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La coopération judiciaire du XVIe siècle à aujourd'hui

Judicial cooperation from the 16th century to the present day

Entre souveraineté étatique et sûreté publique

Between State sovereignty and publich safety

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Publié le mercredi 24 juillet 2013

Résumé

Si depuis un vingtaine d'années, l'histoire du droit de punir fournit l'un des chantiers les plus féconds de l'historiographie, les normes et les pratiques de la coopération judiciaire entre les Etats souverains demeurent largement méconnues. De la construction de l'Etat moderne jusqu'aux processus contemporains d'intégration, la journée d'études du 21 février 2014 est donc ouverte à toutes les recherches historiques sur la coopération judiciaire et les champs d'intervention qui la rendent possible (diplomatie, justice, police).

Annonce

Argumentaire

Troisième journée d’études DAMOCLES « La coopération judiciaire du XVIe siècle à aujourd’hui : entre souveraineté étatique et sûreté publique. »

Université de Genève, vendredi 21 février 2014

Dans l’Europe contemporaine, selon une finalité sécuritaire, la coopération judiciaire entre les États résulte du traité de Maastricht (1993) : « La lutte contre la criminalité implique un renforcement du dialogue et de l’action entre les autorités de justice pénale des États membres. Par conséquent, l’Union européenne (UE) a instauré des organes spécifiques pour faciliter l’entraide. Eurojust et le réseau judiciaire européen soutiennent la coopération entre les autorités judiciaires. La coopération judiciaire en matière pénale repose sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires par les États membres. Elle implique le rapprochement des législations nationales en la matière et l’application de règles minimales communes, qui concernent principalement l’admissibilité des preuves et les droits des victimes de la criminalité et des personnes impliquées dans des procédures pénales » .

L’histoire de ce dispositif d’entraide judiciaire et pénale supranationale est encore à écrire. Si depuis plus d’une vingtaine d’années l’histoire du droit de punir fournit l’un des chantiers les plus féconds de l’historiographie, les normes et les pratiques de la coopération judiciaire entre les États souverains demeurent largement méconnues.

Pourtant, la coopération judiciaire éprouve très tôt les principes mêmes de la construction juridique de l’État moderne. Imperator in suo regno, le roi justicier doit exercer le droit de glaive sans partage et sans limite sur le territoire de sa souveraineté. À cette conception traditionnelle des États souverains coexistant entre eux à l’état de nature répond l’exigence de « sûreté publique » selon l’idée que la société des princes ne se soustrait pas aux règles du droit, qu’il soit naturel ou positif.

C’est à ce titre que Jean Bodin (1529-1596), enregistrant le déclin de la tradition chrétienne de l’asile, définit la coopération judiciaire comme un devoir mutuel qui obéit à la loi divine et naturelle, une obligation impérative et universelle impliquant la réciprocité . Puisque la territorialisation de la souveraineté empêche qu’un État intervienne hors de ses frontières pour exercer directement le droit de punir sans commettre alors un acte de guerre, Grotius (1583-1645) formalise à son tour l’« obligation alternative » qui lie les souverains entre eux : aut dedere aut punire . En vertu de la procédure qui a établi la culpabilité d’un prévenu, l’État requis doit le punir lui-même ou le livrer au souverain requérant, au risque d’être tenu pour complice de l’« injure » criminelle en cas de refus de coopérer.

La tension entre l’absolue souveraineté du prince et la nécessité collective de la « sûreté publique » semble enfin s’équilibrer dans la limitation des contentieux qui requièrent la coopération judiciaire, en conformité avec la culture jurisprudentielle et arbitraire des magistrats. Crimes de lèse-majesté et crimes atroces désignent la scélératesse de certains criminels qui « attaquent et outragent toutes les nations », selon le jurisconsulte Emer de Vattel (1714-1767), réservant la coopération judiciaire à la lutte contre les « ennemis du genre humain » .

