AccueilLe patrimoine au défi de l'interculturalité

Calenda - Le calendrier des lettres et sciences humaines et sociales

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Publié le lundi 12 janvier 2015

Résumé

Depuis les années 2000, les instances internationales qui se donnent pour mission de favoriser la paix et de développer un « vivre ensemble » de qualité paraissent s'accorder sur le fait que la culture dans sa diversité puisse faire patrimoine commun. Elles y voient la possibilité de faire lien et sens au-delà des situations de crises économique, écologique et politique que les sociétés post-modernes sont en train de traverser. Ce numéro propose d’examiner en quoi l’interculturalité prend place dans les activités patrimoniales. Comment les personnes et collectifs concernés et leurs interlocuteurs construisent-ils des pratiques interculturelles dans des activités ou des processus patrimoniaux ? Réciproquement comment la dimension patrimoniale est-elle activée dans des pratiques interculturelles ?

Annonce

Argumentaire

Depuis les années 2000 avec la déclaration de l’UNESCO sur la diversité culturelle comme patrimoine commun de l’humanité (2001), la convention de Faro en Europe (2005) qui affirme la valeur culturelle du patrimoine pour la société, puis l’année européenne du dialogue culturel (2008), les instances internationales qui se donnent pour mission de favoriser la paix et de développer un « vivre ensemble » de qualité paraissent s’accorder sur le fait que la culture dans sa diversité puisse faire patrimoine commun. Et elles y voient la possibilité de faire lien et sens au delà des situations de crises économique, écologique et politique que les sociétés post-modernes sont en train de traverser. Comme si les cultures une fois faites patrimoine garantissaient le dialogue entre individus et groupes humains. Il s’opèrerait là une reconnaissance de chacun propice à dépasser les injustices comme les jeux d’intérêts et de pouvoir. La montée en reconnaissance en tant que patrimoine, et qui plus est patrimoine mondial, confèrerait ainsi à la culture de chacun légitimité et place. Mais, même « élevées » au rang de patrimoine les cultures toutes seules ne font rien : ce qui importe dans ce mouvement ce sont les co-présences, la diversité et surtout l’ensemble des discussions, négociations, traductions qui rendent possible ce résultat. Nous posons que c’est plutôt le dialogue qui aurait pour vertu de permettre de reconnaitre la diversité des cultures comme patrimoine commun et ce quelque soit le niveau auquel on se situe : l’échelle mondiale comme celles des interactions ordinaires. 

Les travaux sur les processus de patrimonialisation se sont attachés à montrer comment s’institue le patrimoine et la façon dont les groupes manifestent par là leur identité. Ils ont également identifié comment certains objets ou faits patrimoniaux sont porteurs d’une diversité de références culturelles et sont partagés entredes collectifs distincts (qu’il s’agissent d’édifices religieux ou de vêtements, de contes ou encore des mémoires des conflits). En revanche la façon dont cela peut-être mis en partage et faire du lien avec d’autres demeure encore relativement peu documenté. Ce que le patrimoine fait faire dans une relation interculturelle demande encore à être tant expérimenté qu’exploré.

De leur côté, les travaux menés dans le champ des études interculturelles ont pointé l’importance de la reconnaissance de la valeur de la culture de l’Autre pour l’établissement d’un véritable dialogue. Mais, si l’on y prête attention aux coutumes et traditions, l’écueil a pu être, notamment du côté d’usages utilitaristes de la démarche, de verser dans le « catalogue » des traits culturels spécifiques à tel ou tel groupe, plutôt que de s’attacher à analyser comment les traditions s’inventent, comment les revendications patrimoniales se construisent dans la négociation avec et dans l’interaction permanente à des Autres. 

Ce numéro propose d’examiner en quoi l’interculturalité prend place dans les activités patrimoniales. Comment les personnes et collectifs concernés et leurs interlocuteurs construisent-ils des pratiques interculturelles dans des activités ou des processus patrimoniaux ? Et réciproquement comment la dimension patrimoniale est-elle activée dans des pratiques interculturelles ?

