HomeTrajectoires et mobilités de genre

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Published on Wednesday, June 15, 2022

Summary

Cette journée d’étude propose de déplacer le regard des recherches sur la mobilité sociale : elle prend pour objet les trajectoires individuelles dans un espace du genre plus que des classes sociales. Partant de l’hétérogénéité que masquent les catégories « homme » et « femme » et de la coexistence de différents styles de masculinités et de féminités, elle invite à repérer, à caractériser et à problématiser les déplacements que peuvent connaître des individus entre des positions plurielles au sein des rapports de genre. Comment penser l’existence de mobilités sociales de genre ? Quelles en sont les modalités, mais aussi les conditions de déploiement, de perception et de reconnaissance ? Comment analyser leurs imbrications avec les positions et trajectoires au sein d’autres rapports sociaux ? Au croisement des recherches sur la mobilité sociale et sur le genre, la journée invite donc à penser des trajectoires de genre ainsi que les appropriations de mobilités de genre, dans une perspective attentive à l’imbrication des différents rapports de pouvoir.

Announcement

Argumentaire

En définissant a minima une mobilité sociale par un changement de position sociale et/ou par un déplacement dans un espace social donné, penser en termes de mobilités de genre permet de dépasser un questionnement en termes de degré de conformité à un ordre du genre polarisé. Si le genre est un rapport social de domination, un système qui repose sur la différenciation et la hiérarchisation de deux groupes (hommes/femmes) et des valeurs qui leur sont associées (masculin/féminin), il ne se déploie pas de manière uniforme dans tous les groupes sociaux. De nombreux travaux ont bien montré l’hétérogénéité que cachent les catégories « hommes » et « femmes » mais aussi la pluralité des normes et pratiques constitutives de différents « styles » (Avril 2014) de masculinité et de féminité. Cette approche permet par exemple de comprendre que la féminité bourgeoise étatsunienne du XIXe siècle s’est moins construite en opposition à la masculinité qu’à la féminité des servantes noires (Dorlin 2006). L’approche des classes sociales en termes d’« espace social » (Bourdieu 1979) a permis de dépasser une opposition binaire entre deux classes uniques (prolétaires vs. bourgeois), au profit d’une conception par pôles multidimensionnels entre lesquels différents déplacements peuvent se déployer. De même, penser le genre en termes de mobilités permet d’envisager que les positions des individus dans ce rapport social sont composites, relationnelles et possiblement fluctuantes (Beaubatie 2021b) au cours de la vie.

Les mobilités de genre consistent dès lors en des déplacements entre différentes positions de genre qui ne se limitent pas aux deux groupes de sexe « hommes » et « femmes », parce qu’elles peuvent ne correspondre à aucun, mais aussi parce qu’à chacune de ces deux catégories correspondent en pratique une diversité de positions. C’est bien ce que soulignaient déjà, dès le début des années 1980, Monique Wittig (1980) en affirmant que « les lesbiennes ne sont pas des femmes » mais aussi bell hooks (1981) en demandant, en tant que femme noire, « ne suis-je pas une femme ? » À ces positions distinctes correspondent des pratiques, des normes et des représentations spécifiques, toujours inscrites dans un contexte socio-historique, politique et géographique donné (voir par exemple Oyěwùmí 2002 sur l’eurocentrisme de la catégorie « femme »). Autrement dit, comme différents « styles de vie » permettent de délimiter des groupes au sein de l’espace des classes sociales, des styles de masculinité et de féminité pluriels pourraient également permettre d’identifier différents groupes dans les rapports de genre. Les positions des un·e·s et des autres étant ainsi associées à des systèmes normatifs composites et pluriels incorporés au fil des socialisations, on peut penser des trajectoires individuelles en dehors de l’opposition entre rapports conformes et transgressifs à l’ordre du genre.

