Calenda - The calendar for arts, humanities and social sciences
Published on Wednesday, February 26, 2025
Abstract
L’expérience du deuil se trouve souvent liée, dans la littérature, au sentiment de vivre dans un entre-deux-mondes, entre le monde des vivants et celui des morts, en marge des autres vivants et de la société qui ne savent guère comment se comporter envers les individus endeuillés. Ce trait serait, selon certains, spécifique à notre époque : les sociétés occidentales auraient connu, au xxe siècle, un bouleversement dans leur rapport à la mort et aux endeuillés. Le recul des rites funéraires rendrait la mort obscène, et entraînerait une gêne nouvelle les personnes endeuillées. De plus, le deuil concentre l’attention sur le lien rompu avec le mort et, ce faisant, oblitère tous les autres. Nous proposons d’étudier comment la marginalisation et/ou la marginalité des individus endeuillés est montrée et interrogée par la littérature occidentale.
Announcement
Coordination
- Anne Coudreuse, université Sorbonne Paris Nord, anne.coudreuse@univ-paris13.fr.
- David Galand, université Sorbonne Paris Nord, david.galand@univ-paris13.fr.
Argumentaire
« Ah ! comment vivre tel entre deux mondes, écartelé sans rémission ? » interroge Gustave Roud dans Requiem (1967), écrit dans le deuil de sa mère. L’expérience du deuil se trouve liée, dans de nombreux textes littéraires, au sentiment de vivre dans un entre-deux-mondes, entre le monde des vivants et celui des morts, dans un espace indéfini mais fondamentalement en marge des autres vivants et de la société qui ne savent guère comment se comporter envers les individus endeuillés.
Ce trait serait, selon certains, spécifique à notre époque : depuis l’article fondateur de Geoffrey Gorer, “The Pornography of Death” (1955) et son développement dans Death, Grief and Mourning in Contemporary Britain (1965), il est en effet d’usage de considérer que les sociétés occidentales ont connu, au xxe siècle, un bouleversement dans leur rapport à la mort et aux endeuillés. Le recul des rites funéraires (veillées funèbres, deuil vestimentaire, recours à des pleureuses) et des occasions de côtoiement de la mort (exécutions publiques, morts prématurées) rend, selon l’anthropologue britannique, la mort obscène et entraîne, entre autres conséquences, une gêne nouvelle des individus envers la présence du cadavre mais aussi envers celle des personnes endeuillées. On sait combien cette thèse du déni de la mort a entraîné en France l’émergence d’études fondamentales sur la mort, aussi bien chez des historiens comme Philippe Ariès que chez des anthropologues tels que Louis-Vincent Thomas ou Jean Ziegler. Si, sans être fondamentalement remise en cause, elle a ensuite été nuancée et infléchie par les travaux de Jean-Didier Urbain, de Jean-Hugues Déchaux ou de Patrick Baudry, c’est pour souligner le plus souvent, malgré les nouvelles pratiques funéraires, le phénomène d’intimisation de la mort (Clavandier, 2009). Les discours philosophique, anthropologique et sociologique s’orientent ainsi depuis quelques années vers une exploration approfondie des rapports directs variés, non ritualisés ou tout au moins en marge des rites, que les vivants entretiennent avec les morts (Despret, 2017), jusque dans les sociétés non occidentales (Delaplace, 2024). Ce faisant, c’est la question du deuil, dans sa dimension intime, qui devient centrale et qui accompagne l’attention toujours plus grande des écrivains et des poètes à ce que le deuil, quand il nous touche, ébranle et bouleverse dans notre rapport aux autres – les proches comme la société en général.
Car, quand un deuil survient, c’est bien sûr le lien irrémédiablement rompu avec le mort qui occupe toute la pensée, mais, ce faisant, ce lien oblitère tous les autres qui semblent devenir secondaires. Ainsi Anne Godard a-t-elle dressé dans le roman L’Inconsolable le portrait d’une femme pour qui la mort du fils préféré rend vains tous les autres attachements. Hors de la fiction, dans l’expérience vécue du deuil, bien d’autres ont, dans leurs journaux de deuil (Snauwaert, 2023), dans leurs essais (Forest, 2007 ; Riley, 2024) ou leurs poèmes, souligné la solitude dans laquelle le chagrin les a plongés, et les plonge encore, puisqu’il n’est aucun retour possible au temps d’avant, nonobstant l’insistante injonction de la vulgate freudienne à « faire son deuil », son « travail de deuil » ou de résilience – dont les ouvrages de Philippe Forest en particulier ont montré le caractère profondément irritant et inadéquat. Boris Cyrulnik lui-même se méfie de l’usage néolibéral que l’on fait de la notion de résilience qu’il a proposée sans prévoir qu’elle connaîtrait un succès tel qu’elle s’est galvaudée. Les personnes endeuillées ne se sentent pas seulement éloignées des vivants, ils vivent dans une autre temporalité (Riley, 2024).
