AccueilPolitiques de la traduction : appropriation, critique, hospitalité

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Politiques de la traduction : appropriation, critique, hospitalité

Politiken der Übersetzung: Aneignung, Kritik, Gastfreundschaft

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Publié le mercredi 30 novembre 2022

Résumé

Qui peut et doit décider si un texte doit être traduit, par qui, et dans quelle(s) langue(s) ? L’éditeur·e ? L’auteur·e ? Quels facteurs doivent jouer un rôle dans ces décisions : l’identité de l’auteur·e, son appartenance à un ou plusieurs groupes particuliers ? L’histoire d’une langue nationale est-elle pertinente ? Que penser, par exemple, du refus de l’auteure irlandaise Sally Rooney de collaborer avec des maisons d’édition israéliennes pour des raisons politiques, en empêchant ainsi de facto la traduction de ses œuvres ? Et, de manière générale, quels sont les rapports de force à l'œuvre dans l’acte de traduire ? C’est autour de cette question générale que s’articulera ce colloque, en évaluant les principaux modèles théoriques proposés pour penser la dimension politique de la traduction, à partir de pratiques concrètes, et dans une perspective interdisciplinaire.

Annonce

Argumentaire

La poésie ne fait généralement pas l’objet d’une attention particulière de la part du grand public. Pourtant, au printemps 2021, la traduction d’un poème s’est retrouvée au centre de l’attention médiatique, et ce bien au-delà des habituels comptes rendus des rubriques culturelles. Le point de départ de ces discussions enflammées a été la traduction du poème The Hill We Climb d’Amanda Gorman, qu’elle a lu lors de l’investiture du nouveau président des États-Unis, Joe Biden. La question de savoir qui devait traduire ce texte a déclenché un débat qui a fait le tour du monde : le choix initial de l’éditeur néerlandais de l’écrivain·e blanc·he non binaire Marieke Lucas Rijneveld a été critiqué. La question de savoir s'il n’aurait pas fallu choisir une artiste noire a notamment été discutée.

Ce cas particulier soulève des questions plus générales concernant la traduction et la traductibilité : qui peut et doit décider si un texte doit être traduit, par qui, et dans quelle(s) langue(s) ? L’éditeur.e ? L’auteur.e ? Quels facteurs doivent jouer un rôle dans ces décisions : l’identité de l’auteur.e, son appartenance à un ou plusieurs groupes particuliers ? L’histoire d’une langue nationale est-elle pertinente ? Que penser, par exemple, du refus de l’auteure irlandaise Sally Rooney de collaborer avec des maisons d’édition israéliennes pour des raisons politiques, en empêchant ainsi de facto la traduction de ses œuvres ? Et, de manière générale, quels sont les rapports de force à l’œuvre dans l’acte de traduire ?

C’est autour de cette question générale que s’articulera ce colloque, en évaluant les principaux modèles théoriques proposés pour penser la dimension politique de la traduction, à partir de pratiques concrètes, et dans une perspective interdisciplinaire. 

Les propositions de communication pourront porter sur les thèmes suivants :

1)  La traduction comme forme d’appropriation

La pratique de la traduction est liée, à bien des égards, aux rapports de pouvoir et à la violence. Ce lien peut d’abord être attesté historiquement. La traduction a en effet joué un rôle important dans des contextes de guerre ou de colonisation - on peut penser par exemple à la figure de l’interprète en tant qu’intermédiaire entre les puissances coloniales et les pouvoirs locaux, souvent perçu comme un traître. Dans une perspective plus théorique, on peut penser la traduction comme une forme d’appropriation et de réduction de l’altérité. En effet, au-delà de la question de l’utilisation des traductions produites, l’acte même de traduire peut être considéré comme une pratique violente et conflictuelle, dans la mesure où la traduction s’effectue toujours entre deux langues hétérogènes, qui s’affrontent mais sans jamais s’accorder complètement. Il y aurait donc un antagonisme irréconciliable entre langue source et langue cible, entre texte source et texte cible, ce qui pose nécessairement la question d’un effacement de la langue source. Comment peut-on penser cette conflictualité à l’œuvre dans la traduction ? Comment peut-on penser les « combats » de la traduction ?

Le présent colloque est particulièrement intéressé à la question de la circulation des concepts et des catégories de pensée, qui est rendue possible par la traduction. Le voyage des « concepts » - pour paraphraser la formule d’Edward Saïd, qui parle de « théories voyageuses » (Saïd ; Möser, 2013) - ne contribue-t-il pas à imposer des catégories de pensée à des réalités socioculturelles qu’elles ne permettent pas vraiment de penser ?

