AccueilLes chemins de l’engagement (1) : radicalisation et enthousiasme (XVIe-XVIIIe siècle)

AccueilLes chemins de l’engagement (1) : radicalisation et enthousiasme (XVIe-XVIIIe siècle)

*  *  *

Publié le mercredi 30 novembre 2022

Résumé

Face à l’omniprésence des mots « radicalisation » et « radicalisé » dans le paysage médiatique, la nécessite d’historiciser ces mots « caoutchoucs » (Pierre Rosanvallon) a semblé impérative. En revenant à l’histoire du radicalisme, l’inversion sémantique frappe : les « radicals » étant ceux, en 1797, qui parmi l’opposition anglaise au gouvernement de William Pitt, demandaient une réforme « radicale » du Parlement pour le démocratiser, étant ainsi accusés de faire le lit des « jacobins » français. Ce n’est pourtant pas l’histoire de cette évolution sémantique, bien connue, qu’il s’agit ici de faire. Traduisant aussi bien une butée sur laquelle cogne la démocratie libérale et son incapacité à penser son opposition, érigeant ainsi une frontière avec l’Autre, ces mots paraissent traduire une crise interne plutôt qu’externe (aussi bien aujourd’hui que dans l’Angleterre de la fin du XVIIIe siècle). C’est donc les mécanismes de l’engagement et le processus de radicalisation comme enthousiasme ravivé en temps de crise qui seront questionnés et analysés, interrogeant par là-même l’émergence de la modernité politique.

Annonce

Les chemins de l’engagement (1) : radicalisation et enthousiasme (XVIe-XVIIIe siècle)

Argumentaire

« À ces mots, vous verriez la France entière, animée du saint enthousiasme de la liberté. »[1]

– Robespierre.

Le début du XXIe siècle semble être sidéré par le phénomène de la « radicalisation », présenté comme un « mal qui ronge les démocraties contemporaines »[2]. Avec ce vocable « caoutchouc »[3], qui renvoie aussi bien au terrorisme, à la montée des « populismes », aux émeutes, soulèvements ou aux dynamiques de sédition et de séparatismes/communautarismes, les sciences sociales et politiques aussi bien que la philosophie expriment un certain désarroi conceptuel. La plasticité même du mot révèle son imprécision alors qu’il est appliqué à désigner tous les processus qui menaceraient les démocraties libérales tant de l’extérieur que de l’intérieur.

Des réflexions collectives et transdisciplinaires ont pourtant déjà été menées, remettant en cause les oppositions binaires et simplistes entre le « normal » de la modération démocratique et le « pathologique » de la radicalité, montrant que la radicalité n’est pas la cause mais le résultat de processus qui se trouvent au cœur des démocraties elles-mêmes, qui semblent alors effectivement échouer à organiser de manière pacifique la conflictualité constitutive des sociétés[4] particulièrement en période de crise. L’historiographie en histoire contemporaine – et plus particulièrement dans le champ des études du nazisme – a profondément renouvelé cette dialectique radicalisation-crise : Christian Ingrao a ainsi proposé de comprendre la radicalité nazie à travers le concept de paroxysme, qui désigne l’expérience d’une violence qui est aussi bien éradication que fabrication de l’entre-soi, une violence (re)fondatrice[5]. Cette réflexion puise elle-même dans les travaux des historiens médiévistes ou modernistes, notamment Denis Crouzet et Alphonse Dupront qui étaient attentifs au registre des émotions (ce dernier interrogeant la notion toujours éminemment problématique de psychologie collective)[6].

Rappelons que le vocable radical naît en Angleterre en 1797 pour désigner, par leurs adversaires, les partisans d’une « réforme radicale » du Parlement britannique qui serait alors plus démocratique, autre mot servant à stigmatiser les partisans de Charles James Fox qui avaient pour but de revenir aux fondements de la « Constitution anglaise », celle qui protégeait les libertés des « freeborn Englishmen ». Loin d’être une déviance, sinon aux yeux de ces adversaires, la radicalité est bel et bien un retour aux racines, aux origines des libertés républicaines pour ces Commonweathmen, républicains classiques, country ou real Whigs[7].

Il semble alors nécessaire d’éclairer les processus liés à la radicalisation non plus à l’aune de la déviance ou de la sortie, mais dans une démarche compréhensive, attentive au registre des émotions, des chemins de l’engagement en lien avec la république (démocratique ou non), avec la liberté[8]. Derrière ce terme d’engagement, plusieurs définitions apparaissent, la plus courante aujourd’hui étant celle d’une prise de position pour défendre un principe, une opinion, une valeur auxquels on tient. Cette notion d’attachement perceptible dans l’engagement se lit déjà dans une des acceptions du mot donné par le Dictionnaire de Furetière (1690) : « attache, liaison, obligation », mais il est entouré d’une forte dimension contractuelle entre individus en déployant des exemples autour de biens, ou « un engagement de cœur » entre marchands ou entre époux. L’engagement ainsi défini induit donc des actions, des comportements qui relèvent de la fidélité à la parole donnée/reçue, librement ou de manière contrainte : être engagé, c’est être lié, de gré ou de force.

