Página inicialGraine : la promesse même

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Graine : la promesse même

The seeds of promise

Dix-septième séminaire annuel d'ethnobotanique

17th annual seminar of ethnobotanics

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Publicado terça, 06 de março de 2018

Resumo

Le séminaire ethnobotanique de Salagon 2018 s’intéresse à la graine, celle de la botanique mais surtout celle des mythologies et de la préhistoire, celle des historiens de l’agriculture et de l’alimentation, des linguistes, des ethnologues soucieux de rassembler ce qui paraît voué par nature à la dispersion. Du « blé des Pharaons » à la vogue des céréales « anciennes », des « paléosemences » aux semences transgéniques, de la parabole du grain de sénevé aux pions de l’awalé, de Déméter à la graine germée bio, du légionnaire romain au végan, la graine nourrit le corps et l’imaginaire. Elle fait la fortune des uns, l’espoir ou la rage des autres. Elle germe dans les sols favorables comme la bonne parole dans les âmes ferventes. Dans le langage, les croyances, les idéologies, elle se propage aussi bien que l’orpin sur les vieux murs. En octobre 2018, on attend une récolte d’idées neuves sur l’expression la plus obstinée de la plante.

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Dix-septième séminaire annuel d'ethnobotanique du domaine européen, Jeudi11, vendredi 12 et samedi 13 octobre 2018

Argumentaire

Graine : la promesse même

Ce texte lève en même temps que le Blé de l’Avent. En Provence, le 4 décembre, jour de la Ste Barbe, on met des grains de blé ou des lentilles à germer dans une assiette. À Noël, les pousses vertes feront un petit cercle de printemps sur la table du gros souper. Avant que les pousses ne s’étiolent, le semis d’espérance sera replanté dans un champ par le plus jeune de la famille. Chrétien dans son attente de la naissance du Christ, sans doute aussi “païen” si l’on regarde de près la légende de Sainte Barbe, patronne de ceux qui côtoient le feu, et son influence espérée sur la moisson, le Blé de l’Avent perpétue au XXIe siècle les anciens rituels de fécondité associés à la graine. Le séminaire[1] 2018 lui demande une petite place sur l’assiette.

Des divers organes visibles de la plante, le bourgeon et la graine ont été les plus anciennement reconnus dans leur fonction de renouvellement. Les bourgeons, qu’ils soient de rameau, de feuille ou de fleur, répètent, multiplient sur lui-même des caractères propres à un végétal. La graine répète et multiplie l’individu végétal tout entier dans un espace nouveau, parfois très éloigné de celui qui l’a produite.

On ne peut pas ignorer la germination des glands ni des faînes, de l’avocat, du blé, du haricot. Phénomène d’évidence, de surcroît cyclique, le développement de la plante à fleurs à partir d’une graine a été perçu bien antérieurement aux origines de l’agriculture.

Ce qui est manifeste ne s’en trouve pas ipso facto expliqué, mais, comme l’orage ou la source, s’inscrit dès les origines de la conscience humaine parmi les jalonnements premiers de l’explication des choses.

Il faut insister sur cette perception première de la graine. Car la vie végétale restera très longtemps mystérieuse. La sexualité des plantes n’est découverte qu’à la fin du XVIIe siècle[2], les processus cytologiques associés décrits seulement au milieu du XIXe[3]. Auparavant, la graine est regardée comme une production asexuée de la vie végétale, bien qu’on la qualifiera volontiers de “mâle”[4].

Connaissance très ancienne du processus de la germination, ignorance de ses déterminants (habituellement) sexués : c’est sur ce “fond naturaliste” que l’ethnobotanique, déjà, se doit de considérer la graine. Sans oublier pour autant le miracle de la germination : pendant des millions d’années, on ne sait pas ce qui produit fleurs, fruits et graines, on ne peut qu’en constater la présence, ou le manque.

Graine ? Fruit ?

Dans la perception commune, la graine est ce qui, à terme, succède à la fleur et reproduira la plante. Elle est habituellement regardée comme petite, d’autant plus qu’elle peut donner un végétal de très grande taille : les séquoias géants californiens, qui dépassent 110 m, ont des graines de 1,5 mm de longueur*. Mais les graines peuvent aussi devenir énormes, comme la noix de coco et plus encore le “coco-fesse” des Seychelles, plus grosse graine au monde, atteignant parfois 20 kg. Analogues aux “grains” de fenouil ou de cumin, d’orge ou de blé, les noix de coco sont des fruits secs renfermant une graine.

Comme “fruit” est connoté pulpe ou chair épaisse et/ou plus ou moins gros volume, “graine” évoque chair sèche et taille réduite. Un petit fruit sec sera toujours assimilé à une graine. Inutile de vouloir expliquer à l’usager de cette classification pourquoi le grain de blé ou de cumin est un fruit, tout petit et sec soit-il. À l’inverse, la noix ou la châtaigne, que leur grosseur rapproche du fruit dans l’acception courante, sont classées dans cette catégorie, pas dans celle des graines. Inutile tout autant de vouloir confirmer que, cette fois, il s’agit de graines. Dans “fruits à coques”, la classification diététique rassemble toutes les grosses graines alimentaires susceptibles (ou non) de causer des accidents allergiques.

  • Cette question de la perception du fruit et de la graine, tout autant leur description et leur classification non savantes, l’interprétation des phénomènes visibles associés (dissémination, germination, etc.), l’anathème sur les “fruits à coque”, etc., intéressent le séminaire 2018.

* Sur la petitesse de la graine et la grandeur de ce qui en advient, parabole du grain de sénevé (moutarde), Évangile de Matthieu, 13, 31.

1. La graine des botanistes

Sans aller loin dans le registre biologique, il faut définir ce qu’on entend par “graine” en botanique.

En raccourci, c’est le produit de la maturation de l’ovule après fécondation du stigmate femelle (organe surmontant le pistil) par le pollen mâle[5]. Chez les Angiospermes[6], le pistil est constitué de 1 à plusieurs carpelles (loges), chacun à 1-plusieurs ovules. La gousse (fruit) du petit pois est un pistil à 1 carpelle où plusieurs ovules alignés mûrissent en graines.

