AccueilAutour des « Assises de Jérusalem »

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Autour des « Assises de Jérusalem »

Around the "Assises of Jerusalem"

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Publié le jeudi 29 janvier 2015

Résumé

Quiconque s'est livré à l'étude des institutions féodales sait quel parti les historiens ont tiré des Assises de Jérusalem. Le droit des établissements fondés en Syrie par les Croisés étaient à même de nous livrer le secret de nombreux problèmes complexes que soulève l'histoire de la féodalité. Pourtant, ce texte fondamental est tombé, de nos jours en France, dans un oubli généralisé. Si ce corpus normatif apparaît être déprécié dans les limites de l'hexagone, l'intérêt pour ce dernier semble avoir connu un regain de vigueur chez les anglo-saxons. Face à ce nouvel engoument, il nous paraît nécessaire de réhabiliter les Assises de Jérusalem, en proposant une rencontre pluridisciplinaire entre différents chercheurs internationaux, afin de faire le point sur le sujet et soulever de nouvelles problématiques. 

Annonce

Argumentaire

En 1925, dans son compte-rendu du livre de Maurice Grandclaude intitulé « Étude critique sur les Livres des Assises de Jérusalem », F.-L. Ganshof écrivait : « Quiconque s'est livré à l'étude des institutions féodales sait quel parti les historiens ont tiré des Assises de Jérusalem. Le droit des établissements fondés en Syrie par les Croisés était, par hypothèse, considéré comme un droit d'importation, d'origine occidentale, d'origine surtout française. Il pouvait donc nous livrer le secret de pas mal de problèmes complexes que soulève l'histoire de la féodalité. Partant de ces données, on a usé et abusé des Assises de Jérusalem. »

Or, presque quatre-vingt-dix ans après ce constat, ce texte fondamental, par bien des aspects, est quasiment tombé dans un oubli généralisé. En France, de nos jours, même les spécialistes en histoire du droit passent au silence cette source essentielle, seuls quelques-uns lui reconnaissant le statut de « monument extérieur de l’histoire du droit français ».

Les rares études françaises entreprises sur cette source datent quasiment toutes du début du XXe siècle comme l’étude d’Edmond Deraze sur le mariage d’après les Assises de Jérusalem en 1910, ou celles de Marque Robert sur les successions testamentaires d’après les Assises de Jérusalem et de Pierre Christin portant sur les classes inférieures d’après les Assises de Jérusalem datant toutes les deux de 1912. Il faut attendre 1962, pour qu’à nouveau un auteur s’intéresse à la matière, mais pas n’importe lequel : il s’agit de Joshua Prawer appelé à devenir l’un des spécialistes internationaux des royaumes latins qui publia un opus intitulé : Étude sur le droit des Assises de Jérusalem : droit de confiscation et droit d'exhérédation. Dès lors, plus aucune recherche globale n’a été entreprise en France sur ce corpus. On déplore le même silence quant à l’édition du texte même des Assises, la seule édition complète est celle établie par le comte Beugnot en 1841.

Si ce texte apparaît être déprécié dans les limites de l’hexagone, l’intérêt pour ce dernier semble avoir connu un regain de vigueur chez les chercheurs étrangers particulièrement chez les Anglo-saxons à la suite des études menées par J. Prawer qui a suscité un nouvel engouement pour la matière. Ainsi, dès 1995, M. Greilsammer proposa une nouvelle édition du Livre au Roi. Dans la foulée, P. W. Edbury édita en 2003 et en 2009, Le Livre des Assises de Jean d’Ibelin et Le Livre de Forme de Plait de Philippe de Novare. Parallèlement, 2003 a vu la publication du Livre des lignages d'outre-mer sous les auspices de Marie-Adélaïde Nielen. Seul Le Livre de la Cour des Bourgeois n’a pas connu de nos jours de réédition : l’édition de référence reste donc celle de Victor Foucher datant des années 1830-1840. Face à ce nouvel engouement, il nous paraît normal à notre tour de réhabiliter les Assises de Jérusalem en France, en proposant une rencontre pluridisciplinaire entre différents chercheurs internationaux afin de faire le point sur le sujet et soulever de nouvelles problématiques.