Dans une étude des chemins de l’engagement, cette journée d’étude propose une hypothèse en suggérant de faire dialoguer radicalisation et enthousiasme. Appartenant au champ religieux, l’enthousiasme a été lui aussi sécularisé, mais il garde néanmoins une partie de sa charge prophétique et eschatologique initiale[9], permettant ainsi de faire le pont entre la première modernité et celle qui émerge après l’âge des révolutions et qui entrerait ensuite en crise – ou plutôt une modernité qui est, par essence, toujours en crise, car incarnée dans des sociétés autonomes, organiques et horizontales dans lesquelles le pacte social fondateur est toujours à réinventer, ne disposant plus de la stabilité des sociétés hétéronomes, mécaniques et verticales[10]. Ce qui se niche ici est bien l’enthousiasme révolutionnaire comme cause et réponse à la crise, révolution étant compris ici comme ce moment de (re)fondation toujours à recommencer, interrogeant ainsi les modalités de la refondation permanente des solidarités dans des sociétés modernes horizontales perpétuellement en crise et regardant (avec nostalgie ?) de manière tangentielle vers le vertical[11]. A travers ces interrogations, il s’agit ainsi de poser les jalons d’une réflexion plus large et ambitieuse sur les fondements de la modernité sociale et politique qui pourrait se caractériser par la permanence de sa crise, requérant ainsi un enthousiasme pour des horizons d’attente nouveaux, qui peut alors devenir à son tour producteur de l’engagement des acteurs pour refonder en permanence le pacte social et politique. 

En plaçant la focale sur les chemins de l’engagement, entre radicalisation et enthousiasme, cette journée d’étude cherche à inaugurer une réflexion visant à en comprendre la dynamique et les processus et à intégrer l’éventail des motivations et des répertoires d’actions des acteurs qui lui donnent vie.

Il s’agira de comprendre cette tension au travers de trois pistes de réflexions :

  • Tout d’abord, l’analyse interrogera les processus et les dynamiques de l’enthousiasme de la politisation radicale : comment opère-t-il ? selon quels ressorts ? Quelle place de l’émotion dans l’engagement, dans son maintien malgré les revers ? Retracer des parcours individuels ou collectifs dans les contextes de crise permettra d’en éclairer les modalités et les étapes de l’engagement.
  • Quelle est la place des circulations et des transferts dans ces processus et sur quels registres agissent-ils ? Sont-ils des modèles ? Des mémoires ravivées et réappropriées qui resurgissent dans des contextes nouveaux ?
  • Comment les institutions existantes réagissent-ils face à ces contestations aussi bien internes qu’externes ? Le discours du rejet vers l’étranger, de la constitution de la menace séditieuse comme l’autre absolu, est-il une constante ? L’engagement enthousiaste produit-il systématiquement le fanatique ou l’extrémiste ou, au contraire, les institutions peuvent-elles intégrer voire instrumentaliser cet enthousiasme ?

Programme

9 h. 15 accueil des participants.

  • 9 h. 30 – 9 h. 50 Mathieu Ferradou: introduction de la journée d’étude « Les chemins de l’engagement (1) : radicalisation et enthousiasme (XVIe-XVIIIe siècle) ».

Atelier 1 – La radicalisation de l’engagement et la sphère publique

Présidence : Mathieu Ferradou

10 h. – 10 h. 30 Gaëlle Demelemestre (ENS Lyon, IHRIM) : « La construction de la catégorie d’ennemi intérieur dans le cadre du conflit néerlandais entre gomaristes et arminiens (1603-1618) »

  • 10 h. 30 – 11 h. Rachel Renault (Le Mans université, TEMOS/ IUF) : « “Lumières radicales” et politique populaire : l’engagement de Friedrich Justus Riedel (1771) »

11 h. – 11 h. 15 Pause

  • 11 h. 15 – 11 h. 45 Céline Borello (Le Mans université, TEMOS/ LMU) : « L’engagement huguenot de la seconde modernité : entre renoncement, enthousiasme et modération. Essai de typologie pastorale »

11 h. 45 – 12 h. 30 Questions et échanges

12 h. 30 – 13 h. 45 Pause méridienne

Atelier 2 – Les ressorts de l’engagement enthousiaste en temps paroxystiques

Présidence : Céline Borello

  • 13 h. 45 – 14 h. 15 Nicolas Breton (TEMOS) : « “Dieu sera juge à la fin de toutes noz intentions.” L’engagement des Coligny dans les guerres de Religion au XVIe siècle »
  • 14 h. 15 – 14 h. 45 Jérémie Foa (Université Aix-Marseille, TELEMMe), « Les Parisiens étaient-ils enthousiastes ? Quelques réflexions sur le “zèle” habitants ordinaires pris dans le siège de Paris (mai-septembre 1590) »