Cet appel à contribution de la revue Alterstice est lancé avec le Groupement d’intérêt scientifique : Institutions patrimoniales et pratiques interculturelles (GIS IPAPIC) qui associe des musées, des archives et des bibliothèques ainsi que des laboratoires et des associations afin de partager les expériences et de conduire les réflexions sur les dynamiques interculturelles dans les processus patrimoniaux[1].

L’interculturalité n’est pas affirmée par les membres du GIS comme un principe mais posée comme un objet de questionnement, matière de dissensus plutôt que de consensus. Elle est cet espace tiers, cet « entre », où le commun peut se construire à partir des diversités et des différends. Ainsi, ce ne sont pas les cultures qui dialoguent entre elles, mais bien des individus entre eux. Les cultures sont ainsi pensées comme n’étant jamais des totalités homogènes et monolithes, c’est en ce sens que la notion de « pratiques interculturelles » est privilégiée.

Cette perspective rejoint pleinement celle de la revue Alterstice, qui invite à être particulièrement attentif aux modalités de l’inter et aux jeux de frontières entendus comme espace de porosité, de débordement entre ce qui est dans les institutions, à ses marges immédiates ou en dehors. On sera notamment attentif aux propositions qui analysent les pratiques de traductions, interprétations, hybridations.

Portées par les mobilités multiples - du travail, de la formation, du tourisme, des migrations économiques et politiques -, par les réseaux virtuels et la numérisation, les pratiques interculturelles redessinent les territoires et recomposent les patrimoines entre histoire, mémoire et temps présent, entre nature et culture. Cela ouvre ainsi de nouveaux champs à la recherche et à l’expérimentation. Un double défi est ainsi identifié : 

Le défi de l’interculturalité, posé par la reconnaissance de la diversité des formes d’expression culturelles, la multiplication et la diversification des échanges dans le monde contemporain, par la complexification des sociétés et les changements dans les pratiques culturelles ;

Le défi du patrimoine et des processus de patrimonialisation posé par l’extension de la notion de patrimoine et par les demandes de reconnaissance sociale et politique qui s’y trouvent impliqués, notamment en termes de représentations, d’enjeux mémoriels ou de politiques de la mémoire.

Ces revendications et les initiatives qui les accompagnent posent la question à la fois de la diversité des patrimoines et de la prise en compte des différences au sens plus hiérarchique que donne Bahba à cette notion. Si de nombreux travaux ont déjà pointé les écueils des opérations mémorielles et les lacunes des représentations officielles du patrimoine nous voudrions avec ce numéro plutôt identifier des expériences qui ouvrent à de nouvelles conceptions du « faire patrimoine ». Explorer les chemins parfois originaux que les gens prennent pour faire reconnaître, transmettre et préserver ceux à quoi ils tiennent et qui dans le même temps les lient à des Autres. Le patrimoine est abordé là comme une activité, à travers une attention portée à la dimension « contributive » et « active » des personnes et collectifs comme acteurs en liens avec divers interlocuteurs (institutions patrimoniales, autres acteurs associatifs, collectivités territoriales…). Le questionnement ne porterait pas tant sur la mémoire ou le patrimoine d’UNE population ou d’UN phénomène (l’immigration) que sur la façon dont s’articulent et entrent en dialogue plusieurs voix et des expériences diverses dans le processus même de « fabrication » patrimoniale. 

Comment se négocie ce à quoi chacun tient et quelle part leurs contributions prennent dans un récit commun ? Quels sont les enjeux de reconnaissance et de légitimité à l’œuvre ? Quels sont les déplacements, recompositions, nouveaux branchements ou hybridations qui s’opèrent ? Y a t-il « identification » et à quoi dès lors qu’il y a interculturalité ? Et finalement, peut-on « patrimonialiser l’interculturalité » ou parler de « patrimoine interculturel » ? 

Axes thématiques

Les différentes contributions pourront aborder de façon spécifique ou au contraire traiter plus globalement les différents axes de questionnements proposés ici.

