AccueilQuelles géographies du travail ?

AccueilQuelles géographies du travail ?

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Publié le mercredi 15 juin 2022

Résumé

Ce dossier part d’un constat qui prend la forme d’un paradoxe. D’un côté, le travail est absolument central dans nos socialisations, nos expériences vécues, nos positions sociales ou statuts sociaux, comme dans le fonctionnement des économies, les politiques publiques, les enjeux et discours politiques et médiatiques, la structuration de nos mondes sociaux, mais aussi dans nos rapports avec les non-humains, la nature ou l’environnement. D’un autre côté, force est de constater que l’histoire de la géographie du travail francophone a tout d’une histoire « en pointillé ». Dans ce contexte, l’objectif de cet appel est de montrer tout l’intérêt d’une analyse de la dimension spatiale du travail dans toutes ses facettes, en faisant appel à la géographie mais aussi aux autres sciences sociales.

Annonce

Coordination du numéro

  • Amandine Chapuis, ACP ;
  • Jean Estebanez, Lab’Urba ;
  • Fabrice Ripoll, Lab’Urba.

Argumentaire

Ce dossier part d’un constat qui prend la forme d’un paradoxe. D’un côté, le travail est absolument central dans nos socialisations, nos expériences vécues, nos positions sociales ou statuts sociaux, comme dans le fonctionnement des économies, les politiques publiques, les enjeux et discours politiques et médiatiques, la structuration de nos mondes sociaux, mais aussi dans nos rapports avec les non-humains, la nature ou l’environnement. D’un autre côté, même quand on adopte une focale temporelle assez large, force est de constater que peu de travaux s’y intéressent de façon centrale et explicite et que l’histoire de la géographie du travail francophone a tout d’une histoire « en pointillé » ‒ elle semble à certains moments émerger, mais pour être invisibilisée peu de temps après ‒ alors que s’est développée dans le monde anglophone une geography of labor (Castree et al., 2004 ; Mcgrath, Herod, Rainnie, 2010) et même une labor geography telle que proposée par Andrew Herod (1998, 2001, 2018).

L’objectif de cet appel est de montrer tout l’intérêt d’une analyse de la dimension spatiale du travail dans toutes ses facettes. Il s’agit à la fois de rendre visibles des travaux et réflexions qui se sont manifestés récemment, à travers des livres (Zeneidi, 2013 ; Souchaud, 2019 ; Thémines, Le Guern, 2020 ; Arab, 2018), des dossiers de revue (Benedetto-Myer et Cihuelo, 2016 ; Schmoll et Weber, 2021) ou même des thèses (Filhol, 2020), d’en susciter de nouveaux, de les faire entrer en dialogue les uns avec les autres, ainsi qu’avec des travaux plus anciens (voire classiques, comme ceux de Renée Rochefort, 1961), francophones ou non, en géographie comme dans d’autres disciplines où le travail est un objet de longue date (comme l’histoire et la sociologie). Il s’agit donc d’ouvrir des discussions sur la portée d’une approche du travail en géographie (sociale ou non), sans nécessairement chercher à en faire une spécialité séparée, mais aussi et surtout sur les grands enjeux contemporains que constituent les transformations du travail, de ses formes, du sens qui lui est conféré, etc.

S’il ne s’agit pas de plaider ici pour la constitution d’une (nouvelle) spécialité thématique, c’est que le travail est sans conteste un enjeu transversal à nombre d’objets déjà constitués, qui pourraient ainsi être mis en dialogue, et cela d’autant plus qu’il est un phénomène difficile à saisir, mouvant et multiforme, aux définitions discutées et aux frontières floues (Cukier, 2018). Le travail a notamment pu être défini comme relevant d’une activité orientée par une visée productive, qu’il s’agisse de biens ou de services, cadrée par des règles, souvent externes. Une telle approche l’opposerait au jeu ou au loisir qui trouve sa finalité en lui-même. Pourtant, le jeu et le loisir nécessitent aussi des règles et des apprentissages parfois longs, durs et complexes, et dans l’autre sens, le travail peut également apparaître comme une source de jouissance autonome.

Avec le capitalisme industriel, le travail est devenu une institution spécifique, inséparable du « marché du travail », en fait du marché de l’emploi (et de son corollaire : le chômage) – impliquant inclusion ou exclusion ‒ ainsi que du rapport salarial, qui en font un travail rémunéré et subordonné. Pourtant, le travail ne s’arrête pas au salariat, à l’emploi, ni même aux activités rémunérées : le volontariat associatif (Simonet, 2010), l’activité militante (Dunezat et al. 2010), le travail domestique (Delphy, 1972) ou les études (Casta, 2017) en sont aussi des formes même si elles ne sont pas nécessairement encadrées par un contrat, ni rétribuées. Le travail informel, qui a par exemple été analysé comme un travail de subsistance par le collectif Rosa Bonheur (2019) mais aussi comme un rouage essentiel du fonctionnement de systèmes productifs en Italie (Froment, 2013), au Maroc (Froment, 2015) ou dans le cadre de la confection à Sao Paulo (Souchaud, 2019), et plus globalement comme une voie de production de l’espace urbain, voire comme une autre approche du développement (Robinson, 2006 ; Jacquot et Morelle, 2018), montre aussi le potentiel découplage entre salariat encadré et travail et la nécessité de penser plutôt un continuum de situations. Cet élargissement de la définition du travail, au-delà des limites du salariat, pourrait aussi intéresser les géographes qui pensent depuis longtemps les relations entre humains, animaux et plantes pour en proposer une approche renouvelée, par exemple en réfléchissant notamment à l'intégration de la nature dans le cadre de l’accumulation capitalistique (Porcher, Estebanez, 2020, Barua, 2019, Ernwein, 2021). De manière générale, dire ce qui est du travail ou ne l’est pas est ainsi devenu un enjeu (culturel, économique, politique, écologique sans doute…) de premier ordre, comme le souligne depuis plusieurs décennies le cas du travail domestique porté par des luttes féministes.