En France, l’idée qu’il existerait des mobilités « de genre » ou « de sexe » apparaît néanmoins d’abord dans des recherches sur les contours des transgressions voire « inversions » (Kergoat et al. 2008) du genre opérées par les femmes exerçant des professions masculines (Daune-Richard et Devreux, 1992 ; Daune-Richard et Marry, 1990). En 2020, Elsa Favier prolonge les intuitions de ces travaux pionniers en montrant que les femmes énarques peuvent connaître une « mobilité de genre » quand bien même elles apparaissent immobiles selon les indicateurs classiques de la mobilité dite « sociale ». À un niveau intragénérationnel d’abord, quelques-unes peuvent passer d’une profession certes supérieure mais féminisée (enseignante) à une profession non seulement supérieure mais construite comme masculine (énarque). À un niveau intergénérationnel ensuite, ces femmes se rapprochent plus de la position de leur père que de leur mère, souvent éloignée de l’emploi ou exerçant des professions féminisées. Elsa Favier propose de caractériser des « positions de genre » selon leurs situations professionnelle, mais aussi conjugale : pour ces femmes, le fait d’occuper une profession masculinisée, mais aussi de déroger à la norme du couple hétérosexuel avec hypergamie peut constituer une « mobilité de genre » « tout[e] aussi significati[ve] qu’un déplacement dans l’échelle des catégories socioprofessionnelles ou des classes sociales » (Favier 2020, p. 154).

Sur un tout autre terrain, Emmanuel Beaubatie (2021a) propose de concevoir les personnes trans’ comme des « transfuges de sexe » connaissant une mobilité dans un « espace social du genre » tout aussi multidimensionnel que l’espace des classes sociales. À la suite de Kristen Schilt (2010) qui envisage pour la première fois les transitions FtMs[1] comme des mobilités de genre, il conçoit les parcours de transition comme des trajectoires d’ascension ou de déclassement de genre. Il met en évidence que ces mobilités peuvent présenter une diversité de nature et d’amplitude, les « positions de genre » n’étant ni bi-catégorielles ni uni-dimensionnelles. Il montre que, loin de se limiter à une question d’identité, les transitions constituent des mobilités de genre se caractérisant par une articulation de socialisations par ailleurs situées dans les autres rapports sociaux. Cette recherche l’amène à penser l’existence de mobilités « plus discrètes » dans l’espace social du genre, au-delà du cas des transitions (Beaubatie 2021b). Avec des enquêtes auprès de groupes différents, ces deux thèses proposent ainsi de mettre en évidence l’existence de mobilités de genre ou dans l’espace du genre.

On le voit, ces déplacements peuvent apparaître à un niveau intragénérationnel – dans les parcours individuels – et/ou intergénérationnel – par rapport aux positions et trajectoires de proches des générations précédentes (souvent, mais pas exclusivement, les parents). Les mobilités sociales ont en outre « deux faces objective/subjective » (Duru-Bellat et Kieffer 2006) : ce sont autant les pratiques que la perception qu’ont les individus de leurs trajectoires dans le système du genre qui peuvent révéler des formes de mobilités de genre. Ces déplacements peuvent être d’une amplitude variable : sans se limiter aux mobilités les plus nettes et/ou verticales, la journée d’études invite à repérer, à caractériser et à questionner les formes les plus ordinaires, limitées et instables des mobilités « en train de se faire » (Pagis et Pasquali 2016). Si elles peuvent reposer sur une transgression de l’ordre du genre, elles ne concernent pas seulement ces parcours. Surtout, la journée d’études invite à sortir d’une analyse en termes de conformité et de déviance à des injonctions dominantes, au profit d’une analyse située des normes et pratiques propres à chaque groupe. On sait par exemple que l’injonction à la maternité, certes transversale, ne s’exerce pas de la même manière sur toutes les femmes qui se l’approprient aussi différemment, notamment selon leur position dans les rapports d’âge, de classe, ou de race (voir Cardi et al. 2016 pour une synthèse). En effet, le genre étant toujours imbriqué avec d’autres rapports de pouvoir, toute réflexion sur les mobilités de genre doit penser la manière dont elles s’articulent avec les positions et trajectoires au sein d’autres rapports sociaux.

