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Justice sociale et sentiments d’injustice

GT 44, Congrès de l'Association française de sociologie à Nantes (2013)

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Publié le mardi 22 janvier 2013

Résumé

À l'occasion du congrès 2013 de l'AFS aura lieu à Nantes du 2 au 5 septembre, le GT 44 « justice sociale » souhaite offrir un espace de dialogue et d’échanges entre les sociologies de la justice et les sociologies de la domination et propose pour cela une interrogation large sur la problématique de l’articulation entre ces deux manières d’appréhender les fondements de la réunion des individus en collectif : la justice (et l’association contractuelle) et la domination. Selon quelles modalités concrètes cette tension entre justice et domination autour de la question de la légitimité et de la légitimation du juste se traduit-elle dans les différents champs de la vie sociale : travail, emploi, éducation, politiques sociales, droits des groupes « minoritaires », etc. ?

Annonce

Argumentaire

Initié à l’occasion du congrès de Paris 2009 l’AFS, le GT « Justice sociale et sentiments d’injustice » s’est structuré autour de l’idée qu’il y avait place pour un questionnement transversal sur la justice dans l’ensemble des champs spécialisés couverts par la discipline, ce qui autorise de fructueuses collaborations avec différents RT sur des problématiques initialement liées à la sociologie des inégalités, du travail, de l’éducation, ou encore à la sociologie morale et politique. Le congrès de Nantes 2013 sera l’occasion de faire un pas supplémentaire dans cette direction. Le thème du congrès invite en effet à un croisement entre la question de la justice sociale et celle des logiques de domination, qui parait d’autant plus fécond et nécessaire que ces deux questions connaissent des rapports complexes, que nous présentons de manière simplifiée par une double antinomie, théorico-politique (justice contractuelle versus domination sociale) et épistémologique (morale, politique ou sociologie), et par ses chevauchements.

Du point de vue disciplinaire, la justice apparaît tantôt à l’étroit sur une base moraliste, tantôt diluée dans un ensemble de domaines des sciences humaines (politologie, philosophie morale et politique, sociologie morale ou politique). Les questions de justice sociale ont longtemps été traitées à partir de la théorie morale. Les classiques ont appréhendé la dimension morale de la vie sociale à partir d’un concept de rationalité qui, issu de la philosophie des lumières, paraissait offrir une voie de sortie positive et progressiste à la crise sociale de l’entrée dans la modernité. Dans l’état de « crise morale » qui caractérise la « modernité tardive », la théorie sociale a délaissé les références transcendantes au Juste et au Bien pour resituer la formation des valeurs immanentes dans la trame ordinaire de la socialité, comme le produit de l’action et des rapports sociaux. Mais l’immersion empirique clarifie t-elle les problèmes ? On observe un éclatement des approches entre, d’un côté, une interrogation sur les formes émergentes du « tissage » du contrat social à partir de principes de justice et, en face, une sociologie de la « quête de la vie bonne », qui s’intéresse aux modes de formation de l’identité morale des acteurs. Et cette polarité se révèle problématique car elle renvoie à deux dimensions de la moralité empiriquement mêlées.  

Si l’on remonte en généralité, la question semble s’éclairer par une dichotomie de principe. La thématique de la justice sociale est en effet d’un côté considérée comme faisant écran à la question des inégalités sociales (Pfefferkorn), eu égards aux stratégies d’appropriation dont elle peut faire l’objet de la part de certains groupes sociaux en lutte pour la domination. La plupart des approches sociologiques de la domination mettent en exergue le rapport de forces, où un consentement indu est extirpé par la contrainte, l’intimidation, le conditionnement ou la manipulation : idéologie dominante et fausse conscience (Marx, l’école de Francfort)  ; incorporation des formes d’obéissance liées à la distribution de positions et de capitaux inégaux (Bourdieu) ; techniques de pouvoir construisant des programmes décentralisés de gouvernement de conduites (Foucault) ; etc. Inversement, du point de vue des théoriciens libéraux de la justice, rawlsiens et post-rawlsiens, le juste peut être fondé en raison, détaché des biais et des défauts de consentement que ces théoriciens cherchent à traquer et débusquer. Ces théories établissent ainsi une antinomie entre justice et domination, puisque le juste définit précisément les termes d’un contrat social que tout individu raisonnable doit nécessairement valider au nom de son caractère rationnel et de l’horizon de généralité qui le fonde.

