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Néolibéralisme et religion

Neoliberalism and religion

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Publié le lundi 29 mai 2017

Résumé

Le programme Paris sciences et lettres (PSL) « Agenda pour une sociologie critique des religions» organise le 22 juin 2017 un atelier sur le thème « Néolibéralisme et religion ».

Annonce

Organisateurs

  • Véronique Altglas (Queen’s University Belfast),
  • Hicham Benaissa (GSRL, CNRS),
  • Yannick Fer (GSRL, CNRS)

Argumentaire

En prenant pour hypothèse que le néolibéralisme, davantage qu’un système économique, est un mode général de régulation des existences humaines (Pierre Dardot, Christian Laval, 2010 ; David Harvey 2007; Thomas Lemke 2001), une configuration historique déterminant des rapports de domination et un mode de vie spécifique, cet atelier vise à questionner la place de la religion à l’intérieur d’une telle configuration. Par là, notre objectif n’est pas de mesurer simplement les effets de l’économie sur la religion. Il s’agit plutôt de nous interroger sur les différentes modalités de reformulation du religieux dans le contexte de pratiques politiques et économiques qui promeuvent un individu entrepreneur et responsable de lui-même, tout en érodant la prise en charge collective de celui-ci. Il ne s’agit donc pas de réduire les comportements religieux à de l’économie religieuse en étendant sans précaution la théorie du marché au champ des faits religieux (Lionel Obadia, 2013 ; Philippe Gonzalez) ; ni de considérer que l’idéologie néolibérale ne doit sa domination qu’à la production d’une nouvelle « croyance » économique (Frédéric Lebaron, 2000).

Suivant la perspective définie par le programme PSL « Agenda pour une sociologie critique des religions », qui vise à réinscrire le religieux dans le social, nous chercherons à mieux cerner les logiques d’affinité, les tensions et les analogies qui relient les différentes formes de recompositions religieuses à un contexte sociopolitique profondément travaillé par la pénétration des logiques néolibérales (Jesús García Ruiz, Patrick Michel : 2012 ; Florence Bergeaud-Blackler, 2017). Une telle approche suppose de dépasser les cloisonnements disciplinaires, tout en ouvrant la sociologie des religions sur les débats plus larges des sciences sociales, dans le cadre d’un dialogue avec l’anthropologie, l’histoire, les sciences économiques et les sciences politiques.

Programme 

  • 10h00-10h45 : Frédéric Lebaron (UVSQ, Printemps), Croyances économiques et croyances religieuses : retours sur un débat ancien.
  • 10h45-11h30 : Philippe Gonzalez (UNIL, Thema), S’enrichir pour imposer l’hégémonie chrétienne: le marché, les apôtres charismatiques et Trump.
  • 11h30-12h30 : Discussion

Pause (12h30 - 14h00)

  • 14h00-14h45 : Florence Bergeaud-Blackler (CNRS, IREMAM), Le marché halal ou l'alliance du fondamentalisme religieux et du néo-libéralisme.
  • 14h45-15h30 : Lionel Obadia (Université Lyon 2, LARHRA), « Marchandisation du sacré » ? du bon usage d’une mauvaise métaphore, et vice-versa.
  • 15h30-16h30 : Discussion

Discutant : Patrick Michel (CNRS-EHESS, Centre Maurice Halbwachs).

Résumés des interventions

Frédéric Lebaron (UVSQ, Printemps) : Croyances économiques et croyances religieuses : retours sur un débat ancien.

Est-il pertinent de penser la « croyance économique » en s'appuyant sur les analyses de Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse ? La sociologie économique contemporaine, à l'heure du trading haute-fréquence et de la e-économie, peut-elle se nourrir de la relecture de cet ouvrage vieux d'un siècle et consacré principalement au totémisme et aux croyances collectives caractéristiques de sociétés dites « primitives » australiennes ?

