AccueilLe nouveau-né, un objet philosophique ?

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Publié le jeudi 28 mai 2009

Résumé

Considérant les incertitudes contemporaines du droit relativement au statut de l’embryon et à la définition de la personne (en particulier en ce qui concerne le début de la personnalité) ; considérant aussi les diverses mesures relatives à la bioéthique qui tendent à accorder la primauté à l’appartenance biologique à l’espèce plutôt qu’à l’individu tout en troublant les relations entre science juridique et sciences du vivant ; considérant enfin les mutations récentes de la figure de l’embryon induites par les technologies d’imagerie médicale et les techniques d’assistance à la procréation, ce colloque a pour ambition de (ré)ouvrir la question de la naissance et de caractériser la figure du nouveau-né comme objet à part entière de la philosophie du droit.

Annonce

Les communications auront pour fin de souligner le caractère spécifique de la naissance humaine tout en mettant l’accent sur le nouveau-né comme figure inaugurale de la réflexion juridique. La réussite d’une telle entreprise est subordonnée à la résolution (à tout le moins à la position claire et précise) d’un certain nombre de questions qui se peuvent réduire à trois fondamentales :

1.En quoi les difficultés rencontrées aujourd’hui par le droit de la bioéthique obligent à reconstruire la problématique de la naissance ?

2.Quelle est la spécificité de la naissance humaine, tant d’un point de vue historique que biologique ?

3.Comment et pourquoi la figure du nouveau-né doit être prise comme clef de voûte de toute théorie du droit qui prétendrait sortir le droit positif contemporain des apories dans lesquelles il s’est jeté en tentant d’encadrer les nouvelles pratiques procréatiques ?
L’ordre adopté pour les communications suivra la logique de cette problématique et les intervenants (qui ont tous déjà accepté de se plier à cet exercice) auront pour mission de répondre à la question-titre de cette journée tout en se pliant aux exigences de leur discipline propre. 

« Le principe de légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 226-6 du Code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon et le fœtus »[1]

L’arrêt de la Cour de Cassation rendu le 29 juin 2001 dont cette citation est tirée casse un jugement qui avait qualifié la mort accidentelle d’une femme enceinte de double homicide involontaire. Il rappelle ce faisant un élément fondamental du droit : la personnalité juridique s’acquiert avec la naissance viable. En naissant, l’individu devient au regard du droit autre chose qu’une entité biologique humaine, il devient très exactement et pleinement sujet de droit. Selon la summa divisio – et à condition que celle-ci soit encore de mise, ce que maints éléments doctrinaux tendraient à nier jugeant qu’elle n’est plus aujourd’hui pertinente pour aborder le réel – le fœtus (et l’embryon) ne sont que des choses, seul l’enfant né viable est considéré comme personne.

Il se joue donc, pour le droit, quelque chose d’essentiel avec la naissance, à savoir l’inauguration d’une nouvelle personnalité. Et pourtant, le simple fait que la Cour de Cassation ait dû rendre un arrêt de cette teneur en dit long sur les incertitudes que nous rencontrons aujourd’hui. L’arrêt du 6 février 2008 de la Cour de cassation qui autorise l’établissement d’un acte d’enfant sans vie sans restriction eu égard à la durée post-conceptionnelle n’est propre qu’à confirmer cette tendance, et il en va de même de l’attention et des interrogations réitérées à propos du sens qu’il faut accorder au principe hérité du droit romain « Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur »[2]