Nous proposons d’étudier, pour ce nouveau numéro thématique de la revue en ligne Itinéraires. LTC, comment la marginalisation et/ou la marginalité des individus endeuillés est montrée et interrogée par la littérature occidentale, quels que soient le cadre générique adopté par l’écrivain (roman, poème, théâtre, écriture de soi…), la langue et l’époque de celui-ci. Nous pensons en effet que cette expérience, sans doute accentuée dans le monde contemporain, ne lui est pourtant pas nécessairement spécifique. N’est-ce pas en effet, peu ou prou, celle que subit déjà Antigone ? N’est-ce pas, plus près de nous, l’expérience qu’interrogent Hugo dans Les Contemplations, Rodenbach dans Bruges-la-Morte ? N’est-ce pas encore tout récemment l’objet du dernier roman de Paul Auster, Baumgartner ? Que dit la littérature de la place véritable de l’endeuillé ? Quels processus le mettent ou lui permettent de se mettre à l’écart des vivants ? Certains « deuils sans noms » favorisent-ils cet éloignement-absentement ? Qu’autorise cet espace-temps particulier du deuil : une méditation, une réparation, un approfondissement du chagrin et de l’amour ou de l’attachement dont il est la continuation ? Quelle contiguïté, quelle proximité l’endeuillé éprouve-t-il avec les morts ? Quelle importance revêt alors le concept de hantise ? Comment redéfinit-il, reconfigure-t-il sa proximité avec les vivants dans un deuil qui semble (mais peut-être est-ce illusion) accroître la distance ?
La problématique que nous proposons voudrait demeurer résolument ouverte ; cependant les contributions pourront par exemple aborder les axes suivants, non exhaustifs :
- les signes du deuil et leur impact sur les autres (vêtements de deuil, larmes, signes religieux, photographies des défunts, etc.) ;
- la temporalité du deuil (mélancolie, nostalgie, « temps sans temps » (Jacques Chessex), temps arrêté, suspendu, etc.) ;
- le recul ou la permanence des écritures partagées du deuil (tombeaux poétiques collectifs, volumes d’hommage, etc.) ;
- les représentations du soi endeuillé dans les écritures de nature autobiographique ou dans les œuvres poétiques (livres de deuil, élégies, thrènes, etc.) ;
- les fictions du deuil (au théâtre comme dans les récits en tout genre, voire dans certains recueils poétiques) et le rapport de la fiction au deuil à travers le personnage endeuillé ;
- la spécificité éventuelle des deuils : est-ce la même expérience dans le deuil d’un grand-parent, d’un parent ou d’un enfant notamment ? ;
- le deuil entre expérience intime, singulière, et expérience collective, devant la mort de figures historiques et/ou médiatiques ;
- la spécificité éventuelle des deuils liés au terrorisme ou aux catastrophes.
Envoi des propositions
Les propositions sont à envoyer sous forme de résumé d’environ 300 mots accompagné d’une courte biobibliographie aux coordinateur·rices :
Anne Coudreuse, anne.coudreuse@univ-paris13.fr.
David Galand, david.galand@univ-paris13.fr.
Calendrier prévisionnel
- 15 février 2025 : lancement de l’appel à contribution ;
-
15 mai 2025 : date limite de réception des propositions ;
- 15 décembre 2025 : date limite de réception des articles ;
- 15 juillet 2026 : date de retour des articles révisés ;
- Publication prévue : premier semestre 2027.
Sélection et publication des textes
Quelle que soit leur origine, les articles sont dans un premier temps sélectionnés par les coordinateurs de numéros (pour les textes entrant dans la partie thématique de la revue) ou par le comité de rédaction (pour les textes varia).
Chaque texte du numéro ainsi constitué, ainsi que chaque texte varia, est ensuite soumis à deux expertises par des universitaires majoritairement extérieurs à l’université Paris 13. Les membres du comité de lecture sont alors sollicités, ainsi que des personnalités extérieures, choisies ponctuellement, en fonction du thème abordé, pour leur expertise dans le domaine concerné. Cette relecture se fait de manière anonyme, en double aveugle. Une grille de lecture est fournie aux experts afin de normaliser la présentation des avis. Les experts peuvent suggérer d’écarter certains textes de la publication, ou proposer des modifications afin de les adapter aux exigences de la revue.
La direction synthétise ensuite ces recommandations et les transmet de façon anonyme aux responsables de numéros afin qu’ils demandent aux auteurs de procéder aux corrections nécessaires. Les responsables de numéro valident un sommaire définitif à partir des versions révisées des articles.
Le manuscrit complet révisé est centralisé par la direction et vérifié par le comité de rédaction avant validation finale pour publication. Une synthèse est remise aux responsables du dossier comprenant les éventuelles recommandations supplémentaires aux auteurs. Le comité peut décider d’écarter des articles n’ayant pas respecté les recommandations des experts et les normes scientifiques de la revue.
Après préparation de copie, une première épreuve est renvoyée aux auteurs pour leur permettre une dernière relecture. Après intégration des corrections des auteurs, les secondes épreuves sont transmises aux directeurs de numéro et de la revue. Le BAT est visé par la direction de la revue.
Bibliographie
Allouch, J. (1997 [1995]). Érotique du deuil au temps de la mort sèche. Paris : EPEL.
Ariès, P. (1977). L’Homme devant la mort. Paris : Seuil.
