Ce colloque invite à aborder l’archive et son statut dans la recherche cinématographique actuelle. Il s’intéresse aux évolutions et aux transformations significatives de cette notion, qui ont eu lieu ces dernières années. Ainsi, son ambition demeure d’éclairer les enjeux et les risques émanant de ces nouvelles pratiques archivistiques.

Argumentaire

Pour célébrer son dixième anniversaire, l’association Kinétraces propose un colloque de recherche d’ampleur autour de l’archive[1], son objet, et du patrimoine cinématographique, son domaine. À cette occasion, la réflexion se concentrera autour de la notion d’archive et de son statut dans la recherche cinématographique, dans l’optique de saisir les évolutions manifestes de la pratique archivistique.

D’année en année, ce domaine de recherche s'est considérablement transformé. D'une part, le renouvellement des objets d'étude et des méthodes de recherche en archives contribue naturellement à lui donner un nouveau visage. D'autre part, le développement des outils numériques a progressivement bouleversé l'approche et la méthode d’exploration en archive. Ainsi de nombreux phénomènes attestent de ce changement de paradigme qui a vu les Humanités numériques s’emparer de l’archive en tant qu’objet d’étude. Cette intégration a permis aux chercheurs de bénéficier de nouveaux outils (inventaires en ligne, procédures de réservation simplifiées, croissance exponentielle du nombre de documents numérisés) et a considérablement modifié ses pratiques, passant de la consultation physique à l’analyse textuelle sur support numérique (recherche directe dans le corps du texte, lecture différée des documents grâce à la prise de photographies).

Pourtant, l'idée répandue, mais illusoire, d'un accès immédiat et total aux archives, par le prisme du numérique, interroge autant qu'elle intrigue. En effet, cette impression trouve ses limites lorsqu'elle se confronte à des fonds non répertoriés ainsi qu'à des objets (éléments audiovisuels, ouvrages, titres de périodiques) non indexés. Devant ces sources invisibles, de nouvelles inégalités se forment : le délaissement de certains documents non numérisés et, simultanément, la concentration de la recherche sur des dépôts disponibles en ligne. Si la réponse qui se dessine trouve un écho dans la dynamique exponentielle dont nous avons parlé, il nous reste tout de même à constater que les outils de numérisation et d’indexation sont intrinsèquement liés aux institutions qui les instaurent et les financent — créant dès lors des inégalités dans le traitement des données, dans les moyens techniques mis en œuvre ou dans la valorisation qui en découle naturellement.

Bien qu’il soit difficile de contester les intérêts multiples du recours aux archives, qu’il s’agisse d’apporter des précisions d’ordre historiographique, de comprendre les méthodes de travail de professionnels du cinéma, ou encore d’inclure de nouveaux objets au sein de corpus d’étude ou artistiques s’arrêtant généralement à des œuvres projetées en salle, il apparaît nécessaire de s’interroger sur la valeur que représentent aujourd’hui les archives cinématographiques, et ce autour de trois questionnements.

Premièrement, un questionnement méthodologique. L’accessibilité très simplifiée à des archives autrefois peu consultées, car mal connues, pose une série d’interrogations importantes : le recours aux archives devient-il un passage obligé de la recherche en cinéma ? Si la réponse est une évidence en ce qui concerne l’histoire du cinéma, en est-il de même pour les autres domaines de recherche ?

Secondement, un questionnement pragmatique. La recherche en archives implique des portées différentes selon la part plus ou moins importante qui lui est consacrée dans le raisonnement. En fonction des corpus, ce travail peut être rapide ou, à l’exact opposé, constituer à lui seul la finalité du travail. Certains chercheurs se retrouvent notamment face à une masse documentaire, déjà inventoriée ou inédite, qu’il leur est impossible d’embrasser complètement. Comment fixer des limites ? Comment gérer la répartition du temps entre celui dévolu au repérage et à la consultation des archives, et celui nécessaire à la problématisation de la recherche effectuée ?

