On pornography
Sur la pornographie
Call for contributions for Regards sociologiques journal, coordinated by Mathieu Trachman and Florian Voros
Appel à contributions « Regards sociologiques », dossier coordonné par Mathieu Trachman et Florian Voros
Published on Wednesday, June 05, 2013
Abstract
Comment faire la sociologie de la pornographie ? Que signifie un tel programme de recherche ? Ce numéro de Regards Sociologiques a pour objectif d’ouvrir un domaine d’études peu exploré, et de faire le bilan des recherches en cours ou déjà menées. Trois pistes de recherche seront privilégiées : la pornographie peut être abordée comme une catégorie de l’action publique ; des pratiques de production et de réception qui construisent des mondes sociaux ; enfin un ensemble de représentations aux usages spécifiques.
Announcement
Argumentaire
Comment faire la sociologie de la pornographie ? Que signifie un tel programme de recherche ? Ce numéro de Regards Sociologiques(dossier coordonné par Mathieu Trachman et Florian Voros) a pour objectif d’ouvrir un domaine d’études peu exploré, et de faire le bilan des recherches en cours ou déjà menées. Trois pistes de recherche seront privilégiées : la pornographie peut être abordée comme une catégorie de l’action publique ; des pratiques de production et de réception qui construisent des mondes sociaux ; enfin un ensemble de représentations aux usages spécifiques.
1. Une catégorie de l’action politique
De quoi parle-t-on quand on parle de pornographie ? Les travaux pionniers en histoire culturelle ont souligné la dimension historique du terme, qui « n’a pas constitué une catégorie entièrement séparée ou distincte de représentations visuelles ou écrites avant le premier dix-neuvième siècle » ouest-européen[1]. En s’intéressant aux processus de catégorisation, Walter Kendrick[2] appréhen-de la pornographie moins comme un ensemble d’œuvres ou de produits homogènes que comme un dispositif de contrôle et une « structure de sentiments » bourgeoise ciblant toutes les représentations perçues comme dangereuses. La pornographie peut donc être envisagée comme une catégorie de l’action politique, codifiée de manière plus ou moins précise dans le droit : dans cette perspective, la sociologie de la pornographie est d’abord une sociologie politique de la censure. Annie Stora-Lamarre montre ainsi comment l’imposition de cette catégorie a pour objectif la protection d’un public « fragile » ou « faible », et qu’elle est dépendante de procédures de dénonciation menées par des entrepreneurs moraux[3].
C’est aussi une catégorie contestée : la classification pornographique est un enjeu de lutte, et mobilise des groupes et des savoirs très divers. La constitution du film Baise-moi en affaire l’illustre : elle concerne moins la production pornographique française actuelle que la revendication d’une autonomie d’un champ artistique contre les instances politiques qui voudraient le contrôler, et l’instrumentalisation du droit par des associations à la visibilité réduite[4]. La constitution de la pornographie en cause par des groupes féministes dévoile les rapports de genre qui sont à son principe, elle participe également d’un processus de qualification de la pornographie, et enfin d’une recomposition du champ féministe[5]. Quels sont les enjeux sociaux de la catégorie de pornographie ? Quels groupes ou quelles instances en sont les producteurs et les usagers ?
2. Les mondes de la pornographie
La sociologie de la pornographie n’est pas seulement celle d’une mise à l’index, mais également celle de mondes sociaux façonnés par des pratiques de production et de réception. L’écriture de pamphlets pornographiques est, au 18e siècle, une activité clandestine, constitutive de la culture des « Lumières radicales », qui use de l’obscène pour opérer une critique des pouvoirs tels que l’État et l’Église[6]. Cette dimension contestataire s’affaiblit au cours du 19e siècle : il s’agit moins alors de déstabiliser l’ordre établi que de construire un marché et légitimer son activité[7]. C’est à la fois à la marge – à travers des réseaux de circulations de photos amateurs – et au cœur même de cette industrie culturelle – à travers la vente par correspondance de magazines dits de « santé masculine » – que s’invente au cours du 20e siècle une culture pornographique gaie[8]. Le statut de la pornographie, comme activité amateur ou professionnelle, métier principal ou secondaire, les relations d’emploi, les circuits des produits sont alors des questions centrales[9] : quelles sont les trajectoires et les appartenances sociales de celles et ceux qui s’y investissent ? Comment ce marché se développe malgré, ou à la faveur des encadrements juridiques et de la stigmatisation dont il est l’objet ? Quelles relations de domination et d’exploitation implique-t-il ?