Tout se passe comme s’il devenait de plus en plus incompréhensible – ou bien encore de plus en plus inacceptable (et l’on voit déjà ici poindre le discours éthique) – que la protection juridique accordée aux personnes (aux sujets de droit) ne soit pas étendue à l’enfant à naître.  Le caractère inacceptable de cette attitude du droit à  l’encontre de l’enfant non encore né peut sans doute s’expliquer de bien des manières, non exclusives l’une de l’autre et même propres à se renforcer l’une l’autre. Il n’entre pas dans notre propos de les énumérer, il nous suffit ici de suggérer que depuis qu’il est devenu possible de voir l’enfant à naître (par l’échographie), depuis qu’il est devenu possible d’initier une gestation à un moment précis (grâce à toutes les techniques de procréation médicalement assistée) depuis – aussi – qu’il est devenu envisageable de ne pas avoir d’enfant si l’on ne le souhaite pas (grâce aux moyens de contraception), l’enfant à naître est l’objet de toutes les attentions et le point de focale de toutes les préoccupations. Bien plus, les progrès récents de l’obstétrique nous incitent à faire le constat suivant : le fœtus (et il en va de même de l’embryon) a acquis le statut de patient  de la médecine – même si l’on ne peut recueillir son consentement puisqu’on intervient aujourd’hui directement sur lui (par la pharmacologie, par la chirurgie, etc…).

Ce changement d’attitude à l’égard de ce qui, jusqu’à récemment, n’était pas visible et demeurait hors de la maîtrise technologique entre aujourd’hui en conflit avec quelques principes fondamentaux du droit. En témoignent, outre l’arrêt cité plus haut, nombre d’événements et de bouleversements juridiques. Il n’est, pour le souligner, qu’à rappeler l’article 16 du code civil (en vigueur) créé par la loi n°94-653 du 29 juillet 1994, dite « première loi de bioéthique », qui a fixé les conditions d’accès à la procréation médicalement assistée : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Texte dans lequel il est aisé de percevoir les incertitudes du droit quant à la question de l’embryon et du fœtus compte tenu de la définition du début de la personnalité juridique. On pourrait aussi à ce titre, toujours pour souligner les incertitudes du droit, rappeler comment depuis quelques décennies et surtout depuis le développement de la réflexion bioéthique, la notion de « personne humaine » tend à s’imposer et même à supplanter, pour la critiquer, la notion strictement juridique de personne. L’avis du CCNE du 23 mai 1984 a ainsi proposé de   faire de l’embryon et du fœtus des « personnes humaines potentielles », notion vague et particulièrement inintelligible pour le droit (et principalement du point de vue de la summa divisio), et qui introduit en outre au sein du droit un trouble particulièrement important puisqu’elle suggère l’incomplétude et les lacunes de la notion de personne juridique, tant dans son extension temporelle que qualitative.

Il convient dès lors de se demander si le droit dispose de raisons légitimes pour limiter la personnalité à la naissance viable. Si le droit ne pouvait rendre raison d’une telle limitation, une proposition de réforme de la notion de personne apparaîtrait pleinement justifiée. En un mot, pourquoi le droit accorde-t-il (encore) une telle importance à la naissance ? Pourquoi le droit s’oppose-t-il – comme il l’a fait dans l’arrêt cité ici en liminaire - soit à une extension de la personnalité en deçà du seuil de la naissance, soit à une remise en cause de la summa divisio ?

La question s’impose avec d’autant plus de force qu’il n’existe pas de différence physiologique fondamentale entre l’enfant né et le fœtus juste avant la naissance. Si l’on considère la complexité biologique de l’organisme, la différence entre un embryon et un fœtus est bien plus grande que celle qui existe entre un fœtus et un nouveau-né. Biologiquement, il ne se passe rien (ou presque) à la naissance et l’embryogenèse connaît nombre d’étapes plus riches en événements et bouleversements physiologiques.  Le nouveau-né est dépendant d’une autre personne pour sa survie, il ne peut se nourrir seul, il ne peut se déplacer de manière autonome, il ne sait pas parler, tout comme le fœtus. En termes juridiques, l’incapacité du nouveau-né n’est pas moindre que celle du fœtus juste avant la naissance. Autrement dit, l’un comme l’autre sont parfaitement incapables d’exercer la responsabilité afférente à la qualité de personne. Seules la respiration aérienne autonome et la clôture du système circulatoire sanguin semblent distinguer l’enfant né du fœtus qu’il était antérieurement à la naissance. Or, on imagine mal qu’une telle distinction puisse fonder un changement de statut juridique d’une telle ampleur (et il suffit pour s’en convaincre de se demander si nous serions prêts à dénier le statut de personne à un individu incapable de respirer sans assistance respiratoire, ou encore à un individu sous perfusion sanguine).