Dans la mesure où la vie économique contemporaine est souvent décrite, après Karl Polanyi (Polanyi, 1944), comme le résultat d'un « désencastrement » de l'ordre économique, qui se serait extrait des systèmes normatifs politiques et surtout religieux pour suivre sa loi propre (celle du marché auto-régulé)[1], quel intérêt y-a-t-il aujourd'hui non seulement à « remettre du religieux »[2] dans l'ordre économique, mais, qui plus est, en prenant pour base d'analyse du fait religieux son origine la plus primitive tel que Durkheim la pense dans les Formes ?

Dans cette communication, nous ne ferons pas un état des lieux des usages contemporains des analyses durkheimiennes des Formes parmi les sociologues économiques: à quelques exceptions près, surtout concentrées en France (Steiner, 1999), la « sociologie économique » telle qu'elle s'est reconstituée à partir des années 1970 à l'échelle mondiale fait peu de place  à ce versant particulier de la problématique durkheimienne ; plus largement, elle donne assez peu d'importance à l'école durkheimienne en économie (Steiner, 2005), redécouverte par les historiens de la pensée et les sociologues, mais rarement prolongée par des travaux empiriques ou théoriques qui en mobiliserait l'outillage conceptuel ou la démarche méthodologique[3], ce que l'on observe d'ailleurs aussi en anthropologie économique (voir Weber, Dufy, 2007).

Nous voudrions plutôt, à partir d'une relecture des Formes, discuter de la pertinence de la problématique durkheimienne telle qu'elle s'y déploie, en l'illustrant brièvement à partir d'exemples issus de nos propres travaux (en particulier : Lebaron, 2000, 2006, 2010) ou d'autres recherches récentes en sociologie économique. Ces dernières, si elles ne s'inscrivent pas toujours expressément dans le cadre de référence durkheimien, nourrissent certaines réflexions que l’on peut qualifier sans trop forcer le trait de « durkheimiennes ». A cette fin, nous commencerons par repérer dans l'ouvrage de Durkheim les raisonnements de portée générale qui sont susceptibles d'éclairer une approche sociologique de l'ordre économique contemporain. Cela nous conduira ensuite à retenir plus spécifiquement deux enjeux particuliers:  la question de la genèse -ou de l'origine- religieuse des concepts économiques et celle des modalités par lesquels le « religieux » et l' « économique » sont situés dans un certaine continuité ; celle de la séparation du cosmos économique avec le reste du monde social (en relation avec la division « sacré / profane » qui fonde le religieux), indissociable de  la relation d'homologie qui s'établit entre le monde des producteurs de discours économiques et l'univers religieux.

Références

  • Baudelot Christian, Establet Roger, Maurice Halbwachs: consommation et société, Paris, PUF, 1994.
  • Bourdieu Pierre, Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Paris, Seuil, 1994.
  • Clavero Bartolomé, La grâce du don. Anthropologie catholique de l'économie moderne, Paris, Albin Michel, 1996.
  • Denord François, Néolibéralisme version française. Histoire d'une idéologie politique, Paris, Démopolis, 2009.
  • Hirschman Albert O., Les passions et les intérêts, Paris, PUF, 1980.
  • Jones Ben and Lauterbach Karen. 2005. ‘Bringing religion back in: religious institutions and politics in Africa’, Journal of Religion in Africa 35(2): 239-243. 
  • Lebaron Frédéric, La croyance économique, Paris, Seuil, 2000.
  • Lebaron Frédéric, Ordre monétaire ou chaos social. La  BCE et la révolution néolibérale, Bellecombe-en-Bauges, Croquant, 2006.
  • Lebaron Frédéric, La crise de la croyance économique,  Bellecombe-en-Bauges, Croquant, 2010.
  • Simiand François, Critique sociologique de l'économie, Paris, PUF, 2006.
  • Skornicki Arnaud, L'économiste, la cour et la patrie, Paris, CNRS, 2011.
  • Steiner Philippe, La sociologie économique, Paris, La découverte, 1999.
  • Tietmeyer Hans, Economie sociale de marché et stabilité monétaire, Paris, Economica, 1999.
  • Vergès Pierre, « Les représentations sociales de l'économie: une forme de connaissance », in Denise Jodelet (dir.), Les représentations sociales, Paris, PUF, 2003.
  • Weber Florence, Dufy Caroline, L'ethnographie économique, Paris, La découverte, 2007.

