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Rétrotopies

Revue « Pagaille, revue de littératures et médias comparés », n° 3

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Publié le jeudi 02 février 2023

Résumé

Ce troisième numéro de Pagaille propose de réfléchir à la manière dont la fiction s’est souvent nourrie d’un élan rétrotopique pour construire des univers parallèles, des mondes possibles, des « utopies régressives » (Murvai, 2018), caractérisés par un même mouvement de retour vers un passé idéalisé, contrepoint salutaire à un présent décevant ou projection réflexive permettant de dialoguer avec le monde contemporain, de l’enrichir, de rêver à ce qu’il aurait pu être. Ce phénomène est-il bien une « constante de l’esprit humain confronté au temps » comme l’affirment Bénédicte Brémard et Marc Rolland dans De l’âge d’or aux regrets, ou est-il un trait particulièrement saillant de nos sociétés actuelles emmurées dans une crise de l’imaginaire ?

Annonce

Argumentaire

En 2017, l’essai Retrotopia de Zygmunt Baumann, publié de manière posthume, interroge le rapport qu’entretiennent les sociétés occidentales avec le passé. Selon le sociologue, ces dernières se caractériseraient par une perte de foi en l’avenir, « devenu le réceptacle même de tous les cauchemars » (BAUMANN, 2017). Elles seraient ainsi animées par un mouvement de nostalgie envers un passé fantasmé, censé garantir la stabilité en réconciliant sécurité et liberté. Cet élan que Baumann définit comme une rétrotopie est qualifié de réactionnaire, tendant à fermer les imaginaires, à entraîner des régressions politiques, sociales, à construire des communautarismes. Dans une perspective différente mais complémentaire, la réflexion de François Hartog sur le présentisme posait un constat similaire sur nos sociétés contemporaines, devenues incapables de se projeter dans un futur trop anxiogène, bloquées à « un moment d’arrêt, de stase » (HARTOG, 2003), enfermées dans une crise du rapport au temps.

Ce troisième numéro de Pagaille propose ainsi de réfléchir à la manière dont la fiction s’est souvent nourrie de cet élan rétrotopique pour construire des univers parallèles, des mondes possibles, des « utopies régressives » (MURVAI, 2018), caractérisés par un même mouvement de retour vers un passé idéalisé, contrepoint salutaire à un présent décevant ou projection réflexive permettant de dialoguer avec le monde contemporain, de l’enrichir, de rêver à ce qu’il aurait pu être. Ce phénomène est-il bien une « constante de l’esprit humain confronté au temps » comme l’affirment Bénédicte Brémard et Marc Rolland dans De l’âge d’or aux regrets, ou est-il un trait particulièrement saillant de nos sociétés actuelles emmurées dans une crise de l’imaginaire?

La réflexion proposée invite à travailler à la fois sur des œuvres rétrotopiques, sur des œuvres questionnant le phénomène de la rétrotopie, mais aussi à développer une lecture rétrotopique d'œuvres qui ne le sont pas.

Les propositions d’articles pourront s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants (sans nécessairement s’y limiter), en adoptant une perspective comparatiste, intermédiale et/ou interculturelle :

Axes possibles

Dimension diachronique des rétrotopies

Quels sont les âges d’or qui ont alimenté et alimentent encore les fictions ? Comment le XVIIe siècle, par exemple, s’est-il nourri d’un retour vers l’Antiquité (Les Aventures de Télémaque de Fénelon, 1699) pour construire des utopies? Peter Murvai note en effet que jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les utopies sont soit régressives, situées dans un passé idéalisé, soit posthistoriques, construisant des enclaves imaginaires hors de l’histoire. On peut aussi penser à la manière dont la fiction romantique européenne s’est nourrie du Moyen-Âge et de la Renaissance, construisant un médiévalisme “de carton” (GAUTIER, 1835), ou comment le premier romantisme latino-américain a vu dans les indigènes de la période coloniale les sources de l’identité nationale. On pourrait également interroger la façon dont les fictions contemporaines, en particulier les romans historiques, souvent adaptés en séries, fantasment des époques, à travers des reconstitutions historiques qui revisitent et remodèlent les réalités sociales et politiques de l’époque envisagée, notamment la question de la condition féminine et la place des personnes racisées. 