C’est pourquoi il est légitime de se demander si le critère de la naissance viable pour déterminer le début de la personnalité juridique ne relève pas du pur arbitraire. Et si tel est le cas, ce critère est critiquable en tant que tel, donc amendable, à moins qu’il n’existe de bonnes raisons (ou une seule), juridique ou autre, pour persister dans l’affirmation que seule la naissance (viable) confère la personnalité. Mais force est de constater que le droit lui-même ne fournit pas de telles raisons, et l’on peut même le soupçonner de ne pas pouvoir, par essence, les fournir.

Il revient dès lors au philosophe, et en particulier au philosophe du droit, de se poser la question de la validité de ce critère et de sa justification. Mais, là encore, il faut convenir que la littérature philosophique n’est pas d’un grand secours. Il n’existe ainsi aucune entrée « naissance » ou « nouveau-né » dans les encyclopédies philosophiques disponibles[3].

En se demandant si le nouveau-né peut être considéré comme objet philosophique, il ne s’agit bien évidemment pas de suggérer l’ajout d’une entrée dans les encyclopédies dédiées à la philosophie pour le seul plaisir de les enrichir. Car, si tel était le cas, nous pourrions tout aussi bien faire n’importe quelle autre suggestion. Le propos de ce colloque est précisément d’essayer de montrer qu’une philosophie de la naissance, ou plus précisément la prise en compte de la figure du nouveau-né en tant que problème pour la philosophie du droit, est non seulement possible, mais en outre requise par un certain nombre de problématiques contemporaines et en particulier par la réflexion actuelle sur le droit, sa fonction anthropologique, et le rôle qu’il doit jouer dans la protection de l’humanité sous tous ses aspects (notamment biologiques). Car, c’est un fait, la pensée du droit s’est heurtée à plusieurs reprises ces dernières années sur la question de la naissance, et principalement des naissances résultant de techniques de procréation illicites. Et la mise en chantier dès aujourd’hui d’une telle réflexion sur la naissance se justifie d’autant plus que la révision de la loi de bioéthique de 2004 est prévue pour 2009,  celle-ci s’annonçant d’ores et déjà comme réforme du droit de la filiation et de conception de la personne juridique[4].

On le comprend, la question qui est ici posée dépasse largement le cadre d’un champ disciplinaire donné. Aussi ne s’agit-il pas de s’en tenir à l’exposé des qualifications de la naissance et du nouveau-né proposées par le droit positif. Tout au contraire, il s’agit de tenter de cerner ce qui se joue avec la naissance tant d’un point de vue anthropologique que médical afin de comprendre pourquoi et comment le nouveau-né doit constituer pour le droit la figure inaugurale de la personne. La diversité des communications proposées ci-dessous entend refléter cette exigence pluridisciplinaire.

[1] Cour de cassation, Assemblée plénière du 29 juin 2001.

[2] art. 311, art. 725, art. 906, C. civ.

[3] Le même constat peut être fait pour les encyclopédies francophones et anglophones consacrées à la bioéthique.

[4] Cela ressort en particulier du Rapport n°2832 fait au nom de la mission d’information sur la famille et les droits des enfants du 25 janvier 2006.

Programme

Présidence de séance : Patrick Savidan (Philosophe, Maître de conférences à l'Université de Paris-Sorbonne)

Philippe Descamps (Philosophe – Post-doctorant au CERSES-CNRS, umr 8137)
Présentation: « Incertitudes du droit et demandes sociales d’extension de la personnalité en amont de la naissance »

Marie-France Morel (Historienne - Présidente de la Société d'histoire de la naissance):

« Pour une histoire de la naissance »

Les représentations de la naissance (rites de naissance, accueil et représentations du nouveau-né). La communication sera accompagné d’un riche matériel iconographique, notamment pour la période médiévale.