Chez les végétaux supérieurs, une double fécondation produit d’une part l’embryon, d’autre part un albumen de volume bien plus important : le ou les cotylédons. C’est la réserve, surtout glucidique (amidon), destinée à la nutrition de l’embryon et à la croissance de la plantule[7]. La systématique des plantes à fleurs angiospermes (voir note 6) les scinde en deux groupes principaux selon que la graine renferme un ou deux cotylédons : Monocotylédones et Dicotylédones. À la germination, les premières développent une seule feuille (céréales, joncs, palmiers, aulx, tulipes…), les secondes, les plus nombreuses, deux feuilles opposées : hêtre, haricot, etc.[8]

Tandis que, chez les Mammifères, l’embryon devient, en fin de gestation, un organisme achevé dans son principe, apte à progresser vers le stade adulte, chez les plantes à fleurs la graine mûre est encore un embryon associé à des organes de réserve, ce qui l’assimile quelque peu à l’œuf des oiseaux. À ce stade, dans les conditions propices à la germination et à la croissance, l’embryon produira une première racine (radicule) et une plantule, d’où le végétal adulte se développera sur un mode rythmé[9].

La graine est, avec le pollen, la partie mobile des plantes à fleurs. Qu’elle voyage libre ou dans le fruit, voire sur la plante entière desséchée (graines indépendantes ou partie du végétal qui contribue à les transporter sont dites “diaspores”[10]), seule ou avec des aides extérieures, elle voyage, propage sa lignée à distance plus ou moins grande du pied mère.

Les procédés de la dissémination végétale, très divers, souvent sophistiqués, ont fait l’objet d’études détaillées[11]. On ne peut en rappeler ici que certains. Ils relèvent de systèmes propres à l’espèce même (canon à air comprimé de la momordique, auto-plantation de la cymbalaire, etc.), ou dépendent, plus souvent, d’une assistance extérieure : air, eau, animaux, humains…

Pour beaucoup de gens, la graine est associée à l’idée d’envol, mode de déplacement le plus visible(logo du Petit Larousse…). Cette anémochorie[12] concerne de nombreux groupes végétaux. Le modèle du parachute plus ou moins ascensionnel, où s’illustre magnifiquement le pissenlit, est peut-être le phénomène le plus connu de la vie végétale. Poils plumeux ou cotonneux, soies, aigrettes duveteuses, aile simple ou double : les techniques de vol ont des milliers de variantes.

Autre procédé de dissémination bien connu : les systèmes qui fixent la graine ou sa diaspore aux toisons (zoochorie) ou aux chaussettes (anthropochorie). Les capitules de bardane, aux bractées en crochet, voyagent ainsi d’étable en bergerie, du village à la banlieue, pleins de graines dont le projet est aidé par les sols riches en nitrates.

Assistantes majeures à la dissémination des graines : les fourmis. Elles transportent des milliers d’espèces (myrméchochorie)[13]. L’extension d’une plante peut leur être en majeure partie attribuée. La présence dans les murs ou les fissures de rochers de plantes à graines dépourvues de moyens de transport autonomes est à leur attribuer le plus souvent[14].

Graine, grain, semence, sperme

Rattachés à la racine indoeuropéenne ger-, “grain” (allemand Korn, anglais corn)*, “grain” et “graine”, du latin granum, de même sens, qui apparaissent en français au XIIe siècle, ont des attributions plus ou moins distinctes. “Grain” désigne d’abord “la partie des céréales que l’on peut réduire en farine”*, par extension une “très petite quantité”* (“un grain de”…) ; “graine” se rapportant à la “partie des plantes à fleurs qui assure leur reproduction”*. Quand on “sème le grain”, on évoque les céréales en général. En 1600, Olivier de Serres parle encore des “bleds” dans le sens générique de céréales (francique blad, “produit de la terre” ; gallo-romain blada, “récolte”). Le “grain” est aussi une ancienne mesure de poids valant 0, 053 g. La sensation du contact des graines induit l’idée de “grain” d’une étoffe, de la peau, etc.

« “Semer, planter”, du latin sĕro, -ĕre, sēui, sătum : d’origine indo-européenne, désigne en propre l’opération agricole de semer une graine pour la faire germer et croître, comme dans toutes les langues où la racine seh1-, sh1- se manifeste »**. “Semence” double quelque peu “graine” puisqu’il dit aussi “l’organe ou fragment de végétal capable de reproduire un nouvel individu” (définition, peu pertinente, du Petit Robert…). Ce terme, du latin médiéval sementia (lat. class. sementis), plus savant que “graine”, a souvent une connotation généraliste (“les semences”), ou spécialisée : “banque de semences”, “traitement des semences”***. Il s’appliquera au liquide séminal à partir du XVe siècle.

“Semer” et les mots dérivés (“semis”, “semeur”, “ensemencer”, etc.) n’ont pas d’équivalent côté “graine” : “grainer”, c’est, pour un végétal, faire ses graines.

Sperma dans le sens de “graine” (bas-latin sperma ; mot de la même famille que “épars”, du latin spargere, p.p. sparsus, “épandre”, “disperser”, “semer”), n’a d’occurrences qu’en botanique : Angiospermes, Spermaphytes, Urospermum, etc. Parler de “graines de semence”, de “pomme de terre de semence”, fait allusion à la multiplication, mais aussi à une sélection. 

  • Le Séminaire pourra s’interroger sur ces distinctions/chevauchements sémantiques, d’autant plus que le XXIe siècle en rajoute avec la question des “semences transgéniques” (cf. encadré § 4), la consommation des “graines germées” (cf. § 4), etc. Quels champs de représentations pour la graine, pour la semence ? Quels rapports entre “banques de semences” et “banques de sperme” ? etc.

* Dictionnaire hist. langue fr., 2006

** Marine Chabrol, in litt.

*** « Au conservatoire [botanique national pyrénéen], nous employons indistinctement “banque de graines” ou “banque de semences”, qu’il s’agisse de ce qu’il y a dans le sol ou de ce que nous avons dans les chambres froides. Mais mes collègues disent que “semences” peut avoir une connotation plus “multiplication”. Pour une autre collègue, la graine fait partie des semences car semence est plus général, pour elle. Elle comprend les bulbes, par exemple, dans les semences car c’est ce qui va servir à la reproduction. Elle me parle aussi des ferments avec lesquels elle ensemence le lait pour faire du fromage… » (note de Raphaële Garreta).