Cette journée d’études vise à réunir les chercheur·euse·s en sciences sociales (sociologie, science politique, histoire, anthropologie) qui aimeraient (re)lire leurs matériaux d’enquêtes sous l’angle des déplacements, des trajectoires ou des mobilités de genre. À rebours d’une conception fixiste considérant que les individus habiteraient la même position dans les rapports de genre tout au long de leur vie, envisager l’existence de mobilités de genre permet en effet de penser la pluralité des positions que peuvent occuper les individus à la fois au fil de leurs propres parcours et vis-à-vis de générations antérieures. Comment saisir empiriquement et caractériser des mobilités sociales de genre ? À quelles conditions des aménagements ou des reconfigurations de sa place dans les rapports de genre peuvent constituer des mobilités ? Comment penser leurs imbrications avec les positions et les trajectoires dans d’autres rapports sociaux ? Comment ces mobilités sont-elles perçues, appropriées et négociées par les individus ? Comment les socialisations de genre, en particulier secondaires, s’articulent-elles aux autres socialisations dans ces mouvements ?

Nous proposons d’aborder ces questions autour de deux axes, qui invitent à interroger les conditions, modalités et conséquences de mobilités qui accompagneraient des mobilités dans d’autres rapports sociaux (axe 1) et/ou d’expériences marquées par le genre (axe 2). Les propositions théoriques et méthodologiques sont également les bienvenues. D’un point de vue théorique, on pourra par exemple interroger, sur la base de matériaux empiriques, les conditions d’emploi de différents concepts : « trajectoires », « déplacements », « mobilités », « espace du genre ». D’un point de vue méthodologique, on pourra réfléchir aux moyens d’objectiver ces mobilités : quels indicateurs statistiques pourraient être mobilisés et/ou construits pour objectiver de tels mouvements ? Comment saisir ces mobilités de manière qualitative et, notamment, ethnographique ?

Axe 1 : Des produits de mobilités dans d’autres espaces et rapports sociaux ?

Ce premier axe invite à aborder ces trajectoires en entrant par les déplacements dans d’autres rapports de pouvoir : il propose d’envisager les mobilités de genre comme de possibles résultats de mobilités dans d’autres espaces sociaux. Qu’est-ce qu’un déclassement, une mobilité géographique, une maladie ou encore un vieillissement peuvent faire à la position des individus dans les rapports de genre, mais aussi à la manière dont ceux- et celles-ci l’habitent et se la représentent ? Cet axe invite donc à (re)lire les trajectoires dans différents rapports de pouvoir en termes de possibles mobilités dans un espace social du genre, que celles-ci se déploient à un niveau intra- ou intergénérationnel.

Les communications pourront d’abord chercher à identifier les conditions, modalités et conséquences de mobilités de genre qui accompagneraient des trajectoires de déplacement dans l’espace des classes sociales. Il ne s’agit pas tant d’interroger le genre des mobilités de classe, c’est-à-dire comment la position dans les rapports de genre détermine les possibilités et les modalités de mobilités dans d’autres rapports sociaux, comme le proposent par exemple Rose-Marie Lagrave (2021) pour les transfuges de classe et Stéphanie Guyon (2016) au croisement des relations postcoloniales, de classe et générationnelles. Nous invitons plutôt à penser ce qu’une mobilité (ascendante, descendante, horizontale) dans les rapports sociaux de classe peut faire aux positions et aux trajectoires dans les rapports de genre et à leurs appropriations (voir par exemple Trachman et Lejbowicz 2018).

Les communications pourront également proposer d’analyser les mobilités territoriales (internationales, intranationales ou ultramarines, temporaires ou durables) comme de potentiels vecteurs de mobilités de genre. En tant qu’expériences socialisatrices qui peuvent confronter à des systèmes de normes et à des assignations différentes, comment les mobilités géographiques peuvent-elles (re)modeler les positions des individus dans l’espace du genre ainsi que la manière dont ils et elles se les représentent ? On pourra par exemple interroger les implications sur les positions de genre des mobilités géographiques courtes (études, expériences professionnelles, etc.) et/ou des déplacements entre espaces ruraux et urbains (Amsellem-Mainguy 2021, Giraud 2014, Miramond 2022). On pourra aussi s’intéresser, en particulier en contexte colonial et/ou postcolonial, aux manières d’habiter les catégories sociales de sexe entre les générations, mais aussi au fil des parcours migratoires individuels (Schmoll 2020, Le Renard 2014, Cosquer et al. 2022) ainsi qu’aux appropriations des discours et dispositifs fémo-nationalistes (Farris 2017) par les personnes qu’ils ciblent.

