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Usages religieux de la quantification

The Religious Uses of Quantification

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Publicado el miércoles 02 de octubre de 2019

Resumen

La revue Archives de sciences sociales des religions (Éditions de l'EHESS) lance un appel interdisciplinaire visant à susciter des contributions portant sur les usages religieux de la quantification, en variant autant que possible les contextes historiques, religieux et géographiques. Si la focale est portée dans le dossier « Usages religieux de la quantification » sur les statistiques, la quantification pourra aussi être entendue en un sens plus large, englobant d’autres pratiques de mesure et de comptabilité.

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Argumentaire

Les réflexions sur religion et statistique ont surtout porté sur la question de l’application de méthodes quantitatives aux objets des sciences sociales du religieux. Mais les chercheur·e·s ne sont pas les seul·e·s à produire, commenter ou critiquer des données quantitatives. Ce dossier a pour but d’explorer les rapports que les organisations religieuses, la presse confessionnelle, et les fidèles entretiennent avec « les chiffres ». Qu’il s’agisse de déplorer l’absence de statistiques fiables sur leur confession (« Une statistique… », 1913), de recenser les fidèles (Zurlo, 2017; Rabin, 2017) ou au contraire de s’opposer à l’inclusion d’une question sur la religion dans les recensements (Good, 1959), de recenser des discriminations anti-religieuses, de commander des sondages sur les opinions des fidèles (Zumsteeg, Gallard, 2017), des enquêtes internes chiffrées sur le clergé (Malzac, 2018) ou sur les lieux de culte (Bagby, 2001), les acteurs religieux ne sont en effet pas seulement objets de quantification, ils peuvent aussi en être producteurs ou co-producteurs.

Ce déplacement du regard – du « quanti » comme méthode scientifique au « quanti » comme pratique et comme objet d’étude – s’inscrit dans le développement actuel de l’histoire et de la sociologie de la quantification. Ce champ a été ouvert par les travaux d’histoire des statistiques, qui, allant au-delà d’une analyse réflexive sur la construction historique et sociale des catégories statistiques, ont exploré les conditions sociales de généralisation du raisonnement statistique ou de la pensée probabiliste (Porter, 1986; Gigerenzer, Swijtink, Porter, Daston, 1990; Desrosières, 1993; Prévost, Beaud, 2000), et leur lien avec des transformations tant des modes de gouvernement que de la vie quotidienne. En France, les travaux pionniers d’Alain Desrosières ont ouvert récemment tout un champ de recherche sur les usages sociaux des statistiques, à la croisée du politique et du savoir (Bruno, Didier, 2015; Bruno, Didier, Prévieux, 2015) : usages par l’État et les administrations publiques en premier lieu (Penissat, 2007), mais aussi par les syndicats et les mouvements sociaux (Penissat, 2009; Mathieu, 2012). Dans cette perspective, la quantification est analysée comme un ensemble de pratiques sociales affectant la construction de soi, qu’il s’agisse d’identités collectives (Urla, 1993; Schor, 2005), ou individuelles, autour des pratiques de « quantified self » ou d’« auto-mesure » (Pharabod, Nikolski, Granjon, 2013; Lupton, 2016).

Partant du constat de l’absence des univers religieux dans ces travaux, cet appel interdisciplinaire vise à susciter des contributions portant sur les usages religieux de la quantification, en variant autant que possible les contextes historiques, religieux et géographiques. Si la focale est portée dans ce dossier sur les statistiques, la quantification pourra aussi être entendue en un sens plus large, englobant d’autres pratiques de mesure et de comptabilité.

Que compte-t-on, et que ne compte-t-on pas, dans les mondes religieux ? Comment les institutions religieuses utilisent-elles, commentent-elles ou contestent-elles les « chiffres » ? Y a-t-il des manières de compter, et des manières de résister à la quantification, spécifiquement religieuses ? Quand institutions religieuses ou pratiquant·e·s recourent à des techniques de quantification de leur pratique, cela doit-il être interprété comme une forme de sécularisation interne, ou cela répond-t-il à des logiques internes au religieux ? Plusieurs axes de recherche pourront être explorés :

1) Techniques de quantification et gouvernement des institutions religieuses

Dans la ligne des travaux ayant interrogé les statistiques comme mode de gouvernementalité, le regard pourra être porté sur les autorités religieuses, en documentant par exemple des cas où des institutions ou organisations religieuses commandent des enquêtes à des instituts de sondages ou à des chercheurs, ou bien organisent en interne la collecte de données sur leur public ou sur leur personnel. Comment le recours à l’enquête statistique s’inscrit-elle alors dans des politiques de l’institution en matière de prosélytisme, de réforme, de gestion des ressources humaines, de prévention ou répression de déviances internes… ? Au sein de l’institution religieuse, quels sont les acteurs qui demandent, ou au contraire contestent, que l’institution « compte » ? Quelles organisations religieuses se dotent (et quand) d’outils pour exploiter statistiquement les registres de l’institution (par exemple concernant les cérémonies de passage, ou les fréquentations de sites de pèlerinage) ? Cela pourra être l’occasion d’éclairer le fonctionnement interne de ces organisations particulières (Demerath, Hall, Schmitt, Williams, 1998).