2. L’aliment graine

Avec des réserves nutritives exceptionnelles, bien plus abondantes au regard du volume que chez les fruits courants, les graines sont recherchées par de nombreux animaux, de la larve aux grands mammifères, et par les humains depuis les origines.

Sur des dents fossiles très anciennes du genre Homo, des traces particulières d’usure ont été rapportées à la mastication de substances végétales abrasives, graines en particulier. Les chimpanzés, quant à eux, cassent des noix très dures (Panda oleosa, Eloeis guineensis, etc.), entre une “enclume” (creux de racine ou de pierre…) et un percuteur de pierre ou de bois. Aujourd’hui bien documentée, cette technique donne lieu à des modalités d’apprentissage qui varient avec les populations de primates et les contingences du milieu[15].

Bien avant l’agriculture, les graines ont participé à l’alimentation humaine, parfois à une place centrale. Chez certains Aborigènes australiens (sociétés techniquement encore pré-néolithiques au début du XXe siècle), elles représentaient 70 à 80% de l’alimentation[16]. C’est sur ce continent qu’on trouve les plus anciennes meules en pierre : elles “sont attestées au nord de l’Australie à 25 000 ans BP”[17]. A. Testart les met en rapport avec la fabrication des haches de pierre polie qui apparaissent dans le nord de ce continent vers 18 000 avant J.-C., plusieurs millénaires avant celles du Néolithique européen. L’usure des broyeurs sur la meule a pu induire la technique du polissage de nouveaux outils — ceux-ci facilitant beaucoup le travail du bois[18]. Des meules à grains un peu plus récentes sont attestées dans le site célèbre d’Ohalo, au S.-E. du Lac de Tibériade, en Israël. Une meule datée de 23 000 ans avant le présent, bien antérieure aux débuts de l’agriculture proche-orientale et méditerranéenne, est associée à un très grand nombre de graines de Graminées et à un four. À sa surface, on a recueilli une vingtaine de grains d’amidon d’orge sauvage[19].

Il faut insister sur la consommation fréquente de graines minuscules, parfois bien inférieures au millimètre, dont l’abondance (peuplements importants de la plante exploitée) peut compenser la taille. À Ohalo, on a retrouvé plus de 90 000 restes de 142 espèces de plantes différentes, dont 19 000 graines de graminées. Les espèces à graines petites représentent 35 % du volume total, le reste se rapportant à des céréales sauvages aux grains plus gros. La récolte des petites graines se poursuivait encore à la fin du XXe siècle au Maghreb et au Sahara[20]. Dans l’Europe néolithique, Chenopodium album a prêté au même ramassage.

Le Séminaire est ouvert aux interventions qui traiteraient du statut alimentaire des graines de ramassage, des modalités de leur reconnaissance et de leur récolte, des représentations éventuellement associées, etc.

Paléosemences

Longtemps ignorés ou négligés, bien moins durables que les pollens dans les sédiments, les “macro-restes” végétaux des occupations humaines intéressent maintenant de près les préhistoriens (et les historiens). Ce sont surtout des graines. Hormis des conditions de fossilisation particulières (dépôts lacustres acides…), c’est la carbonisation (foyer, incendie de l’habitat…) qui, en les minéralisant, permet leur conservation jusqu’à nous. Ces “paléosemences” ont fourni de nouvelles données majeures sur les origines de l’agriculture, fait supposer des épisodes de “proto-néolithisation” antérieurs au Néolithique, etc.

Ouvrages initiaux en français : Marinval, Philippe, Cueillette, agriculture et alimentation végétale de l'épipaléolithique jusqu'au 2ème âge du fer en France méridionale. Apports palethnographiques de la carpologie, éd. CNRS,1988 ; Jacquat, Christiane,Hauterive-Champréveyres 1. Les plantes de l’âge du Bronze. Catalogue des fruits et graines, 1988, 2. Contribution à l’histoire de l’environnement et de l’alimentation, 1989. De l’Antiquité aux Temps Modernes, voir les travaux de Marie-Pierre Ruas (biblio en ligne).

3. Les céréales

“Céréale”, de Ceres, Cereris, nom de la déesse latine des moissons, s’associe à l’idée de croissance. Il dérive de la racine indoeuropéenne k(e)re, “semence”[21].

Si une proto-agriculture (tubercules : igname, taro, manioc, etc.) a pu concerner les régions intertropicales bien avant l’avènement des céréales[22], celles-ci, avec la domestication d’une douzaine d’espèces à graines, vont transformer l’histoire de l’alimentation, l’essence socio-économique même des sociétés humaines les plus nombreuses, mutation qui concerne aussi bien l’Ancien que le Nouveau Monde sur environ six mille ans, entre le IXe et le IIIe millénaire selon la région considérée.

La céréaliculture (associée à l’élevage) débute au Moyen-Orient à la fin du climat péri-glaciaire, s’étend sur l’Europe du VIIIe au VIe millénaires, concerne l’Extrême-Orient au VIe millénaire. En Afrique subsaharienne, elle débute vers -5000. En Amérique Centrale et péruvienne, elle s’échelonne de -5000 à -3000.

Il est remarquable que, dans les diverses zones où apparaît l’agriculture, une ou deux Graminées majeures soient associées dès les origines à une-plusieurs Légumineuses : blé, orge, pois, lentille du Moyen-Orient au Bassin méditerranéen ; millet, riz, soja et autres doliques en Extrême-Orient ; mil, sorgho, éleusine, dolique en Afrique ; maïs et haricot en Amérique. L’association céréale-légumineuse (comme riz/lentille rose de la cuisine indienne) assure un apport glucides/protides équilibré.