En envisageant une épaisseur temporelle moindre, on peut aussi s’intéresser à la manière dont une génération prend le pouvoir sur les imaginaires en faisant de l’époque de son enfance un arrière-plan dominant dans la fiction d’une époque : comment par exemple la génération des années 80, actuellement majoritaire dans la création artistique, alimente t-elle très largement les productions culturelles contemporaines (J. J Abrams et les productions Amblin Entertainment)?

Rétrotopies et mondes possibles

Quel lien la rétrotopie entretient-elle avec des genres voisins comme l’uchronie, l’utopie, la science-fiction, le style steampunk? Parce qu’elle rêve d’autres mondes possibles, la rétrotopie peut s’envisager comme une science-fiction à rebours. En effet, les oeuvres rétrotopiques permettent d’explorer des expériences du temps et des modes narratifs qui évoquent des futurs non advenus (Brigitte Giraud, Vivre vite, Le Tourbillon de la vie d’Olivier Treiner ou La Racine carrée de l’être de Wajdi Mouawad), qui remodèlent le passé et réinventent l’histoire. On peut aussi penser aux fictions qui explorent l’effet papillon, rattaché à l’idée d’une contingence, d’une imprévisibilité de l’histoire, à l’image du Napoléon apocryphe (1836) de Louis Geoffrey, du Maître du haut château (1962) de Philip K. Dick ou plus récemment de Civilizations  (2019) de Laurent Binet. 

Rétrotopie et esthétique

La rétrotopie semble de prime abord se transmettre par des formes esthétiques passéistes et reposer sur un rapport régressif à l’écriture et à l’imaginaire. En peinture, le style troubadour et son recours constant au pastiche en serait un exemple, traduisant “aussi bien l’insatisfaction due à l’actualité que l’épuisement des forces créatrices” (PUPIL, 1985), épuisement qui pourrait aujourd’hui se retrouver dans les formes audiovisuelles du remake. La rétrotopie a-t-elle dès lors toutes les chances de se révéler kitsch, comme l’est par exemple la série Chronique des Bridgerton ? Dans une perspective intermédiale, on pourra se demander si la rétrotopie favorise le retour à des formats vintage comme le vinyle, l’argentique, l’esthétique du pixel, revalorisant les outils - et parfois les défauts techniques - d’hier. Peut-on au contraire envisager la rétrotopie comme le lieu de la réinvention des formes et des genres, d’une création en ébullition, nourrie par la contrainte de ce retour à un imaginaire passé?

Rétrotopies et communautés

Quels sont les publics visés par les rétrotopies? Quelles visions de la communauté sont véhiculées par ces dernières ? Sont-elles tournées vers un passé nostalgique, vers une communauté perdue qui serait à retrouver? Visent-elles, à l’inverse, à recréer un sentiment d’appartenance? On pourrait par exemple s’interroger sur les communautés de fans qui se nouent autour de livres, de séries ou de films rétrotopiques, avec un intérêt renouvelé pour les années 80 et 90 (Stranger Things, Super 8), ou étudier le rapport rétrotopique que ces communautés entretiennent avec la fiction à partir d’objets dérivés et d’un tourisme patrimonial. La rétrotopie serait alors à mettre en relation avec la notion d’œuvre culte. Ceci est particulièrement visible dans le domaine vidéoludique, où le phénomène du retrogaming invite volontiers à une transmission intergénérationnelle autour d’une œuvre érigée en véritable repère culturel (Return to Monkey Island). 

Rétrotopie et politique

La rétrotopie repose souvent sur une idéalisation d’un modèle national, d’une époque et de figures emblématiques de l’histoire d’un pays. En quoi permet-elle de construire un imaginaire national ? Doit-on penser, comme Baumann, que la rétrotopie est essentiellement conservatrice et réactionnaire, à l’instar de Marcel Pagnol par exemple qui fantasme le début du XXe siècle de son enfance? Ou, à l’inverse, peut-on envisager que les relations de la rétrotopie avec l’utopie amènent ces fictions sur des voies plus progressistes? À l’heure de la mondialisation, existe-t-il encore des rétrotopies nationales, clairement identifiées à un espace géographique et culturel donné ou assiste-t-on à une uniformisation de nos imaginaires, de notre rapport au passé, construit et nourri notamment par des fictions, par des films et par des séries lues et regardées dans le monde entier?

Modalités de soumission

Les propositions d’articles, de 500 mots maximum, accompagnées d’une bio-bibliographie et de 5 mots-clés, sont à envoyer à l’adresse mail suivante : revue.pagaille@gmail.com

avant le 15 mars 2023.