Les propositions cherchant à analyser les conditions et modalités d’une mobilité de genre consécutive à une transformation significative du rapport à la religion sont également les bienvenues. En se gardant de présupposer une association mécanique entre religion et patriarcat (Mahmood 2009), comment une prise de distance vis-à-vis d’une socialisation religieuse ou, à l’inverse, une conversion religieuse (Brun et Galonnier 2016, Matri 2022), peuvent-elles transformer le positionnement des personnes dans les rapports de genre, leurs manières de les habiter et de se les représenter ? Au croisement de la sexualité et de la religion, on pourra s’inspirer des recherches sur les processus de subjectivation de femmes lesbiennes musulmanes (Amari 2012) ou de prêtres catholiques gays (Tricou 2021) : comment les risques associés au coming-out sont-ils négociés par des personnes dont les styles de féminité et de masculinité sont déjà sujets, en raison de l’imbrication de la religion et de la sexualité, au déclassement ? Autrement dit, on pourra interroger les pratiques par lesquelles les personnes déjà exposées à un déclassement dans l’espace du genre le négocient et cherchent à s’en prémunir.

En concevant la sexualité non pas uniquement comme ensemble de pratiques mais en tant que rapport de pouvoir, on pourra aussi interroger le lien entre trajectoires sexuelles et trajectoires de genre. On sait notamment que les couples de femmes sont marqués par une moindre division du travail domestique, parental et salarié (Dunne 1996), mais aussi que devenir lesbienne « sur le tard » implique un processus de « déshétérosexualisation » (Chetcuti-Osorovitz 2010), éloignant ainsi des femmes lesbiennes des normes de féminité dominantes et des inégalités qu’elles produisent, mais les exposant aussi à des injonctions contradictoires (Chamberland et Théroux-Séguin 2009). Dès lors, une trajectoire sexuelle marquée par des écarts à l’hétérosexualité peut-elle éclairer des processus de mobilité dans l’espace du genre ? Quelles en sont les conséquences ? Si l’homosexualité peut éloigner les hommes gays des formes les plus hégémoniques de masculinité, on sait aussi qu’elle n’empêche pas ces derniers de concourir à la reproduction du patriarcat (Demetriou 2015 [2001]). Ainsi, en quoi les conséquences de ces mobilités de genre peuvent-elles être socialement différenciées, c’est-à-dire distinctes selon la position occupée dans différents rapports sociaux (genre, classe, race, âge, sexualité, etc.) ?

C’est également l’avancée en âge – profondément différenciée par le genre (Rennes 2021) – qui pourra être questionnée au prisme de leurs implications en termes de mobilités de genre. Comment les trajectoires dans les rapports d’âge peuvent-elles impliquer des transformations des positions de genre et des représentations que s’en font les personnes ? On pourra par exemple évoquer comment des hommes ayant longtemps bénéficié d’importantes ressources sociales peuvent s’éloigner des normes dominantes de masculinité en raison du vieillissement. Si les dispositifs d’enquêtes longitudinales restent rares, on pourra se saisir de ces questionnements à partir d’enquêtes réalisées à des âges ou étapes clés, comme l’entrée dans la sexualité et la conjugalité (Clair 2008), les premières règles (Mardon 2009), la décohabitation, la retraite ou encore le placement en établissement spécialisé dans l’hébergement des personnes âgées.

Enfin, les recherches de sciences sociales attentives aux aspects genrés du handicap (Brasseur 2021) qui cherchent à penser les trajectoires individuelles en la matière en relation avec les mobilités dans le genre seront particulièrement les bienvenues. Qu’elles soient temporaires ou durables, cadrées en termes de santé physique et/ou mentale, que font les expériences de handicap, de maladie ou d’invalidité aux positions des un·e·s et des autres dans le genre et aux styles de masculinité et de féminité (Garland-Thomson 2005, Dufour 2013, Braverman 2019) qui y sont associés ? Autrement dit, comment peuvent-elles modifier la manière dont des personnes éloignées de la norme valide habitent ces positions de genre et se les représentent ?

Axe 2 : Des produits de (re)négociations du genre ?