On débat toujours des raisons du passage à l’agriculture. Il faut rappeler encore la grande antériorité du ramassage sur les semailles, et, à un moment, l’intentionnalité de celles-ci. La production massale de graines petites bouleverse les structures socio-économiques et religieuses. Si puissamment fondatrice qu’elle ne peut aller sans mythes d’origine ni divinités tutélaires : Déméter/Cérès pour les blés de l’ancien Monde méditerranéen, Centeotl (ou Cinteotl), dieu aztèque du maïs mûr, Yumtaax des Mayas, Mama Sara, déesse Inca du grain, Inari, parrain japonais de la croissance du riz…

Sur toute la Terre, des rituels de fécondité accompagnent les travaux de préparation du champ, semailles et moissons, génèrent des “magies agricoles” protectrices… Ils se perpétuaient encore au XXe siècle en Europe[23]. Qu’on fasse l’amour dans les sillons ou qu’on fiche en plein champ le rameau de buis ou d’aubépine bénit à Pâques, il s’agit toujours d’encourager l’espoir que les graines se multiplient[24]. Dans l’ancien royaume rwandais, société à deux faces distinctes, agricole et pastorale, “la naissance du pouvoir se légitimait par référence à la puissance germinative”. On croyait que “le vrai prétendant [au trône] se désignait en venant au monde avec des graines à la main”[25].

Des anthropologues[26] ont mis en doute l’idée de sécurité alimentaire assurée avec l’avènement de l’agriculture : les récoltes sont menacées par les caprices du climat, les guerres[27] ; la masse de travail s’accroît de façon considérable… Mais ce qui valait pour les sociétés paléolithiques ou tropicales ne suffisait plus dans les régions où les conditions climatiques/écologiques avaient changé, où le gros gibier devenait rare, où l’accroissement démographique appelait de nouvelles ressources, etc.

La “révolution néolithique” transforme le rapport au monde, nécessite la sédentarisation, généralise des pratiques alimentaires où bouillies, gruaux, galettes concernent l’Ancien et le Nouveau Monde[28]. Cela supposant aussi la sélection de variétés (parfois à valeur identitaire), le perfectionnement incessant de l’outillage agraire et des techniques associées, la traction animale (Ancien Monde), la conservation (silos…), la transformation (meunerie…), etc.

Les rendements du passé sont faibles. Au XVIe siècle, Olivier de Serres considère le taux de 6 pour 1 comme un bon produit. À la fin du XIXe siècle encore, en haute Provence, la “céréaliculture sèche” des collines rapporte en moyenne 4 pour 1, huit quintaux/ha au maximum, dont il faut conserver le quart pour les semailles suivantes. Aujourd’hui, à l’autre extrême, un bon maïs OGM, bien engraissé, bien désherbé, bien arrosé, peut théoriquement produire des épis à 1000 grains. Au Canada, on atteint les 170 quintaux/ha. En 2015, la production moyenne française de maïs était de 90 quintaux/ha, en 2017 de 73,4 quintaux/ha pour le blé tendre. Sur un siècle, les rendements ont été multipliés par dix.

La part des céréales dans l’alimentation européenne n’a régressé qu’avec la révolution industrielle, et surtout après la Deuxième Guerre mondiale. À la fin du Moyen-Âge, chez les journaliers de la Crau, la ration alimentaire reposait pour l’essentiel sur le grain : 70% de pain[29]. En Italie du Sud, à la même époque, on considère qu’une “salme” est la quantité annuelle nécessaire à l’homme adulte[30]. De nos jours, dans les “dépenses alimentaires à domicile des ménages français”, “pain et céréales” ne représentent plus que 12,9%, contre 20,4% de viande (INSEE, 2014). Les “graines germées” ne compensent pas (encore) le déficit.

Une économie alimentaire basée sur les céréales nécessite le stockage. Supposer thésaurisation et spéculation à partir de cet impératif n’est pas sans attestations historiques. Le peintre Georges de La Tour, enrichi par ses nombreuses commandes religieuses, accumulait du grain pour le revendre cher en temps de pénurie. La Russie tsariste exportait du blé à des époques de famine intérieure, etc. Toutefois, la spéculation “dure” sur les produits alimentaires est une pratique moderne (le “capitalisme” s’amorce aux XIIIe-XIVe siècles), où les céréales, dans la perspective financière, n’ont ni plus ni moins d’importance que le pétrole ou les métaux rares. Il s’agit de marché, très éloigné de toute considération sociale, sans parler d’éthique.

Le séminaire accueille les interventions relatives aux céréales (et autres grains de culture industrielle) dans les approches ethnographique et ethnologique. Qu’en est-il de la perception moderne du “champ de blé” alors que le pain n’est plus l’aliment de base, encore moins sacré ? Qu’est-ce qui remplace le “geste auguste du semeur” (s’il y a substitution…) ? Comment perçoit-on les “bio-carburants” provenus des céréales[31] ? Quelle richesse en rapport avec le stockage des grains ? Etc.

Sélection du grain

Inconstance des semences

Perversion et “libération” de la graine

La sélection initiale des céréales, au Proche-Orient, concerne d’abord un caractère indépendant des qualités nutritives : l’aptitude des épis à conserver leurs grains une fois parvenus à maturité. Les fouilles des sites natoufiens* tardifs (vers -10 000) et du “Néolithique pré-céramique”, en Israël surtout, montrent que le passage des premiers blés à grains caducs aux variétés à grains tenaces dans l’épi, permettant la moisson, le battage différé, pourrait avoir pris mille ans. Des “blés anciens”, comme le petit épeautre, ont toujours des représentants sauvages très voisins des lignées cultivées. Les blés plus récents, durs ou tendres, sont issus de croisements entre un blé au sens strict (genre Triticum) et des Aegilops, voisins botaniques des Triticum. On a dénombré au moins 30 000 variétés cultivées de blés. Cette diversité a son analogue chez le riz (genre Oryza), le maïs (Zea) et le sorgho (Sorghum).

On sait à quel point la production industrielle des céréales et les intérêts spéculatifs associés entraînent de réduction variétale. Cela corrélé avec la disparition de nombreuses cultures dans le sens social du terme. Au IIIe millénaire, les céréales “transgéniques”, modifiées dans des intentions diverses (résister au désherbant fabriqué par la même firme, faire plus de tonnage, fournir des composants d’intérêt nutritif ou médical, etc.), impossibles à ressemer par le cultivateur, œuvrent de près à la simplification/pollution de l’environnement.