2) Quels statactivismes religieux ? Luttes religieuses avec ou contre les nombres

La notion de statactivisme a été forgée récemment pour décrire le fait de « lutter avec des nombres » (Bruno, Didier, Prévieux, 2015). Les contributions pourront analyser les cas où les nombres sont mobilisés pour défendre un groupe religieux dans les débats publics, qu’il s’agisse de se compter et de démontrer par les nombres la force d’un groupe avec lequel il faudrait compter politiquement, de montrer l’adhésion d’une population à des valeurs religieuses, ou de lutter contre des stéréotypes à l’égard d’une minorité religieuse (Hart, 2000; Soffer, 2004). On pourra également revenir sur les positions adoptées par les acteurs religieux dans les débats publics sur l’inclusion de questions sur la confession dans les recensements et dans les enquêtes de statistique publique (Good, 1959; Weller, 2004; Howard, Hopkins, 2005).

Les articles pourront également s’intéresser à l’usage des enquêtes statistiques dans les débats et conflits internes aux organisations religieuses, ou entre courants religieux. Dans le cas du judaïsme aux États-Unis, les données statistiques sur les taux de « mariages mixtes » ont ainsi largement alimenté les débats sur le bien-fondé respectif des différents courants au sein du judaïsme en matière de contribution à la limitation du déclin démographique (Berman, 2008).

On pourra s’interroger également sur la place des argumentaires et des acteurs religieux dans les luttes contre la quantification.

3) La réception religieuse des enquêtes quantitatives

En lien avec la vocation méthodologique de la revue, ainsi qu’avec les réflexions contemporaines sur les enjeux éthiques, politiques et scientifiques des relations entre les chercheurs et les sujets de leurs travaux, des contributions pourront aussi proposer un retour réflexif sur la manière dont les travaux des sociologues ou des démographes peuvent être commentés, utilisés, parfois contestés par les acteurs religieux qu’ils étudient.

Il pourra s’agir de réflexions portant sur l’aval des statistiques, c'est-à-dire sur la réception des résultats une fois diffusés. Dans la presse, notamment confessionnelle, mais aussi dans d’autres arènes (réseaux sociaux, débats publics), on pourra documenter la manière dont les chiffres sont utilisés (ou contestés) stratégiquement dans le cadre de débats sur ou au sein du monde religieux.

Les travaux pourront aussi explorer l’amont des statistiques, du côté de leur production, par exemple dans les cas où des chercheurs « négocient » avec une organisation religieuse l’accès au public visé par l’enquête, ainsi que dans les cas où une organisation religieuse sollicite l’expertise de chercheurs pour piloter ou analyser des données d’enquête.

4) La religion dans la circulation des techniques et des savoirs statistiques

La comparaison et la circulation des techniques de quantification entre les institutions religieuses et d’autres institutions, notamment publiques, pourra ainsi faire l’objet de contributions. Par exemple les institutions religieuses ont-elles des préférences spécifiques entre données de type « registre » (les annuaires, les compilations), et données de type « enquête », (Desrosières, 2005) ? Au sein d’une même religion, y a-t-il des variations suivant les contextes nationaux, les traditions en matière de statistique étant fortement variables suivant les États ? Les contributions pourront aussi s’interroger sur l’existence de chronologies ou de logiques décalées par rapport à ce qui a pu être documenté par ailleurs, par exemple concernant l’adoption de la logique probabiliste des échantillons (cf. caractère plus tardif de la « révolution probabiliste » en France qu’en Angleterre), ou la diffusion des sondages (Blondiaux, 1998). Si le rôle d’acteurs chrétiens est connu dans la tradition des « social surveys » (Bulmer, Bales, Sklar, 1991 ; Bateman, 2001 ; pour le catholicisme en France voir Cuchet, 2013 ; Chatelan, Pelletier, Warren, 2017), on pourra aussi le replacer dans l’histoire interne des églises et non pas seulement dans l’histoire des sciences sociales.

