Nous proposons d’interroger les modalités d’intervention en lobbying indirect. Celles-ci se réfèrent à une situation où des porteurs d’intérêts qui cherchent à influencer la décision politique choisissent d’investir l’espace public et médiatique pour faire pression sur les titulaires de charges publiques. A l’intersection de la sociologie politique et de la communication, la journée d’études vise donc à la fois à établir un bilan des travaux et à réfléchir aux approches, stratégies et tactiques associées au lobbyisme indirect, à partir de cas concrets, notamment en contexte francophone. Elle vise également à examiner l’arrimage de ces pratiques avec les stratégies de lobbyisme tyelles que traditionnellement conçues, et plus largement, à susciter la réflexion quant aux enjeux démocratiques et aux questionnements éthiques soulevés par ces pratiques.

Argumentaire

Bien que cruciale dans tout processus de développement d’une politique publique, l’influence exercée par divers porteurs d’intérêt a longtemps été le parent pauvre de la science politique (Garlick, 2025), entre autres en raison des défis méthodologiques associés à son évaluation (Woll, 2007 ; Courty, 2018 ; Bernhagen, 2024). Les travaux d’analyse des politiques publiques ont privilégié pour leur part une approche macro peu portée sur la présentation des stratégies, mais bien plutôt centrée sur la mise au jour des forme d’interaction et leur degré d’institutionnalisation selon les différents systèmes politiques, sur les types d’alliances (Jenkins-Smith, Sabatier, 1999) ainsi que sur les conditions d’élévation au rang d’entrepreneur de politiques publiques (pour une synthèse, Howlett, Ramesh, Perl, 2020 ; Carney, 2021).

Dans ce contexte, la recherche sur le lobbyisme en tant que tel s’est d’abord ancrée dans une perspective institutionnaliste, en vertu de laquelle on s’intéresse aux acteurs porteurs d’intérêts et à la construction de leur légitimité (Defacqz, 2018), ainsi qu’aux caractéristiques des lieux décisionnels (venues) et à leurs effets sur l’accès des lobbyistes aux décideuses et décideurs politiques (Weiler et Brändli, 2015). Par le biais des registres de lobbyistes existants, la manière dont se concrétise cet accès a également été étudiée (Baumgartner et al., 2009), de même que les ambitions et les résultats des réglementations en vigueur (Courty et Milet, 2018).

Bien que fort pertinentes, ces recherches, de nature interniste en quelque sorte, ont largement relégué un aspect du lobbyisme plus difficile à cerner : le lobbyisme indirect (ou outside lobbying, en contexte anglosaxon). Ce dernier réfère à une situation où des porteurs d’intérêts qui cherchent à influencer la décision politique choisissent d’investir l’espace public et médiatique pour faire pression sur les titulaires de charges publiques (Kollman,1998 ; Tresch, 2022). Cette stratégie s’accompagne généralement d’un discours visant à légitimer les revendications ainsi portées, en les associant à une certaine conception de l’intérêt général (Yates et Lalande, 2024) visant à infléchir l’opinion publique en leur faveur (Rasmussen et al., 2021). Afin de miser sur le caractère représentatif du point de vue défendu, les porteurs d’intérêt peuvent en outre susciter la mobilisation citoyenne, ces « appels au grand public » ayant pour objectif que la population se fasse le relais de leurs revendications auprès des décideuses et décideurs politiques. La formation de coalitions est entre autres une avenue privilégiée à cette fin (De Bruycker et Beyers, 2019 ; Walker, 2013). Dans cette optique, diverses tactiques de mobilisation, ou répertoires d’action, peuvent être déployées, entre autres par le biais des médias socionumériques ; cela dit, ces tactiques peuvent parfois emprunter des voies questionnables sur le plan éthique, notamment en raison de l’inégalité des ressources à la disposition des divers porteurs d’intérêt (Sedda, 2021). C’est également le cas lorsque ceux-ci stimulent la mobilisation citoyenne de manière plus ou moins transparente (Gervais, 2024), ou alors la simulent carrément, une démarche associée au similitantisme – ou à l’astroturfing (Lits, 2021).

Trois objets ont alors été privilégiés par la littérature internationale anglophone. Une série de travaux s’est intéressée à l’ambivalence de la relation entre les groupes d’intérêt et l’opinion publique, à travers l’enjeu des formes d’alignement et du sens des interactions (Rasmussen, Willems, 2022 ; Rasmussen & alii, 2018). Des enquêtes, essentiellement de nature quantitative ont porté sur la nature, les stratégies et les effets du ciblage proprement médiatique des groupes d’intérêt et des entreprises (Binderkrantz, 2012 ; Mykkänen, Ikonen, 2019 ; Binderkrantz & alii, 2023), accordant parfois une place importante au cadrage privilégié. Une dernière approche, reprenant les interrogations initiales posées par l’enquête précurseur de Kollman, questionne les conditions, contraintes d’engagement en lobbying de type indirect (Tresch, Fischer, 2015).

Si des publications de langue anglaise ont donc bien investi la question, les écrits francophones demeurent encore épars, sans permettre à ce jour de disposer d’une véritable systématisation. L’ensemble de la production disponible n’a de surcroît que faiblement interrogé ce que ces modalités d’intervention nous disent, aussi en creux, des transformations de l’ordre politique et des formes de régulation publique (Gervais, 2024).

À l’intersection de la science politique, de la sociologie politique et de la communication, le colloque vise donc à la fois à établir un bilan de ces travaux et à réfléchir aux approches, stratégies et tactiques associées au lobbyisme indirect, à partir de cas concrets, notamment en contexte francophone. Il vise également à examiner l’arrimage de ces pratiques avec les stratégies de lobbyisme telles que traditionnellement conçues, et plus largement, à susciter la réflexion quant aux enjeux démocratiques et aux questionnements éthiques soulevés par ces pratiques.