Philippe Gonzalez (UNIL, Thema), S’enrichir pour imposer l’hégémonie chrétienne: le marché, les apôtres charismatiques et Trump.

La thèse wébérienne avance que l’ascèse protestante, tournée vers l’ici-bas, a favorisé la diffusion à large échelle d’un éthos capitaliste et contribué à la sécularisation de la société. Ma contribution documente le phénomène inverse: elle montre comment des «apôtres» contemporains de l’évangélisme charismatique, basés pour la plupart aux USA, mais diffusant leurs thèses au niveau mondial, font du marché le lieu central pour reconquérir les lieux d’influence au sein du monde social en vue d’y instaurer une hégémonie chrétienne. C’est dans la figure de Trump que ces apôtres ont reconnu leur projet de société, voyant en lui un sauveur providentiel annoncé par des «prophéties». Le candidat républicain est apparu comme le nouveau «Cyrus», faisant écho à un roi perse mentionné dans l’Ancien Testament: un souverain étranger – car situé hors du peuple de Dieu –, mais capable de prendre le gouvernement pour le compte des chrétiens, car, en entrepreneur florissant, Trump avait déjà pris le marché.

Références

  • Bowler, Kate. 2013. Blessed: A History of the American Prosperity Gospel. Oxford University Press.
  • Gloege, Timothy E W. 2015. Guaranteed Pure: The Moody Bible Institute, Business, and the Making of Modern Evangelicalism. Chapell Hill: The University of North Carolina Press.
  • Grem, Darren E. 2016. The Blessings of Business: How Corporations Shaped Conservative Christianity. New York: Oxford University Press.
  • *Hillman, Os. 2011. Change Agent. Engaging Your Passion to Become the One Who Makes a Difference. Lake Mary: Charisma House.
  • Ruotsila, Markku. 2015. Fighting Fundamentalist: Carl McIntire and the Politicization of American Fundamentalism. Oxford: Oxford University Press.
  • *Wallnau, Lance et Bill Johnson, éds. 2013. Invading Babylon: the 7 Mountain Mandate. Shippensburg, PA: Destiny Image Publishers.
  • *Wallnau, Lance. 2016. God's Chaos Candidate : Donald J. Trump and the American Unraveling. Keller, TX: Killer Sheep Media.

Florence Bergeaud-Blackler (CNRS, IREMAM), Le marché halal ou l'alliance du fondamentalisme religieux et du néo-libéralisme.

Dans la continuité de mon dernier ouvrage « le marché halal ou l’invention d’une tradition » dans lequel, en adoptant une approche pragmatique, je retrace la création, l’évolution et l’extension du marché mondial des produits halal,  je m’interroge  sur les liens qu’entretiennent ces deux idéologies mondialistes que sont le capitalisme néo-libéral et le fondamentalisme islamique. Je montre que « le marché » n’est pas fondamentalement neutre, et qu’il peut être dans nos sociétés sécularisées un véhicule efficace de normes religieuses. Plus que jamais il nous faut prendre en considération la dimension économique dans l'étude des relations entre politique et religieux.

Références

Ouvrages :

Articles récents :

  • (2017) “Le marché halal mondial. Entretien avec Florence Bergeaud-Blackler”, par François Gauthier, Revue du MAUSS, 1/2017 (n° 49), à paraître
  • Bergeaud-Blackler, F., & Kokoszka, V. (2017) La standardisation du religieux, Revue du Mauss, à paraître
  • Bergeaud-Blackler F., (2015), “Comment la “norme halal” travaille le Paysage Islamique Français,” Confluences Méditerranée : L’islam de France : nouveaux acteurs, nouveaux enjeux (dir.) Robert Bistolfi et Haoues Seniguer , 59.

Lionel Obadia (Université Lyon 2, LARHRA), « marchandisation du sacré » ? du bon usage d’une mauvaise métaphore, et vice-versa.