Selon l’enquête Contexte de la sexualité en France, une femme sur cinq et un homme sur deux déclarent visionner régulièrement de la pornographie[10]. Il s’agit donc d’une pratique culturelle qui compte dans les trajectoires, les sociabilités et les constructions de soi. Cette pratique investit des espaces divers, de la sphère domestique[11] aux sex-shops, des forums Internet réunissant des passionnés aux sites de rencontre en ligne où s’échangent des photos pornographiques amateur[12]. Comment différents groupes sociaux déploient-ils différentes logiques d’appropriation des textes, sons, images, objets et dispositifs des différentes cultures pornographiques ? Comment ces pratiques de réception participent-elles en retour de la redéfinition des frontières et des propriétés de ces groupes sociaux ?
3. Représentation de la sexualité et érotisation des rapports sociaux
La représentation de la sexualité est un dernier axe de recherche. L’historienne du cinéma pornographique Linda Williams a montré comment la volonté (masculine) de la pornographie moderne de « dévoiler » les vérités cachées du sexe (féminin) est vouée à un perpétuel échec : les techniques pornographiques de visualisation de l’orgasme ne reflètent pas, mais produisent activement la sexualité[13]. Prolongeant ces analyses, les porn studies s’intéressent à la manière dont les films pornographiques contribuent à la définition publique du genre et de la sexualité, ainsi que des rapports de classe et des rapports de race[14] : la pornographie, à partir du 19e siècle notamment, participe d’une histoire nationale et impériale où l’émergence d’objets de fantasme est le revers de rapports de pouvoir[15], dont le redéploiement dans les anciennes métropoles coloniales s’accompagne d’une réactualisation des figures racialisées du désir[16]. C’est dire que la pornographie est dépendante d’une actualité sexuelle qui explique pour une part les variations de ses figures : comment traduit-elle sexuellement les tensions sociales et les rapports d’objectivation ? Et comment, en retour, ces repré-sentations sexuelles participent-elles de la reconfiguration des fantasmes publics et privés ?
Parce que ces représentations érotisent des rapports sociaux et « parlent » directement à l’inti-mité des publics (y compris universitaires), enquêter sur la pornographie nécessite une réflexion à part entière[17]. Comment rendre compte dans un langage sociologique de mondes sociaux où, selon un renversement proprement pornographique des valeurs dominantes[18], l’immoralité et la vulgarité sont célébrées ? La pornographie interroge le rôle de la sociologie dans la reproduction des hiérarchies culturelle et scientifique entre objets légitimes et objets illégitimes ; la place de la corporéité, des sensations et des émotions dans les processus de production de connaissance ; finalement les appartenances sociales du regard sociologique, et notamment sa place dans les rapports de genre.
[1] Hunt Lynn (éd.) The invention of pornography. Obscenity and the origins of modernity, 1500-1800, New York, Zone Books, 1993, p.355.
[2] Kendrick Walter, The secret museum. Pornography in modern culture, New York, Viking, 1987.
[3] Stora-Lamarre Annie, L’enfer de la 3ème République. Censeurs et pornographes, Paris, Imago, 1992.
[4] Mathieu Lilian, « L’art menacé par le droit ? Retour sur l’affaire Baise-moi », Mouvements, n°29, 2003, pp.60-65.
[5] Bronstein Carolyn, Battling pornography. The American feminist anti-pornography movement, 1976-1986, Cambridge, Cambridge University Press, 2011.
