AccueilLe bouc émissaire dans l’histoire et la culture russe (XVIIIe–XXe siècle)

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Le bouc émissaire dans l’histoire et la culture russe (XVIIIe–XXe siècle)

The scapegoat in Russian culture and history (18th-20th centuries)

In Memoriam: René Girard (1923-2015)

In Memoriam: René Girard (1923-2015)

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Publié le mardi 17 novembre 2015

Résumé

La notion de bouc émissaire est dynamique. De manière synchronique, le pouvoir russe a pu instrumentaliser l’opinion publique dans sa quête de boucs émissaires, comme avec les Cent-Noirs, organisation antisémite soutenue secrètement par Nicolas II. À l’inverse, l’opinion a pu influencer la position du pouvoir, comme pour les « oligarques » dans les années 1990, accusés d’avoir pillé les ressources russes, qui aident d’abord Eltsine avant que celui-ci ne prenne ses distances, en partie sous la pression de l’opinion. De manière diachronique, les boucs émissaires participent à la formation d’une mémoire collective et d’une histoire nationale russes, non sans la caution, parfois, d’historiens occidentaux.

Annonce

Argumentaire

« Du robinet l’eau ne coule plus – ce sont les Juifs qui ont tout bu ! » Cette tchastouchka (court poème humoristique) très connue en Russie raille l’antisémitisme ambiant tout en constituant une trace du statut de bouc émissaire du Juif à travers les âges. L’histoire russe regorge d’exemples où le Juif a tantôt servi de bouc émissaire à la « base », tantôt au « sommet » de la société. Qu’on se souvienne du décret d’expulsion des Juifs d’Ukraine par Catherine Ire en 1727, des pogromes qui font suite à l’assassinat d’Alexandre II en 1881 ou après la révolution de 1905. Rappelons aussi les tristement célèbres « affaires » : celle de Beïlis – le « Dreyfus russe » – en 1911 et celle des « blouses blanches » en 1953. 

Il est possible d’étudier l’antisémitisme en Russie pour et en lui-même. Il est tout aussi intéressant d’inscrire celui-ci dans une étude globale des boucs émissaires en Russie. Cela ne consiste pas à orienter la réflexion vers la polémique ou la controverse. Ce n’est pas, non plus, diaboliser la Russie – tous les pays ont, dans leur histoire, connu des périodes où des individus ou des groupes ont été désignés plus ou moins arbitrairement responsables des problèmes rencontrés par la collectivité. Travailler sur le bouc émissaire en Russie, c’est examiner sous un angle original les stratégies et les pratiques de l’ingénierie sociale, la violence et les répressions d’un « État contre son peuple » (Nicolas Werth). C’est aussi s’interroger sur le rapport de la Russie au monde et globalement, à réfléchir sur sa culture politique (images, discours et pratiques), la manière dont se forment et se manifestent les représentations et les émotions, l’émergence de l’idée et de l’institution judiciaire, la mémoire d’un peuple enfin. C’est faire de l’histoire politique, mais aussi culturelle et sociale. 

L’histoire russe, riche en drames, offre un territoire d’exploration particulièrement stimulant pour l’étude d’un phénomène aussi fascinant. Les boucs émissaires foisonnent – individus, groupes, États, groupes de pays, organisations supranationales, aires culturelles. Une partie d’entre eux sont accusés de méfaits concrets : épidémies, catastrophes naturelles, assassinats, famines, crises économiques. Le pouvoir a souvent désigné comme boucs émissaires des personnes proches de ceux qu’il cherchait à impressionner et/ou qu’il ne pouvait ou ne souhaitait pas atteindre directement. Staline cherche à faire peur à son plus fidèle lieutenant, Molotov, en arrêtant sa femme, Polina Jemtchoujina ; Olga Ivinskaïa, compagne et muse du poète et écrivain Boris Pasternak, est condamnée à deux reprises, sous Staline et Khrouchtchev, alors que l’écrivain, lui, n’est jamais arrêté. 

Les boucs émissaires auraient aussi eu des desseins plus vastes : empêcher la Russie d’accomplir sa « destinée manifeste », de construire le communisme, de « rattraper et dépasser » l’Occident ou de « trouver sa voie », de se moderniser ou de renouer avec ses supposées racines nationales, d’être une grande puissance enfin. Certains auraient miné la Russie de l’intérieur. Citons des exemples de dirigeants : Khrouchtchev diabolisé pour avoir « donné la Crimée » à l’Ukraine, Brejnev pour sa « stagnation », Gorbatchev et Eltsine pour avoir provoqué l’effondrement de l’URSS. Citons des groupes ethniques, sociaux et politiques : Juifs, Caucasiens, paysans, mencheviks…  D’autres auraient cherché à affaiblir la Russie de l’extérieur. La Russie a toujours eu de nombreux ennemis, et tout l’abord l’Occident. « L’Occident a besoin d’une Russie faible » qu’on entend-on souvent en Russie depuis l’effondrement de l’URSS reflète bien cette tendance. À ce titre, il est intéressant de voir comment des livres et des films ont aussi devenir des boucs émissaires des problèmes sociaux aux yeux des autorités. Citons l’exemple du film Les Sept mercenaires (1960), peut-être le film américain le plus populaire en URSS des années 1960, qui fut accusé de contribuer à la délinquance juvénile par les instances du Komsomol. 

