Danse et caricature
Revue « Ridiculosa » n° 33
Published on Wednesday, October 01, 2025
Abstract
Ridiculosa est depuis 1994 une publication annuelle de l’EIRIS (Équipe Interdisciplinaire de Recherche sur l’Image Satirique), composante de l’HTCI (Héritages & Constructions dans le Texte et l’Image) de l’Université de Bretagne Occidentale. Elle publie des dossiers et des articles centrés sur l’analyse de l’image satirique, sur l’histoire de la satire imagée, sur le rapport entre image satirique et histoire des mentalités, sur le rapport entre rire et sourire, sur le métier de caricaturiste dans la société et ses problèmes de déontologie. Ce numéro 33 de la revue Ridiculosa, entend poser des jalons qui pourront servir de base solide à des travaux futurs contribuant ainsi non seulement aux études sur la danse, mais aussi sur l’histoire des mentalités, des sensibilités, sur la perception et représentation du corps ainsi que sur les études de genre.
Announcement
Argumentaire
La danse, comme d’autres arts, est pratiquée par l’ensemble de l’humanité mais cette universalité apparente ne doit pas masquer des pratiques extrêmement diversifiées. Dans la réalité concrète, il est difficile de s’accorder sur une définition unique, tant les fonctions et les modes d’expression de la danse peuvent varier, sachant que même l’accompagnement musical n’est pas impératif. Rituelle ou profane, collective ou individuelle, spectacle ou pratique, la danse revêt bien des aspects qui sont autant de sources d’inspiration pour la caricature. Pourtant, il faut admettre que jusqu’ici la recherche universitaire ne s’est pratiquement pas saisie de cette question. Ce numéro de Ridiculosa, sans pallier à lui seul ce manque, entend poser des jalons qui, espérons-le, pourront servir de base solide à des travaux futurs contribuant ainsi non seulement aux études sur la danse, mais aussi sur l’histoire des mentalités, des sensibilités, sur la perception et représentation du corps ainsi que sur les études de genre.
Très codifiées les danses sont étroitement liées à des pratiques culturelles, au niveau local, régional, national… mais aussi à des classes sociales et des usages dissemblables. Cinq grandes familles de caricatures sur la danse se distinguent que l’on retrouve non seulement sous forme de dessins de presse dans les revues satiriques telles que Charivari, Punch, Kladderadatsch, pour n’en citer que quelques-unes parmi les plus célèbres, mais aussi de cartes postales souvent anonymes :
- La danse comme métaphore politique
- La danse de spectacle
- Les danseuses et danseurs célèbres
- Les danses de salon dans la caricature (polka, tango, charleston…)
- Les danses folkloriques et traditionnelles
Sachant que ces catégories ne sont pas étanches et que bien des caricatures jouent sur plusieurs registres.
La danse comme métaphore politique
La danse est un thème récurrent de la caricature politique. Dans l’histoire moderne, on en trouve des exemples dès le XIVe siècle (danse macabre p. ex.), ou ensuite pour ridiculiser les belligérants de la guerre de Trente ans, ou, plus tard encore, lors du congrès de Vienne en 1815, initiant un mouvement de fond. Avec la multiplication des feuilles satiriques grâce aux progrès de la production de papier et des techniques d’imprimerie au XIXe siècle, la plupart des gouvernements deviennent la cible de caricatures qui les mettent en scène en plaçant les personnages dans des poses et des vêtements incongrus. En jouant sur les codes du genre, le recours à la danse permet aux caricaturistes d’induire des relations de pouvoir et de soumission, en particulier dans les relations internationales entre plusieurs pays, transformant le concert des nations en une salle de bal plus ou moins bien réglée au gré des danses à la mode, soit, selon l’époque, la gavotte, la valse, la polka, le cake walk, la mattchiche… sous toutes leurs variantes. Les périodes de guerre sont particulièrement propices à ces images dont la « danse au-dessus- du volcan » n’est qu’un exemple, qu’il s’agisse aussi bien de la France de Louis-Philippe que de l’Autriche de 1920. Cette tradition s’est perpétuée dans les caricatures jusqu’au couple Poutine-Trump dans de nombreuses variantes. Le nombre de participants n’est d’ailleurs pas limité à deux, d’autant que la danse n’inclut pas que les danseurs, mais tous les acteurs d’une salle de bal ou d’un théâtre.
Cette dimension collective n’empêche en rien les caricatures plus individuelles ciblant non plus un gouvernement ou une politique mais une personne. Un classique du genre est la représentation des dirigeants masculins en tutu, une représentation qui transgresse la frontière des genres, surtout lorsque ces hommes, comme le chancelier Bismarck ou l’empereur François-Joseph, ont pour habitude de poser en uniforme, apanage d’un domaine strictement masculin jusqu’à une date récente.
La confrontation entre la danse, ses codes, sa répartition très genrée des rôles et des costumes et le domaine politique génèrent des représentations complexes qu’on aura l’occasion d’analyser.
