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Les usages problématiques des mots du mal

The problematic usage of words describing evil

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Veröffentlicht am Donnerstag, 06. August 2015

Zusammenfassung

Au cœur des sciences sociales, le rôle du langage est considéré avec toujours plus d’attention. Les mots désignant le mal au XXe siècle, c’est-à-dire les crimes de masse, les guerres, les dictatures, etc., sont l’objet d’usages divers, contradictoires, sans déboucher dans tous les cas sur de la clarté et de l’intelligibilité. Ce dossier évoque ces usages et mésusages afin de proposer une réflexion sur les manières de mettre les mots au service d’une intelligibilité du passé plutôt qu’au service de sa manipulation et de son brouillage.

Inserat

Argumentaire

Le rôle du langage et des manipulations sémantiques dans la perpétration des crimes de masse est l’objet d’une attention accrue depuis quelques années. Si tout le monde a en tête l’exemple du novlangue décrit dans le roman 1984 de George Orwell (« La guerre c’est la paix ; la liberté c’est l’esclavage ; l’ignorance c’est la force »), il ne faut pas oublier que la répétition persistante de ces formules ou de l’usage de certains mots finit par agir sur les comportements collectifs. Un travail de déconstruction et de mise en garde à ce propos a été initié en amont par Karl Kraus autour de la Première Guerre mondiale et après (« Apprendre à voir des abymes là où sont des lieux communs », cité par Jacques Bouveresse, Satire & prophétie : les voix de Karl Kraus). Il a été mené aussi par Victor Klemperer au cœur de l’expérience du nazisme (LTI, la langue du IIIe Reich). Plus tard, il a notamment été prolongé et approfondi par Pierre Bourdieu (Langage et pouvoir symbolique).

Le présent dossier entend interroger en particulier les manières de désigner et de qualifier les maux les plus extrêmes du XXe siècle, soit aussi bien le concept de « totalitarisme » et ses différents usages plus ou moins élargis, plus ou moins circonscrits, que les notions de « crimes contre l’humanité », « génocides », « holocauste », Shoah ». Les usages et mésusages de ces termes se trouvent pris dans une tension constante entre volonté de bien distinguer les situations dans leurs spécificités et leurs différences et quête d’éléments communs permettant d’associer certaines d’entre elles. Ils sont donc soumis au double écueil de la sacralisation et, au contraire, de la banalisation de toutes ces formes de criminalité.

Les termes en question relèvent pour certains de catégories morales empruntées aux religions et pour d’autre d’une intention de rationalité scientifique. Toutefois, au-delà de cette apparence première, ils trouvent leurs sources dans des confrontations sociales et politiques, ce qui rend leur catégorisation d’autant plus problématique.

Il convient ici de bien distinguer, mais de bien prendre aussi en considération, la présence de ces termes à la fois dans la littérature savante, dans les usages du passé exprimés dans l’espace public, mais aussi dans les ressources et les contenus de l’histoire scolaire. Mieux encore, la question se pose de savoir dans quelle mesure ces termes font l’objet d’usages différents dans chacun de ces contextes, et si, par exemple, une notion utilisée avec prudence et nuances dans une littérature savante insistant sur son caractère problématique ne devient pas une sorte de donnée factuelle naturalisée dans les pratiques scolaires. Les mots du curriculum scolaire sont en effet le fruit de choix soupesés. Programmes ou manuels véhiculent donc aussi des manières de "dire le mal" qui leur sont propres et témoignent d'une patrimonialisation de certains concepts parfois rendus désuets par le champ académique mais qui persistent dans le champ scolaire. Il paraît donc intéressant d’interroger les enjeux identifiables derrière ces arbitrages.

Le concept de totalitarisme, fondé sur une comparaison entre fascisme, nazisme et communisme stalinien, peut brouiller notre représentation du passé s’il aboutit à une assimilation de ces trois régimes politiques. Il permet par contre une comparaison utile qui peut produire du sens si elle est établie de manière scientifique, en considérant à la fois les éléments qui sont communs et les distinctions qui sont nécessaires. Mais l’air du temps, malheureusement, ne favorise pas cette posture critique, tout ce qui s’oppose au libéralisme dominant tendant désormais à être regroupé dans une même catégorie stigmatisée.

