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La place des Lumières dans les pays arabo et/ou musulmans
Pour une nouvelle approche des liens Orient/Occident
Published on Wednesday, October 30, 2024
Abstract
Plusieurs phénomènes justifient une nouvelle problématique moins tournée vers le regard de l’Occident sur les pays musulmans que sur une construction d’un Occident à l’intérieur de ces mêmes pays. Les révolutions arabes en renouant avec la geste insurrectionnelle ont assigné les pays occidentaux à une situation de stagnation et de fermeture confirmée par les replis nationalistes ces dernières années. L’on doit s’interroger sur la définition des Lumières, objet en perpétuelle construction mais aussi redéfinir les espaces arabo-musulmans.
Announcement
Volume collectif.
Argumentaire
Les liens entre ce que l’on nomme les Lumières occidentales et le monde arabo-musulman ont donné lieu à plusieurs études ces dernières années. Les analyses sur la relation entre ces deux entités culturelles ont souvent été confinées à une réflexion sur l’orientalisme et sur le regard porté par les écrivains occidentaux sur le monde musulman. La colonisation d’une partie des territoires musulmans par les puissances européennes explique en majeure partie cette approche qui s’est révélée parfois très utile mais qui mérite amplement aujourd’hui d’être dépassée et réorientée.
Plusieurs phénomènes justifient une nouvelle problématique moins tournée vers le regard de l’Occident sur les pays musulmans que sur une construction d’un Occident à l’intérieur de ces mêmes pays. Les révolutions arabes en renouant avec la geste insurrectionnelle ont assigné les pays occidentaux à une situation de stagnation et de fermeture confirmée par les replis nationalistes ces dernières années. D’autre part les attentats terroristes perpétrés par les djihadistes en Europe, le massacre des journalistes de Charlie Hebdo en France le 7 janvier 2015 ont fait surgir la figure de Voltaire comme symbole même de la tolérance et de la lutte contre le fanatisme censé ne venir que des pays de culture musulmane. Or cette appropriation, nécessitée par une situation de crise profonde, aussi séduisante qu’elle puisse être, ne nous permet pas de saisir, dans toute sa complexité, la violence à l’œuvre dans le monde contemporain. Elle confisque la tolérance symbolisée par Voltaire censée n’appartenir qu’au monde européen voire français comme si cette tolérance ne pouvait être revendiquée que dans l’espace européen. C’était faire l’impasse sur le phénomène de la violence utilisée par les états coloniaux pour imposer leur domination. C’était oublier que la violence était ou avait été le théâtre quotidien dans un grand nombre de pays de culture musulmane, l’Algérie, Afghanistan, la Yougoslavie, la destruction de l’Irak par les bombardements occidentaux en 2003 qui a contribué à la naissance de l’Etat islamique et enfin le conflit israélo-palestinien et la destruction en cours de la population de Gaza par un État israélien gouverné par une extrême-droite raciste. Lorsqu’il est question des Lumières, il n’est jamais question de ces conflits d’une violence extrême. Cette amnésie doit nous interroger sur le paradigme Lumières qui reste confiné dans un monde de paix et qui ressurgit en force lorsque ce mirage se fissure dans les pays occidentaux qui doivent faire face à la tragédie. Il faut également se rappeler que les auteurs des attentats contre Charlie Hebdo ont été perpétrés par des Français, produits de l’école républicaine et qu’ils signifient son échec profond alors que l’idéal des Lumières reposait en grande partie sur l’éducation. Afin de saisir toute la complexité de l’objet Lumières, on se doit de le confronter à l’histoire des pays arabo-musulmans auxquels on reproche, depuis les attentats meurtriers en Europe, de ne pas tisser de liens assez solides avec l’œuvre civilisationnelle des Lumières occidentales confondues avec une laïcité qui exclut trop souvent la culture musulmane. Dans son ouvrage Généraux, gangsters et djihadistes, Histoire de la contre-révolution arabe, Jean-Pierre Filiu souligne le manque de solidarité des puissances occidentales avec les révolutions arabes, leur peu d’engouement pour la libération de peuples soumis à de terribles dictatures. Le rapport Occident/Orient musulman du dernier quart du XXe siècle et du début du XXIe a mis à mal l’idée d’universalisme des Lumières souvent utilisée pour justifier des actes de guerre, injustes et injustifiées et qui appellent à remettre en cause le triptyque progressisme, rationalisme, universalisme rattaché à l’Occident