La notion de bouc émissaire est dynamique. De manière synchronique, le pouvoir russe a pu instrumentaliser l’opinion publique dans sa quête de boucs émissaires, comme avec les Cent-Noirs, organisation antisémite soutenue secrètement par Nicolas II. À l’inverse, l’opinion a pu influencer la position du pouvoir, comme pour les « oligarques » dans les années 1990, accusés d’avoir pillé les ressources russes, qui aident d’abord Eltsine avant que celui-ci ne prenne ses distances, en partie sous la pression de l’opinion. De manière diachronique, les boucs émissaires participent à la formation d’une mémoire collective et d’une histoire nationale russes, non sans la caution, parfois, d’historiens occidentaux. Depuis le XIXe siècle, le « retard russe » a trouvé son explication principale dans « le joug tataro-mongol ». Le statut du bouc émissaire peut aussi fluctuer radicalement en fonction des époques. Staline fut critiqué sous Khrouchtchev, partiellement réhabilité sous Brejnev, diabolisé de nouveau sous Gorbatchev et Eltsine. 

Axes thématiques

Ce colloque se propose d’étudier le phénomène de bouc émissaire en Russie du XVIIIe au XXe siècle en utilisant comme fil directeur le rôle de l’État dans la création et/ou la récupération des boucs émissaires, définis comme cibles de discours et/ou de pratiques culpabilisants. À partir de la question centrale – que nous apprennent les boucs émissaires sur la nature et l’exercice du pouvoir en Russie ? – les communications pourront être problématisées à partir des thématiques suivantes : 

1) Diachronie. Est-il possible de distinguer des périodes « riches » et les périodes « pauvres » en boucs émissaires ? Quelles sont les ruptures et les continuités, pour ce qui est des boucs émissaires, entre la Russie dite d’ancien régime au sens large (XVIIIe siècle – février 1917), ceux de la Russie soviétique (1917-1991) et ceux de la Russie d’Eltsine ? Dans quelle mesure la construction d’un Empire entraîne-t-elle la multiplication de boucs émissaires ?

2) Géographie et relations internationales. Quelles sont les logiques géographiques à l’œuvre ? Pourront être abordées la formation des « territoires d’exclusion » (« zone de résidence » des Juifs, les quartiers pour les étrangers), la diabolisation en fonction d’origines spécifiques (Caucase), la dimension transfrontalière. Les territoires cachés : le polygone de Boutovo, site d’exécution des boucs émissaires du régime stalinien ? L’impact des boucs émissaires sur les relations internationales : l’antisémitisme offre ici de nombreux angles d’approche.

3) Comparatisme. L’interculturalité offre également un terrain d’exploration intéressant : la comparaison a déjà été tentée pour les grandes affaires antisémites, notamment par Albert S. Lindemann (The Jew accused. Three antisemitic affairs : Dreyfus, Beilis, Frank, Cambridge University Press, 1992), mais il est certainement possible de trouver d’autres exemples. Il est ainsi possible de comparer la manière dont la Russie et les anciennes républiques, ainsi que les anciens « pays satellites », invoquent les pesanteurs du passé communiste pour expliquer leurs problèmes actuels, notamment économiques.

4) Sources. Comment écrire une histoire sociale et culturelle des boucs émissaires en Russie qui tienne compte des différentes parties en présence ? Quelle foi prêter aux sources « populaires » (tchastouchki, anekdoty) ? Qu’en est-il du discours des boucs émissaires eux-mêmes ? Quels sont les liens entre la langue russe et le phénomène de bouc émissaire ?

5) Enjeux. L’antisémitisme et l’antiaméricanisme sont-ils des instruments politiques du pouvoir russe ? Pourraient ici être explorées les fonctions de catharsis ou d’ingénierie sociale, de légitimation ou de sortie de crise, et globalement, distinguer les enjeux stratégiques et tactiques. Les enjeux mémoriels sont également importants. Il convient aussi de se pencher sur les éventuelles conséquences indirectes. Par exemple : la lutte contre les préjugés et les boucs émissaires a-t-elle contribué à l’émergence d’une société civile russe, d’une justice indépendante, de l’institution des avocats ? Quel est l’impact sur la formation des partis politiques, notamment sur le Bund ?

Modalités pratiques d'envoi des propositions

Les propositions de communications (200 mots), ainsi qu’un bref CV seront adressés

avant le 24 décembre 2015

à Andreï Kozovoï : andrei.kozovoi@univ-lille3.fr 

Les présentations auront une durée de 15 minutes.

Langues de travail : français, anglais.

Les frais de voyage et de séjour sont à la charge des participants.

Comité d’organisation

  • Andreï Kozovoï (porteur du projet),
  • Serge Rolet,
  • Hélène Mondon,
  • Camille Masse 

Comité scientifique

  • Rodolphe Baudin (Strasbourg),
  • Sophie Cœuré (Paris VII),
  • Andreï Kozovoï (Lille),
  • François-Xavier Nérard (Paris I),
  • Marie-Pierre Rey (Paris I),
  • Serge Rolet (Lille),
  • Alexandre Sumpf (Strasbourg),
  • Cécile Vaissié (Rennes).

Lieux

  • Villeneuve-d'Ascq, France (59)

Dates

  • lundi 06 juin 2016

Mots-clés

  • bouc émissaire, Russie

Contacts

  • Andrei Kozovoi
    courriel : andrei [dot] kozovoi [at] univ-lille3 [dot] fr

Source de l'information

  • Andrei Kozovoi
    courriel : andrei [dot] kozovoi [at] univ-lille3 [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Le bouc émissaire dans l’histoire et la culture russe (XVIIIe–XXe siècle) », Appel à contribution, Calenda, Publié le mardi 17 novembre 2015, https://doi.org/10.58079/tsh

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