  Pour autant, cette dichotomie connaît bien des chevauchements. B. Moore présente ainsi l’élaboration des « contrats sociaux » réglant les relations sociales comme un mixte de coercition et d’adhésion à des principes négociés, dotés d’une légitimité intrinsèque. Walzer, lui, décrit la domination comme le « débordement » d’une sphère de justice hors de son domaine d’application. Le débat s’est partiellement déplacé sur une autre alternative : redistribution de biens, de droits et d'opportunités (Marx, Rawls, Galston) d’un côté, ou reconnaissance sociale (Honneth, Taylor) de l’autre. Les deux approches semblent à la fois opposées et partiellement intégrables sur un plan théorique plus politique. C’est ainsi que pour N. Fraser des normes standardisées d'égalité juridique sont nécessaires sous deux conditions : d'une part une condition matérielle selon laquelle les ressources doivent être distribuées de manière à assurer aux participants l'indépendance et la possibilité de s'exprimer et d'autre part une condition « intersubjective » qui suppose des modèles institutionnalisés d'interprétation et d'évaluation qui expriment un égal respect pour tous les participants et assurent une égalité des chances dans la recherche de l'estime sociale. De son côté, I.M.Young réactualise un point de vue critique, pensant l'injustice comme domination (les conditions institutionnelles qui inhibent les individus dans la conduite de leurs actions) et oppression (5 procédures sociales institutionnalisées qui empêchent les individus d’apprendre ou de communiquer : l'exploitation, la marginalisation,  l'impérialisme culturel, la violence, l'impuissance). 

Le GT souhaite offrir un espace de dialogue et d’échanges entre les sociologies de la justice et les sociologies de la domination et propose pour cela une interrogation large sur la problématique de l’articulation entre ces deux manières d’appréhender les fondements de la réunion des individus en collectif : la justice (et l’association contractuelle) et la domination. Selon quelles modalités concrètes cette tension entre justice et domination autour de la question de la légitimité et de la légitimation du juste se traduit-elle dans les différents champs de la vie sociale : travail, emploi, éducation, politiques sociales, droits des groupes « minoritaires », etc. ? Nous proposons un questionnement se déployant dans deux directions visant à sociologiser cette tension dichotomique et ses chevauchements. A ces deux axes s’ajoutent deux projets de sessions conjointes :

  1. La légitimation des opérations d’allocation de ressources dans les différents champs de la vie sociale. Les opérations de sélection dans les différents champs de la vie sociale (sélection scolaire, recrutement, gestion des carrières, attribution de droits sociaux, et plus largement « magistratures sociales ») s’adossent le plus souvent à des exigences de justice. Pour autant, celles-ci sont susceptibles de se révéler objectivement défavorables à certains groupes et ainsi de renforcer ou de consacrer les logiques de domination qu’ils subissent, en les légitimant par une référence au juste. Selon quelles modalités pratiques (formalisation des opérations, pluralité ou non de ceux qui y prennent part, etc.) une sélection affichée ou énoncée comme fondée en justice en vient-elle à produire de la domination ?
  1. La légitimité du juste au cœur des luttes sociales et des formes de légitimation ou de mise en cause de l’ordre social et des hiérarchies. Que ce soit à l’école ou au travail, les exigences de justice peuvent être l’enjeu de luttes entre des groupes cherchant à fonder la légitimité de leurs positions et de leur domination ou au contraire saisies par d’autres groupes pour dénoncer cette domination. Comment un « cadrage » en termes de justice, une référence au juste appuient-ils les dominations des « vainqueurs » ou au contraire des résistances à la domination, sinon une contestation des normes dominantes, en faisant état de l’injustice d’une inégalité ? Les demandes de reconnaissance portées lors de mobilisations professionnelles ne constituent-elles pas des modes d’actualisation et de mise en travail, au travers de luttes, de la tension entre justice et domination ? Les sentiments ordinaires d’injustice donnent-ils naissance à des formes de contestation collective de la domination ? Comment les groupes minoritaires (genre, autochtones, ethnies, immigrants, handicapés, personnes âgées, LGBT, etc.) parviennent-ils à contester et, parfois, à transformer le sens de la justice des « majoritaires » ?

