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Géographies des fantômes

The geography of phantoms - Géographie et cultures journal

Revue « Géographie et cultures »

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Publié le lundi 22 mai 2017

Résumé

Ce numéro propose de faire dialoguer plusieurs approches géographiques des lieux de présence des fantômes, mêlant des problématiques socio-culturelles, politiques, et esthétiques. Trois axes de réflexion sont proposés pour ce numéro thématique : les spatialités des fantômes, leurs temporalités et l’esthétique et représentations qui leur sont liées.

Annonce

Argumentaire

Les approches et représentations des fantômes varient en fonction des sociétés, cultures et des systèmes de croyances. Si le Littré les définit comme « l’image des morts qui apparaît surnaturellement », on voit combien ils mobilisent à la fois les sens, les perceptions et mettent en jeu la question des normes. Ils font intervenir à la fois savoirs, sensations, expériences, lieux de leur ancrage mais aussi temporalités diverses (depuis celles de leur vie avant la mort, de la mort, jusqu’au temps de leur apparition ou la durée de leur présence). Leurs apparitions peuvent être abordées selon deux angles différents. En premier lieu, le fantôme désigne une manifestation surnaturelle de ce qui a été, ou de ce qui n’est plus, dont les formes et les modalités de présence sont génératrices de discours et d’expériences, et modifient la perception des espaces. De manière plus métaphorique, le fantôme est trace d’une époque ou d’un évènement qui hante le présent. Ces approches se complètent : la première fait du fantôme un objet d’études renvoyant à la présence d’êtres et de temporalités autres dans un espace donné. La seconde considère le fantôme comme un outil d’analyse des modalités d’entrecroisement entre temporalités et espaces. La combinaison de ces deux approches fait vaciller un certain nombre de dualités telles qu’incarnation/désincarnation, passé/présent, rupture/continuité, visible/invisible, vie/mort. Elle souligne par ailleurs que la présence des fantômes est toujours liée à un lieu : on habite les espaces des fantômes, qui eux-mêmes s’invitent dans notre quotidien. Il existerait donc une géographie des lieux hantés, des lieux chargés, que ce numéro se propose d’explorer via différents types de contributions.

Si les études anthropologiques ont exploré ce terrain depuis longtemps, en montrant l’importance des manières d’habiter, en étudiant aussi les traumatismes reflétés par la présence des fantômes par exemple, ce n’est que depuis récemment que la géographie – anglophone en particulier – s’est attachée à ces thèmes, notamment par la « spectro-géographie ». Inspirée par la « spectro-politique » de Derrida, elle met en évidence des liens complexes entre l’espace, la mémoire et le temps : elle explore les traces du passé qui hantent les espaces habités par les hommes et étudie ainsi la mémoire des lieux.

Cet appel entend à la fois inclure et dépasser ces théories, pour faire une géographie des fantômes. Qu’il s’agisse de lieux visités ou marqués par les spectres du passé, l’intérêt scientifique de cette géographie réside dans l’éclairage nouveau qu’elle apporte sur les thématiques liées à l’occupation de l’espace et à ses dimensions subjectives. Elle appréhende à la fois des temporalités entremêlées dans l’espace, la récurrence des marques du passé et leurs retours : le fantôme(ré)-apparaît, et il demeure selon des modalités diverses. Enfin, l’étude des fantômes apporte de nouveaux éléments de compréhension sur les modes de production de l’espace en situation conflictuelle ou post-conflictuelle. Il ne s’agit pas de considérer que les fantômes sont spécifiques à ces contextes, mais plutôt de se demander si n’importe quelle situation de traumatisme ne crée pas ses propres fantômes.

Ce numéro propose ainsi de faire dialoguer plusieurs approches géographiques des lieux de présence des fantômes, mêlant des problématiques socio-culturelles, politiques, et esthétiques. Trois axes de réflexion sont proposés pour ce numéro thématique.