Les Assises de Jérusalem sont des recueils de lois qui décrivent les institutions du Royaume de Jérusalem et qui furent utilisées et adaptées pour le Royaume de Chypre. Ces lois du royaume, d'abord sous formes écrites et dispersées, furent réunies en recueil au cours du XIIIe siècle, sous la forme de codifications privées. Selon Jean d’Ibelin, Godefroy de Bouillon, le premier roi factuel de Jérusalem qui portait le titre officiel d’ « Avoué du Saint-Sépulcre », fut le premier a ordonné la réunion d’une commission de barons et de notables avec la mission de rédiger les statuts du royaume. Ceux-ci auraient été déposés dans l’Église du Saint-Sépulcre d’où leur nom initial de Lettres du Sépulcre. Ce texte, dont l’existence même fut remise en cause durant de nombreuses années, se perdit lors de la prise de Jérusalem en 1187.

Le XIIe siècle a connu plusieurs lois qui finiront par faire partie des Assises : tout d’abord, L'Assise du coup apparent, promulguée par Baudoin II qui mit un terme aux violences faites par les hommes de toutes classes ; toute une série de dispositions issues du même souverain qui déterminaient les douze cas où le roi pouvait dépouiller un seigneur de son fief ; mais surtout l'Assise sur la ligece, loi promulguée par Amaury Ier de Jérusalem, édictée vers 1162, qui faisait de chaque seigneur du royaume un vassal direct du roi et qui donnait aux arrière-vassaux un droit de vote identique aux principaux barons. C’est toutefois le XIIIe siècle qui vit l’apparition de plusieurs recueils.

Le premier, le plus ancien qui fut achevé au maximum en 1205, est le Livre du Roi, le seul des quatre principaux recueils d’Assises qui établisse la prééminence du roi. Le fait que ce premier recueil ait été composé à la fin du XIIe ou tout au plus au début de XIIIe, lui fait acquérir un intérêt majeur lorsqu’on situe l’œuvre dans le contexte général des coutumiers, mais également des traités de droit féodal contemporains. En effet, il s’avère que ce document est non seulement l’une des premières de cette sorte d’un point de vue chronologique, mais il est aussi l’un des premiers traités rédigé en ancien français. À l’exception des Libri Feudorum lombards, du De Legibus et Consuetudines Angliae qui lui sont antérieurs, de la première partie du Très Ancien Coutumier de Normandie et du texte de la Charte du Hainaut qui lui sont contemporains, la plus grande majorité des traités de droit féodal et des Coutumiers lui sont postérieurs.

Après le règne du roi Amaury II, le pouvoir royal s’affaiblit, en raison de plusieurs régences et du caractère partiellement électif de la royauté : la couronne était certes héréditaire, mais l’absence d’héritier masculin offrit le trône à plusieurs reines, dont le mari fut choisi par les barons du royaume. Les barons conservèrent alors une fiction de la royauté et dès lors, le besoin de rédiger de nouveaux recueils de lois se fit sentir. On assista alors à la rédaction des trois autres recueils. Tout d’abord, vers 1250, Philippe de Novare composa Le Livre de Forme de Plait qui se caractérise par son point de vue aristocratique et contient également une histoire du conflit qui opposa les Ibelin, ses protecteurs, et les Hohenstaufen dans les royaumes de Chypre et de Saint-Jean d'Acre.

Entre 1264 et 1266, Jean d’Ibelin, comte de Jaffa et d'Ascalon, régent du royaume de Jérusalem à Acre rédigea son Livre des Assises qui est un développement de l’ouvrage de Philippe de Novare mais qui passe pour le plus détaillé des traités de lois de l’Orient latin et de l’Europe médiévale. Il est important de constater que les règles exposées par ces deux auteurs se recoupent sur beaucoup de points et même sont souvent similaires. Néanmoins un certain nombre de différences existent qui sont souvent motivées par des raisons lignagères. Malgré tout, les deux points de vue de ces deux auteurs se rejoignent en se montrant particulièrement favorables à l’aristocratie. Ces trois œuvres ont pour but de réglementer le fonctionnement de la Haute Cour qui était la gardienne inviolable des droits des barons du royaume. Composée des vassaux directs de la couronne, l’assemblée fut ensuite ouverte en 1164 à tous les arrières vassaux suite à une décision du roi Amaury Ier. Cette Haute Cour n’avait ni date de réunion, ni lieu de rassemblement régulier. Seul le roi avait le droit de la convoquer et en présidait les sessions. Mais sa voix avait la même valeur que celle des autres membres. Ses décisions étaient insusceptibles d’appel et le roi avait l’obligation de s’y conformer et de les faire exécuter.

