Présentation
De Mindanao à la Bosnie et du Sénégal au Xinjiang, les peuples de l’Islam s’expriment dans des centaines de langues, comme il convient à une aire de civilisation qui couvre le cinquième de l’humanité. Cette multiplicité naît pourtant de l’un : aucune des deux autres grandes aires culturelles fondées sur une religion universelle, christianisme ou bouddhisme, ne repose sur une langue sacrée d’une hégémonie aussi impérieuse que l’arabe. Le Coran ne se traduit pas, l’essentiel de ses commentaires médiévaux autorisés a été élaboré en arabe, et surtout le droit musulman, enraciné dans les dispositions du texte sacré, du hadîth et de la Sîra du Prophète et de ses Compagnons est resté attaché tout au long de l’histoire à la langue arabe de ses sources de référence.
En revanche, l’administration de l’empire islamique, puis de ses Etats successeurs, s’est vite détachée de la langue du religieux, d’abord en construisant une prose d’empire – dont on a noté depuis longtemps qu’elle fut l’œuvre des secrétaires chrétiens et des grammairiens persans du califat -, puis en s’ouvrant successivement à deux autres langues d’Etat et de culture, le persan – dont l’aire d’influence, étendue de l’Anatolie à l’Inde l’emporte largement sur celle de l’arabe entre XIIIe et XVIIIe siècles -, puis le turc ottoman. Au contraire, l’arabe, largement privé de la force de cohésion d’un pouvoir d’Etat, se fractionne en dialectes, apparus dès le Xe siècle.
Du moins pendant longtemps, toute langue « islamique », inspirée ou travaillée par les valeurs de la religion musulmane, mais aussi de la civilisation islamique, s’écrit-elle en alphabet arabe, ou arabo-persan – qu’il s’agisse du malais, du swahili ou de l’espagnol/aljamiado. Et même des langues chrétiennes comme le syriaque, le grec et l’arménien, se sont écrites à certains moments en alphabet arabe. Ce n’est aujourd’hui plus vrai. A peine la moitié des populations musulmanes dans le monde écrivent et lisent en alphabet arabe, entre Maroc et Pakistan, à l’exception de la plupart des populations turques et turciques. Ailleurs l’alphabet latin a largement triomphé. Effet de la ’modernité’ européenne, qui a aussi conduit à une large « désarabisation », voire « dépersanisation », depuis l’osmanli jusqu’au turc contemporain, mais aussi depuis l’hindoustani jusqu’au hindi d’aujourd’hui. L’urdu a échoué à s’imposer, et à imposer la graphie arabo-persane au Bangladesh. Le malais devenu indonésien s’écrit en alphabet latin. Au Kenya, en Tanzanie, le swahili est désormais langue nationale de pays très majoritairement chrétiens, et il a perdu son attachement premier à l’Islam. Dans presque tous les pays musulmans en outre, la colonisation ou la modernité ont établi au cœur de l’Etat et des élites des langues européennes qui ont souvent pris le rôle autrefois dévolu aux grandes langues de culture islamiques (ainsi l’anglais qui a remplacé aux Indes le persan en partie dans les mêmes usages). L’arabe lui-même, revitalisé et revalorisé par la
« Nahda » du XIXe siècle, s’est modernisé dans son lexique, son style, et sa pédagogie, en adoptant les outils linguistiques modernes et l’imprimerie.
Ces tendances lourdes se heurtent aujourd’hui à l’hostilité des courants islamistes. Chez les musulmans de Chine, d’Afrique subsaharienne, l’arabe, jugé langue de l’islam « pur » reconquiert quelques positions que le militantisme salafiste ou jihadiste dénie au français (au Maghreb) ou à l’anglais (au nord du Nigéria).
C’est en particulier (mais pas exclusivement) à ces problèmes de hiérarchies de langue, d’usages et de territoires linguistiques anciens et modernes, à la place de l’arabe, du persan, de l’urdu ou du haoussa, mais aussi des langues européennes dans le monde islamique que sera consacrée notre session doctorale.
Organisation de l’atelier
L’atelier consiste en cinq jours de travail du 17 au 21 mars 2014 au cours desquels des exposés magistraux seront prolongés par des séances de discussion, des ateliers de travail autour des recherches doctorales des étudiants qui participent à la session. Les débats et les interventions se dérouleront en anglais. La participation à cette école doctorale exige donc de pouvoir s’exprimer dans cette langue. Conçu comme une activité de formation destinée à des étudiants doctorants, l’atelier est ouvert à un public divers de chercheurs, d’étudiants et de professeurs. L'atelier admet 10 personnes.
Conditions de participation
Accéder au formulaire d’inscription en ligne.
Date limite de dépôt des formulaires : 31 janvier 2014 (Minuit).
Les candidats retenus seront prévenus à partir du 4 février.
Les organisateurs offrent aux participants qui ne résident pas à Madrid le logement en chambre double et en demi-pension à la Casa de Velázquez. Ils offrent également les déjeuners à tous les participants. Les déplacements seront à la charge des participants.
La Casa de Velázquez offre 4 bourses de 300 euros à des étudiants inscrits dans des établissements supérieurs du Maghreb et d’Amérique latine qui en feront la demande.
Coord. : Gabriel MARTINEZ-GROS (Université Paris Ouest Nanterre La Défense), Léon BUSKENS (Leiden Universiteit), Stéphane MICHONNEAU (EHEHI-Casa de Velázquez)
Org. : École des hautes études en sciences sociales, École des hautes études hispaniques et ibériques (Casa de Velázquez, Madrid), Universiteit Leiden