[6] Darnton Robert, Édition et sédition. L’univers de la littérature clandestine au 18ème siècle, Paris, Gallimard (coll. NRF essais), 1991 ; Hunt Lynn, Le roman familial de la révolution française, Paris, Albin Michel (coll. Bibliothèque Albin Michel Histoire), 1995 ; Darnton Robert, « Vies privées et affaires publiques sous l’Ancien Régime », Actes de la recherche en sciences sociales, n°154, vol.4, 2004, pp.24-35.
[7] Sigel Lisa Z. (éd.), International exposure. Perspectives on modern European pornography, 1800-2000, New Brunswick, New Jersey et Londres, Rutgers University Press, 2005 ; Coulmont Baptiste, avec Roca-Ortiz Irène, Sex-shop. Une histoire française, Paris, Dilecta, 2007.
[8] Waugh Thomas, Hard to imagine. Gay male eroticism in photography and film from their beginnings to Stonewall, New York, Columbia University Press, 1996.
[9] Trachman Mathieu, Le travail pornographique. Enquête sur la production de fantasmes, Paris, La Découverte (coll. Genre et sexualité), 2013.
[10] Bozon Michel, « Pratiques et rencontres sexuelles : un répertoire qui s’élargit », in Bajos Nathalie, Bozon Michel (dir.), Beltzer Nathalie (coord.), Enquête sur la sexualité en France. Pratiques, genre et santé, Paris, La Découverte, 2008, pp.279-280
[11] Juffer Jane, At home with pornography. Women, sex and everyday Life, New York, NYU Press, 1998.
[12] Attwood Feona (éd.), Porn.com. Making sense of online pornography, Londres, Peter Lang, 2010.
[13] Williams Linda, Hard core. Power, pleasure and the « frenzy of the visible », Berkeley, University of California Press, 1989.
[14] Williams Linda (éd.), Porn Studies, Durham, Duke University, 2004.
[15] Sigel Lisa Z., Governing Pleasures. Pornography and social change in England, New Brunswick, New Jersey et Londres, Rutgers University Press, 2002.
[16] Cervulle Maxime, Rees-Roberts Nick, Homo exoticus. Race, classe et critique queer, Paris, Armand Colin et INA (coll. Médiacultures), 2010.
[17] Damian-Gaillard Béatrice, « Entretiens avec des producteurs de la presse pornographique. Des rencontres semées d’embûches… », Sur le journalisme, About journalism, Sobre Jornalismo [En ligne], vol.1, n°1, 2012.
[18] Paasonen Susanna, Carnal resonance. Affect and online pornography. Cambridge, Mass., MIT Press, 2011
Modalités de soumission
Les contributions attendues pour le numéro spécial « Sur la pornographie » sont à envoyer, sous la forme d’articles complets
pour le 30 octobre 2013.
Les articles soumis ne devront pas excéder 50 000 signes (espaces et notes comprises) et, pour le format attendu, voir : http://www.regards-sociologiques.com/wp-content/uploads/rs_indications_publication.pdf
Les articles sont à adresser à :
Regards Sociologiques est une revue à comité de lecture de sorte que les évaluations, effectuées à chaque fois selon le processus d’une double évaluation anonyme (une interne et une externe), seront communiquées courant décembre 2013.
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Subjects
- Sociology (Main category)
- Society > Sociology > Gender studies
- Mind and language > Language
- Society > Sociology > Sociology of health
- Society > Sociology > Sociology of culture
- Society > Political studies
Date(s)
- Wednesday, October 30, 2013
Attached files
Keywords
- sociologie, pornographie, sexualité, rapports sociaux, action publique
Contact(s)
- Comité de rédaction Regards Sociologiques
courriel : asso_regarsoc [at] yahoo [dot] fr
Reference Urls
Information source
- Comité de rédaction Regards Sociologiques
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To cite this announcement
« On pornography », Call for papers, Calenda, Published on Wednesday, June 05, 2013, https://doi.org/10.58079/nsv