Discussion : Les mutations contemporaines de la représentations de l’embryon.

Xavier Bioy (Juriste – Professeur de droit public à l'Université de Toulouse) :

« Naissance et qualification juridique : personne, personne humaine, être humain… »

Le recours à la notion de personne humaine, fréquent dans les textes relatifs à la bioéthique, tend à rendre flottant la définition de la notion de personne juridique et en particulier en ce qui concerne le début de la personnalité, à savoir la naissance viable. La personne humaine, notion à vocation extra-juridique et renvoyant à l’appartenance biologique des individus à l’espèce humaine, contribue ainsi à déjuridiciser la naissance et à naturaliser le droit.

Discussion : L’intérêt du droit pour la naissance : ses raisons, ses fondements.

Claude Sureau (Gynécologue-accoucheur, ancien président de la Fédération Internationale de Gynécologie Obstétrique) :

« Embryons et fœtus, des patients ? ou rien ? »

Ni personnes, ni biens, ni sujets de droit, ni objets de droits, que sont l’embryon et le fœtus ? Ils sont pour la médecine des patients. Mais pour le droit, que représentent-ils ?

Présidence de séance : Jean-Cassien Billier (Philosophe, Prag à l'Université de Paris-Sorbonne)

Jean-Marie Delassus (Praticien hospitalier honoraire, ancien chef de service de maternologie) :

« La fracture ontologique du nouveau-né »

Quelques évidences revisitées : la néoténie, la prématuration et l’immaturité du nourrisson. Au sein du règne animal, l’être humain doit être considéré comme un animal précoce et non immature. L’incapacité et la déréliction du nouveau-né ne sont pas les produits d’une quelconque prématuration : l’être humain est en réalité un animal particulièrement performant mais pour un monde autre que celui dans lequel il naît. La sidération qui en résulte – cliniquement repérable à la naissance – contraint le nouveau-né au rapport social.

Valérie Kokoszka (Philosophe – UCL) :

« Le transfert par analogie ou comment prêter une conscience pour la faire naître (Fichte et Husserl) »

Transfert par analogie et transposition des vécus de conscience : l’intersubjectivité comme condition de possibilité de la subjectivité. Importance de la question pour le Système du droit et la phénoménologie transcendantale (en quoi cette question est-elle au cœur du problème posé par Fichte et Husserl ?).

Discussion : Les « psychologies génétiques » de Fichte et Husserl constituent-elle des objections définitives au postulat d’une origine biologique de la conscience ?

Philippe Descamps (Philosophe – CERSES-CNRS) :

« A la recherche d’un paradigme du nouveau-né : contra Jonas, contra Engelhardt »

Hans Jonas a érigé la figure du nourrisson en paradigme de la Responsabilité. Mais l’analyse de ce paradigme montre que Jonas esquive en fait la spécificité du nouveau-né. Il rejoint sur ce point (et sur ce point exclusivement puisque fondamentalement tout oppose ces deux auteurs) la position d’Engelhardt qui fait du nouveau-né une non-personne (au même titre que le fœtus ou l’embryon). Il s’agit ici de penser l’impensé de ces deux positions et de fixer le cahier des charges d’une philosophie de la naissance en montrant comment penser le nouveau-né c’est penser la  naissance de la relation juridique. Le titre de cette communication pourrait être « Pour une philosophie juridique de la naissance ».

Discussion générale

Lieux

  • Université Paris-Sorbonne. Amphithéâtre Guizot. 17, rue de la Sorbonne
    Paris, France

Dates

  • mercredi 17 juin 2009

Mots-clés

  • naissance, nouveau-né, philosophie, droit, bioéthique, personne, foetus, embryon

Contacts

  • Philippe Descamps
    courriel : philippe [dot] descamps [at] sciences-po [dot] org

Source de l'information

  • Philippe Descamps
    courriel : philippe [dot] descamps [at] sciences-po [dot] org

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Le nouveau-né, un objet philosophique ? », Colloque, Calenda, Publié le jeudi 28 mai 2009, https://doi.org/10.58079/e4m

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