Il est devenu courant d’imputer à la pensée néo-libérale et au « capitalisme mondial » les transformations qui affectent actuellement les formes du social, les contours des cultures et les dynamiques des religions. Dans un monde dominé par « l’économie » et « le (nouvel ou pas) esprit du capitalisme », par les logiques du « consumérisme » et de la « marchandisation » (du vivant, du social, de la culture, du corps…), il était donc attendu que la religion, qui opère un retour en force dans le même contexte, participe des mêmes processus ou s’aligne sur eux. Mais l’attribution causale, qui confine d’ailleurs au slogan idéologique, si elle met en effet en relief un répertoire d’explication intéressant et pertinent, n’épuise toutefois pas l’analyse et semble procéder par ailleurs d’un réductionnisme conceptuel qui fait violence à la réalité : si le religieux est en effet impacté par le néo-libéralisme, il s’agit toutefois de relativiser cette assertion et de se demander de quel système il est question, dans quel contexte, avec quelle efficacité il agit et jusqu’à quel point c’est le cas. Et, partant, la posture radicale qui veut que le libéralisme soit le principal responsable des nouvelles logiques et dynamiques du religieux, nécessite une sérieuse remise en question, qui n’est pas, il est important de le rappeler aussi, une disqualification totale.

Références

  • Lionel Obadia La marchandisation de Dieu. Economies religieuses, Paris : CNRS Editions, 2013.
  • Don Wood, Lionel Obadia (Eds). « The Economics of religion », Research in Economic Anthropology, Vol. 31, Amsterdam ; Lausanne ; New York: Emerald. 2010.
  • Lionel Obadia, « Marchés, business et consumérisme en religion : vers un « tournant économique » en sciences des religions ? » Mélanges de l'École française de Rome - Italie et Méditerranée modernes et contemporaines (MEFRIM), (à paraître 2017).

 

Bibliographie

Pierre Dardot, Christian Laval, La nouvelle raison du monde, Paris, La Découverte, 2010.

David Harvey, A brief history of Neoliberalism. Oxford, Oxford University Press, 2007.

Thomas Lemke, “The Birth of ‘Bio-Politics’: Michel Foucault’s Lecture at the Collège de France on Neo-Liberal Governmentality.” Economy & Society 2001, 30(2): 190-207.

Lionel Obadia, La marchandisation de Dieu. L’économie religieuse, Paris, CNRS Editions, 2013

Frédéric Lebaron, La croyance économique, Paris, Seuil, 2000.

Jesús García Ruiz, Patrick Michel, Et Dieu sous-traita le salut au marché, Paris, Armand Colin, 2012.

Florence Bergeaud-Blackler, Le marché halal ou l’invention d’une tradition, Paris, Le Seuil, 2017.

Références

[1] On retrouve cette thèse chez de nombreux auteurs comme François Simiand, Pierre Bourdieu et beaucoup d'autres.Cf. Bourdieu, 1994, Simiand, 2006.

[2] « Bringing religion back in », pour reprendre une formule de Ben Jones et Karen Lauterbach (2005).

[3] Marcel Mauss est sans doute le plus cité et le plus « utilisé » des membres de l'école durkheimienne en économie, mais plutôt du côté de l'anthropologie économique. Maurice Halbwachs a été redécouvert dans les années 1990: Baudelot, Establet, 1993. Simiand, s'il a fait l'objet de re-publications (Simiand, 2006) en France, reste relativement méconnu.

Catégories

Lieux

  • Ecole normale supérieure, salle R2-02 - 48 boulevard Jourdan
    Paris, France (75014)

Dates

  • jeudi 22 juin 2017

Mots-clés

  • religion, néolibéralisme, économie, marché

Contacts

  • Yannick Fer
    courriel : yannick [dot] fer [at] ens [dot] psl [dot] eu

Source de l'information

  • Yannick Fer
    courriel : yannick [dot] fer [at] ens [dot] psl [dot] eu

Licence

CC0-1.0 Cette annonce est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons CC0 1.0 Universel.

Pour citer cette annonce

« Néolibéralisme et religion », Journée d'étude, Calenda, Publié le lundi 29 mai 2017, https://doi.org/10.58079/xp3

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