Ce numéro de Volume ! la revue des musiques populaires entend rassembler des études sur les fans de musique, de chanteurs et chanteuses, de groupes de musique en privilégiant plusieurs axes et thématiques : un regard historique sur les fans de musique ; une réflexion méthodologique sur les conditions d’une ethnographie des fans ; des analyses des trajectoires et carrières de fans.

Argumentaire

Fan studies en France

La célébrité comme produit de consommation collective par des admirateurs que l’on pourrait, avec Lilti (2014), appeler « fans », apparaît dès le XVIIIe siècle, avec des figures de la littérature, de la pensée, du théâtre ou de la révolution. Les fans, désignés ainsi, verraient le jour, eux, au XIXe, dans le contexte du journalisme sportif et des amateurs de théâtre, avant de se développer dans la presse cinématographique (Heinich, 2012).

Mais le terme de fan, comme sa figure archétypale (la « groupie » en pleurs lors des concerts d’Elvis ou des Beatles) et le phénomène lui-même semblent s’imposer et se développer notamment dans le domaine de la musique, avec notamment l’émergence du rock et de la pop, la presleymania puis la beatlesmania.

Les premières recherches sur ces fans naissent, quant à elles, avec le cinéma et la musique (Morin, 1972, Pouchelle, 1983) en France, et dans le monde anglo-saxon, avec les travaux de R. Cooper, 1968 (sur la beatlemania) ou bien J. Fiske (1989, les fans de pop music) par exemple.

Pourtant, les travaux sur les fans de musique constituent le point aveugle des fan studies et des travaux académiques sur les fans, notamment en France. S’ils existent, ces travaux restent relativement peu nombreux et relèvent principalement d’études de cas. On pourra notamment citer comme exemples, M.C. Pouchelle (sur les fans de C. François), C. Le Bart (2000) sur les fans des Beatles, G. Segré (sur Presley), J. Dalbavie, (2012) sur les fans de Brassens, M. Duphil, (2017), sur les fans de Madonna, ou F. Ribac, (2017, sur les fans de Madonna encore). Et plus récemment E. Nesti (2021, sur les fans de la Dolcenera) ou bien A. Alessandrin et M. Toulze (2024, sur les fans de Mylène Farmer) ou encore E. Edwards-Grossi (2020, sur les fans latinos de Morrissey).

Les travaux sur les fans de musique, de chanteurs et chanteuses, sont autrement plus nombreux au-delà de nos frontières. Mais guère encore hégémoniques. Citons pour exemple, les travaux de J. Fiske, (1991) sur la réception de Madonna, D. Cavicchi (1998) sur les fans de Springsteen, E. Doss, (1999) sur les fans d’Elvis, de C.B. Fried, (2003) sur les fans de Rap et de heavy metal) ou bien encore ceux de M. Hills, 2007 sur les fans de M. Jackson et de M. Duffett (2013).

Les études sur les fans de musique demeurent en réalité reléguées dans l’ombre par les travaux sur les fans de cinéma et plus encore par les très nombreux travaux sur les fans de télévision (H. Jenkins, 1992, C. Becon-Smith, 1992), sur les fans des séries entrepris notamment au sein des Cultural Studies. Si de très nombreuses études ont publiées en dehors de nos frontières, on soulignera néanmoins les travaux de D. Pasquier (1999) sur les fans de Hélène et les garçons), de P. Le Guern, (2002), sur la série « Le Prisonnier », de A.-S. Béliard (2009) sur les fans de Prison Break, ou de M. Bourdaa (2012) sur les fans de Battlestar Galatica.

C’est le cas aussi du fait de l’extension de la notion de fan à tout un ensemble d’objets et de Fandoms autour d’Harry Potter (S. François, 2009), de Walt Disney (H. Breda), ou d’événements musicaux comme l’eurovision (P. Le Guern, 2007, A. Pointazeau, 2019), des jeux vidéo (H. Jenkins, 2006, W. Crawford, 2011), de manga et de cosplay (2005, J. Nouhet-Roseman), des jouets Lego (Yun Mi Antorini, Albert M. Muñiz Jr et Tormod Askildsen, 2012).

Ces relégations ont eu pour conséquence la minoration de certaines problématiques comme par exemple les espaces de recrutement des fans de musique, les fans et la classe sociale, les fans de milieux populaires ou des milieux ruraux, ou encore le détour par le religieux (initié par les travaux de Pouchelle, de Morin, puis très critiqués et rapidement ignorés au sein des fans studies).