Le dernier opus plus connu sous le nom du Livre des Assises de la Cour des Bourgeois est d’une autre essence. C’est une œuvre volumineuse composée par un auteur inconnu qui détaille la Cour des Bourgeois, établie dans le royaume pour les chrétiens latins non nobles. Tout en fonctionnant selon une procédure comparable à celle du tribunal féodal, les règles inhérentes à cette cour présentaient une grande parenté avec le droit en usage dans le midi de la France, fondé sur le droit romain. Il peut paraître curieux de voir à cette époque un roi et une assemblée noble partager le pouvoir avec une assemblée de non noble. Cette situation s’explique d’une part parce que ces roturiers ont participé aux Croisades au même titre que les chevaliers, ont combattu à leurs côtés, et aussi parce que les bourgeois se sont ensuite enrichis par le commerce et constituent une force financière et politique. Cette seconde assemblée présentait en outre pour le roi la possibilité de contrebalancer la puissance des aristocrates. C’était le vicomte de Jérusalem, un fonctionnaire judiciaire choisi par le roi parmi les chevaliers, qui préside l’assemblée. En plus du vicomte, l’assemblée était composée de douze jurés ou notables, choisis parmi les non-nobles d’origine latine. Elle était chargée de juger les litiges entre les roturiers latins ou entre l’un d’eux et l’État. Cette institution n’était pas unique, car outre Jérusalem, plus de trente villes du royaume possédaient leur Cour des Bourgeois.

Avec la prise de Saint-Jean-d’Acre en 1291, le royaume de Jérusalem disparut et les Assises ne furent plus appliquées, bien que de nombreuses familles nobles réalisèrent pour leurs propres archives une copie du livre de Jean d’Ibelin. En effet, le roi de Chypre disposait d’un pouvoir absolu dans son royaume et il n’existait pas d’assemblée des barons ou des notables. Néanmoins, il arriva, dans de rares cas, que les barons s’appuyassent sur les Assises pour refuser d’obéir au roi. En 1367, à la suite de son refus de suivre le roi Pierre Ier pour aller combattre les Mamelouks, la noblesse chypriote entra en guerre contre son roi, conflit qui se conclut par l’assassinat du roi en 1368. Les barons décidèrent alors de remettre en vigueur les assises de la Cour des Barons ou Haute Cour, mais chaque famille disposait de copies modifiées et le texte original ne put être reconstitué : ils adoptèrent un compromis en remaniant les Assises de Jean d’Ibelin. Enfin, en 1531, les Vénitiens, devenus les nouveaux possesseurs de Chypre, les traduisirent en italien et les déposèrent à la Bibliothèque Saint-Marc de Venise. À cette occasion les Assises de Jean d’Ibelin furent une nouvelle fois remaniées.

Ces quatre recueils principaux composés au XIIIe siècle, s’appuyant principalement sur une tradition orale, ont tous pour but de mettre en valeur les lois en fonction de leur objectif politique plutôt qu’en cherchant à codifier avec exhaustivité des pratiques antérieures. Toutefois est-ce dire pour autant que les règles contenues dans ces recueils ne représentent pas la pratique quotidienne dans le royaume du XIIe-XIIIe siècles ? Il est incontestable que le discours et les dispositions de ces quatre recueils ne sont pas uniformes et se contredisent parfois sur certains points. Par ailleurs, les dispositions ne concernent que les conquérants, autrement dit, les francs chrétiens. L’originalité du régime franc vient en partie de l’introduction au Moyen-Orient des traditions et institutions européennes. Le trait le plus caractéristique du régime, du moins dans les premières années d’existence du royaume de Jérusalem, est l’imbrication d’éléments économico- politiques et d’éléments religieux. La stratification sociale européenne à la fin du XIe siècle était fondée sur la tradition ainsi que sur des critères économiques : la fonction sociale et la profession déterminaient la hiérarchie sociale. À cette

l’État latin a fourni une contribution originale en faisant intervenir le facteur religieux. C’était essentiellement sur l’appartenance religieuse que se fondait la distinction entre vainqueurs et vaincus. Cette différenciation était à la base de toute la stratification sociale et conférait sa spécificité au régime féodal en terre sainte. Par là même, les Assises de Jérusalem n’apparaissent pas seulement comme étant des règles de droit occidental importées, mais possèdent, dès leurs origines, une spécificité propre ; ce corpus juridique s’étant développé, transformé et adapté en fonction des aléas politiques, juridiques, sociaux et militaires qu’a connus le royaume de Jérusalem, durant ces presque deux cents d’existence. 