Dernièrement, un questionnement politique. La simplification des accès aux archives, ainsi que leurs conditions de conservation, est le fruit de politiques culturelles que nous avons parfois tendance à oublier. Dans ces conditions, les disparités propres à la gestion des archives se perpétuent, voire s’aggravent, au niveau territorial comme au niveau idéologique. Comment les chercheurs pensent-ils leur propre rapport aux archives qu’ils exploitent, aux institutions qui leur en permettent l’accès ?

En résumé, l’ensemble de ces questionnements se retrouvent dans les trois axes de réflexions suivants, sur lesquels ce colloque espère revenir parmi d’autres :

• Évolutions du concept d’archives cinématographiques.

Quelle place prennent actuellement les archives au cœur de la recherche cinématographique ? Le statut de l’archive, façonné par toute une génération de chercheurs en histoire du cinéma à la fin du XX^e siècle, a-t-il changé ?

De plus, face à l'irruption de nouveaux dispositifs de création, de diffusion et de stockage d’archives et de pièces audiovisuelles, comment sont pensées, considérées et organisées les archives spécifiques du cinéma contemporain ? Le regard de l’industrie cinématographique sur les archives a-t-il changé ? Existe-t-il des différences entre l’archivage du cinéma contemporain et celui du cinéma de patrimoine ?

• Gestion de l’abondance et classement des archives cinématographiques.

Face à la somme de plus en plus grande des archives disponibles, comment établir des critères de sélection ? Comment considérer, valoriser la recherche d’archives dans le cadre de travaux universitaires ou de création artistique ? Quelles nouvelles méthodologies de recherche ont pu faire leur apparition récemment ? Peut-on désormais se passer d’archives ?

• Archives cinématographiques et pouvoir à l’ère numérique.

La possibilité de changer ou inverser la relation de pouvoir des archives dans l’ère numérique est-elle une réalité ou, au contraire, une illusion ? Les archives sont-elles dépendantes de technologies qui contrôlent ou qui libèrent ? L’ère numérique nous permet-elle de décoloniser les archives ou induit-elle la reproduction d’un ordre colonial ? Les réflexions peuvent ici porter sur le fait de donner et d’avoir accès à des archives film et non-film qui étaient invisibles auparavant pour des raisons politiques, économiques, technologiques et/ou géographiques.

Modalités de contribution 

Les propositions (350 mots maximum), accompagnées de brèves indications bio-bibliographiques, doivent être envoyées avant le 5 août 2023.    

Les réponses seront transmises le 20 septembre 2023 au plus tard.

Date et lieu de l’événement : les 23 et 24 novembre 2023, en salle Claude Simon de la Maison de la Recherche de l’Université Sorbonne Nouvelle (4, rue des Irlandais, 75005 Paris).

Comité scientifique 

• Camille Blot-Wellens (Université Paris 8, ESTCA)
• Marie Frappat (Université Paris Cité, CERILAC)
• Natacha Laurent (Université Toulouse-Jean Jaurès, FRAMESPA)
• Sébastien Layerle (Université Sorbonne Nouvelle, IRCAV)
• José Moure (Université Paris 1 Pantheón-Sorbonne, ACTE)
• Laurent Véray (Université Sorbonne Nouvelle, IRCAV)
• ainsi que les membres du comité d’organisation.

Comité d’organisation 

• Matthieu Couteau (Universités Sorbonne Nouvelle et Université Paris 1 Pantheón-Sorbonne, IRCAV)
• Marién Gómez Rodriguez (IRCAV)
• Laurent Husson (IRCAV)
• Beatriz Tadeo Fuica (IRCAV)