1. Les spatialités des fantômes

« On n’habite que des lieux hantés » (Certeau 1990) : cet axe met en question les différentes modalités de présence et de perception des fantômes. Il s’intéresse aux « hauts lieux » (Debarbieux 1995) les plus évidents, hantés par des fantômes, souvent en rapport intime avec la mort : les cimetières, les lieux de torture, d’enfermement... Certeau étend cette catégorie aux lieux liminaires : le fantôme est dans l’entre-deux, le flou spatial, dans les interstices de la ville. Ces espaces délaissés – comme les lieux en ruines et en friche – constituent des condensés de traces et de marques qui oscillent entre invisibilité et visibilité et remettent en question nos modalités de perception de l’espace. Ces lieux patents parce que supposément marginaux sont à mettre en dialogue avec d’autres espaces de présence des fantômes : les espaces domestiques, les centres des villes, les lieux d’activité et d’intense fréquentation. La présence et la perception des esprits varient également en fonction des contextes géographiques. Elles font réfléchir sur leur centralité, ainsi que sur les lieux chargés, qui impressionnent en ce qu’ils sont émetteurs de signaux perceptibles par tous les sens : aspect visuel et sonore, discours qui lui sont apposés etc.

La présence des fantômes dans tout lieu du quotidien et de l’intime met en question également leurs façons d’occuper l’espace. Comment les défunts habitent-ils les lieux, et comment habiter des lieux hantés ? Ces interrogations mettent en jeu la cohabitation avec les fantômes, mais aussi les frontières entre vivants et morts dans différentes sociétés. Quels procédés sociaux et spatiaux permettent d’apprivoiser, de domestiquer (i.e. faire entrer dans le quotidien) les fantômes ? Il s’agirait ici de renouveler les analyses sur l’espace vécu.

2. Les temporalités des fantômes

Les questions liées aux apparitions appellent à une réflexion sur les différentes temporalités mises en évidence par les fantômes. Dans la mesure où ils apparaissent de façon quasi atemporelle (présents depuis des temps antérieurs, par exemple), ils entremêlent par nature passé et présent. Les temporalités liées aux fantômes soulèvent la question de l’anachronisme qu’ils impliquent, du brouillage des frontières entre les différentes temporalités. Un fantôme qui se manifesterait est une incursion du passé, mais peut être une projection du futur. Si la linéarité du temps a déjà été remise en cause dans les réflexions de Derrida sur la spectralité - et dans lesquelles le spectre peut venir du futur, en manifestant ce qui pourrait être (Derrida 1993) – c’est donc la pluralité des échelles d’analyse du phénomène qu’il faut analyser. Qu’il s’agisse de « revenants de la ville » (Certeau 1980), petites enclaves, ruines ou reliques du passé qui ouvrent sur un temps hors du temps présent, ou bien d’espaces plus étendus, la question des espaces hantés, de l’imbrication ou de la superposition des temporalités se pose à l’échelle d’une société entière comme à celle de l’individu, en passant par des groupes divers ou par l’unité familiale.

La question des temporalités appelle celle de la rupture et des seuils : faut-il un arrêt brutal de l’existence (d’un lieu, d’une personne, d’une période) pour qu’en surgissent les fantômes ; ou au contraire est-ce que l’absence de rupture nette et complète forme une condition idéale pour ces retours et ces revenants ? Au cœur de cette problématique figure la notion d’inachèvement et de difficulté à clore une période, qu’il s’agisse de la vie d’un individu (impliquant par exemple la question de la disparition), du deuil, d’une époque historique… Cet inachèvement peut être appréhendé sous l’angle du politique, en étudiant les spectres venant du passé et qui demeurent tant que « l’injustice qui les a créés perdure » (Houssay-Holzschuch 2010). En ceci, la question des lieux hantés peut être considérée comme caractéristique des espaces qui traduisent l’imbrication de logiques héritées d’une période antérieure (conflit, colonialisme par exemple), et de logiques émergentes, sociales ou spatiales. La question n’est d’ailleurs pas dénuée d’ambiguïtés ; d’une part parce que reléguer certains objets, groupes sociaux ou évènements au rang de fantôme peut faire rejouer certaines relations de pouvoir, d’autre part parce que les émotions suscitées par ces espaces – la peur, le plaisir, la nostalgie par exemple (Gervais-Lambony, 2012) – sont elles-mêmes contradictoires. Les fantômes ont donc une politique (Cameron 2008), et, comme ils traduisent l’ambivalence des émotions ou de souvenirs difficilement exprimables, car parfois « politiquement incorrects », une éthique équivoque.