Une autre caractéristique essentielle du travail est son ambivalence, qu’il s’agisse des significations qui lui sont conférées, des manières dont il peut être vécu, des conditions comme des effets sociaux qu’il peut avoir. Ainsi, il est une contrainte nécessaire à la (re)production de nos conditions matérielles de vie, en même temps que le terrain et le moyen des inégalités sociales, des rapports d’exploitation et de domination, d’inclusion / exclusion (sociale, économique, symbolique), qui peuvent abîmer le corps comme l’esprit. Le travail peut aussi être ce qui nous donne une place légitime dans la société, ce qui ouvre à des formes de coopération, de sociabilité et d’échanges de toutes sortes, une modalité de réalisation de soi, voire ce qui ouvre des horizons d’émancipation effective. Il est condition ou source de plaisir comme de souffrance, de maladies comme de santé, d’isolement comme de participation à des collectifs, de revenus comme d’amputations, de reconnaissance comme d’invisibilisation, de valorisation comme de stigmatisation, de subordination comme de libération (ou d’empowerment)…

Tout ce qui le concerne est enjeu de rapports de pouvoir, de luttes ouvertes ou de résistances discrètes : son temps, ses conditions, ses modalités de mise en œuvre, ses finalités, ses effets, sa rétribution, sa division technique comme sociale, internationale ou régionale (quand il s’agit de jouer sur les avantages comparatifs entre villes ou régions), ses transformations… pour faire pencher la balance ou déplacer le curseur d’un côté ou de l’autre.

La pandémie de Covid-19 a largement contribué à (re)mettre en évidence certaines de ces questions centrales du sens, de la valeur (économique, symbolique, sociale...), de la nature (productive, domestique, de care, affective...), mais aussi de la matérialité du travail et des conditions dans lesquelles il est exercé, ainsi que des relations entre travail, propriétés et hiérarchies sociales (quant aux rapports de classe, de genre, de race...), qui ont pu être (au moins temporairement) débattues sur la scène politique : qui peut télétravailler, se mettre à l’abri sur le plan sanitaire, qui est « au front », « en première ligne », « essentiel.le » ou pas... entre celles et ceux qui peuvent quitter la ville et celles et ceux qui doivent continuer à se masser dans les transports en commun, entre celles et ceux qui peuvent se créer un espace de travail à eux à domicile et celles (et parfois ceux) qui travaillent au milieu de la cuisine entouré.es des enfants à qui il faut faire l’école et le reste... sans oublier celles et ceux, le plus souvent des femmes et des enfants qui, privé.es de leur travail à l’extérieur de la maison, ont eu à subir d’autant plus de violences intrafamiliales. Les configurations matérielles rebattues du travail ont bel et bien contribué à mettre en lumière l’intérêt et les limites du concept même de travail, en particulier lorsqu’on le pense à travers sa dimension spatiale totalement chamboulée, permettant ainsi de remettre sur le métier des questionnements anciens et centraux des sciences sociales.

Bref, si la géographie est une science sociale, elle a des choses à dire sur le travail. Et réciproquement, si la dimension spatiale est importante, incontournable car intrinsèque aux faits sociaux, elle doit être intégrée aux analyses du travail en sciences sociales. Peut-être plus que jamais à l’heure où le travail « passe à la télé » et que des discours tenus par et pour une minorité de métiers dominants présenteraient le rôle de l’espace comme « moins structurant », l’acuité de l’approche géographique du travail doit être rappelée. Ce dossier vise donc à accueillir tous types de travaux, quels que soient leurs approches, concepts, méthodes, terrains ou thèmes plus spécifiquement abordés.

Une liste de thèmes, non limitative de ce qui pourrait être proposé, en insistant peut-être sur les transformations contemporaines (et n’hésitant donc pas à traiter les effets de la pandémie ou d’autres crises ou enjeux d’actualité sans pour autant s’y limiter) :

Axes proposés

Dimension spatiale de la division du travail…

à toutes les échelles (internationale, nationale, locale…), des conditions et des effets de ses transformations contemporaines, dans les entreprises privées comme les services publics ou les associations (fermetures et délocalisation/relocalisation, mobilités, etc.)