Bibliographie indicative

• Daniel Banda et José Moure (ed.), Le Cinéma : naissance d’un art. Premiers écrits (1895-1920), Paris, Flammarion, coll. Champs Arts, 2008.
• Daniel Banda et José Moure (ed.), Le Cinéma : l’art d’une civilisation (1920-1960), Paris, Flammarion, coll. Champs Arts, 2011.
• Jaimie Baron, The Archive Effect: found footage and the audiovisual experience of history, Londres/New-York, Routledge, Taylor & Francis group, 2014.
• Joanne Bernardi, Paolo Cherchi Usai, Tami Williams, Joshua Yumibe (ed.), Provenance and Early Cinema, Bloomington, Indiana University Press, coll. Early Cinema in review: proceedings of Domitor, 2020.
• Camille Blot-Wellens et Jean-Paul Dorchain (dir.), « Le Non-Film, la mémoire du cinéma », Archives et Bibliothèques de Belgique, t. LXXXV, n°14, 2014.
• Christa Blümlinger (dir.), « Attrait de l’archive », CinémaS, vol.24, n°2-3, printemps 2014. https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2014-v24-n2-3-cine01417/
• Mary Ann Doane, The Emergence of Cinematic Time: Modernity, Contingency, the Archive, Cambridge, Harvard University Press, 2002.
• Hélène Fleckinger, Kira Kitsopanidou et Sébastien Layerle (dir.), Métiers et techniques du cinéma et de l’audiovisuel. Sources, terrains, méthodes, Bruxelles, Peter Lang, coll. ICCA, 2019.
• Marie Frappat, Cinémathèques à l’italienne. Conservation et diffusion du patrimoine cinématographique en Italie, Paris, L’Harmattan, coll. Champs Visuels, 2006.
• Marie Frappat et François Thomas (dir.), « Le Film pluriel », Cinéma&Cie. International Film studies journal, vol. IX, n°13, automne 2009.
• Christophe Gauthier (ed.), Patrimoine et patrimonialisation du cinéma, Paris, École des Chartes, coll. Études et rencontres de l’École des Chartes, 2020.
• Christophe Gauthier et Natacha Laurent, Raymond Borde. Une autre histoire du cinéma, Toulouse, Privat, 2022.
• Jacques Guyot et Thierry Rolland, Les Archives audiovisuelles. Histoire, culture, politique, Paris, Armand Colin, coll. Cinéma/Arts visuels, 2011.
• André Habib et Michel Marie (dir.), L’Avenir de la mémoire. Patrimoine, restauration, réemploi cinématographiques, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, coll. Arts du spectacle, série Images et sons, 2013.
• Natacha Laurent, « “L’Ivresse patrimoniale”, et après ? », 1895. Revue d’histoire du cinéma, n°91, été 2020, pp. 8-30.
• Sébastien Layerle, Caméras en lutte en Mai 68. « Par ailleurs le cinéma est une arme… », Paris, Nouveau Monde, 2008.
• Julie Maeck et Matthias Steinle (dir.), L’Image d’archives. Une image en devenir, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. Histoire, série Archives, histoire et société, 2016.
• Christian Gosvig Olesen, Film History in the Making: Film Historiography, Digitised Archives and Digital Research Dispositifs, Amsterdam, University of Amsterdam, 2017.
• Giusy Pisano (dir.), L’Archive-forme. Création, mémoire, histoire, Paris, L’Harmattan, coll. Champs visuels, 2014.
• Rick Prelinger, « Archives and Access in the 21st Century », Cinema Journal, vol.46, n°3, 2007, pp. 114-118.
• Laurent Véray (dir.), Ils y viennent tous… au cinéma ! L’essor d’un spectacle populaire (1908-1919), Paris, Le Passage, 2021.
• Laurent Véray, Les Images d’archives face à l’Histoire. De la conservation à la création, Chasseneuil-du-Poitou/Paris, SCÉREN/CNDP-CRDP, coll. Patrimoine références, 2011.
• Tami Williams, « Guest Editor’s Foreword: Early Cinema and the Archives », The Moving Image: The Journal of the Association of Moving Image Archivists, vol.16, n°1, 20016, p. IX-XV.

Notes

[1] Nous entendons ici par “archive” tout document, audiovisuel ou non (manuscrits, documents administratifs, revues…), considéré dans son contexte de production et/ou de conservation, susceptible de servir d’appui à la recherche en études cinématographiques et audiovisuelles.