DOI : 10.14375/NP.9782020047319
Bacqué, M.-F., & Hanus, M. (2003). Le deuil. Paris : Presses universitaires de France.
DOI : 10.3917/puf.bacqu.2020.01
Balcazar Moreno, M. (2010). Travailler pour les morts : Politique de la mémoire dans l’œuvre de Jean Genet. Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle.
Carlat, D. (2007). Témoins de l’inactuel : Quatre écrivains contemporains face au deuil. Paris : Corti.
Clavandier, G. (2009). Sociologie de la mort : Vivre et mourir dans la société contemporaine. Paris : Armand Colin.
DOI : 10.3917/arco.clava.2009.01
Conort, B. (2002). Pierre Jean Jouve : Mourir en poésie. Presses universitaires du Septentrion.
Delaplace, G. (2024). La voix des fantômes : Quand débordent les morts. Paris : Seuil.
Delecroix, V., & Forest, P. (2015). Le deuil : Dialogue, entre le chagrin et le néant, entretien C. Portevin. Paris : Philosophie Magazine.
Derrida, J. (2003). Chaque fois unique, la fin du monde. Paris : Galilée.
Despret, V. (2017). Au bonheur des morts : Récits de ceux qui restent. Paris : La Découverte, 2017.
DOI : 10.3917/dec.despr.2017.01
Forest, P. (2010). Le roman infanticide : Dostoïevski, Faulkner, Camus : Essai sur la littérature et le deuil. Nantes : Cécile Defaut.
Forest, P. (2007). Tous les enfants sauf un. Paris : Gallimard.
Fort, P.-L. (2007). Ma mère, la morte : L’écriture du deuil au féminin chez Yourcenar, Beauvoir et Ernaux. Paris : Imago.
Fort, P.-L. (2023). Les Deuils sans noms : Écritures contemporaines de la perte. Paris : Classiques Garnier.
Freud, S. (1986 [1917]). « Deuil et mélancolie », trad. J. Laplanche et J.-B. Pontalis. In Métapsychologie. Paris : Gallimard.
DOI : 10.3917/soc.086.0007
Fureix, E. (2009). La France des larmes : Deuils politiques à l’âge romantique (1814-1840). Ceyzérieu : Champ Vallon.
Glaudes, P., & Rabaté, D. (dir.) (2005). Deuil et littérature. Pessac : Presses universitaires de Bordeaux.
DOI : 10.4000/books.pub.6422
Gorer, G. (2004). Ni pleurs ni couronnes, précédé de Pornographie de la mort, trad. H. Allouch. Paris : EPEL.
Laufer, L. (2006). L’énigme du deuil. Paris : Presses universitaires de France.
DOI : 10.3917/puf.lauf.2006.01
Loraux, N. (1990). Les mères en deuil. Paris : Seuil.
Longneaux, J.-M. (2020). Finitude, solitude, incertitude : Philosophie du deuil. Paris : Presses universitaires de France.
Maulpoix, J.-M. (2018). Une histoire de l’élégie. Paris : Pocket.
Picard, M. (1995). La littérature et la mort. Paris : Presses universitaires de France.
DOI : 10.3917/puf.picar.1995.01
Riley, D. (2024). “Time Lived, Without Its Flow”, trad. G. Condello. In Chants d’adieu. Paris : Bayard.
Snauwaert, M. (2023). Toute histoire de deuil est une histoire d’amour. Saint-Laurent : Boréal.
Thomas, L.-V. (2003 [1988]). La mort. Paris : Presses universitaires de France.
DOI : 10.3917/puf.thoma.2003.01
Trevisan, C. (2001). Les fables du deuil : La Grande Guerre : mort et écriture. Paris : Presses universitaires de France.
DOI : 10.3917/puf.trevi.2001.01
Watthee-Delmotte, M. (2019). Dépasser la mort : L’agir de la littérature. Arles : Actes Sud.
Wieser, D. (2004). Nerval : Une poétique du deuil à l’âge romantique. Genève : Droz.
Yapaudjian-Labat, C. (2010). Écriture, deuil et mélancolie : les derniers textes de Samuel Beckett, Robert Pinget et Claude Simon. Paris : Classiques Garnier.
Ziegler, J. (1973). Les vivants et la mort : Essai de sociologie. Paris : Seuil.
Subjects
- Language (Main category)
- Mind and language > Representation > Cultural history
- Mind and language > Language > Literature
- Mind and language > Representation > History of art
- Mind and language > Representation > Heritage
- Mind and language > Representation > Visual studies
- Mind and language > Representation > Cultural identities
Places
- 99 Av. Jean Baptiste Clément
Villetaneuse, France (93430)
Date(s)
- Thursday, May 15, 2025
Keywords
- deuil, marge, rite, mort
Contact(s)
- Anne Coudreuse
courriel : anne [dot] coudreuse [at] univ-paris13 [dot] fr - David Galand
courriel : david [dot] galand [at] univ-paris13 [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Matthis Tabeling
courriel : edition-publications [dot] lshs [at] univ-paris13 [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Marginalité des endeuillés », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, February 26, 2025, https://doi.org/10.58079/13dq6