C’est également à partir des crimes atroces ou énormes, « comme ceux de lèse-majesté, assasinat prémédité, fausse monnaie, poison, et autres semblables » , que les pénalistes modernes pensent le ressort juridique et la compétence des juges en matière criminelle. Là encore, la construction territoriale de la souveraineté s’accompagne d’une définition juridique de la frontière comme espace de démarcation, mais aussi de concentration/circulation de la criminalité.

Au XIXe siècle, la multiplication des traités de droit pénal international, élaborant parfois une histoire progressive de la coopération judiciaire à vocation de légitimation rétrospective , atteste de la tension entre la construction de l’État-nation et l’aspiration à la sécurité collective selon le principe que la « justice pénale est une dette commune de l’humanité » . Au même moment, les conventions d’entraide et d’extradition forment les instruments du droit public contemporain qui se donne volontiers à voir comme la manifestation d’un ordre juridique international placé sous le signe de la civilisation et du progrès. Au XXe siècle, des instances policières comme Interpol (1923) mettent en œuvre les rouages répressifs de la coopération policière internationale.

Du point de vue des pratiques, la coopération judiciaire peut s’incrire dans une histoire des usages de la frontière. Circulation des lettres rogatoires, des signalements, des passeports, des pièces de procédure, des comptes de frais : la coopération judiciaire implique la mobilisation d’un savoir de l’État, savoir de papier où s’élaborent les normes de l’écriture officielle, qui certifie l’identité des individus et authentifie les droits respectifs des États souverains dont l’interaction doit se conformer aux règles du droit des gens et du droit criminel. Cette culture juridique de chancellerie s’accompagne d’actions ritualisées comme l’extradition durant laquelle les gestes et les discours stéréotypés, mais aussi négociés, matérialisent la frontière comme l’espace de l’interaction par excellence, opposant sur le registre du cérémonial l’ordre de la répression coordonnée au désordre de la frontière criminogène.

Ce type d’approche nécessite au préalable l’analyse des réseaux complexes de la répression criminelle transfrontalière. Ministres, diplomates, magistrats, gouverneurs, commandants, maréchaussée, employés des fermes, soldats : entre justice, diplomatie et police, les canaux de la coopération judiciaire sont multiples, tout comme ses agents. À cette multiplicité, où se mêlent les intérêts antagonistes ou même contradictoires, répond probablement les difficultés d’exercice de la coopération judiciaire sur le terrain. Faiblesse des effectifs peu fiables de la répression, solidarités régionales, patriotismes locaux, craintes des représailles, variation des seuils de tolérance face à la criminalité itinérante, poids du bannissement dans l’ancien arsenal des peines, attachement sourcilleux aux droits de souveraineté : les obstacles ne manquent sans doute pas, fragilisant sans cesse l’équilibre entre l’affirmation des regalia de l’État souverain et l’exigence de « sûreté publique » au nom du genre humain, de la civilisation ou des droits de l’individu. En ce sens, la coopération judiciaire se présente in fine comme un espace négocié d’interaction au sein duquel il s’agit d’évaluer l’altérité ou au contraire l’identité des acteurs de la répression pénale en matière de cultures juridiques et de pratiques judiciaires.

Cette journée d’études vise à poser les jalons historiographiques de la coopération judiciaire et à en penser les divers régimes d’historicité à travers les sources, les normes, les institutions et les pratiques depuis la naissance de l’État moderne au XVIe siècle. Les communications mèneront à une table ronde conclusive qui réunira les conférencières et conférenciers.

Quelques travaux cités :

  • Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle. Une histoire des rituels judiciaires, Seyssel, Champ Vallon, 2006.
  • Anton Blok, « Bandits and Boundaries : Robber Bands and Secret Societies on the Dutch Frontier (1730-1778), Honour and Violence, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 29-43.
  • Michel Catal et al. (dir.), Frontières oubliées, frontières retrouvées. Marches et limites anciennes en France et en Europe, Rennes, PUR, 2011.
  • Caroline Cuénod, « Une signalétique accusatoire : les pratiques de l’identification judiciaire au XVIIIe siècle », Crime, Histoire et Sociétés, vol. 12, n° 2, 2008, p. 5-31.
  • Fabrice Brandli, Le nain et le géant. La République de Genève et la France au XVIIIe siècle, cultures politiques et diplomatie, Rennes, PUR, 2012, p. 143-289.
  • Marco Cicchini, La police de la République. L’ordre public à Genève au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2012.
  • Vincent Denis, Une histoire de l’identité. France, 1715-1815, Seyssel, Champ Vallon, 2008.
  • Catherine Denys (dir.), Frontière et criminalité, 1715-1815, Arras, Artois Presses Université, 2001.
  • Christophe Dubied, « ‘La lie de la canaille’. Larrons, brigands et filous de profession : la répression du banditisme à Genève (1682-1792) », Crime, Histoire et Sociétés, vol. 5, n° 2, 2001, p. 107-131.
  • Sébastien Dubois, Les bornes immuables de l’État. La rationalisation du tracé des frontières au siècle des Lumières, Kortrijk, UGA, 1999.
  • Florike Egmond Underworlds: Organised Crime in the Netherlands 1650-1800, Cambridge, Polity Press, 1993.
  • Cyrille Fijnaut et Letizia Paoli (ed.), Organised crime in Europe. Concepts, Patterns in the Europe Union and Beyond, Dordrecht, Springer, 2004.
  • Philippe Henry, « Une expression des relations helvétiques de la principauté de Neuchâtel au XVIIIe siècle : l’entraide judiciaire et l’extradition », Musée neuchâtelois, 1991, p. 201-210.
  • Georges Marcours, « Ne crimina impunita maneant ». De 18e eeuwse Frans-Zuidnederlandse uitleveringspratijk, Kotrijk, UGA, 1996.
  • Georges Marcours, « L’extradition des criminels de droit commun entre la France et les Pays-Bas au XVIIIe siècle », in M. Lafourcade (dir.), La frontière des origines à nos jours, Bordeaux, Bayonne, Presses universitaires de Bordeaux, Faculté pluridisciplinaire de Bayonne-Anglet-Biarritz, 1998, p. 167-184.
  • Daniel Nordman, Frontières de France. De l’espace au territoire XVIe-XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1998.
  • Michel Porret, Le crime et ses circonstances. De l’esprit de l’arbitraire au siècle des Lumières selon les réquisitoires des procureurs généraux de Genève, Genève, Droz, 1995, p. 315-318.
  • Michel Porret, « ‘Signalement’, ‘portrait parlé’, cliché judiciaire : le visage des scélérats », Images, 1998, p. 34-41.
  • Michel Porret, Marco Cicchini, Vincent Fontana, Ludovic Maugué, Sonia Vernhes Rappaz, La chaîne du pénal. Crimes et châtiments dans la République de Genève sous l’Ancien Régime, Genève, Georg, 2010, p. 52-55.

Modalités de soumission

Informations et propositions de communications

jusqu’au 15 novembre 2013.

Les propositions ne dépasseront pas les 5'000 signes.

Elles sont à envoyer aux organisateurs :

Organisation

Fabrice Brandli et Michel Porret

Comité scientifique

Frédéric Chauvaud (Université de Poitiers), Jean-Philippe Dunand (Université de Neuchâtel), Luigi Lacchè (Università degli Studi di Macerata), René Lévy (CNRS, Crime, Histoire & Sociétés), Vincent Milliot (Université de Caen), Marc Ortolani (Université de Nice, ERMES).

Lieux

  • Université de Genève - 5, rue de Candolle
    Genève, Confédération Suisse

Dates

  • vendredi 15 novembre 2013

Mots-clés

  • justice, droit, coopération judiciaire, jurisprudence, droit pénal international, criminalité, extradition, signalement, diplomatie, police

Contacts

  • Michel Porret
    courriel : michel [dot] porret [at] unige [dot] ch
  • Fabrice Brandli
    courriel : fabrice [dot] brandli [at] unige [dot] ch

Source de l'information

  • Fabrice Brandli
    courriel : fabrice [dot] brandli [at] unige [dot] ch

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« La coopération judiciaire du XVIe siècle à aujourd'hui », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 24 juillet 2013, https://doi.org/10.58079/nz4

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