Ce second axe propose d’envisager des moments et expériences structurées par le genre comme des fenêtres d’observation privilégiée des trajectoires, déplacements et mobilités de genre, à l’échelle des parcours individuels mais aussi en rapport avec ceux de générations antérieures. Si ces expériences – en tant qu’elles sont socialisatrices – peuvent amener les individus à (re)négocier les normes et injonctions qui y sont associées, à quelles conditions peuvent-elles engendrer des mobilités de genre ? Qu’advient-il des styles de masculinité et de féminité dans ces trajectoires ? Comment ces déplacements peuvent-ils se déployer, et avec quelles conséquences (au regard du genre, mais aussi d’autres rapports sociaux) ?

D’abord, comment les parcours des personnes trans’ (Beaubatie 2021a) ou intersexes (Guillot 2008), peuvent-ils constituer des mobilités de genre ? Quelles en sont les conditions d’existence et de reconnaissance ? En quoi les expériences LGBTQI+ ont-elles pu permettre d’initier des réflexions sur les mobilités de genre et comment transcrire ces réflexions en population générale ? Comment ces mobilités se déclinent-elles selon la position dans d’autres rapports sociaux (notamment de classe, de race, d’âge, de sexualité) ?

On peut ensuite envisager l’entrée dans la parentalité comme une expérience susceptible de transformer les pratiques, les représentations et les positions des individus dans les rapports de genre : quelles formes de déplacements peuvent en découler ? Des femmes qui refusent d’avoir des enfants (Debest 2014), qui ont des enfants dans un contexte lesboparental (Frémont 2018) ou encore qui se séparent de leurs conjoints pour les élever dans un foyer monoparental (Réguer-Petit 2016) peuvent développer des formes d’autonomie et adopter des pratiques de résistance vis-à-vis de la domination masculine. À l’inverse, des pères séparés en perte de pouvoir vis-à-vis de leurs ex-conjointes peuvent se mobiliser pour dénoncer ce qu’ils vivent comme des injustices qui seraient faites aux hommes (Leport 2022, Fillod-Chabaud 2022). Qu’est-ce qu’une lecture de ces configurations en termes d’« ascension », de « déclassement » ou de "mobilité » pourrait apporter à l’analyse de ces parentalités ?

Dans le cadre conjugal, on pourra également se demander si, au sein de couples homme-femme, déroger à la norme d’hypergamie féminine (Guichard-Claudic et Testenoire 2014, Favier 2020) ou de division sexuée du travail domestique et parental (Chatot 2016) peut avoir des conséquences plus durables sur la position de l’un·e et de l’autre dans les rapports de genre, et sur les manières dont celle-ci est aménagée. Que peuvent produire l’entrée dans la conjugalité, dans l’exclusivité, dans une relation de couple cohabitante sur les trajectoires de genre ? Au contraire, on sait que des expériences comme les séparations conjugales, autant marquées par les inégalités de genre, peuvent exposer les femmes à davantage de difficultés matérielles mais aussi accroître leur autonomie financière (Bessière et Gollac 2020). Dès lors, comment l’expérience du célibat, d’une conjugalité non-cohabitante, non-hétérosexuelle et/ou non-exclusive (Lerch 2002, Masclet 2022) peut modifier les assignations, les pratiques et les représentations de la position de chacun·e vis-à-vis du système de genre ?

Dans d’autres sphères de vie et à partir d’enquêtes sur des terrains très variés, plusieurs recherches ont montré comment, dans et hors militantisme, des espaces d’entre-soi féminin peuvent contribuer à la fois à la reproduction et à des formes de résistance à la domination de genre. On peut par exemple penser aux échanges entre femmes lors de réunions Tupperware (Achin et Naudier 2009), de groupes d’allaitement où sont renégociées les normes transmises par la famille (Merrill 1987), ou encore à la sexualité de femmes incarcérées (Joël 2017). Ces expériences au sein d’espaces non-mixtes (François et al. 2021) sont-elles susceptibles d’avoir un impact sur les trajectoires de genre ?

Dans des contextes mixtes au contraire, on sait que des parcours « atypiques » dans des études (Daune-Richard et Marry 1990, Flamigni et Pfister Giauque 2014, Lamamra 2016), carrières professionnelles (Le Feuvre et Guillaume 2007, Pruvost 2008, Boni-Le Goff 2015, Favier 2020) ou sportives (Mennesson 2005) ne correspondant pas aux assignations de genre impliquent un aménagement de sa position dans les rapports de genre. Dans quelle mesure peut-on analyser ces trajectoires comme des mobilités de genre ? Comment sont-elles négociées ? Quelles en sont les modalités, les coûts et conséquences, notamment au sein d’autres espaces sociaux ?