14 h. 45 – 15 h. Pause

  • 15 h. – 15 h. 30 Mathieu Ferradou (Université Paris-Nanterre, MéMo), « Engagement et radicalisation républicains : l’enthousiasme de deux patriotes irlandais dans la France révolutionnaire, William Duckett et Nicolas Madgett »

15 h. 30 – 16 h. Questions et échanges

  • 16 h. – 17 h. Conférence de Christian Ingrao (CNRS, CESPRA), « Les émotions, le radical et l’ordinaire. Itinéraires de l’engagement »

17h. – 17h. 30 Echanges et conclusions.

Comité d’organisation

Céline Borello (Le Mans Université / TEMOS) : celine.borello@univ-lemans.fr

Mathieu Ferradou (Paris Nanterre Université / MéMo) : ferradou.mathieu@wanadoo.fr 

Notes

[1] Œuvres de Maximilien Robespierre, t. 8, Discours (troisième partie), octobre 1791- septembre1792, édition préparée sous la direction de Marc Bouloiseau, Georges Lefebvre et Albert Soboul, Paris, SER, 1954, « Sur la guerre », 1792, p. 147.

[2] Gérald Bronner, La Pensée extrême. Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques, Paris, PUF, 2016 [2009].

[3] L’expression est empruntée à Pierre Rosanvallon, « Les années 1968-2018 : une histoire politique et intellectuelle », cours au Collège de France, 2016-2017, https://www.college-de-france.fr/site/pierre-rosanvallon/course-2016-2017.htm.

[4] Annie Collovad et Brigitte Gaïti (dir.), La Démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris, La Dispute, 2006.

[5] Christian Ingrao, Le Soleil noir du paroxysme. Nazisme, violence de guerre, temps présent, Paris, Odile Jacob, 2021. Pour le renouvellement des études sur les nazisme, voir entre autres, Johann Chapoutot, La Révolution culturelle nazie, Paris, Gallimard, 2017.

[6] Denis Crouzet, Les Guerriers de Dieu. La violence au temps des guerres de Religion vers 1525-vers 1610, 2 vol. , Paris, Champ Vallon, 1990 ; Alphonse Dupront, Le Mythe de Croisade, 4 vol. , Paris, Gallimard, 1997. 

[7] Carolin Robbins, The Eighteenth-Century Commonwealthman, Cambridge, Harvard University Press, 1959.

[8] L’exemple en la matière est ici Hervé Mazurel, Vertiges de la guerre. Byron, les philhellènes et le mirage grec, Paris, Les Belles lettres, 2013. L’histoire des émotions a récemment culminé avec la parution de Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello (dir.), Histoire des émotions, 3 vol. , Paris, Seuil, 2016-2017. Hervé Mazurel a prolongé son travail de réflexion sur les liens entre émotion, psychologie et histoire : Hervé Mazurel, L’Inconscient ou l’oubli de l’histoire. Profondeurs, métamorphoses et révolutions de la vie affective, Paris, La Découverte, 2021.

[9] John Mee, Dangerous Enthusiasm. William Blake and the Culture of Radicalism in the 1790s, Oxford and New York, OUP, 1994.

[10] Johann Chapoutot, Le Grand récit. Introduction à l’histoire de notre temps, Paris, PUF, 2021.

[11] Ce qui fait écho aux analyses d’Hannah Arendt pour qui le totalitarisme est une réponse à la modernité : Hannah Arendt, The Human Condition, Chicago, UCP, 1958. Voir Arthur Guezengar, « Hannah Arendt et la rupture totalitaire », thèse de philosophie, université de Grenoble, 2020. https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-03068378.

Lieux

  • FLLSH - Bâtiment enseignement – Salle 105 - Avenue Olivier Messiaen
    Le Mans, France (72085 CEDEX 9)

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • vendredi 09 décembre 2022

Fichiers attachés

Mots-clés

  • engagement, radicalisation, enthousiasme

Contacts

  • Céline Borello
    courriel : ahmuf [dot] association [at] gmail [dot] com
  • Mathieu Ferradou
    courriel : ferradou [dot] mathieu [at] wanadoo [dot] fr

Source de l'information

  • Mathieu Ferradou
    courriel : ferradou [dot] mathieu [at] wanadoo [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Les chemins de l’engagement (1) : radicalisation et enthousiasme (XVIe-XVIIIe siècle) », Journée d'étude, Calenda, Publié le mercredi 30 novembre 2022, https://doi.org/10.58079/1a2s

Archiver cette annonce

  • Google Agenda
  • iCal
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search