Depuis longtemps on sait, non seulement que la levée de certaines graines est capricieuse (le persil peut en raconter !), mais que des espèces végétales ne se reproduisent pas bien de graines, voire “dégénèrent”. Par exemple, le semis des amandes douces ne reproduit pas nécessairement la lignée comestible ; ni celui de la grande majorité des fruits cultivés. En 1600, Olivier de Serres, moderne s’il en fut, moqueur de toute superstition, dit avoir “esgrené un espi de froment dans lequel se trouverent quelques grains d’yvroie [ivraie]”. C’est au temps où celle-ci, Lolium temulentum, commune dans les moissons, pouvait rendre le pain toxique, “causant mal de teste à ceux qui en mangent”**.

De nos jours, la conservation des graines s’apparente à la mise à l’abri d’un trésor menacé. La régression vertigineuse de la multiplicité végétale entraîne des projets de collections de graines vivantes, conservées au froid, telle la réserve mondiale de semences du Svalbard, en Norvège.

En réaction contre l’accaparement par les multinationales de l’agroalimentaire du simple droit de semer ses propres graines, les initiatives se multiplient à l’échelle mondiale, souvent issues “de la base” : production, conditionnement et diffusion de graines “libres”, échanges gratuits, actions associatives, “journées de la biodiversité”, conférences, films, etc. “La biodiversité cultivée” est un nouveau champ de la lutte politique…

  • La perception de l’intégrité, des incertitudes ou du dévoiement de la graine, dans le passé comme de nos jours, les réactions à la mainmise des entreprises semencières, etc., concernent les attentes du séminaire 2018. Ce sera de nouveau l’occasion de croiser ethnobotanique, économie du végétal et options politiques, celles-ci ne pouvant plus faire l’impasse sur la “nature”.

* Généralités utiles chez Delage, Christophe, “Quelques réflexions concernant la recherche sur le Natoufien”, Bull. Centre recherches fr. Jérusalem, 9, p. 51-68, 2001.

** Plus de détails dans ma préface au Théâtre d’agriculture, Actes Sud, 2001, p. 17. — Pour ce qui est de “séparer le bon grain de l’ivraie”, voir l’Évangile de Matthieu, 13, 24-30, 36-43.

4. La graine, un “concentré d’énergie”

Dans les années 1960, bien avant le véganisme, la macrobiotique (au nom déjà triomphant) secouait les pratiques alimentaires occidentales. Autour du riz complet, graine par excellence, il s’agissait de restaurer un yang mâle menacé par “l’excès de yin” de nos tables perverties. En même temps, on allait s’interroger davantage sur les relations entre alimentation et “conservation de la santé”, sur les méfaits du sucre, de l’excès de nourritures carnées, etc. Les occidentaux oublieux du blé redécouvraient la céréale graine via une pensée d’inspiration japonaise. S’il n’existe sans doute pas de bilan nutritionnel comparatif qui valide (ou non) de façon décisive le régime extrême-oriental au regard des “maladies de civilisation”, le commerce diététique lui doit un boom spectaculaire.

Il est alors conseillé de mâcher 40 fois sa bouchée de riz, pour en faciliter la digestion mais aussi pour en retirer le plus possible “d’énergie”. Est en même temps soulignée l’idée que la graine “en nature” recèle plus de bienfaits que ses dérivés moulus. Les plus convaincus mangent le riz cru, guérissent de cette façon un certain nombre de maux. Mais pourquoi pas le blé ou l’orge, céréales plus “anciennes” que le riz ? L’adhésion à une expression culturelle-alimentaire intègre ses nourritures-symboles. Si la macrobiotique était venue de Syrie, on aurait mâché du blé.

La consommation du riz complet semble avoir régressé dans notre alimentation, mais les graines s’y montrent sous de nouveaux aspects. Dans le “pain aux graines” (à l’intérieur, sur la croûte…), il y a un taux élevé de diététique convertie en argument commercial — les variantes obtenues à la boulangerie favorisant aussi la diffusion d’un pain dont on ne sait plus les formes premières. Plus “sérieuse” est la graine germée. C’est l’héritière directe du “germe de blé”, regardé comme l’esprit même du grain. On voit réapparaître ici les “petites graines” comme celle de “l’alfalfa”, la luzerne fourragère qui cache ainsi son nom roturier. À la germination, de nouvelles “substances utiles”, vitamines, “antioxydants”, etc., sont élaborées. D’où production dédiée, livres, matériel ad hoc (germoirs…), etc. Profitant de la néo-granivorie, le “germe de blé” — en particulier celui de la “Germalyne” des moines trappistes de l’abbaye de Sept-Fons, vendue dès 1930 — reprend du tonus.

Dans le même temps, et le même élan commercial, la suspicion sur le gluten change bien des pratiques alimentaires et boulangères. Aux “blés de force” modernes, très riches en gluten (meilleure levée de la pâte, pain léger ; la baguette parisienne leur doit beaucoup[32]), dont la dépendance industrielle est déjà perçue comme une tare, les consommateurs qui s’interrogent sur leur consommation vont préférer les “blés anciens”, vrais ou plus ou moins faux[33], le pain “complet” ou “semi-complet”, de préférence pétri avec de la farine “moulue à la meule de pierre” et “cuit au feu de bois”. C’est la réapparition des épeautres, eux vrais blés anciens restés proches des formes originelles, du “blé meunier”[34], la relance du sarrasin, l’avènement de la quinoa du Nouveau Monde, les deux derniers, “pseudo-céréales”, vraiment “gluten free”. Les divers “riz sauvages”[35] ne semblent pas connaître semblable succès commercial.

L’idée de “force” de la graine peut aussi se retrouver du côté des emplois, médicinaux en particulier, qui privilégient cette partie de la plante. C’est le cas pour les ombellifères aromatiques : carvi (à la senteur capable de se surimposer à l’odeur du munster !), cumin, anis vert, fenouil, etc., pour certains usages du pavot ou de la jusquiame, pour la moutarde, la muscade, la noix de bétel, etc. À l’inverse, des graines qui, par hydratation, produisent un mucilage émollient, auront des attributions adoucissantes : lin, plantain psyllium, grémil, etc.

Sans oublier les nombreuses bières et alcools (whisky, vodka, saké, baijiu, etc.), qui mettent en œuvre orge, riz, maïs, millet, sorgho, sarrasin, etc. : la force de la graine y est, pour le moins amplifiée, parfois transcendée.

Et quand la graine se convertit en viandes ou en “biocarburant”, transformation qui intéresse des économies entières (le maïs devient la première graine en Chine, le soja aux USA), quel impact, déjà, sur l’appréhension de l’acte agricole ?