Les questions de culture participative, de réappropriation de contenus, de l’activité créatrice (fan art, cosplay, fan fiction, wikis, fansubbing, remix, mashup), de production d’œuvres, de transformative works, d’« activisme culturel et social » (Bourdaa, 2021), semblent aujourd’hui bien plus investies. Tout comme d’ailleurs les questions du genre, des identités sexuelles (Bourdaa, Alessandrin dirs, 2017), des fans à l’heure de la convergence numérique (Booth, 2010, Jenkins 2013), de l’engagement civique et de l’activisme (Bourdaa, 2015).

Pour partie, disparaissent ainsi des travaux et analyses, certaines catégories de fans, peu diplômés, de milieux populaires, mais aussi des analyses de classe, d’interactions familiales…

Pour cet appel à contribution, ce numéro de Volume ! se propose donc de rassembler des travaux, textes, analyses, études sur les fans de musique, de chanteurs/euses, groupes de musique en privilégiant plusieurs axes et thématiques :

• Un regard historique sur les fans de musique

Ainsi, pourrions-nous interroger non seulement l’histoire de certains groupes de fans, de magazines, de conventions mais également l’histoire de ces travaux sur les fans de musique et notamment de chanteurs, de chanteuses ou de groupes.

• Une réflexion méthodologique

Il s'agit de mener une réflexion méthodologique sur les conditions d’une ethnographie des fans ou bien encore sur le fait d’être fan et d’étudier les fans (la position de recherche et les rapports à l’objet de « l’aca-fan » (Jenkins, Christofari, Guitton, 2015), appliqué à l’univers musical. 

À l’inverse, la rencontre de l’altérité (l’objet éloigné), les risques du surplomb, du mépris pourront être étudiés. Enfin, il nous paraît important de s’interroger sur les possibilités et conditions de l’enquête quantitative des fans : comment établir une photographie sociologique d’une population de fans de musique ? Dans cette perspective, une réflexion épistémologique, située entre légitimité et disqualification de l’objet, notamment en portant un regard sur les formes de disqualifications des fans de musique dans le domaine public ou dans la littérature savante. Plus classiquement, nous pourrions interroger dans ce numéro de Volume ! la musique comme objet de recherche « illégitime » : quels effets et quelles conséquences sur la production d’études ?

• Le « devenir fan », parcours, carrières, trajectoires

Au sein des groupes de fans de musique, ou dans une trajectoire de vie, qu’est-ce que le statut de « fan » fait au(x) fan(s) ? À ce titre une analyse croisée des « émotions », des « souvenirs » et des cultures faniques, parait tout à fait judicieuse. Être fan relève aussi de la pratique : des gestes et des cultures de fan ; quelles pratiques, quels codes, quelles conventions, quelles normes et croyances chez les fans de musique…

Un autre aspect de ces pratiques de fans renvoie aux questions de communautés, de sociabilités, d’identifications, d’identités ou appartenance. Tout comme la question de l’intersectionnalité des études de fans et des études sur la « race », la sexualité ou le genre, nous pourrons investiguer celle des liens sociaux, psychologiques comme imaginaires qui se tissent dans ces pratiques et dans ces communautés. À l’heure des études faniques revendiquant le fan comme acteur / comme actrice et non seulement comme consommateur ou spectateur passif, nous interrogerons aussi les réceptions, les créations et les cultures participatives, mais aussi les bénéfices pour les fans ou les « fruits de la passion » (profits symboliques, matériels, compétences, ressources) qui s’animent ici. Aussi nous invitons les contributeurs à proposer leurs études de l’engagement des fans (militant, promotionnel, professionnel dans le prolongement des nombreux travaux sur la culture participative, les activités de co-création, les productions et l’engagement militant des fans (Fiske, Bourdaa, 2020).

Modalités de soumission & calendrier

Les propositions d’article (3 000 signes) accompagnées d’un titre, de 5 références bibliographiques maximum et d’une brève présentation de l’auteur, devront être envoyées à l’adresse suivante : gabriel.segre@parisnanterre.fr

avant le 31 janvier 2025

• Les auteurs seront notifiés de l’acceptation ou du refus de leur proposition avant le 30 mars 2025.
• Ils pourront ensuite soumettre leur article avant le 30 juillet 2025. Les contributions finales ne devront pas dépasser 40 000 signes. Elles devront suivre les instructions aux auteurs de la revue.
• Elles seront soumises à la procédure d’évaluation de la revue : l’acceptation du résumé ne vaut pas acceptation de la version définitive de l’article.

Responsables scientifiques

• Gabriel Segré : Maître de Conférences HDR, sociologie, Université Paris Nanterre gabriel.segre@parisnanterre.fr
• Arnaud Alessandrin, docteur en sociologie, Université de Bordeaux arnaud.alessandrin@gmail.com
• Christophe Apprill, sociologue, membre associé à l’URMIS (UR migrations et société) christophe.apprill@orange.fr

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