5) Comptabilités personnelles de la piété

Enfin, dans la lignée des travaux sur le « quantified self », les contributions pourront s’intéresser aux pratiques de comptage et de quantification dans le quotidien de la pratique religieuse, et dans les pratiques de subjectivation religieuse. La généralisation des pratiques de quantification du quotidien (applis de téléphone mobile notamment) est parfois vue comme un nouveau mode de projet d’amélioration de soi qui prendrait le relais des normes religieuses. Mais on peut aussi se demander dans quelle mesure des pratiques religieuses comme l’examen de conscience en vue de la confession (compter ses péchés) dans le catholicisme, ou la compensation des jours non jeûnés dans l’islam, ont pu devancer ou favoriser un goût pour des pratiques de mesure de soi, plus ou moins standardisées et quantifiées.

Modalités de soumission

Sont attendues pour le 6 janvier 2020

des propositions de contributions d’une à deux pages, précisant le matériau empirique. Les propositions retenues feront l’objet d’une présentation en atelier en 2020 à Paris (sous réserve), avant publication dans la revue en 2021.

La sélection des propositions ne vaut pas acceptation définitive : les articles une fois soumis seront évalués selon le processus de relecture habituel de la revue.

La revue accueille des articles en français, anglais ou espagnol, d’un format de 55 000 signes maximum.

Contact assr@ehess.fr

Comité de rédaction

Céline Béraud, Philippe Boutry, Stefania Capone, Catherine Clémentin-Ojha, Rémy Delage, Vincent Delecroix, Stéphane Dudoignon, Pierre Antoine Fabre, Yannick Fer, Vincent Goossaert, Frédéric Gugelot, Rita Hermon-Belot, Dominique Iogna-Prat, Anne-Sophie Lamine, Pierre Lassave, Nathalie Luca, Catherine Mayeur-Jaouen, Sabrina Mervin, Nabil Mouline, Alexandre Papas, Thomas Pierret, Christophe Pons, Philippe Portier, Blandine Ripert, Kathy Rousselet, Isabelle Saint-Martin, Sébastien Tank-Storper

Conseil scientifique

Salvatore Abbruzzese (Italie), Alexandre Agadjanian (Russie), Valérie Amiraux (Canada), Daniel Barbu (Suisse), Jean Baubérot, François Bœspflug, William Christian (États-Unis), Jacques Ehrenfreund (Suisse), Bernard Faure (États-Unis), Philippe Gonzalez (Suisse), Philip Gorski (États-Unis), Mar Griera (Espagne), Roberte Hamayon, Danièle Hervieu-Leger, Gabor Klaniczay (Hongrie), Vasilios Makrides (Allemagne), Ruth Marshall (Canada), Antonio Matos Ferreira (Portugal), Martin Meunier (Canada), Micheline Milot (Canada), Enzo Pace (Italie), Alfonso Pérez-Agote (Espagne), Paulo Pinto (Brésil), Monika Salzbrunn (Suisse), Simona Taliani (Italie), Galia Valtchinova, Cécile Vanderpelen (Belgique), Daniel Vidal, Jean-Paul Willaime

Bibliographie

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Bagby Ihsan, 2001, The Mosque in America: A National Portrait, a report from the Mosque Study Project, Washington, D.C., Council on American-Islamic Relations.

Berman Lila Corwin, 2008, « Sociology, Jews, and Intermarriage in Twentieth-Century America », Jewish Social Studies, 14, 2, p. 3260.

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Chatelan Olivier, Pelletier Denis, Warren Jean-Philippe (dir.), 2017, « Sociologies catholiques », Archives de sciences sociales des religions, 179, octobre-décembre, p. 15-191.

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Zumsteeg Stéphane, Gallard Mathieu, 2017, Enquête auprès des protestants. Préparée pour Réforme et la Fédération protestante de France, IPSOS.

Zurlo Gina, 2017, “A miracle from Nairobi”: David B. Barrett and the quantification of world Christianity, 1957–1982, thèse de doctorat, Boston, Boston University.

Categorías


Fecha(s)

  • lunes 06 de enero de 2020

Palabras claves

  • quantification, religion, gouvernementalité, statactivisme, statactivism, governmentality, quantified self

Fuente de la información

  • Mattia Gallo
    courriel : mattia [dot] gallo [at] ehess [dot] fr

Licencia

CC0-1.0 Este anuncio está sujeto a la licencia Creative Commons CC0 1.0 Universal.

Para citar este anuncio

« Usages religieux de la quantification », Convocatoria de ponencias, Calenda, Publicado el miércoles 02 de octubre de 2019, https://doi.org/10.58079/13ie

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