3. Esthétique et représentations des fantômes

Parce qu’ils chargent les lieux, parce qu’ils exacerbent la subjectivité des représentations des individus et groupes, et parce qu’ils multiplient les temporalités, les fantômes génèrent une pluralité d’imaginaires et de représentations culturelles et artistiques. Qu’ils soient personnages de légende (le Fantôme de l’opéra, la Dame blanche), icônes, photographie, enregistrements visuels et sonores mais aussi figures littéraires, monuments aux morts, objets de rumeurs et de rites… les fantômes sont mis en scène, en images pour certains, et sont alors rendus perceptibles à tous. Les (re)présentations et l’esthétisation des fantômes permettrait de les conjurer, c’est-à-dire de les apprivoiser, ou de s’en débarrasser. Cet axe analyse donc les modalités d’esthétisation, de mise en scène des fantômes, et les traductions spatiales qui peuvent en résulter.

Les techniques mnémoniques et artistiques comme le cinéma et la photographie permettent de rendre compte d’une multitude de spatialités et de temporalités sur un même support. L’invocation des fantômes par ces biais remet ainsi en question nos modalités de perception : comment les voit-on, les sent-on, les touche-t-on ? Il s’agira ici de restituer les représentations artistiques et culturelles qui permettent de donner corps aux fantômes. En effet, celles-ci mettent en scène une certaine irrationalité et questionnent le statut du réel, la nature et les possibilités de la connaissance de notre environnement, ainsi que les modes de perception de celui-ci. Elles permettent de considérer les relations entre art et espace d’un point de vue nouveau, et d’explorer de nouvelles configurations de l’espace et du temps grâce aux œuvres : ce qui a été, ce qui n’est plus, mais aussi ce qui devrait ou pourrait être. Cela revient aussi à considérer les brèches ouvertes sur l’hypothétique, l’éventuel et le possible ouvertes par les mises en scènes artistiques et culturelles des fantômes.

Modalités de soumission et d’évaluation

Les textes (entre 35 000 et 50 000 signes) sont à soumettre à la rédaction de la revue Géographie et cultures (gc@openedition.org).

Une déclaration d’intention est attendue (environs 3000 signes)

pour le 30 juin 2017

avec une remise des articles le 15 novembre 2017 au plus tard en vue d’une publication début 2018.

Les instructions aux auteur.e.s sont disponibles en ligne : http://gc.revues.org/605

Les articles seront évalués en double aveugle.

Direction scientifique

La direction scientifique du numéro est assurée par 

  • Francine Barthe-Deloizy, maitre de conférence Université, Jules Verne de Picardie
  • Marie Bonte, doctorante, Université Grenoble-Alpes
  • Zara Fournier, doctorante, Université de Tours
  • Jérôme Tadié, chargé de recherche, IRD

Références citées

Cameron, E. (2008), « Indigenous Spectrality and the Politics of Postcolonial Ghost Stories », Cultural Geographies, n° 15, p. 383-393.

Certeau, M. de (1990), L’invention du quotidien, t. 1, Paris, Gallimard.

Debarbieux, B. (1995), « Le Lieu, le territoire et trois figures de rhétorique », Espace géographique, tome 24, n° 2, p. 97-112. 

Derrida, J. (1993), Spectres de Marx. L’Etat de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale,Paris, Galilée, 278 p.

Gervais-Lambony, P. (2012), « Nostalgies citadines en Afrique Sud », EspacesTemps.net, http://www.espacestemps.net/articles/nostalgies-citadines-en-afrique-sud/

Houssay-Holzschuch, M. (2010), « Crossing Boundaries. Tome 3 : Vivre ensemble dans l’Afrique du Sud post-apartheid », Mémoire d’Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris 1.

Maddern J.F., Addey P. (2008), “Editorial : spectro-geographies”, Cultural Geographies, n °15, p. 291-295.


Dates

  • mercredi 15 novembre 2017

Mots-clés

  • Géographie, fantôme, surnaturel, apparition, ancrage, spatialité

Contacts

  • Emmanuelle Dedenon
    courriel : emmanuelle [dot] dedenon [at] cnrs [dot] fr

Source de l'information

  • Emmanuelle Dedenon
    courriel : emmanuelle [dot] dedenon [at] cnrs [dot] fr

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Géographies des fantômes », Appel à contribution, Calenda, Publié le lundi 22 mai 2017, https://doi.org/10.58079/xme

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