobilisée. Aussi est-il nécessaire de saisir comment les catégories sont façonnées par des contextes nationaux particuliers et sont actualisées dans l'action collective ou administrative [Laplanche-Servigne, 2014].

La relation entre catégorisation et démocratie participative a fait l’objet de plusieurs travaux [Neveu, 2011 ; Sa Vilas Boas, 2015, Gourgues et Mazeaud, à paraître] mettant en avant un double processus : la réinterprétation des catégories de l’action publique et de l’action collective dans les dispositifs participatifs d’une part et d’autre part, la négociation par les participants des formes légitimes d’identification. A partir de l’étude des conseils de quartiers à Roubaix, Catherine Neveu analyse, par exemple, les évolutions de la catégorie « habitant ». D’abord inscrite dans un registre classiste, cette dernière est progressivement réinterprétée à l’aune des évolutions de la politique de la ville et désigne, dans les années 1990, des résidents qui se doivent d’endosser une position « d’expert d’usage » de leur environnement immédiat [Neveu, 1999 ; 2003 ; 2011]. Mais cette catégorie ne fait pas uniformément sens pour les acteurs des territoires étudiés, certains d'entre eux, notamment les populations issues de l'immigration organisées en dehors du dispositif, lui préférant la notion de citoyen pour signifier leur appartenance au corps national et partant, affirmer leur détachement à l'égard des modes d'engagement communautaire qu'ils sont suspectés de reproduire [Neveu, 1999].

Ces approches mettent en avant l'influence des catégories sur la formation des identités collectives et des rôles institués, rejoignant ainsi plusieurs travaux réalisés sur le processus de catégorisation durant le processus de formation de l'Etat [Noiriel, 1997 ; Desrosières, 1993] ou dans le champ de l'action publique [Tissot, 2007 ; Lendaro, 2011]. Mais elles soulignent également que l'opération de catégorisation réalisée par les pouvoirs publics ne conditionne pas entièrement les formes d'identification que les individus privilégient pour définir leur position dans l'espace politique et social ou leur rôle en tant que participant·e. Ce numéro s'appuiera sur cette double perspective, tout en articulant trois axes.

1. Le premier axe vise à retracer, dans une perspective comparative, la genèse des catégories privilégiées pour qualifier les publics participatifs. L’analyse sera attentive aux conceptions mais également aux procédures adoptées pour assurer l’inclusion de groupes minorisés, que le dispositif soit en apparence « universaliste » ou qu’il se concentre sur des groupes déterminés. Si plusieurs des termes utilisés se situent à l'intersection du langage courant, des catégories de l'action collective et de l'action administrative, l'on se demandera quelles conceptions des rapports sociaux ils recouvrent lorsqu'ils sont importés dans le champ de la démocratie participative. Aussi l'analyse devra-t-elle être attentive aux acteurs œuvrant à la définition des catégories et aux éventuelles opérations de traduction générées par le processus d'institutionnalisation des dispositifs. Ce premier axe interrogera également la portée des catégories à l'aune du contexte, national ou local, où elles prennent sens.

2. Le deuxième axe porte sur le rôle de participant·e induit par les catégories mobilisées. Plus précisément, nous questionnerons leur influence en termes d'individuation des participant·e·s ou d'inscription dans un collectif. Les individus invités à prendre part à la délibération le sont-ils en leur qualité de représentant d'un groupe social ou se doivent-ils d'intervenir en leur nom propre ? Sont-ils contraints d'adhérer à la définition du groupe social qui gouverne le dispositif lorsqu'ils prennent la parole ? Enfin, la conception des rapports sociaux véhiculée par les catégories d'identification des publics est-elle favorable à certains acteurs plutôt qu'à d'autres?

3. Le troisième axe interroge les effets des catégories sur la définition que les participant.e.s donnent d'eux-mêmes. Quel sens les individus confèrent-ils à la catégorie d'identification justifiant leur présence ? L'investissement dans un dispositif participatif, c'est-à-dire les débats qui l'animent et les rencontres qu'il génère, influe-t-il sur les catégories d'identification dont les participant·e·s se revendiquent ? Enfin, comment ces derniers contestent-ils le rôle qui leur est attribué, voire imposent de nouvelles formes d'identification, jugées mieux à même de décrire leur « expérience » ou leur rapport au politique ?

Les travaux comparatifs portant sur des expériences menées sur plusieurs territoires et/ ou dans plusieurs pays sont bienvenus.

Modalités pratiques d'envoi des propositions

Les contributeurs/trices sont invité·e·s à s un résumé (5000 caractères maximum)

avant le 15 mars 2018

aux coordonnatrices du numéro : soline.laplanche-servigne@unice.fr; marie-helene.sa-vilas-boas@unice.fr.