Les relations personnelles scandaleuses entre un souverain et une danseuse, comme Léopold de Belgique et Cléo de Mérode ou le roi de Bavière Louis 1er et Lola Montez semble a priori n’entrer que partiellement dans le champ de ce numéro, dans la mesure où, dans les caricatures où elles sont associées à leur amant, ces femmes ne sont pas systématiquement représentées en train de danser. Mais il est évident que ces images interfèrent avec le stéréotype de la danseuse- prostituée, une représentation bien établie au XIXe siècle, dont s’est largement saisie la caricature et qu’il ne faudrait pas négliger, d’autant que ces relations scandaleuses coïncident avec une exposition spectaculaire de la danse au regard du public. La caricature sur la danse rejoint ici l’étude de mœurs.
La danse de spectacle
La danse de spectacle a, en effet, connu un essor sans précédent au XIXe siècle et est vite devenue un sujet très populaire de la littérature, de l’art – dont Degas est un exemple célèbre – et de la caricature. Cette « dansomanie » se justifie tant par l’essor de la bourgeoisie que par la démocratisation de l’accès aux salles de ballets comme le montre Bénédicte Jarasse, l’une des très rares chercheu·ses à avoir étudié les caricatures de danse. En Europe le phénomène est tel que des caricaturistes comme Charles Vernier ou Edouard de Beaumont consacrent des séries entières à l’opéra du XIXe ou aux erreurs communes dans les pas de danse de salon à l’instar de George Cruikshank en Grande Bretagne. La danse de théâtre, en particulier à l’opéra, faisant désormais partie intégrante de la vie publique, envahit les pages des magazines satiriques, d’autant plus que le « dressage » du corps des danseurs et danseuses de ballet pose la question de l’intégration de l’humain dans l’ère industrielle, question qui ressurgira en Europe entre les deux Guerres mondiales à propos des troupes de « girls ». Ce changement de statut de la danse spectacle et des danseurs et danseuses induit des réactions nombreuses qui ou que ? reflètent les débats de leur temps de manière humoristique.
Les danseuses et danseurs célèbres
Les caricatures de danseuses, et, dans une moindre mesure, de danseurs célèbres découlent directement de cette célébrité nouvelle des étoiles de l’opéra et des théâtres de boulevard autour de 1900 à une époque où la danse est en pleine effervescence expérimentale. En s’émancipant des codes dans l’élan d’Isadora Duncan, de nombreuses danseuses de cabaret révolutionnent le genre et attirent les foules, même pour une courte durée (Ruth Saint-Denis, Gertrude Barrison, Loïe Fuller et sa danse des voiles…). Elles deviennent des icônes connues également du grand public, au point que leur image est même utilisée par la publicité. Isadora Duncan, la belle Otéro, ou, au XXe siècle, les membres des ballets russes et Joséphine Baker sont encore illustres. Il est clair qu’avant même l’émergence du cinéma, les personnalités de la danse deviennent des personnages publics et sont, de ce fait, du pain béni pour les caricaturistes. Le cas de Joséphine Baker est d’autant plus impressionnant que les caricatures de celle-ci n’ont jamais cessé depuis 1925, malgré la concurrence de bien d’autres célébrités. Propulsés brutalement dans la lumière, ces corps de danseurs et danseuses exposés, non seulement aux spectateurs, mais aux lecteurs de magazines, aux passants regardant des affiches, ou aux amateurs de cartes postales, remettent en cause la représentation de la danse et du corps, ce qui se répercute directement dans les caricatures de ces époques successives.
Les danses de salon dans la caricature (polka, tango, charleston…)
La grande nouveauté tout comme l’obsolescence sont des cibles privilégiées des caricaturistes. Il en est ainsi de la danse, en particulier les danses de salon, quelle que soit l’époque : valse et polka au début du XIXe siècle, danses d’origine américaine comme le cakewalk à la fin du XIXe siècle, puis le tango, et enfin toutes les danses dites jazz autour de la Première Guerre Mondiale (boston, black bottom, charleston) sans omettre un grand nombre d’oubliées incongrues tel le pas de l’ours. Autant que les danses elles-mêmes et leur caractère spectaculaire stupéfiant à bien des égards, ces caricatures brocardent bien des aspects de la société, à commencer par leur porosité aux cultures étrangères souvent perçues aussi bien comme robotisées que primitives. Elles reflètent les conflits entre générations, le changement de statut de la danse, les nouvelles exigences sportives, le passage d’une culture d’élite à une culture de masse, une relative émancipation de la femme… autant d’aspects qui méritent une analyse approfondie.
Les danses folkloriques et traditionnelles
La question de l’étrangeté de danses culturellement très marquées, comme, par exemple, le tango ou le cakewalk des anciens esclaves nord-américains, donne aux caricaturistes l’occasion de forcer le pittoresque ou l’exotisme des danses traditionnelles, que ce soit pour les citadins confrontés aux danses régionales ou pour les ressortissants de pays coloniaux vis-à-vis des colonisés. Racisme patent, regard condescendant ou admiratif, la palette des caricatures est large. Elles empiètent souvent sur le champ politique en représentant, par exemple, le roi d’Espagne Alphonse XIII en danseur de flamenco. Le président du conseil de la Troisième République Emile Loubet en est un autre exemple : lui faire exécuter la « danse du nougat », sachant qu’il est originaire de Montélimar, est une manière de lui dénier toute stature nationale. On peut encore citer Vladimir Poutine en culotte bouffante dansant le kazatchok, danse d’origine ukrainienne absorbée par le folklore russe.