Enfin, comment les trajectoires d’engagement féministe, chez les militantes (Masclet 2017) comme chez les militants (Jacquemart 2015), peuvent-elles participer d’une mobilité de genre, notamment à un niveau intergénérationnel ? Si ces expériences sont davantage susceptibles de produire des déplacements pour les personnes qui les vivent, elles peuvent également avoir des effets sur leurs proches (Masclet 2015). Les communications qui chercheraient à interroger les éventuelles influences d’expériences (y compris non-militantes) vécues par leur entourage sur les trajectoires de genre des personnes enquêtées sont donc les bienvenues.

Modalités de soumission

Cet événement se tiendra les 16 et 17 novembre 2022 à l’Université Paris-Dauphine, Place du Maréchal de Lattre de Tassigny (Paris).

Les propositions de communication sont à envoyer  aux trois organisatrices : beatrice.bouillon-minois@dauphine.psl.eu, laurine.chassagne@dauphine.psl.eu, mathilde.guellier@dauphine.psl.eu.

au plus tard le lundi 11 juillet 2022

Elles devront d’abord mentionner les pronom, nom et prénom, statut, institution de rattachement et adresse mail des communicant·es. En un maximum de 3500 signes (espaces compris), elles devront ensuite comporter un titre, une présentation des matériaux mobilisés et un résumé des enjeux qui seront abordés dans la communication.

La sélection des propositions retenues sera communiquée dans les semaines qui suivront. Afin de faciliter la préparation des sessions, une version écrite des communications (env. 15 minutes) devra être envoyée aux discutant·es et membres du comité d’organisation avant le mercredi 26 octobre.

La participation d’étudiant·es, de doctorant·es et de docteur·es sans poste est particulièrement encouragée. Elle pourra être accompagnée d’aides financières, dans la limite du budget alloué.

Comité scientifique

  • Achin Catherine, professeure des universités, science politique, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Beaubatie Emmanuel, chargé de recherche, sociologie, CESSP (CNRS)
  • Bessière Céline, professeure des universités, sociologie, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Bouillon Béatrice, doctorante, sociologie, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Brun Solène, postdoctorante, sociologie, Institut Convergences Migrations & OSC (Sciences Po)
  • Chassagne Laurine, doctorante, science politique, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Favier Elsa, postdoctorante, sociologie, Centre d’études de l’emploi et du travail (CNAM) & CMH (ENS-EHESS)
  • Guellier Mathilde, doctorante, science politique, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Jacquemart Alban, maître de conférences, science politique, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Landour Julie, maîtresse de conférences, sociologie, IRISSO (Paris-Dauphine * PSL)
  • Masclet Camille, chargée de recherche, science politique, CESSP (CNRS)

Références bibliographiques

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Notes

[1] Les personnes trans « FtM » (female to male) sont des hommes transgenres, qui ont été assignés au sexe féminin à leur naissance.

Places

  • Université Paris-Dauphine - Place du Maréchal de Lattre de Tassigny
    Paris, France (75016)

Event format

Full on-site event


Date(s)

  • Monday, July 11, 2022

Keywords

  • genre, mobilité sociale, trajectoire, parcours biographique, socialisation, style, masculinité, féminité, intersectionnalité

Contact(s)

  • Béatrice Bouillon
    courriel : beatrice [dot] bouillon-minois [at] dauphine [dot] psl [dot] eu
  • Laurine Chassagne
    courriel : laurine [dot] chassagne [at] dauphine [dot] psl [dot] eu
  • Mathilde Guellier
    courriel : mathilde [dot] guellier [at] dauphine [dot] psl [dot] eu

Information source

  • Béatrice Bouillon
    courriel : beatrice [dot] bouillon-minois [at] dauphine [dot] psl [dot] eu

License

CC0-1.0 This announcement is licensed under the terms of Creative Commons CC0 1.0 Universal.

To cite this announcement

« Trajectoires et mobilités de genre », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, June 15, 2022, https://calenda.org/1001390

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