La symbolique de la graine fraîchement levée, du germe, des origines premières bénéfiques[36], de la “concentration d’énergie” des semences, des modes “anciens” de préparation du pain,“complet” comme opposé à dénaturé, la dévalorisation de “blanc” au bénéfice de “bis”, etc., sont des thèmes à explorer au Séminaire. Ils renseignent sur notre appréhension d’un présent en dérobade.

5. Paraboles, maximes, métaphores, “emplois sociaux et religieux” de la graine

Les paraboles des Évangiles, qui s’adressent à des paysans, évoquent plusieurs fois

la graine, la plus petite dont le produit s’élève haut (Matthieu, 13, 4, Marc, 4, 30), la bonne qui doit tomber si possible sur une terre favorable (Matthieu, 13, 4), la mauvaise dont on brûlera le produit inau jugement dernier (Matthieu, 13, 34), etc. Cela suppose la circulation très ancienne des métaphores associées à la graine et aux semailles.

Au XXIe siècle, dans nos cultures, il semble que l’éloignement d’avec la terre épuise ces semis dans le discours. Où ce qui a été dit plus haut de l’inconstance de la graine a primé sur l’idée de bienfait : “la mauvaise graine pousse vite”, “graine de vaurien, de crapule, d’assassin”, etc. Aussi bien, “en prendre de la graine” n’est pas sans connotation réprobatrice. On ne parle pas trop de la bonne graine, peut-être parce que dire du bien d’un élément du système agropastoral attire le mauvais œil (on ne précise jamais le nombre de brebis d’un troupeau). “Casser la graine”, qui évoquait le “repas sommaire ou rapide” s’est adouci en “casser une petite graine”[37], où le pain est oublié. “Moins de graine !”, dans le sens de “arrête de la ramener !”, serait plutôt marseillais[38]. “Blé” dans le sens “d’argent” se rattache sans doute davantage à “fauché comme les blés” qu’à l’idée de gain tiré d’une bonne récolte. Les pépins sont plutôt malvenus.

“Grain” a peu d’occurrences métaphoriques dans son sens premier, l’idée de très petite quantité l’emportant sur celle de semence ou d’aliment. On a déjà évoqué la séparation du bon grain de l’ivraie. “Avoir du grain à moudre” se rapporte au débat d’idées, à un gros travail intellectuel à accomplir. Quelque peu analogue (mais la graine est moulue, la farine cuite), “avoir du pain sur la planche” est plus généraliste, s’appliquant à toute situation plus ou moins difficile à affronter, sans parler d’en résoudre les causes. Quant à “germer”, il apparaît aujourd’hui dans le discours économique, où, par exemple, la “pépinière d’entreprise” accueille les semis de projets à haut potentiel productif.

Le retour de la graine en nature sur les tables pourrait induire de nouvelles métaphores... Levée à suivre du coin de l’oreille ethnobotanique.

Hors de l’image et du langage, la graine, pour partie dans le registre symbolique mais aussi parce qu’elle est douce au toucher, fluide, incertaine comme la chance ou la foi, sert de pion dans des jeux tel l’awalé africain, de grains de chapelet dans toutes les religions où s’égrène un chapelet[39]. On en fait souvent des colliers[40]. Il arrive que son poids varie si peu qu’il sert de mesure pour l’or et les pierres précieuses : le carat (aujourd’hui 0,2 g) est à l’origine une graine de caroube.

La part linguistique-sémantique du rapport aux plantes est peu présente au séminaire de Salagon. Avec la graine, semée dans le langage, on peut l’approcher de plus près — ce qui a été négligé avec “racine” et “fruit”… La pièce de jeu, l’objet cultuel ou la parure en graines valent aussi d’être considérés dans leurs possibles alliances symboliques.

Vaste sujet

L’appel à contributions 2018 ne prétend pas cerner un thème très polysémique. Ce qui est proposé ici à la réflexion fournit déjà la matière à au moins deux sessions…

Quoi qu’il en soit de l’ampleur du sujet, il s’agit de l’appréhender sans perdre de vue l’interrogation ethnologique. Car, dans la réflexion sur la graine, l’imbrication est étroite avec ce qui relève de la botanique, de l’agronomie, des techniques. Cette rencontre illustrant aussi la définition “spatiale” de l’ethnobotanique selon Jacques Barrau : “au carrefour des sciences naturelles et des sciences humaines”[41].

Pierre Lieutaghi

Comité scientifique

  • Élise Bain, ethnologue et coordinatrice du séminaire, Musée de Salagon.
  • Antonin Chabert, ethnologue et responsable du pôle scientifique du Musée de Salagon.
  • Jean-Yves Durand, ethnologue, CRIA-UMinho (Portugal) et IDEMEC (Aix-en-Provence).
  • Raphaële Garreta, ethnologue, Conservatoire botanique national des Pyrénées et Midi-Pyrénées.
  • Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste et écrivain.
  • Pascal Luccioni, maître de conférences de grec, Université Lyon III – HiSoMA.
  • Danielle Musset, ethnologue, ancienne directrice du Musée de Salagon.

Modalités de soumission

Les propositions, un résumé de 5000 caractères maximum, sont à envoyer

avant le 30 avril 2018

à l'adresse suivante : elisebain@hotmail.fr

Prise en charge

Les frais de déplacement, d’hébergement et de repas des intervenants au séminaire seront pris en charge par le Musée de Salagon.

Actes

Les communications, après soumission à relecture, feront l'objet d'une publication dans les Actes des séminaires de Salagon.

Références

[1] Analogue de “pépinière”, “séminaire” est dans la tonalité requise cette année : c’est le lieu où croissent et s’affirment les vocations ! Merci à Raphaële Garreta d’avoir repéré l’évidence !

[2] Camerarius, R. J., De Sexu plantarum epistola, 1694.

[3] Hofmeister, W. F. B., Die Lehre von der Pflanzenzelle, 1867. La respiration des plantes ne sera mise en évidence que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, via les recherches successives de Bonnet, Ingenhousz, Sénebier, Lavoisier.