- Quelles sont les modalités de « sauvegarde » (Micoud, 1995) à l’œuvre et en quoi sont-elles enjeux d’interculturalité ? Il paraît particulièrement intéressant d’interroger cette dimension alors que les critères de l’Unesco révèlent parfois brutalement leur caractère ethno-centré à l’occasion de quelque classement de site comme cela a pu être le cas pour le mode de « sauvegarde » des  temples japonais (dont la tradition veut qu’ils soient reconstruits à neuf plutôt que conservés)[2]. Se pose là la question non seulement des contenus mais des usages et de la visée des actions patrimoniales, des critères à l’œuvre et de ce que cela fait à ce qu’on prétend « garder sauf » c’est à dire « vivant », ou protéger : mais face à quelle menace ? Que l’on pense aux opérations de recueils de mémoires des quartiers d’habitat social voués à la démolition ou à la mémoire ouvrière il s’agit ici d’interroger le rapport entre processus de patrimonialisation et cultures vivantes : Qu’est ce qui a valeur et légitimité ? Dans quelle mesure faire place à la diversité des patrimoines c’est aussi traiter les différends entre groupes sociaux dans les enjeux présents ? Quelles identités et quels êtres font advenir dans l’espace public actuel les activités qui font droit à la mémoire de tel ou tel groupe ou personnes ou qui s’emploient à sauver des archives ? Et comment ceux-ci entrent-ils en dialogue avec ceux qui l’occupaient déjà ? Quelles autres activités les activités patrimoniales et leurs résultats permettent-elles ou interdisent-elle ?

- Où s’inscrivent les activités patrimoniales interculturelles ? Nous faisons l’hypothèse que la reconnaissance de la diversité passe aussi par la diversification des espaces dans lesquels se manifeste une dimension patrimoniale ou dans lesquels prennent sens des références patrimoniales. En premier lieu, au delà des institutions patrimoniales et des acteurs habilités à définir le patrimoine : soit que les institutions elles-mêmes se trouvent à « sortir des murs » pour mener ce type de démarche, soit du côté d’associations et d’acteurs qui s’engagent dans un travail de collecte de traces, de recueil de récits, de reconstitution historique jusqu’à des projets patrimoniaux pouvant parfois nourrir en retour les dites institutions. Nombre de groupes d’amateurs et profanes se sont ainsi multipliés, qui utilisent souvent le numérique comme scène plus ou moins publique de déploiement, permettant à chacun de contribuer à la production mémorielle, voir à la fabrication de véritables espaces patrimoniaux virtuels (Rautenberg et Rojon, 2014). En second lieu, cette diversification s’opère dans de nouvelles articulations entre patrimoine/pratiques culturelles/activités sociales sur un mode interculturel et dans des lieux dont les fonctions sont multiples : ainsi par exemple le patrimoine bâti de telle ancienne usine (au sens architectural) devient support d’activités (lieu de création ou accueil à visée plus sociale) qui ne font pas directement référence à son patrimoine social historique, mais y trouve des dimensions (la solidarité, le travail manuel…) qui font écho à ce qui s’y fait au présent (Tornatore, 2003). On se demandera notamment : Comment dans ou autour de ces espaces s’articulent différents types d’acteurs et différents projets ? Quels négociations et dialogues s’établissent entre espaces institués de production du patrimoine et espaces « communautaires », « collaboratifs» ? Dans quelle mesure la dimension patrimoniale est une composante parmi d’autres de l’interculturalité à l’œuvre là ou son caractère principal ? Comment ces espaces articulent-ils les dimensions intimes, partagées, publiques ? Autrement dit : pour qui fait-on patrimoine ? Et quel espace commun ce patrimoine construit-il ? 

- Quelles sont les formes mobilisées ou produites par ces activités patrimoniales ? Dans quelle mesure l’interculturalité constitue-t-elle une ressource formelle ou impose-t-elle d’inventer de nouveaux formats et langages ? Le renouveau de la muséographie d’une part et d’autre part la multiplication des projets culturels, sociaux et scientifiques qui travaillent la mémoire, les traces, la friche a considérablement transformé les modalités d’exposition et de rapport aux « objets » patrimoniaux. La notion même de patrimoine immatériel impose d’ailleurs de concevoir autrement cette notion. Une attention particulière pourrait être portée aux formes multiples de créations artistiques qui servent de vecteur à l’expression culturelle elle-même comme patrimoine immatériel ou comme outil de création et de réinterprétation des mémoires et des patrimoines sur un mode interculturel. Quelles traductions cela opère-t-il ? De quelle mise en forme et mise en scène s’agit-il ? Dans quelle mesure ce passage par l’Art permet-il de faire entendre des voix et reconnaître des éléments de patrimoine qui seraient sinon restés peu légitimes ? Ces interrogations ouvrent la question du public, qui dépasse la question de la médiation : Comment (se) rendre sensible aux patrimoines des autres ? Et comment être concerné par un patrimoine commun fait de diversité ? 