Les propositions de communication autour des thématiques suivantes sont particulièrement bienvenues ; les monographies nationales comme les recherches comparatives sont attendues ; les propositions comprenant une dimension empirique seront priorisées :

• Étude de cas autour du lobbyisme indirect, en mettant en exergue l’évaluation de telles stratégies sur la mise à l’agenda et la décision publique ;
• Analyse des cadrages ou des discours déployés à l’occasion d’une stratégie de lobbyisme indirect ;
• Stratégies de mobilisation en ligne à des fins de lobbyisme indirect ;
• Tactiques de similitantisme (astroturfing) ;
• Tentatives d’encadrement du lobbyisme indirect, notamment des appels au grand public.
• Dimensions théoriques et aspects méthodologiques liés à l’étude du lobbyisme indirect.

Modalités de soumission

-Les personnes intéressées sont invitées à soumettre une proposition de communication de 300 à 500 mots (hors références), en écrivant à : Marc Milet (marc.milet@assas-universite.fr) et à Stéphanie Yates (yates.stephanie@uqam.ca).

avant le 1er décembre 2025

Des actes de colloque sont prévus – le texte de la communication sera attendu au plus tard le 30 avril 2026 – et pourront culminer vers la publication d’un ouvrage collectif, en fonction de l’intérêt des participantes et participants et de la cohérence des contributions.

Coordinateurs

• Marc Milet, Professeur de science politique, Université Paris Panthéon Assas (CERSA)
• Stéphanie Yates, Professeure, département de communication sociale et publique, UQAM (Labfluens)

Références (sélectives)

Attarça M., Chomienne H. 2014. Les politiques publiques sous l’influence des       entreprises. Un regard gestionnaire », Revue française de gestion, 8, n° 245, (pp. 101-130).

Baumgartner, F. R., Berry, J., M., Hojnacki, M., Leech, B. L., Kimball, D. C. 2009. Lobbying and Policy Chang      e : Who Wins, Who Loses, and Why. Chicago. University of Chicago Press.

Bernhagen, P. 2024. Measuring the effectiveness of lobbying. In Research Handbook on Public Affairs (pp. 206-220). Edward Elgar Publishing.

Courty, G., Milet M. 2018. La juridicisation du lobbying en France. Les faux semblants de l’européanisation soft d’une politique de transparence, Politique européenne 61 (3) (pp.78-113).

De Bruycker, I., & Beyers, J. 2019. Lobbying strategies and succes      s : Inside and outside lobbying in European Union legislative politics. European Political Science Review, 11(1) (pp.57-74).

Defacqz, Samuel. 2018. The internal legitimacy of European interest groups : analyses of national interest groups perspectives, UC Louvain (promoteurs : Rihoux, Benoît et Koutroubas, Theodoros).

Garlick, A., Junk, W. M., & Brown, H. 2025. How Lobbying Matters. Annual Review of Political Science, 28.

Gervais J. 2024. Les affaires publiques d’une entreprise privée. Airbnb et l’orchestration d’un militantisme mercantile, Actes de la Recherche en sciences sociales, n°251 (pp. 16-33).

Kollman, 1998. Outside lobbying. Public opinion and interest group. Princeton University Press.

Lits, B. 2021. Exploring astroturf lobbying in the E      U : The case of responsible energy citizen coalition. European Policy Analysis 7 (1), (pp.226-239).

Mykkänen M., Ikonen P., 2019. Media strategies in lobbying process. A literature review on publications in 2000-2018, Academicus International Scientific Journal.

Rasmussen, A., Binderkrantz, A. S., Klüver, H. 2021. Organised interests in the media and policy congruence : The contingent impact of the status quo. European Journal of Policital Research 60 (4) (pp.975-993).

Rasmussen A., Kai Mäder L., Reher S., 2018. With a Little Help From The People ? The Role of Public Opinion in Advocacy Success, Comparative Political Studies, vol. 51(2) (pp.139–164).

Sedda, P. 2021. La mobilisation numérique : entre émancipation et rationalisation. Approches Théoriques en Information-Communication (ATIC) 3(2) (pp.53-74.) https://doi.org/10.3917/atic.003.0053.

Skorkjær Binderkrantz A., Jensen C., Graae Lossinno M., Bech Seeberg H. 2023. No, political actors do not get their message into the news : an analysis of the effect of interest group press releases, Interest Groups & Advocacy. 12 (pp.260–271).

Tresch A. 2022. Outside Lobbying. Dans Harris Ph., Bitoni A., Fleisher C. S, Skorkjær Binderkrantz A., ed. 2022. The Palgrave Encyclopedia of Interest Groups, Lobbying and Public Affairs (pp.983-987), Springer.

Tresch A., Fischer M. 2015. In search of political influence : Outside lobbying behaviour and media coverage of social movements, interest groups and political parties in six Western European countries, International Political Science Review, vol. 36(4) (pp.355–372).

Walker, E. 2013. Grassroots mobilization and outside lobbying. In New directions in interest group politics (pp. 44-59). Routledge.

Weiler, F., & Brändli, M. 2015. Inside versus outside lobbying : How the institutional framework shapes the lobbying behaviour of interest groups. European Journal of Political Research, 54(4) (pp.745-766).

Woll C. 2007. Leading the Dance ? Power and Political Resources of Business Lobbyists, Journal of Public Policy, 27 (pp. 57-78).

Yates, S., et Lalande, J. 2024. « Le lobbyisme indirect : Construire sa légitimité par la « montée en généralité » et la prétention à la représentativité ». Dans M. Lalancette et F. Bastien (dir.). Médiatisation de la politique. Logiques et pratiques (p. 43-62). Québec : Presses de l’Université du Québec.