Si le résumé est retenu, les articles sont attendus pour le 20 septembre 2018. Ils feront l’objet d’une discussion lors d’un séminaire de travail organisé en décembre à l’Université Nice-Sophia Antipolis. Les articles sélectionnés seront en outre évalués en double aveugle, conformément aux procédures d’évaluation de la revue Participations.

Coordinatrices du numéro

Soline Laplanche-Servigne et Marie-Hélène Sa Vilas Boas Université Nice Sophia-Antipolis, Laboratoire ERMES

Bibliographie

  • CÁRDENAS Víctor Hugo et al. (dir), 2011, Participación política indígena e políticas públicas para pueblos indígenas en América latina, La Paz, Garza Azul Impresores &Editores/ Fundación Konrad Adenauer.
  • DESROSIERES Alain, 1993, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte.
  • FLAMANT Anouk, 2016, « Donner la parole aux étrangers ? De la création d’une participation politique à l’usage ethnicisé de la catégorie d’" étranger " par les municipalités », Participations, vol.1, n° 14, pp. 237-264.
  • GOURGUES Guillaume et MAZEAUD Alice (à paraître), Actes du colloque « Cibler, produire, mobiliser… gouverner les publics de l’action publique ».
  • GUILLAUMIN Colette, L'Idéologie raciste : genèse et langage actuel, La Haye, Mouton, 1972.
  • HTUN Mala, 2016, Inclusion Without Representation in Latin America: Gender Quotas and Ethnic Reservations, New York, Cambridge University Press.
  • LAPLANCHE-SERVIGNE Soline, 2014, « Quand les victimes de racisme se mobilisent. Usage d’identifications ethnoraciales dans l’espace de la cause antiraciste en France et en Allemagne », Politix, vol. 4, n° 108, pp. 143-166.
  • LENDARO Annalisa, 2011, « Le pouvoir de la catégorie. Les politiques publiques et l’insertion professionnelle des immigrés en France et en Italie », Revue Européenne des Migrations Internationales, vol. 27, n° 2, pp. 35-55.
  • McBRIDE Cillian, 2005, « Deliberative democracy and The Politics of recognition », Political Studies, 53 (2), p. 497-515.
  • MOUFFE Chantal, 1993, The return of the political, Londres, Verso.
  • NEVEU Catherine, 1999, « L'anthropologue, le citoyen et l'habitant. Le rapport au politique dans une ville du Nord », Ethnologie française, n °4, pp. 559-568.
  • NEVEU Catherine, 2003, Citoyens, habitants et jeunes. Citoyenneté et espace public dans une ville du Nord, Presses Universitaires du Septentrion.
  • NEVEU Catherine, 2011, « Habitants, citoyens : interroger les catégories » in BACQUE Marie-Hélène, SINTOMER Yves (dir.), La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte, p. 39-50.
  • NOIRIEL Gérard (1997) Représentation nationale et catégories sociales. L’exemple des réfugiés politiques, Genèses, 26, pp. 25-54.
  • PALOMARES Élise et RABAUD Aude, 2006, « Minoritaires et citoyens ? Faites vos preuves ! », L'Homme et la société, vol. 160-161, n° 2, 2006, pp. 135-160.
  • POLLETTA, Francesca, 2005, « How Participatory Democracy Became White: Culture and Organizational Choice », Mobilization: An International Quarterly, Vol. 10, N° 2, pp. 271-288.
  • SA VILAS BOAS Marie-Hélène, 2015, « Politiser les " différences " : les rapports sociaux en débat au sein des conférences municipales des femmes de Recife », Participations, vol. 2, n° 12, pp. 139-165
  • TALPIN Julien, 2016, Community organizing. De l’émeute à l’alliance des classes populaires aux Etats-Unis, Paris, Editions Raisons d’agir, coll. Cours et travaux.
  • TISSOT Sylvie 2007, L’Etat et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique, Seuil, Liber.
  • YOUNG Iris Marion, 2002, Inclusion and democracy, Oxford, Oxford University Press.

 


Dates

  • jeudi 15 mars 2018

Mots-clés

  • catégorisation, public minorisé, dispositif participatif, public participatif, rapport social de race, rapport social de genre

Contacts

  • Soline Laplanche-Servigne
    courriel : soline [dot] laplanche-servigne [at] unice [dot] fr

Source de l'information

  • Soline Laplanche-Servigne
    courriel : soline [dot] laplanche-servigne [at] unice [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les catégorisations des publics minorisés en question », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 15 février 2018, https://doi.org/10.58079/zmi

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