Les notifications aux auteurs seront envoyées à partir de la fin du mois de mars 2023.

L’article (de 30 000 à 40 000 signes espaces compris) sera à envoyer avant le 30 juin 2023 pour évaluation en double aveugle par le comité scientifique.

La publication du numéro est prévue en décembre 2023 sur le site de la revue : http://revue-pagaille.fr.

Comité de rédaction

  • Julie Brugier, Université Paris Nanterre
  • Marion Brun, Université Paris-Sorbonne et Université d’Artois
  • Hélène Dubail, Université Paris Nanterre
  • Amandine Lebarbier, Université Paris Nanterre

Comité scientifique

  • Anne Besson, Université d’Artois
  • Simon Bréan,  Sorbonne Université
  • Vincent Ferré, Sorbonne Nouvelle
  • Mélissa Gignac, Université de Lille 
  • Anaïs Goudmand, Sorbonne Université 
  • Marine Le Bail, Université Toulouse 2 Jean Jaurès
  • Matthieu Letourneux, Université Paris Nanterre
  • Laure Levêque, Université de Toulon 
  • Fiona Mc Intosh-Varjabédian, Université de Lille
  • Jessy Neau, Centre universitaire de Formation et de Recherche de Mayotte - Université Paul Valéry Montpellier 3
  • Marie-Clémence Régnier, Université d’Artois
  • Corinne Samidayar-Perrin, Université Paul Valéry Montpellier 3
  • Marie-Agathe Tilliette, Université du Littoral
  • Clotilde Thouret, Université Paris Nanterre
  • Alain Vaillant, Université Paris Nanterre

Bibliographie indicative

BASSET, Karine et BAUSSANT, Michèle, « Utopie, nostalgie : approches croisées », Conserveries mémorielles [En ligne], Conserveries mémorielles, n°22 | 2018. URL : http://journals.openedition.org/cm/3023.

BAUMAN, Zygmunt, Retrotopia [2017], trad. Frédéric Joly, Premier Parallèle, 2019.

BESSON, Anne,  BLANC,William et FERRÉ,Vincent (dir.), Dictionnaire du Moyen Âge imaginaire, Le médiévalisme, hier et aujourd’hui, Vendémiaire, 2022.

BOYM, Svetlana, The Future of Nostalgia, New York, Basic Books, 2002.

BREMARD, Bénédicte, ROLLAND, Marc (dir.), De l’âge d’or aux regrets, Paris, M. Houdiard, 2009.

COQUET, Marion, DELHOMMAIS, Pierre-Antoine, Au bon vieux temps, Paris, Editions de l’Observatoire, 2018.

DIKA, Vera. Recycled Culture in Contemporary Art and Film: The Rise of Nostalgia, New York, Cambridge University Press, 2003.

FANTIN, Emmanuelle, FEVRY, Sébastien, NIEMEYER, Katharina , Nostalgies contemporaines, médias, culture et technologie, Villeneuve d’Asq, Presses Universitaires du Septentrion, 2021.

MANHEIM, Karl, Idéologie et utopie, trad. de l'allemand par Jean-Luc Évard, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 2006.

MURVAI, Peter, « Nostalgie et posthistoire dans quelques utopies louis-quatorziennes (1675-1714) », Conserveries mémorielles [En ligne], n°22, 2018. URL : http://journals.openedition.org/cm/2805

PUPIL, François, Le Style troubadour ou La nostalgie du bon vieux temps, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1985

PALLISTER Katryn (dir.), Netflix Nostalgia: Streaming the Past on Demand, Lexington Books, 2019.

SPERB, Jason, Flickers of Films. Nostalgia in the Time of Digital Cinema, New Brunswick, Rutgers University Press, 2016.

Format de l'événement

Événement uniquement en ligne


Dates

  • mercredi 15 mars 2023

Mots-clés

  • Rétrotopie, âge d'or, monde possible, mythification du passé

Contacts

  • Amandine Lebarbier
    courriel : a [dot] lebarbi [at] parisnanterre [dot] fr

URLS de référence

Source de l'information

  • Amandine Lebarbier
    courriel : a [dot] lebarbi [at] parisnanterre [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Rétrotopies », Appel à contribution, Calenda, Publié le jeudi 02 février 2023, https://doi.org/10.58079/1agy

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