La désignation de la destruction des juifs d’Europe pose également des problèmes complexes. Il s’agit assurément d’un génocide, mais ce n’est pas le seul. Ce n’est pas non plus seulement un génocide des juifs, puisque c’est aussi un génocide des Tsiganes, même si l’un et l’autre relèvent d’espaces, de temporalités et d’un nombre de victimes différents. Le terme de Shoah s’est imposé dans le monde francophone après le film du même nom, mais sa pertinence dans l’espace public et scolaire peut toutefois être discutée puisqu’il s’agit d’un terme étroitement relié à la communauté des victimes de ce crime de masse. Le mot « holocauste », totalement dominant dans le monde anglo-saxon, est également utilisé en français. Or, c’est un terme biblique dont l’usage est encore plus problématique. Quant à l’idée de génocide, qui a sa propre histoire (Raphaël Lemkin), elle nécessite tout un travail de comparaison qui ne pose pas de problème pour les génocides les plus largement reconnus comme tels (le génocide des Arméniens d’Anatolie, le génocide des juifs et des Tsiganes, le génocide des Tutsis du Rwanda), mais qui pose problème dans tous les autres cas (comme le Cambodge, les Hereros de Namibie ou Srebrenica, voire des crimes de masse plus anciens).

Le présent dossier entend interroger ces usages et mésusages pour envisager les manières possibles de résoudre les dilemmes qui peuvent apparaître, notamment entre la nécessité de distinguer les faits traumatiques du passé en fonction de leurs caractéristiques les plus variées et celle de vraiment promouvoir une reconnaissance de la souffrance des victimes de tous les crimes de masse.

Que faut-il faire quand des formes de concurrence des victimes opposent des groupes particuliers dans une lutte de reconnaissance de la gravité des souffrances de son groupe ? Quand, comme à Srebrenica, des qualifications de justice se distinguent apparemment des critères historiens pour la désignation de la nature des crimes ? Que faire face à des surenchères consistant à faire « labelliser » le crime dont son propre groupe a été victime par le terme de génocide, ressenti comme le plus fort, le seul qui semble vraiment reconnaître les souffrances endurées ? Face aussi à des manipulations qui s’inscrivent parfois dans des logiques négationnistes ? Faut-il en fin de compte faire en sorte que le langage public s’adapte aux critères scientifiques de l’histoire ? Ou accepter au contraire de s’adapter aux usages dominants dans la société, quitte à en étabir ultérieurement la critique ?

Ce sont là de vraies questions, qui se posent de manière encore plus accentuée pour le contexte scolaire.

Modalités pratiques d'envoi des propositions

Les propositions de contributions doivent être envoyées à la rédaction de la revue : revue.en.jeu@gmail.com et aux deux responsables du dossier : laur.decock@gmail.com et heimbergch@gmail.com

au plus tard le 30 novembre 2015

Elles doivent comporter : nom et prénom, qualités de l’auteur ; le titre de la contribution et un argumentaire d’une quinzaine de lignes accompagné d’une courte bibliographie.

Une réponse sera donnée le 21 décembre 2015. Les contributions retenues seront à remettre le 31 mai 2016 au plus tard (maximum 30 000 signes, espaces et notes compris).

La publication est prévue en décembre 2016.

Rédacteurs en chef

  • Frédéric Rousseau (Université Montpellier III),
  • Yves Lescure (directeur général de la FMD).

Coordinateurs du dossier

  • Laurence De Cock ( professeur d’histoire-géographie au Lycée Guillaume-Tirel, Paris, et chargée de cours en didactique de l’histoire à l’Université Paris-Diderot) 
  • Charles Heimberg (professeur de didactique de l’histoire et de la citoyenneté à l'Université de Genève, membre du conseil scientifique de la FMD).

La composition du comité de rédaction de la revue ainsi que du conseil scientifique de la Fondation pour la mémoire de la déportation (FMD), est consultable sur le site internet :

http://fondationmemoiredeportation.com/


Daten

  • Montag, 30. November 2015

Schlüsselwörter

  • langage, mal, crime de masse, guerre, dictature

Kontakt

  • Caroline Langlois
    courriel : revue [dot] en [dot] jeu [at] gmail [dot] com

Informationsquelle

  • Caroline Langlois
    courriel : revue [dot] en [dot] jeu [at] gmail [dot] com

Lizenz

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Zitierhinweise

« Les usages problématiques des mots du mal », Beitragsaufruf, Calenda, Veröffentlicht am Donnerstag, 06. August 2015, https://doi.org/10.58079/t4o

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