2) La traduction comme instance critique

Mais la traduction ne peut-elle pas aussi être une force critique ? Comme le montre Judith Butler, la traduction d’une langue à une autre implique toujours des déplacements dans la langue d’arrivée, qui produisent une distanciation critique par rapport aux cadres de pensées qui n’avaient pas été remis en question auparavant. Cela soulève la question de savoir quelles sont les pratiques de résistance permises par la traduction. Pour le formuler autrement, la traduction, en tant qu’instance critique, peut-elle nous aider à penser ou à problématiser la résistance elle-même ? On pourrait considérer la capacité transformatrice de la traduction en termes de force émancipatrice, et donc pas tant – ou, du moins, pas seulement - en termes de trahison. On peut songer, sur cet aspect, au rôle de la traduction dans la diffusion de courants de pensée au potentiel émancipateur. Dans quelle mesure, par exemple, la traduction de textes théoriques états-uniens sur les questions de sexe et de genre a-t-elle contribué à l’émergence et à la diffusion des études de genre en Europe (Grunenwald, 2021) ? Notons que, concernant ces textes, la traduction a souvent été réalisée par des groupes militants et diffusée hors des circuits classiques ou de l’université. Il s’agit donc de considérer la force potentiellement subversive de la traduction, et plus généralement les enjeux politiques et sociaux qu’une telle pratique soulève.

3) La traduction comme pratique d’hospitalité

Parallèlement à ces perspectives critiques, la traduction est aujourd’hui souvent comprise comme un modèle éthique, considéré en tant que tel dans plusieurs contextes institutionnels et politiques.

Comme l’explique Tiphaine Samoyault dans Traduction et violence, cette conception éthique de la traduction a été développée dans plusieurs théories attribuant à la traduction une valeur positive, en en sous-estimant les éléments violents. Selon les auteurs, la traduction devient ainsi un lieu où il est possible de parler à nouveau de la vérité (H.-G. Gadamer), une occasion de repenser ce que signifie penser (W. Benjamin), un espace d’hospitalité (A. Berman, P. Ricœur), ou encore la garantie de la pluralité à une époque d’homogénéisation forcée (B. Cassin). La traduction est alors pensée comme un espace éthique de résolution des conflits, où les rapports de force qui caractérisent d’autres domaines de la vie, inscrits dans des relations politiques, s’assouplissent, ou se déplacent. Mais un tel lieu a-t-il jamais existé ? Existe-t-il des pratiques d’hospitalité rendues possibles par la traduction ? Si oui, sous quelles formes ? Et en parlant de la traduction comme d’un « compromis » (Derrida) ou d’une « négociation » (Eco), ne devient-il pas possible de saisir l’aspect toujours partiel de cette pratique, ce qui amènerait à penser un autre type d’unité, dans laquelle les différences sont préservées ?

Conditions de soumission

La journée d’étude s’adresse principalement aux jeunes chercheurs.euses, aux doctorant·es et aux post-doctorant·es travaillant autour des enjeux évoqués ci-dessus. Les communications dureront 30 minutes, puis seront suivies d’une discussion. 

Les contributions peuvent aussi proposer des études de cas. Nous accueillerons volontiers des présentations ne prenant pas la forme classique de l’exposé. Les propositions de vidéos, d’installations, de représentations artistiques, de performances, etc. seront ainsi les bienvenues. 

Chaque intervenant.e présentera sa communication dans la langue de son choix, français ou allemand, exceptionnellement en anglais, et devra disposer d’une compréhension au moins passive de l’allemand et du français.

Pour participer au colloque, nous vous prions d’envoyer un résumé de votre contribution (500 mots maximum ; en français ou en allemand, exceptionnellement en anglais) ainsi qu’une courte biographie (deux ou trois lignes) présentant votre parcours académique, vos recherches en cours et vos compétences linguistiques à l’adresse suivante : uebersetzungsseminar@gmail.com

au plus tard le 31 janvier 2023.

Nous sommes à votre disposition pour toute question à cette même adresse.

Prise en charge des frais de participation : Les frais de déplacement et d’hébergement pourront être pris en charge dans les limites du budget.

Conférencier·ère.s principaux·ales 

  • Cécile Canut (Université de Paris-Cité) ;
  • Eleonora Caramelli (Università di Bologna, CMB) ;
  • Saša Hrnjez (Università di Padova).

Organisation

  • Alessandro Colleoni (Fondazione San Carlo, CRAL-EHESS, CMB),
  • Elise Huchet (Université Paris-Cité, CMB),
  • Silvia Pieroni (Università di Bologna),
  • Lilja Walliser (Freie Universität Berlin).

Lieux

  • Centre Marc Bloch
    Berlin, Allemagne

Format de l'événement

Événement uniquement sur site


Dates

  • mardi 31 janvier 2023

Mots-clés

  • traduction, appropriation, hospitalité, critique

Contacts

  • Elise Huchet
    courriel : elise [dot] huchet [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Elise Huchet
    courriel : elise [dot] huchet [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Politiques de la traduction : appropriation, critique, hospitalité », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 30 novembre 2022, https://doi.org/10.58079/1a37

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