[1] « Le groupement d’intérêt scientifique « Pratiques interculturelles dans les institutions patrimoniales » (IPAPIC) se propose de mieux connaître les défis que les dynamiques interculturelles posent aujourd’hui aux processus de patrimonialisation, de mieux les comprendre pour dessiner des pistes d’action tant en matière de projet d’établissement que de politiques culturelles. Il vise à ouvrir de nouveaux champs de recherche en sciences humaines et sociales, à expérimenter des modes collaboratifs de recherche, à favoriser la mise en œuvre et la diffusion de pratiques nouvelles dans les institutions patrimoniales. Lieu de décloisonnement dans les modalités de production des connaissances, notamment entre chercheurs et autres producteurs de savoir, le GIS IPAPIC se veut un laboratoire permanent à partir des interrogations du groupe de travail. » 

[2] Aurélie Elisa Gfeller "The Geography of Global Cultural Norms: The Authenticity of Cultural Heritage from Venice to Nara, 1964–1994," under review. 

Modalités pratiques d'envoi des propositions

Les auteurs sont invités à soumettre leur intention d’article sous la forme d’un résumé de 500 mots au plus tard

le 31 janvier 2015

par courriel Claire Autant Dorier, éditrice invitée pour ce numéro, à l’adresse suivante :

claire.autant.dorier@univ-st-etienne.fr

Modalités de sélection et consignes aux auteurs sur le site de la revue Alterstice : http://www.alterstice.org/

Comité scientifique

  • Fatima Moussa, Université d'Alger, ALGÉRIE
  • Nicole Carignan, Université du Québec à Montréal, CANADA
  • Gilles Bibeau, Université de Montréal, CANADA
  • Prof. Pierre Dasen, Université de Genève, SUISSE
  • Abdeljalil Akkari, Université de Genève, SUISSE
  • Christiane Perregaux, Université de Genève, SUISSE
  • Laurence Ossipow, HES-SO, SUISSE
  • Calin Rus, Institut interculturel de Timisoara, ROUMANIE
  • Concetta Sirna, Universita di Messina, ITALIE
  • Claire Autan-Dorier, Université de Saint-Etienne, FRANCE
  • Margalit Cohen-Emerique, FRANCE
  • Donatille Mujawamariya, Université d'Ottawa, CANADA
  • Lucienne Martins Borges, Universidade Federal de Santa Catarina, BRÉSIL
  • Dr. Altay A. Manco, IRFAM, BELGIQUE
  • Ghazi Chakroun, Université de Sfax, TUNISIE
  • Jacques-Philippe Tsala-Tsala, Université de Yaoundé, CAMEROUN
  • Tchirine Mekideche, Université d'Alger, ALGÉRIE
  • Khadiyatoulah Fall, Université de Chicoutimi, CANADA

Comité éditorial

Directeur

  • Yvan Leanza, Université Laval, CANADA

Membres

  • Catherine Montgomery, Département de communication publique et sociale, UQAM Équipe METISS, CANADA
  • René Mokounkolo, Université François Rabelais de Tours, FRANCE
  • Jacques Rhéaume, Université du Québec à Montréal, CANADA
  • Francine Saillant, Université Laval, CANADA

Dates

  • samedi 31 janvier 2015

Mots-clés

  • interculturalité, patrimoine, collectif, participation, création

Contacts

  • Claire Autant-Dorier
    courriel : claire [dot] autant [at] univ-st-etienne [dot] fr

Source de l'information

  • Claire Autant-Dorier
    courriel : claire [dot] autant [at] univ-st-etienne [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Le patrimoine au défi de l'interculturalité », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 12 janvier 2015, https://doi.org/10.58079/rpx

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