Dimension spatiale de l’organisation interne…

des entreprises, des transformations des formes de travail et expériences du travail plus ou moins contraint (incluant le télétravail, le travail de plateforme, etc.), en lien avec la subordination et les hiérarchies socioprofessionnelles, espaces-temps vécus du/au travail. Spécificités du travail en lien avec sa dimension spatiale selon divers critères (secteur public/privé, types de métiers ou professions, localisation, relations sociales impliquées, etc.)

Réflexion sur les frontières du travail…

et importance de la dimension spatiale dans ces catégorisations (travail associatif bénévole, domestique, étudiant, militant, de la nature, etc.)

Dimension spatiale des résistances individuelles et collectives…

au travail et conflits du travail, transformations du syndicalisme et de sa géographie, articulation entre conflits du travail et autres conflits/mobilisations/enjeux/espaces, échelles des mobilisations liées au travail et leurs évolutions…

Place du travail dans les trajectoires de vie individuelle et collective…

(familles, réseaux d’interconnaissances, etc.), dimension spatiale de la formation professionnelle, formes d’apprentissages au travail, réappropriation du sens du travail, bifurcations professionnelles et leurs conditions géographiques, refus du travail…

Articulations et évolution des articulations entre les échelles…

du monde à la subjectivité individuelle, par le biais du travail ; entre (rapports aux) espaces de travail et autres types d’espace et d’activités et relations (familiales, amicales…) ; entre identité, espaces et travail…

Retour historique et/ou épistémologique…

sur la façon dont certain·es géographes, certains courants théoriques (marxisme, féminisme, géographie sociale, radicale…) et spécialités thématiques (géographie rurale, de la population, du transport, économique…) ont pu travailler sur les questions de travail par le passé, que ce soit dans la géographie francophone ou dans la littérature internationale ; et sur la façon dont des non-géographes ont pu travailler sur la dimension spatiale du travail dans diverses autres disciplines (à commencer par l’histoire et la sociologie du travail qui est une spécialité importante depuis des décennies).

NB : Une place spécifique pourrait aussi être faite au travail scientifique et universitaire, à ce qui en fait un travail spécifique ou au contraire à ce qui en fait un travail comme un autre, aux transformations en cours et à leurs enjeux, aux espaces sociaux de la production scientifique, de son encadrement, de son « utilisation » dans les institutions publiques et privées, mais aussi de sa dépossession par les trains de réformes structurelles qui affectent les missions de service public de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Modalités de soumission

Pour soumettre un article, l’auteur·ice doit envoyer :

  • une version électronique de l’article au format Word (*.doc) ou Rich Text Format (*.rtf), incluant les illustrations et les tableaux à l’emplacement où ils doivent être reproduits, et réalisée autant que possible à partir du modèle de document Carnetsdegeo.rtf, qui est conforme aux normes de mise en forme typographique proposées par la revue ;
  • les fichiers originaux des illustrations incluses dans l’article, chaque fichier contenant une illustration et portant le nom de la référence de l’illustration dans l’article (voir ci-dessous : « Illustrations ») ;
  • le cas échéant, l’ensemble des documents constituant les annexes électroniques de l’article et destinés à la publication sur le site internet de la revue, aux formats proposés par la revue (voir ci-dessous : « Annexes électroniques »).

Ces documents doivent être envoyés à la revue sous forme électronique à l’adresse : carnets.de.geographes@gmail.com

jusqu’au 30 septembre 2022.

Modalités de sélection

Les propositions de contribution aux rubriques Carnets de recherches et Carnets de terrain font l’objet d’une procédure d’évaluation en double aveugle, mobilisant des relecteurs extérieurs et des membres des comités scientifiques et de rédaction de la revue. Les autres propositions (lectures, soutenances) sont soumises à la seule relecture du comité de Direction, chargé de veiller à la cohérence de la proposition avec la ligne éditoriale.

La première version d’un article peut être acceptée à la publication, sans modifications ; acceptée à la publication avec une demande de modifications mineures ; soumise à une demande de modifications majeures, ce qui implique une nouvelle évaluation, après modifications ; refusée à la publication.

Le cas échéant, la seconde version du texte devra faire apparaitre de manière explicite les modifications (par l’usage d’une autre couleur de police et/ou du suivi de modifications) et présenter de manière synthétique, dans un feuillet ouvrant le texte les réponses aux questions posées par les évaluateurs.

Consulter la composition des comités de rédaction et de lecture.


Dates

  • vendredi 30 septembre 2022

Mots-clés

  • travail, dimension spatiale, rapport social, espace, capitalisme, salariat, classe, race, genre, non-humain, géographie, science sociale

Contacts

  • Fabrice Ripoll
    courriel : fabrice [dot] ripoll [at] u-pec [dot] fr
  • Jean Estebanez
    courriel : jean [dot] estebanez [at] u-pec [dot] fr
  • Amandine Chapuis
    courriel : amandine [dot] chapuis [at] u-pec [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Amandine Chapuis
    courriel : amandine [dot] chapuis [at] u-pec [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Quelles géographies du travail ? », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 15 juin 2022, https://doi.org/10.58079/1944

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