Programme

Jeudi 21 mai 2015

  • 9h00. Accueil des participants
  • 9h15. Ouverture du colloque par Bernard Ribémont, vice-président de l’Université d’Orléans
  • 9h25-9h45. Michel Balard (Université Paris I) : Introduction

Les Assises de Jérusalem : perspectives littéraires (I)

sous la présidence de B. Ribémont

  • 9h45-10h15 : Marie-Adélaïde Nielen (Archives nationales de France)  : Les lignages d’Outremer : un texte ou des textes ? 
  • 10h15-10h45 : Jérôme Devard (Université d’Orléans) : La « légendarisation » de Godefroy de Bouillon : étude d’un processus de mythification

Pause

Les Assises de Jérusalem : perspectives littéraires (II)

sous la présidence de P. Edbury

  • 11h15-11h45 : Marie-Geneviève Grossel (Université de Valenciennes) : L’image de la féodalité dans l’Historia Orientalis de Jacques de Vitry
  • 11h45-12h15 : Abbès Zouache (C.N.R.S.) : Théorie juridique vs sources narratives. A propos du statut des musulmans dans l’Orient latin

Déjeuner

Les Assises de Jérusalem : perspectives politiques

sous la présidence de M. Balard

  • 14h00-14h30 : Ahmed Djelida (Université de La Rochelle) : Le contrôle de la féodalité par le roi au XIIe siècle : les cas hiérosolymitain et siculo-normand
  • 14h30-15h00 : Myriam Greilsammer (Université de Bar-Ilan) : L’instrumentalisation du mariage des vassales dans les Assises de Jérusalem 

Pause

  • 15h30-16h30. Conférence plénière. Peter Edbury (Université de Cardiff) : The Assizes of Jerusalem and legal practice : the political crisis in Cyprus in the early fourteenth century

Dîner de Gala

Vendredi 22 mai 2015

Les Assises de Jérusalem : perspectives juridiques (I)

sous la présidence de J. Devard

  • 9h45-10h15 : Adam Bishop (Université de Toronto) : Les origines romaines des Assises de la Cour des Bourgeois
  • 10h15-10h45 : Corinne Leveleux-Teixeira (Université d’Orléans) : La procédure criminelle dans les Assises de Jérusalem

Pause

Les Assises de Jérusalem : perspectives juridiques (II)

sous la présidence de C. Leveleux-Teixeira

11h15-11h45 : Dirk Herbaut (Université de Gent) : Un « contemporain » des Assises de Jérusalem : le Miroir des Saxons

Déjeuner

Les Assises de Jérusalem : perspectives sociales

sous la présidence de S. Boissellier

  • 14h00-14h30 : Florian Besson (Université Paris IV) : Rendre la justice, régler les conflits et construire l’ordre social dans le Livre du Roi
  • 14h30-15h00 : Muriel Bonnaud (Université de Poitiers) : Le règlement des conflits dans les Assises de Jérusalem à partir du Livre des Assises de Jean d’Ibelin

Pause

15h30-16h00

  • Stéphane Boissellier (Université de Poitiers) : Conclusions

Organisateurs

  • Jérôme Devard  (Université d’Orléans / POLE N) : devard.dje@gmail.com
  • Bernard Ribémont  (Université d’Orléans / POLE N)  :  bernard.ribemont@univ-orleans.fr

Comité scientifique

  • Martin Aurell (Université de Poitiers / CESCM)
  • Stéphane Boissellier (Université de Poitiers / CESCM)
  • Claudio Galderisi (Université de Poitiers / CESCM)
  • Cédric Glineur (Université du Havre)
  • Philippe Haugeard (Université d’Orléans)
  • Claire Lamy (Université de Poitiers / CESCM)
  • Corinne Leveleux-Teixeira (Université d’Orléans)
  • Bernard Ribémont (Université d’Orléans)

Lieux

  • Château de la Source, 6 avenue du Parc Floral
    Orléans, France (45)

Dates

  • jeudi 21 mai 2015
  • vendredi 22 mai 2015

Mots-clés

  • Jérusalem, féodalité, loi, croisé

Contacts

  • Jérôme Devard
    courriel : devard [dot] dje [at] gmail [dot] com

Source de l'information

  • Jérôme Devard
    courriel : devard [dot] dje [at] gmail [dot] com

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Autour des « Assises de Jérusalem » », Colloque, Calenda, Publié le jeudi 29 janvier 2015, https://doi.org/10.58079/rw8

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