[4] Elle peut être exclusivement “femelle”. Puisque les plantes à fleurs, qui disposent par ailleurs de la possibilité de reproduction végétative (stolons, marcottes, boutures, etc.), impossible aux animaux, peuvent se passer des gamètes mâles et développer des graines parthénogénétiques qui propageront uniquement les caractères de la lignée mère (ronces, sorbiers, alchémilles, épervières, pissenlits, etc.). La question des plantes “mâles” de la perception vernaculaire a déjà été évoquée à Salagon. Chez des espèces dioïques, de fait (chanvre) ou occasionnelles (frêne), les sujets femelles donneurs de graines seront qualifiés de “mâles”, la production de “semences” étant regardée comme un privilège masculin. On connaît le vieux sexisme de la “petite graine”, initié depuis longtemps par assimilation de la graine, détentrice de la puissance génératrice, à la nature mâle.

[5] La fécondation est parfois éludée, cf. note 3.

[6] “Graine en capsule”. Groupe le plus important des plantes à fleurs, où les ovules sont enclos dans un ovaire. À la différence des Gymnospermes (“graine nue”), Conifères et plantes alliées, où l’ovaire est absent, où le processus de fécondation s’apparente encore à celui des fougères.

[7] Les cotylédons représentent la “partie utile” de la graine quand celle-ci est consommée. Aux glucides s’adjoint un taux plus ou moins élevé de protéines (céréales, légumineuses) et de lipides (graines oléagineuses : colza, sésame, tournesol…). Les graines peuvent aussi concentrer des substances toxiques : if, amande amère, ricin, etc.

[8] Quatre siècles avant notre ère, Théophraste le signale : « À la sortie de la plantule, l’orge et le froment ont une seule feuille, la fève et le pois chiche en ont plusieurs », Recherches sur les plantes, trad. S. Amigues, Belin, 2010, p. 298. — Les avancées de la génétique compliquent aujourd’hui quelque peu la distinction Monocotylédones/Dicotylédones. On en reste ici au schéma classique.

[9] On ne détaille pas les différentes strates tissulaires qui constituent le fruit et la graine. Chez les petits fruits secs du type “caryopse” [“qui a l’apparence de la noix”] des céréales et autres Graminées, les assises extérieures sont plus ou moins étroitement adhérentes aux tissus externes de la graine proprement dite. Chez “l’akène” [“qui ne s’ouvre pas”] des Composées, Labiées, érables, chênes, etc., la graine est libre à l’intérieur d’un “péricarpe”. Pour plus de précisions, deux livres excellents : Boullard, B., Dictionnaire de botanique, Ellipses, 1988 ; Raynal-Roques, A., La botanique redécouverte, Belin, 1994.

[10] Grec diaspora, “dispersion”.

[11] Ridley, H. N., The Dispersal of Plants throughout the World, Reeves, 1930, 744 p. (l’ouvrage classique). — Van der Pijl, L., Principles of Dispersal in Higher Plants, Springer, 1969, 153 p.

[12] Grec anemos, “vent”, choro, “je me déplace”, “je change de place”.

[13] L’Antiquité semble retenir seulement la consommation des graines par les fourmis. Pline, à propos du cyprès s’étonne “qu’un si petit animal, pour sa nourriture, empêche de croître de si grands arbres” (Hist. Nat., 17, 73).

[14] [14] Ces lignes à un moment du monde où les populations d’insectes chutent dramatiquement, en particulier dans les régions d’agriculture intensive. Cf. Libération, n° spécial “Le libé des animaux” (n° 11341, 10.11.2017), p. 6-7 ; Courrier international, n° 1411, 11.2017, p. 43, etc. Les oiseaux insectivores en sont déjà directement affectés.

[15] Voir Joulian, Frédéric, “Techniques du corps et traditions chimpanzières”, Terrain, 34, n° spécial “Les animaux pensent-ils ?”, p. 37-54, fig., phot., 2000.

[16] Ainsi chez les Walbiri. Voir Meggit, M.J., “Notes on the Vegetable Food of the Walbiri of Central Australia”, Oceania, 28, p. 143-145, 1957. Thème plus développé chez Allen, B. : “The Bagundji of the Daring Basin, cereal gatherers in a uncertain environment”, World archeology, 5, p. 309-332, 1974.

[17] Ward, Graeme K., “Peintures rupestres pléistocènes en Australie”, in “l’Art pléistocène dans le monde”, Actes du congrès IFAO, Tarascon-sur-Ariège, 2010, p. 975-989.

[18] D’Alain Testart, voir la très intéressante synthèse sur les particularités comparées des sociétés de chasseurs et celles des cueilleurs pré/agriculteurs en Asie du Sud-Est et en Australie : “Ethnologie de l’Australie et préhistoire de l’Asie du Sud-Est”, Journal de la Société des océanistes, 33 (54), p. 77-85, 1977 (en ligne) : « L’Asie du Sud-Est pourrait être caractérisée dès la préhistoire comme la région de la “civilisation du végétal” (…), végétal matière première et végétal aliment ».

[19] Nadel, D., “Wild barley harvesting, fishing, and year-round occupation at Ohalo II (19.5 KY, Jordan Valley, Israel)”. In : Section 6 : The Upper Palaeolithic (General Sessions and Posters), Acts of the XIVth UISSP Congress, University of Liege (September 2001). BAR International Series 1240, pp. 135-143, 2004. — La Recherche n°378 (2004), p. 21 : “Il y a 23 000 ans on exploitait déjà les céréales”.

[20] Le regretté Marceau Gast, qui décrit attentivement le ramassage et la préparation des nourritures de disette au Sahara, cite les graines de 27 espèces, dont 10 Graminées (Moissons du désert. Utilisation des ressources naturelles en période de famine au Sahara central, 25 cm, 160 p., fig., phot., Ibis Press, 2000). Au Maroc, les cistaies restent parfois exploitées dans la même intention. Sur le ramassage des graminées sauvages, dont la “manne de Pologne” européenne, Glyceria fluitans, il y a beaucoup de données chez A. Maurizio, Histoire de l’alimentation végétale depuis la préhistoire jusqu'à nos jours, Paris, Payot. 664 p., 1932.

[21] Dictionnaire historique de la langue française, 1, Le Robert, 2006.