L’on doit s’interroger sur la définition des Lumières, objet en perpétuelle construction mais aussi redéfinir les espaces arabo-musulmans. Penser le présent du rapport Orient Occident exige de passer d’abord par la délimitation des contours de l’espace qu’on appelle Orient musulman afin de nous amener à une interrogation sur le sens du concept Lumières : est-ce un concept ouvert ou fermé, a-t-il la même connotation en Occident et en Orient ? Au-delà des questions nationales importantes dans l’Orient musulman, décolonisations, travail des réformistes au XIXe siècle, il faut s’interroger sur la manière dont ils ont découvert, lu et reçus les écrivains des Lumières ? Muhammad Iqbal, considéré comme le père spirituel du Pakistan, voit en Rousseau un défenseur de la lutte anti-absolutiste. Lire les textes dans leur langue d’origine comme dans les ex colonies françaises ou dans des traductions a-t-il un effet sur son appréciation ? La rencontre avancée ou tardive des textes des Lumières a-t-elle eu un impact sur la réception des idées ? Quel impact les colonisations ont-t-elles eu sur la définition des Lumières et leur mode de transmission ? On peut se demander si ces différents modes de découverte des textes, dans un contexte colonial ou non-colonial, ont transformé leur appréciation. Quand sont apparues les premières traductions des textes des Lumières en Iran, en Afghanistan, au Pakistan, au Moyen-Orient colonisé en partie par le pouvoir britannique ? Quel impact les colonisations ont-t-elles eu sur la définition des Lumières et leur mode de transmission ? Le corpus envisagé peut s’étendre à la production de journaux, aux manuels scolaires. Trouve-t-on des romans qui s’inspirent des auteurs des Lumières, soit des personnages qu’ils ont mis en scène, soit de leur figure ? Qu’en est-il du théâtre ? Les essais philosophiques publiés aux XIXe, XXe et XXIe siècles établissent-ils des liens avec la philosophie déiste ou matérialiste des Voltaire ou Diderot ? Les grands ouvrages critiques de Daniel Mornet, d’Ernst Cassirer ont-ils trouvé un écho dans ces aires géographiques ? On ne peut s’en tenir qu’aux pays arabes puisqu’il existe un grand nombre de pays musulmans en dehors de la sphère arabe, l’Iran, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Indonésie, etc. Et inversement, les pays de la sphère arabe comportent des minorités chrétiennes, yézidis, zoroastriennes, etc. Le concept de Lumières se définit-il de la même façon chez ces minorités ?
L’articulation Orient/Occident se trouve aujourd’hui dans une situation fort complexe[1] dans laquelle « les Lumières », risquent d’être prises en otage. Afin d’échapper au piège qui opposerait la civilisation occidentale à la soi disante barbarie musulmane, il faut se tourner vers la généalogie de ces constructions à la lumière de la crise actuelle. L’outil Lumières permettrait alors de repenser ce que Gilbert Achcar désigne sous l’expression « choc des barbaries, la barbarie des puissants attisant la barbarie asymétrique des faibles »[2]. Ce qui signifie que les moyens employés par les uns et les autres sont totalement disproportionnés. L’indifférence coupable des pays occidentaux face à la tragédie palestinienne contraste avec la préoccupation qui a été la leur lors de l’agression de l’Ukraine par l’armée russe. Ce paradoxe doit nous interroger une fois de plus sur la généalogie des Lumières et sur un possible dépassement de ses valeurs, non pour les nier radicalement mais pour les réinterroger.
Modalités de contribution
Un résumé d’une trentaine de lignes doit être envoyé avant le 31 décembre 2024
et les textes en français seront à adresser avant le 30 avril 2025 par e-mail aux adresses suivantes : pascale.pellerin2@orange.fr / halima.ouanada@issht.utm.tn
Évaluation
Les propositions de contribution seront examinées par Pascale Pellerin, CNRS. IHRIM-5317 et Halima Ouanada, Université de Tunis-El Manar, présidente de l'Association tunisienne d'études sur les Lumières, ATEL.
Notes
[1] Denise Brahimi : Qui a créé l’Occident ? XIXe et XXe siècles, Paris, Editions Pétra, août 2017.
[2] Gilbert Achcar, Le choc des barbaries, Terrorismes et désordre mondial, Syllepse, 2017, p.7.
Subjects
- Africa (Main category)
- Periods > Modern > Twentieth century > 1989 to the present day
- Zones and regions > Africa > North Africa
- Mind and language > Language > Literature
- Periods > Early modern > Eighteenth century
- Zones and regions > Asia
- Society > Political studies > Political and social movements
- Society > Political studies > Wars, conflicts, violence
Date(s)
- Tuesday, December 31, 2024
Keywords
- lumières, monde arabe, Islam, laïcité, universalisme
Contact(s)
- Pascale Pellerin
courriel : pascale [dot] pellerin2 [at] orange [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Pascale Pellerin
courriel : pascale [dot] pellerin2 [at] orange [dot] fr
License
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To cite this announcement
« La place des Lumières dans les pays arabo et/ou musulmans », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, October 30, 2024, https://doi.org/10.58079/12led