Dans ces caricatures la danse, présentée comme porteuse d’identité culturelle, sert souvent à établir des prétendues hiérarchies entre différents niveaux de civilisation mais elle peut aussi servir de marqueur identitaire.
Sans prétendre à l’exhaustivité, ces catégories, non exclusives les unes des autres, pourront permettre aux chercheurs et chercheuses d’adosser leur étude à une de ces grandes problématiques sans restriction d’époque ni de lieu et tout en sachant que les différents champs s’interpénètrent, ce qui fait tout le charme et la polysémie des caricatures sur la danse.
Modalités de soumission
Les articles (20 000 à 25 000 signes ; 8 à 12 illustrations) pourront être rédigés dans les 3 langues de travail de la revue (français, allemand, anglais). Les propositions devront être accompagnées d’une brève bio-bibliographie, ainsi que d’un résumé de l’article (100-150 mots max.) et 4-5 mots-clés. Elles devront être adressées aux trois coordinateurs du numéro : Pascale Cohen- Avenel (Université Paris Nanterre), Alain Deligne (Université de Münster) et Marie-Angèle Orobon (Université Sorbonne Nouvelle) à ces 3 adresses mail :
- pcohen-avenel@parisnanterre.fr
- delignea@uni-muenster.de
- maorobon@wanadoo.fr
avant le 15 novembre 2025
Calendrier
- Date limite d’envoi des propositions : 15 novembre 2025
- Acceptation des propositions : 30 novembre 2025
- Envoi de l’article rédigé : 15 avril 2026
Coordinateurs
- Pascale Cohen- Avenel (Université Paris Nanterre)
- Alain Deligne (Université de Münster)
- Marie-Angèle Orobon (Université Sorbonne Nouvelle)
Bibliographie
ALAIN, Système des Beaux-Arts, Tel Gallimard (Livre II, « De la danse et de la parure », Livre IX, « Du Dessin », chap. 8, « De la caricature »).
CAHUSAC, Louis de, La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse, La Haye, Neaulme, 1754. Version numérisée accessible sur le site Hula-num : https://obtic.huma-num.fr/obvil-web/corpus/danse/cahusac_danse-ancienne-et- moderne
JARRASSE, Bénédicte, « Corps-machines à l’Opéra : l’imaginaire scientifique dans les
écrits sur la danse (1830-1860) », Arts et Savoirs [En ligne], 16 | 2021 :
http://journals.openedition.org/aes/4075
JARRASSE, Bénédicte, Les deux corps de la danse : l’imaginaire de la danse théâtrale dans la littérature et l’iconographie européennes : 1830-1870, thèse de doctorat sous la direction de Guy Ducrey, thèse de littérature comparée, Université de Strasbourg, 2014.
LEGAT, Nicolai and Sergei, Russki Balet v karikatura, Saint Petersburg, 1902-1905 (reprint en anglais : Nicolai and Sergei Legat, Russian Ballet in Caricatures, Noverre Presse, 2021)
LILTI, Antoine, L’invention de la célébrité 1750-1850, Paris, Fayard, Collection Pluriel, 2022.
LOUPE, Laurence, Poétique de la danse contemporaine, éd. Contredanse, 2004.
TILLIER, Bertrand, « Le Pas du commandité » dans Christophe Vital - Antoinette Le Normand-Romain, Sylvie Patin, Emmanuelle Héran ... [et al.], Catalogue de l’exposition Clémenceau et les artistes modernes, Manet, Monet, Rodin.., Paris, Somogy, pp. 192-195, 2013.
VALÉRY, Paul, Degas, Danse, Dessin, Paris, Vollard, 1936.
VONTRA, Gerhard, Tanz und Musik : Karikaturen, Mit Anmerkungen von Bärbel Renner, Leipzig, Peters, 1988
Subjects
- Representation (Main category)
- Mind and language > Information > Information sciences
- Mind and language > Representation > Cultural history
- Society > Political studies > Political history
- Mind and language > Thought > Intellectual history
- Mind and language > Representation > History of art
- Mind and language > Representation > Visual studies
- Mind and language > Information > History and sociology of the media
Date(s)
- Saturday, November 15, 2025
Attached files
Keywords
- danse, caricature, représentation
Contact(s)
- Pascale Cohen-Avenel
courriel : pcohen-avenel [at] parisnanterre [dot] fr
Information source
- Pascale Cohen-Avenel
courriel : pcohen-avenel [at] parisnanterre [dot] fr
License
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To cite this announcement
« Danse et caricature », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, October 01, 2025, https://doi.org/10.58079/14tl1