[22] [22] J. Barrau, comm. Orale. — Les céréales au sens strict appartiennent à la famille des Graminées (“Poacées”) ; il s’y ajoute quelques “pseudo-céréales” comme le sarrasin (Polygonacées) et la quinoa (Chénopodiacées).

[23] Dans La ravine, roman de jeunesse magnifique et terrible (1913 ; Éd. Héros-Limite, 2017, p. 128-129), Sergueï Essénine raconte un labour nocturne destiné à résoudre une épidémie du bétail, mené par des jeunes filles nues, plus proche des cultes de Cybèle que des cérémonies orthodoxes.

[24] Perséphone n’est pas la seule enfant de Déméter. De son union avec Iasion dans un champ labouré trois fois, celle-ci engendra un fils, Ploutos, qui personnifia la richesse. Le thème rejoint celui du “Laboureur et ses enfants”. La p’tite graine récompense les laborieux.

[25] Del Perugia, Paul, Les derniers rois mages, récit ethnologique, Gallimard, 1970, p. 45. [Cet ouvrage intéressant, bien écrit, ne cite pas ses sources, ne fournit aucune donnée de terrain précise.]

[26] Ainsi Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d’abondance, Gallimard, Folio, réimpression 2017.

[27] Maurizio, loc., cit. dénombre 900 disettes et famines sur un millénaire (de 900 à 1900), en Hongrie. — Au temps d’Olivier de Serres (1600) : l’orge et les millets “sont de grand secours au pauvre peuple” (Le théâtre d’agriculture, II, 4)

[28] Pain, semoules, pâtes et autres avatars des farines se différencieront surtout dans l’Ancien Monde. On rappelle en passant l’assimilation du couscous (d’origine probablement berbère) à une “graine”, dans les cultures maghrébines francophones. Le couscous est une semoule de blé dur précuite à la vapeur, dont la préparation “traditionnelle” à la main, entreprise collective des femmes, prend des jours. Semoule et pois chiche illustrent encore le couple céréale-légumineuse.

[29] Stouff, Louis, Ravitaillement et alimentation en Provence, XIVe-XVe siècles, 510 p., éd. EHESS, 1970. — En 1600, le seigneur du Pradel destine à sa table “d’entre tous les blés, les meilleurs à la délicatesse du pain”, tandis que, à “l’ordinaire des serviteurs et manœuvres”, vont “les grains propres pour les bien nourrir avec espargne” (Ibid., VIII, 1).

[30] La salme était une mesure de céréales en Méditerranée centrale. Celle dont il est question avoisine les 220 kg. La salme de Malte valait 288 kg.

[31] Un plein de “biocarburant” issu du maïs équivaut à un an de consommation familiale de grain chez le petit paysan mexicain.

[32] Il faut rappeler une fois encore que le pain blanc, maintenant dénigré, fut autrefois le rêve des pauvres, ceux qui ne mangeaient pas leur pain blanc en premier. Aussi bien, l’Occident donne aujourd’hui au riz complet ou semi-complet une place qu’il est loin d’espérer en Asie.

[33] Ainsi du “kamut®”, marque commerciale déposée il y a une trentaine d’années. Des légendes farfelues, comme celle du “blé des Pharaons”, accompagnent la mise sur le marché de cette “très ancienne variété de céréales, cultivée notamment en Égypte et en Mésopotamie dans l’Antiquité” (dixit Internet…). Pas plus que l’épeautre, le “kamut®” n’est sans gluten. Mais l’idée d’origine fabuleuse et de puissance native, depuis longtemps associées à l’imaginaire de la graine, sont au nombre des représentations aujourd’hui éminemment valorisables.

[34] À propos de blé meunier d’Apt et de ses origines, Élise Bain a rédigé un mémoire riche d’enseignement. Il s’agit d’un blé réputé localement depuis le milieu du XIXe siècle (et sûrement avant) qui a fait l’objet d’une relance amorcée en 2006 par des agriculteurs bio dans la région d’Apt, le canton de Banon et le pays de Forcalquier. Bain, Élise, Le blé meunier d’Apt ;, Éléments d'histoire et d'ethnologie du blé tendre dans le pourtour du Luberon, Rapport d'étude, Musée départemental ethnologique de Haute-Provence, Prieuré de Salagon, 90 p., 2017.

[35] Comme la graminée palustre américaine Zizania aquatica, que les Indiens des lacs récoltaient en canoë, battant au-dessus d’une vannerie large les épis liés en gerbe bien avant la maturité. “Zizanie” est un nom médiéval de l’ivraie. “Semer la zizanie”, c’est polluer le bon grain.

[36] On se retrouve ici dans les représentations antiques où le passé, le temps des héros, est le modèle qu’il convient d’approcher, que l’avenir ne pourra jamais équivaloir. Le pain complet serait-il celui du no future ?

[37] Dictionnaire des locutions et expressions, Le Robert, 1997.

[38] Pascal Luccioni, in. litt.

[39] En Provence, jusqu’au XVIIIe siècle, les chartreux de Montrieux faisaient des chapelets avec les graines de l’aliboufier (Styrax officinale), arbrisseau de la Méditerranée orientale producteur du “baume storax”, qui a son aire disjointe la plus occidentale dans la vallée du Gapeau (Var).

[40] Parfois périlleux : les colliers en jéquirity (Abrus precatorius, Légumineuses), belles graines rouges et noires très toxiques, ont été interdits en Angleterre après des empoisonnements.

[41] Merci pour leur lecture critique, leurs corrections, commentaires, suggestions, etc., à Élise Bain, Marine Chabrol, Raphaële Garreta, Danielle Musset, Jean-Yves Durand, Pascal Luccioni.

Categorias

Locais

  • Le Prieuré - Musée de Salagon
    Forcalquier, França (04300)

Datas

  • quinta, 11 de outubro de 2018
  • sexta, 12 de outubro de 2018
  • sábado, 13 de outubro de 2018

Palavras-chave

  • Ethnobotanique, ethnologie, graine

Contactos

  • Elise Bain
    courriel : elisebain [at] hotmail [dot] fr

Urls de referência

Fonte da informação

  • Elise Bain
    courriel : elisebain [at] hotmail [dot] fr

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Para citar este anúncio

« Graine : la promesse même », Chamada de trabalhos, Calenda, Publicado terça, 06 de março de 2018, https://doi.org/10.58079/zqc

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