  2. Jeunesses, dominations et justice sociale (appel commun avec le RT15 Jeunesse, Ages de vie, Générations)

S’agissant des problématiques de jeunesse et de générations, les questions de justice se posent à la fois aux niveaux intergénérationnels et intragénérationnels. Au premier niveau, elles concernent le rapport entre ce qu’une génération reçoit lors de son « entrée dans la vie » et ce qu’elle laisse aux générations suivantes. Au second niveau, elles englobent les critiques et justifications relatives aux inégalités entre différentes catégories de jeunesse. À chacun de ces niveaux, le questionnement sur la justice sociale implique de s’intéresser à l’interprétation par les jeunes eux-mêmes et par les acteurs de l’action publique et/ou de la société civile, de ces deux formes d’inégalités. Il convient de questionner les pratiques et dispositifs qui construisent ces inégalités (dispositifs institutionnels et d’action publique notamment), ainsi que les acteurs et les conduites qui portent une interprétation ou un jugement de justice, implicite ou explicite, appliqués à ces inégalités (mouvements sociaux et revendicatifs, programmes d’action publique, etc.). Dans cette perspective, les communications proposées pourront s’articuler aux questions suivantes :

  • Quel est le rapport des jeunes à leurs propres conditions et difficultés sociales ? Avec quel outillage décryptent-ils leur situation ? Existe-t-il des sensibilités distinctes dessinant plusieurs jeunesses?
  • Les mouvements sociaux récents (précaires, indignés, occupy, anonymous, etc.) traduisent-ils une politisation des inégalités intra et intergénérationnelles ? Qui sont les protagonistes du débat public sur les jeunes et les rapports intergénérationnels aujourd’hui ? Quels sont leurs positionnements, et quelles sont les formes de justice promues ou exclues ?
  • Quel regard les jeunes portent-ils sur les dispositifs d’action publique qui leur sont dédiés ? Alors que l’action publique opère de plus en plus à partir de la catégorie de « vulnérabilité », comment et selon quelle perspective, critique ou de légitimation, abordent-ils les actions d’aide sociale dont ils sont l’objet ? De même, quelles sont leurs attitudes face aux dispositifs de loisir et d’animation, au coeur des politiques locales de jeunesse aujourd’hui ?
  • Les relations intrafamiliales se trouvent-elles mises à l’épreuve par un Etat-providence qui délègue à la famille une part importante de la charge des jeunes générations ? Comment cette situation affecte-t-elle le regard des enfants et des parents sur leurs liens ? Comment les clauses du contrat de la famille « démocratique » et « post-moderne » s’en trouvent-t-elles affectées, réinterprétées ou rompues ? Quels sont les effets des risques (réels ou perçus) du déclassement
  1. En fonction des propositions reçues, une session sera envisagée avec le RT21 pour saisir dans quelle mesure les acteurs des mouvements sociaux s’emparent des questions de justice sociale. Est-il possible d’établir des hiérarchies entre un régime maximal (émancipation, égalité sociale) et un régime minimal (partage du pouvoir voire simple accession au pouvoir, nouvelle contractualisation) ?

Modalités de participation

Les propositions de communications (3.500 caractères maximum, bibliographie et espaces compris) devront, pour être prises en considération, indiquer le nom, le statut, l’affiliation et les coordonnées de l’auteur dont une adresse électronique valide, préciser l’axe choisi, comporter un titre puis expliciter synthétiquement la problématique traitée, le type de techniques et le terrain ou les sources qui caractérisent la recherche et ses principaux résultats.

  • Ces propositions de communications devront être adressées, sous fichier word, à Ivan Sainsaulieu (isainsau@pouchet.cnrs.fr), Sarah Mailleux (sarah_ms2@yahoo.com), Régis Cortéséro (regis.cortesero@wanadoo.fr), Frédéric Gonthier (frederic.gonthier@iepg.fr) et David Mélo (david.melo@univ-orleans.fr)
  • Pour les propositions conjointes avec le RT 15 : Valérie Becquet (becquetv@club-internet.fr), Sandra Gaviria (sgaviria@orange.fr) et Bernard Roudet (roudet@injep.fr)
  • Pour les propositions conjointes avec le RT 21 : merklen@ehess.fr, sophie.lamotte@ymail.com, mathilde.pette@gmail.com

Date limite : 1er février 2013 au plus tard

Comité scientifique

Bureau du GT 44 : Marion Carrel, Vincent-Arnaud Chappe, Régis Cortéséro, Christophe Gibout, Frédéric Gonthier, Denis Hippert, Sarah Mailleux, David Mélo, Ivan Sainsaulieu, Damien Tissot

Catégories

Lieux

  • Nantes, France (44)

Dates

  • vendredi 01 février 2013

Mots-clés

  • domination, justice sociale

Contacts

  • Régis Cortéséro
    courriel : cortesero [at] injep [dot] fr

Source de l'information

  • Régis Cortéséro
    courriel : cortesero [at] injep [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Justice sociale et sentiments d’injustice », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 22 janvier 2013, https://doi.org/10.58079/mom

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